Épris, charmé, rempli de la plus belle idée
Dont une âme jamais puisse être possédée,
Je me laisse emporter à ces nobles ardeurs
Qui détruisent la crainte, et rassurent les cœurs.
Je conçois un dessein qui m’étonne moi-même,
Mais comme le danger la gloire en est extrême,
Quand j’y succomberais je serais glorieux,
C’est périr noblement que périr à vos yeux ;
On ne se repent point d’une belle entreprise
Et de quelque terreur qu’une âme soit surprise,
Pour en venir à bout on la voit tout oser
Aux plus fâcheux revers on la voit s’exposer.
Pour moi dans le projet que je viens de me faire
On ne peut m’accuser que d’être téméraire ;
Mais qui peut ignorer que la témérité
Surpasse bien souvent la générosité ?
Parlons mieux et disons qu’il n’est pas ordinaire
De voir un généreux n’être point téméraire,
Qu’on ne peut que par elle affronter les hasards,
Qu’elle a seule formé les premiers des Césars
Et que les conquérants que nous vante l’Histoire
Sans leurs témérités n’auraient pas tant de gloire.
Cette vertu propice aux belles passions
Peut seule nous conduire aux grandes actions ;
Rien que l’événement ne la rend criminelle,
Mais lorsqu’on réussit elle n’est jamais telle :
Osons donc dans l’ardeur qui nous brûle le sein
Incertain du succès suivre notre dessein.
$$$ Vous illustre Marie, à qui mes vers s’adressent,
Souffrez qu’en votre nom tous mes vœux s’intéressent,
Que je chante sa gloire et fasse voir à tous
Les belles qualités qui se trouvent en vous ;
Que peuvent toutefois mes faibles témoignages ?
Vos yeux parlent assez de tous vos avantages.
Il n’importe achevons en un dessein si beau ;
Les yeux nous serviront d’objet et de flambeau.
En effet si les yeux sont les miroirs de l’âme,
Que ne verrai-je pas au travers de leur flamme ?
Je trouverai d’abord d’une suite d’aïeux
La grandeur exprimée en ces aimables yeux
Et de leur majesté la vénérable image
Avec des traits plus doux peinte sur ce visage.
J’y connaîtrai ce droit naturel aux Romains
D’étendre leur pouvoir dessus tous les humains
Et que ce qu’ils faisaient par l’effort de leurs armes
Vous savez l’achever par celui de vos charmes ;
Mais vous faites bien plus que ces premiers vainqueurs ;
Ils triomphaient des corps, vous triomphez des cœurs ;
On évitait leurs fers, on adore vos chaînes ;
Si l’on en sent le poids l’on en chérit les peines,
Et votre empire est tel dessus les libertés
Que même vous forcez jusques aux volontés :
Oui tel est de vos yeux, la douceur et l’empire
Qu’ils peuvent beaucoup plus que je ne saurais dire.
Mais si voyant vos yeux j’y trouve tant d’appas
Consultant votre esprit que ne verrai-je pas ?
Et si poussant plus loin, ce dessein qui m’étonne
Je voulais regarder toute votre personne,
En voir séparément les aimables trésors,
De votre âme à loisir consulter les accords,
En tracer une idée et vous y peindre entière,
Combien de vous louer verrai-je de matière,
Je le laisse à juger, et borne tous mes vœux
À montrer dans mes vers, ce qu’on voit dans vos yeux.
Mais après que ces yeux m’ont su faire connaître
La noblesse du sang dont on vous a vu naître
Et que par leur éclat instruit de leur pouvoir
J’ai tâché d’exprimer ce qu’ils m’en ont fait voir,
Souffrez sans vous lasser que mes faibles paupières
En empruntent encor de nouvelles lumières
Et que par vos regards instruit de mieux en mieux
Je puisse peindre au vif ce qu’on lit dans vos yeux ;
$$$ Mais je m’y perds moi-même et vois mon impuissance.
Il faudrait pour le faire avoir leur éloquence
Ou du moins que mes vers eussent les agréments
Que l’on peut remarquer dedans leurs mouvements,
Qu’on y vît cette ardeur qui brille en vos prunelles,
Qu’à leur force on connût que je veux parler d’elles
Et qu’enfin mes accents plus coulants et plus doux
Méritassent l’honneur d’être estimés de vous.
Alors par ce penser ma veine ranimée
Tracerait ces vertus dont mon âme est charmée
Et suivant de vos yeux l’éclat et les rayons
J’en ferais à plaisir les illustres crayons.
$$$ Dans ce vaste ttableau chacune aurait sa place ;
On y verrait d’abord une divine audace
Et sous divers habits on verrait tour à tour
Les grâces et l’honneur, qui vous feraient la cour ;
Plus loin l’on y verrait la discrète prudence
Régler vos actions d’une juste balance,
En soutenir partout le poids et la grandeur ;
Pour compagne elle aurait une fière pudeur ;
Outre cette pudeur, on y verrait encore
Toutes ces qualités qui font qu’on vous adore
Et surtout on verrait la libéralité
Parler de vos excès de générosité.
Je ferais mes efforts pour y pouvoir dépeindre
Cette grande vertu qu’autre part il faut feindre
Et pour n’y perdre pas et ma peine et mes soins
J’en peindrais à vos pieds cent illustres témoins
Et saurais faire voir par tant d’illustres marques
Que vous devez régner sur les cœurs des monarques
Que tout le monde entier reconnaissant vos droits
Tiendrait à grand bonheur de recevoir vos lois.
$$$ Mais attendant l’aveu d’une telle entreprise,
De grâce laissez-moi jouir de ma surprise ;
Par mon étonnement montrez votre pouvoir ;
Il en marquera plus que je n’en ai fait voir.
Quand pour louer quelqu’un l’on manque d’éloquence,
C’est en dire beaucoup que garder le silence ;
Ainsi je ne crains pas que le mien soit suspect
Puisqu’en ne disant rien je prouve mon respect.
Somaize.