À Mademoiselle de ***.
Mademoiselle,
Je m’imagine que vous ne serez pas moins surprise de me voir imprimé que Guillot semble l’être quand il trouve que le billet qu’il porte de la part de sa maîtresse Angélique au sieur de la Rocque, son amant, est un cartel pour se couper la gorge avec lui. En effet, c’est une chose qui le doit surprendre, car qui penserait qu’une fille se servirait de son valet pour venger un outrage qu’elle croit avoir reçu de celui qu’elle aime de toutes les ardeurs de son âme, et que sous l’appât trompeur d’un poulet qu’elle lui peint rempli de douceurs, elle lui envoie un billet qui marque la grandeur de son ressentiment, et qui lui désigne que Guillot est celui qu’elle a choisi pour tirer raison de son offense prétendue ? Aussi, qui croirait qu’un homme qui n’a jamais su qu’à peine son ABC pût faire paraître un livre au jour, et que l’imprimeur qui prend le soin de le mettre sous la presse se flattât d’en retirer pour le moins les frais de l’impression ? Toutes ces choses ne vous doivent pas moins étonner que Guillot l’est à la vue du cartel, mais pour cesser votre étonnement vous n’avez qu’à prendre la peine de vous ressouvenir que nature est une grande maîtresse, et qu’elle nous montre plus de choses en un moment que l’art ne fait en dix ans, sans examiner si Angélique demeure dans les bornes que la bienséance et la modestie prescrivent à celles de son sexe, et si le sieur de la Rocque a raison de se compromettre si légèrement avec un valet sur un simple écrit qu’un premier mouvement de jalousie a fait naître, ou si Guillot, après la lecture du cartel, doit vraisemblablement entreprendre de se battre contre celui que sa maîtresse Angélique lui destinait pour maître. Souffrez, Mademoiselle, que je vous demande votre protection pour cette petite comédie. Je sais bien que comme vous êtes une des personnes du monde la plus accomplie, qu’on ne vous devrait présenter que des chefs-d’œuvre. Mais il y a grande apparence que je passerais toute ma vie sans vous donner des marques de mon zèle et de mes respects, si j’attendais d’une muse ignorante un ouvrage qui pût avec justice mériter la protection que je vous demande en faveur de celui-ci. Je sais bien encore que si vous blâmez ma hardiesse, que cette bonté naturelle que vous possédez au plus éminent degré se révoltera pour moi contre vous-même, et qu’elle vous dira que [si] cette pièce avait été dans la plus haute perfection, je vous l’aurais présentée comme je vous la présente avec tous ces défauts. Enfin, Mademoiselle, sans exagérer davantage les fautes dont ma petite comédie est remplie, ni le haut et plein mérite dont le ciel vous a été si libéral, et par qui vous donnez de l’admiration à tous ceux qui ont le bien d’approcher votre personne, vous souffrirez que j’obéisse à ma destinée et à mon inclination, qui veulent que je vous donne des preuves d’une soumission respectueuse, en vous offrant les premiers fruits de ma muse. Peut-être que ceux qui liront cette pièce, n’y trouvant pas leur compte, ne pourront s’empêcher d’en dire du mal, mais je m’assure qu’ils ne désapprouveront pas le dessein que j’ai eu de vous l’offrir, quand même ils n’auraient pas l’avantage de vous connaître, pourvu qu’ils croient que rien n’est plus véritable que ce que je dis de vous, et qu’ils aient pente à rendre au vrai mérite ce que la raison obtient aisément des belles âmes. Je vous avoue que si le hasard me faisait rencontrer auprès de ceux qui sans injustice diront du mal de ma petite comédie, je ne pourrais m’empêcher de crier, comme Guillot fait au sieur de la Rocque, "garde l’honneur", mais peut-être aussi que je m’altérerais trop les poumons à force de crier, si je voulais entreprendre ma défense par cette voie. Non, je ne suis point d’avis de me faire mourir pour défendre une mauvaise cause ; que le lecteur en dise du bien ou du mal, tout cela me sera indifférent, et je serai pleinement satisfait, si vous daignez jeter les yeux sur elle, si vous ne vous fâchez point quand vous trouverez au bas de cette lettre la qualité que je prends de,
Mademoiselle,
Votre très humble, très obéissant serviteur,
Chevalier.