Transcription Transcription des fichiers de la notice - Poème de <em>Les Précieuses ridicules</em> Somaize, Antoine Baudeau (sieur de, 1630?-16..) 1660 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1660_somaize_precieuses-ridicules_poeme 1660 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français
À Mademoiselle, Mademoiselle Marie de Mancini. Élégie.

Épris, charmé, rempli de la plus belle idée Dont une âme jamais puisse être possédée, Je me laisse emporter à ces nobles ardeurs Qui détruisent la crainte, et rassurent les cœurs. Je conçois un dessein qui m’étonne moi-même, Mais comme le danger la gloire en est extrême, Quand j’y succomberais je serais glorieux, C’est périr noblement que périr à vos yeux ; On ne se repent point d’une belle entreprise Et de quelque terreur qu’une âme soit surprise, Pour en venir à bout on la voit tout oser Aux plus fâcheux revers on la voit s’exposer. Pour moi dans le projet que je viens de me faire On ne peut m’accuser que d’être téméraire ; Mais qui peut ignorer que la témérité Surpasse bien souvent la générosité ? Parlons mieux et disons qu’il n’est pas ordinaire De voir un généreux n’être point téméraire, Qu’on ne peut que par elle affronter les hasards, Qu’elle a seule formé les premiers des Césars Et que les conquérants que nous vante l’Histoire Sans leurs témérités n’auraient pas tant de gloire. Cette vertu propice aux belles passions Peut seule nous conduire aux grandes actions ; Rien que l’événement ne la rend criminelle, Mais lorsqu’on réussit elle n’est jamais telle : Osons donc dans l’ardeur qui nous brûle le sein Incertain du succès suivre notre dessein.

$$$ Vous illustre Marie, à qui mes vers s’adressent, Souffrez qu’en votre nom tous mes vœux s’intéressent, Que je chante sa gloire et fasse voir à tous Les belles qualités qui se trouvent en vous ; Que peuvent toutefois mes faibles témoignages ? Vos yeux parlent assez de tous vos avantages. Il n’importe achevons en un dessein si beau ; Les yeux nous serviront d’objet et de flambeau. En effet si les yeux sont les miroirs de l’âme, Que ne verrai-je pas au travers de leur flamme ? Je trouverai d’abord d’une suite d’aïeux La grandeur exprimée en ces aimables yeux Et de leur majesté la vénérable image Avec des traits plus doux peinte sur ce visage. J’y connaîtrai ce droit naturel aux Romains D’étendre leur pouvoir dessus tous les humains Et que ce qu’ils faisaient par l’effort de leurs armes Vous savez l’achever par celui de vos charmes ; Mais vous faites bien plus que ces premiers vainqueurs ; Ils triomphaient des corps, vous triomphez des cœurs ; On évitait leurs fers, on adore vos chaînes ; Si l’on en sent le poids l’on en chérit les peines, Et votre empire est tel dessus les libertés Que même vous forcez jusques aux volontés : Oui tel est de vos yeux, la douceur et l’empire Qu’ils peuvent beaucoup plus que je ne saurais dire. Mais si voyant vos yeux j’y trouve tant d’appas Consultant votre esprit que ne verrai-je pas ? Et si poussant plus loin, ce dessein qui m’étonne Je voulais regarder toute votre personne, En voir séparément les aimables trésors, De votre âme à loisir consulter les accords, En tracer une idée et vous y peindre entière, Combien de vous louer verrai-je de matière, Je le laisse à juger, et borne tous mes vœux À montrer dans mes vers, ce qu’on voit dans vos yeux. Mais après que ces yeux m’ont su faire connaître La noblesse du sang dont on vous a vu naître Et que par leur éclat instruit de leur pouvoir J’ai tâché d’exprimer ce qu’ils m’en ont fait voir, Souffrez sans vous lasser que mes faibles paupières En empruntent encor de nouvelles lumières Et que par vos regards instruit de mieux en mieux Je puisse peindre au vif ce qu’on lit dans vos yeux ; $$$ Mais je m’y perds moi-même et vois mon impuissance.

Il faudrait pour le faire avoir leur éloquence Ou du moins que mes vers eussent les agréments Que l’on peut remarquer dedans leurs mouvements, Qu’on y vît cette ardeur qui brille en vos prunelles, Qu’à leur force on connût que je veux parler d’elles Et qu’enfin mes accents plus coulants et plus doux Méritassent l’honneur d’être estimés de vous. Alors par ce penser ma veine ranimée Tracerait ces vertus dont mon âme est charmée Et suivant de vos yeux l’éclat et les rayons J’en ferais à plaisir les illustres crayons. $$$ Dans ce vaste ttableau chacune aurait sa place ; On y verrait d’abord une divine audace Et sous divers habits on verrait tour à tour Les grâces et l’honneur, qui vous feraient la cour ; Plus loin l’on y verrait la discrète prudence Régler vos actions d’une juste balance, En soutenir partout le poids et la grandeur ; Pour compagne elle aurait une fière pudeur ; Outre cette pudeur, on y verrait encore Toutes ces qualités qui font qu’on vous adore Et surtout on verrait la libéralité Parler de vos excès de générosité. Je ferais mes efforts pour y pouvoir dépeindre Cette grande vertu qu’autre part il faut feindre Et pour n’y perdre pas et ma peine et mes soins J’en peindrais à vos pieds cent illustres témoins Et saurais faire voir par tant d’illustres marques Que vous devez régner sur les cœurs des monarques Que tout le monde entier reconnaissant vos droits Tiendrait à grand bonheur de recevoir vos lois. $$$ Mais attendant l’aveu d’une telle entreprise, De grâce laissez-moi jouir de ma surprise ; Par mon étonnement montrez votre pouvoir ; Il en marquera plus que je n’en ai fait voir. Quand pour louer quelqu’un l’on manque d’éloquence, C’est en dire beaucoup que garder le silence ; Ainsi je ne crains pas que le mien soit suspect Puisqu’en ne disant rien je prouve mon respect. Somaize.