Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>La Mort de Cyrus</em> Quinault, Philippe (1635-1688) 1659 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1659_quinault_mort-cyrus 1659 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Madame la surintendante.

Madame,

Je dois être bien honteux de vous présenter un ouvrage aussi médiocre que celui que j’ose vous offrir. Vous avez un discernement si juste que vous ne sauriez manquer d’y découvrir un très grand nombre de défauts, et fort peu d’endroits qui soient dignes de vous plaire. Mais si cette tragédie se pouvait soutenir par sa propre force, je n’aurais pas tant d’intérêt à la mettre sous une puissante protection. Et si elle était excellente d’elle-même, je n’aurais pas besoin de la parer d’un nom aussi glorieux que le vôtre. Je suis certain, Madame, que pour emprunter de la gloire, on ne saurait s’adresser mieux qu’à vous. Je sais que vous en avez de reste pour prêter aux choses qui en ont le moins, et que vous en pouvez donner beaucoup sans en être incommodée. N’appréhendez pas toutefois, Madame, que je vous fasse ici longtemps rougir par le dénombrement de toutes les qualités qui vous font admirer avec justice. Ce n’est pas que ce ne soit une matière fort riche, et qui me donnerait aisément le moyen de me passer des finesses et des inventions qui me manquent. Pour parler de vous avec éclat, il suffirait de ne rien dire que des vérités. Mais, Madame, ces vérités sont si connues qu’elles n’auraient la grâce de la nouveauté pour personne, et je ne pourrais vous donner que des louanges communes, parce que tout le monde se mêle de vous en donner. On trouve un si grand nombre d’honnêtes gens qui vous admirent que pas un de ceux qui vous connaissent n’oserait vous refuser son admiration, et que tous sont persuadés qu’il y va de leur honneur à vous en rendre. Si votre fortune vous peut faire des envieux, votre vertu les sait détruire, et c’est en leur faisant du bien que vous les intéressez à vous en souhaiter. Il n’y a que de vos yeux dont je ne voudrais pas vous répondre, ils ont bien l’air de vous faire des ennemies de toutes nos belles, et c’est la seule espèce d’envie dont vous n’aurez pas peu de peine à vous garantir. Il est vrai, Madame, que votre beauté n’est pas un ornement dont vous fassiez beaucoup de compte, que vous négligez des avantages sur qui celles de votre sexe fondent ordinairement tout leur bonheur. Mais vous avez beau faire, vous ne sauriez vous empêcher de paraître toujours une des plus aimables personnes du monde.

Vos yeux malgré leur modestie,

Troublent la plus belle partie,

Et de la ville, et de la cour.

On sait que rarement ils passent un seul jour,

Sans donner de l’envie à quelque beauté vaine,

Et qu’ils donneraient bien du moins autant d’amour,

S’ils voulaient en prendre la peine.

Le premier essai de leurs charmes nous ont assez appris leur puissance. Ils ont mis des passions violentes dans un cœur qui n’en avait jamais eu que pour la gloire. Ils ont triomphé d’une âme dont la force et la grandeur n’ont point de bornes et ils peuvent bien demeurer oisifs après une si grande conquête. L’illustre époux à qui vous êtes unie a des lumières qui ne lui sauraient permettre de s’abuser ; pour connaître que vous êtes digne de son choix, il suffit de savoir que vous l’avez obtenu, et l’on ne peut douter que votre mérite ne soit infini, puisque vous méritez toute sa tendresse. Excusez-moi, s’il vous plaît, Madame, si je parle avec tant d’ardeur de cet illustre protecteur des muses, dans un endroit où je ne devrais parler que de vous. Si je vous disais à quel point je lui suis obligé, vous m’excuseriez sans peine. Mais il a tant de peur que l’on découvre le bien qu’il prend plaisir de faire que si j’avais déclaré celui dont je lui suis redevable, il ne me le pardonnerait jamais. J’aurais pourtant beaucoup de gloire à publier les marques effectives de la bonté généreuse dont il a daigné m’honorer, et je n’aurais peut-être pas la force de m’en taire, si je ne me pressais de vous dire que je veux être toute ma vie, avec une passion très ardente, et des respects très profonds,

Madame,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Quinault.