À Madame, Madame Marguerite de la Baume, abbesse de l’Abbaye de Saint-Andoche de la ville d’Autun, etc.
Madame,
J’aurais une infinie répugnance à vous consacrer, sous la rime d’une muse assez imparfaite, les aventures admirables de la généreuse sainte Cécile, si je ne savais que votre complaisance n’est pas moins universelle que votre esprit. La honte l’aurait peut-être emporté sur la justice de mon inclination dans cette rencontre, si je n’étais tout convaincu que vous n’agréez pas moins les vers que la prose, dans ces grandes lumières qui vous font connaître aussi parfaitement des ouvrages de poètes que des pièces des orateurs. Si cette riche connaissance, Madame, me met à couvert de la crainte de vous déplaire dans mon offre, l’idée de l’imperfection de mon œuvre me fait bien raisonnablement appréhender la censure de vos lumières, qui condamnent avec justice la privation du bien par la parfaite habitude de la posséder. Je m’explique avec plus de jour et moins de mystère, lorsque j’avoue que votre génie éclairé, étant plus juste que flatteur et plus véritable que complaisant, ne peut agréer que les productions achevées. Cette pensée me jetterait dans un désordre épouvantable, si je n’en adoucissais la sévérité par l’obligeante réflexion de votre charité séraphique qui voile les essais d’un jeune apprenti, par l’adresse de sa maîtrise, se contentant de faire éclater la bonne volonté de l’auteur, et de rendre son œuvre religieuse par la clôture et le silence. Je vous supplie très humblement, Madame, de me tenir cette douceur, si ma muse vous paraît rude, et de ne pas regarder à ce que je fais, mais bien à ce que je dois faire. Je vous conjure encore un coup de considérer qu’il est malaisé de copier un original animé par une peinture médiocre, et qu’il est encore plus difficile qu’une main languissante comme la mienne puisse donner des couleurs vives à un ange qui n’a point de corps.
J’ai donc, Madame, tenté l’impossible dans le portrait de la vie illustre, et de la mort précieuse de sainte Cécile, et je confesse hautement de la témérité de mon dessein, pour en excuser les défauts. C’est à vous, Madame, d’agir puissamment afin que cette confession de honte que je vous rends solennelle par cet écrit, me tienne lieu de sacrement ; après m’être fait absoudre de cet attentat innocent, j’ai l’honneur d’entrer dans la grâce de votre estime, qui établit la plus haute gloire de,
Madame,
Votre très humble, et très obéissant et plus obligé serviteur, F. Jean François de Nîmes pauvre recollé indigne.