À très haute et très puissante princesse, Madame Christine de France, duchesse de Savoie.
Madame,
L’illustre Zénobie, qui a été la merveille du passé, et devait être l’admiration de l’avenir se pouvait vanter d’être l’incomparable de son sexe, si pour humilier sa gloire, le ciel n’eût fait naître douze cent ans après elle l’unique Christine de France duchesse souveraine de Savoie. Ce n’est pas que Zénobie se plaigne au Ciel de vous avoir donnée à la terre ; bien éloignée de ce sentiment, elle vient vous protester par ma voix, qu’elle est moins glorieuse d’avoir été l’objet de la vénération de son temps, que d’avoir servi de première idée à la Nature pour se former tout ce qui compose votre Altesse royale. Je veux dire cette perfection consommée qui vous rendant par préférence à toute autre l’héroïne de votre sexe, force Zénobie de venir jusque dans la capitale de vos États pour avouer qu’elle n’est plus que votre ombre, et me porte à vous rendre un hommage que votre mérite extraordinaire exige de tout le monde. Non, Madame, personne n’en est dispensé, toute la terre vous le doit, non parce que vous êtes fille d’Henri le Grand, sœur de Louis le Juste, et tante de Louis Dieu-Donné, mais parce que vous êtes vous-même, et que vous seriez plus digne de commander à toutes les nations par un mérite qui vous est propre, que par des considérations naturelles. Qui donc a jamais mieux mérité que votre Altesse royale l’empire du monde ? Ce ne sont ni les Sémiramis, ni les Tomiris, elles ont eu mille défauts, et vous êtes accomplie, si bien que vous ne pouvez permettre à l’imagination humaine de se rien figurer qui vous approche que la fameuse Zénobie. Elle est sortie, Madame, du sang des Ptolémées, vous êtes sortie du sang de Bourbon. Elle a été femme du grand Odénat, vous avez été celle du grand Victor Amédée, et vous avez eu toutes deux la gloire d’avoir épousé des souverains, qui selon les vertus réglant leurs prétentions, n’ont jamais mesuré leurs États que par l’étendue de leur courage. Que n’auraient-ils pas fait tous deux, si leur mort n’eut borné leur victoire ? Mais ne m’avouerez-vous point, que sans leur trépas votre Altesse royale, ni Zénobie, n’auriez pas fait connaître à toute la terre votre courage et votre prudence, et que votre sexe est aussi capable que le nôtre d’entreprendre hardiment et d’exécuter plus glorieusement ? On vous a vues, Madame, l’une et l’autre dans votre veuvage solenniser par mille actions éclatantes la mémoire de vos illustres époux, et quand la fortune a voulu vous exercer, on vous a vues dans vos régences soutenir avec un zèle infatigable contre l’invasion de vos ennemis l’héritage de vos illustres enfants. C’est ici que je puis dire à votre Altesse royale que l’incomparable comte d’Harcourt vous a dignement servie, et que cependant il ne s’agira jamais de travailler pour votre gloire, que cet insigne faiseur de miracles en matière de victoires ne prodigue toujours cette même vie qu’il a si souvent exposée pour votre service. Ne doit-il pas, aussi Madame, me confesser que jamais trône n’a porté une souveraine plus digne d’être servie que vous l’êtes ? Vous attirez tous les cœurs à vous, vous les gagnez, vous les conservez, et j’ajoute que si le Ciel eût voulu qu’on eût aussi tôt assujetti les hommes par le cœur que par le bras, vous pourriez être dès longtemps la seule maîtresse du monde. Il serait juste que vous la fussiez. Vous avez tout ce qu’il faut pour être digne de l’être, vous avez la naissance et la générosité, vous avez la douceur et la majesté, vous avez l’intelligence et la prudence, et je tiens dans l’idée que je me fais d’un parfait gouvernement, que le monde serait très heureux d’être gouverné par votre Altesse royale. Toutefois, Madame, le Ciel pour la disgrâce de la terre vous a simplement soumis la Savoie ; mais au défaut d’un empire, ne vous a-t-il pas fait présent d’un cœur qui est incomparablement plus grand que tout le monde, et qui le tiendra toujours plus digne de ses mépris qu’Alexandre ne le crut digne de son ambition. En effet quel usage ne faites-vous pas des grandeurs ? Vous en êtes la maîtresse, pendant que tant d’autres souverains en sont les esclaves. Ah ! qu’il est beau d’entendre dire à toute l’Europe que jamais la Nature n’a produit un cœur si généreux que celui de votre Altesse royale et que quant à la fermeté de l’âme, les plus rudes revers de la fortune ne pourraient ébranler votre courage ! On l’a vu, Madame, dans le plus grand péril avec une extrême constance ; il est vrai que votre prudence était de la partie, et que si l’infortunée Zénobie eût eu autant de conduite que vous, elle eût conservé ses états comme vous avez conservé les vôtres, et les eût remis, aussi bien que vous, à ses enfants, moins comme une succession de leur père, que comme une nouvelle acquisition faite à force de prudence et de valeur. Quelle gloire pour votre Altesse royale, d’avoir remis au prince votre fils des États si bien conservés, et par votre admirable conduite, et par celle de votre excellent ministre si florissants qu’il n’est point de souverain qui ne les dût regarder avec envie, si ce n’est que le prince votre fils qui les possède trouve infiniment plus en soi que dans sa souveraineté de quoi leur donner une perpétuelle jalousie. Vous avez encore Madame la princesse votre fille, qui peut bien empêcher tous ces souverains d’avoir de l’envie pour les États du prince son frère. Ils n’ont que trop de la passion qu’elle leur donne. L’amour qu’elle fait naître dans leurs âmes y surmonte l’ambition, et n’y laisse que ce profond respect avec qui les plus grands rois de l’Europe ne peuvent que lui protester que les plus hautes alliances sont encore au-dessous de son mérite. Enfin, Madame, vous devez vous glorifier d’être la souveraine et la mère la plus satisfaite du monde. Pour moi qui viens avec Zénobie admirer cette rare et légitime félicité, s’il m’est permis d’y désirer quelque chose, je souhaite qu’elle soit aussi longue qu’elle est grande et qu’elle est juste, et vous conjure tout ensemble de souffrir que rien ne manquant à tous vos vœux, je remplisse tous les miens à vouloir être encore avec toutes sortes de respects,
Madame,
De votre Altesse royale,
Le très humble, le très obéissant et le très soumis serviteur,
De Magnon.