À Mademoiselle Henriette ***.
Mademoiselle,
Avouez la vérité, n’est-il pas vrai que ce nom vous embarrasse ? Et qu’après l’avoir lu, vous vous êtes arrêtée tout court, pour songer quelle peut être cette Henriette ? Mais n’y rêvez pas davantage, et si vous avez eu quelque soupçon que ce fût vous, demeurez dans cette pensée, et ne vous amusez point à repasser dans votre esprit toutes les Henriettes que vous connaissez, puisque je ne prétends parler qu’à vous. Mais d’où vient que vous faites encore une pause, après que j’ai éclairci votre trouble ? Ah ! J’en devine facilement le sujet ! Vous êtes surprise sans doute, et vous ne vous attendiez pas qu’une personne à qui le sang vous lie vous dédiât un livre ; puisque c’est une chose que l’on voit arriver rarement, et que pour l’ordinaire, quelques éminentes qualités qu’aient nos parents, nous ne les croyons pas au-dessus de nous, à cause que la nature semble ne les avoir faits que pour être nos égaux. Mais vous devez savoir que, quand une fois on a pris de l’amitié pour eux, l’amitié jointe au sang a beaucoup plus de chaleur, et devient si puissante, qu’il n’est rien qu’elle ne nous fît entreprendre pour leur en donner des preuves. Je m’imagine toutefois que cette surprise dont je vous viens de dire le sujet ne vous fait pas rester seule dans la lecture de cette pièce, et qu’après avoir connu que c’est à vous que je parle, votre modestie ne le souffre qu’à peine, et que sachant que je sais particulièrement les belles qualités qui vous rendent recommandable, vous craignez que je ne les expose au public, mais n’en ayez point de peur, je ne parlerai que de celles que vous n’avez pu dérober aux yeux de tous ceux qui vous connaissent. C’est pourquoi je dis, sans qu’on me puisse accuser de flatterie, que jamais personne de votre âge et de votre sexe ne jugea mieux que vous des beautés d’un ouvrage, vous en savez connaître et le faible et le fort, et vous le faites voir avec tant de grâce, et d’une manière si obligeante, qu’il est impossible de s’en fâcher, et de vous accuser d’être précieuse. La conversation vous plaît infiniment, ce qui suffit pour prouver que vous avez de l’esprit, mais que c’est l’écueil de tous ceux qui n’en ont pas, et que quiconque la fuit, ou ne s’y divertit point, fait assez juger de la stérilité de son esprit. Je vois bien que vous ne voulez pas que je parle plus longtemps du vôtre, et comme je prétends vous satisfaire, je n’en parlerai pas davantage, à condition que vous me permettiez de dire que vous êtes la personne du monde la plus généreuse, et qui obligez de la meilleure grâce, que l’amour que vous portez à ceux de votre sang est si puissant que leur satisfaction vous fait mépriser votre propre intérêt. C’est pourquoi l’on ne doit pas s’étonner si je vous proteste publiquement que je suis et serai toute ma vie,
Mademoiselle,
Votre très affectionné,
F. D.