Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Le Cercle des femmes savantes</em> La Forge, Jean de (16..-16..?) 1663 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1663_forge_cercle-femmes-savantes_dedicace 1663 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Madame la comtesse de Fiesque.

Madame,

J’ose vous présenter cet ouvrage, et comme à la plus illustre des savantes, et comme à la plus généreuse protectrice des savants. Ces deux grandes qualités que vous possédez avec tant d’éclat me donnent la hardiesse de vous offrir une chose qui de soi-même ne mériterait pas de paraître devant vos yeux, et ne me permettent pas de craindre que vous refusiez votre protection à une troupe de femmes illustres dont vous êtes la principale et la plus admirable. Quelque gloire qui les environne, et quelque réputation que leur mérite a pu leur acquérir, elles en perdraient peut-être une partie dans mes vers, si la vôtre n’aidait à la soutenir, et si pour réparer ce que la faiblesse de mon style peut avoir ôté de force aux lauriers qu’elles ont cueillis sur le Parnasse, je ne les mettais à l’ombre des vôtres. Mais, Madame, si vos admirables vertus me donnent la hardiesse de vous offrir mon hommage, elles m’ôtent celle d’en parler, et parce qu’elles me fournissent une matière trop grande, je n’ose en rien dire. Pour entreprendre d’en tracer le portrait, il faudrait que j’en connusse moins l’excellence, ou plutôt il faudrait, pour achever dignement cette entreprise, que le génie du Virgile de l’Antiquité fît encore aujourd’hui parler son ombre dans mes vers. Avec un tel secours, je ferais voir le rapport qu’il y a de l’auguste Livie avec vous, Madame. Je prouverais que ne lui cédant ni en esprit, ni en naissance, vous pourriez prétendre par votre mérite au rang où le sien l’éleva autrefois, et quoique l’antiquité n’ait rien de plus illustre, je montrerais que vous êtes maintenant autant au-dessus d’elle qu’elle a été jusques ici au-dessus des autres. Je passerais plus avant, et d’un pas hardi j’entrerais dans le tombeau des héros pour y trouver vos ancêtres. Je verrais d’un côté la tiare des papes, le diadème des rois, et la pourpre des cardinaux, assemblés dans la seule maison de Fiesque, et dans la vôtre, Madame, des princes qui ont étendu leurs conquêtes aux deux bouts du monde, des foudres de guerre et des demi-dieux couronnés. Je découvrirais ensuite de quelle façon ces grands hommes ont su joindre les lauriers de Mars à ceux d’Apollon, et comme les vertus militaires ne les ont point fait renoncer aux vertus de la paix. Je considérerais de plus, pour assurer mes yeux dans un si grand éclat, que c’est au nom illustre que vous portez que notre Parnasse doit la meilleure partie de sa gloire, que de tout temps nos auteurs ont recherché sa protection pour appuyer leurs ouvrages, et que depuis les illustres Catherine et Thomasse de Fiesque, si célèbres dans l’Italie par leurs héroïques vertus, ce nom fameux s’est attiré les hommages de tous les savants. Et enfin je décrirais par quelles actions vous soutenez aujourd’hui le poids d’une si grande gloire, et la splendeur d’une si haute naissance. De la noblesse de vos aïeux, je prendrais sujet de parler de la noblesse de votre âme. Comme celle-ci semble vous être plus particulière, quoique vous souteniez également bien l’une et l’autre, je m’arrêterais un peu davantage à l’examiner, et je montrerais aisément que ce n’est pas sans raison que j’ai dit,

Qu’en elle on trouvera ces qualités divines
Dont l’assemblage heureux forme les héroïnes.

Des beautés de l’âme, je pourrais passer à celles du corps, et rendre avec la même facilité la preuve de ce vers qui assure qu’en vous on rencontre cette union charmante

De la science jointe avecque la beauté.

Mais, Madame, je me dois contenter d’admirer avec les autres ces grandes vérités ; elles demandent une plume plus forte que la mienne pour les exposer, et malgré mon insuffisance, je n’aurai pas lieu de m’en plaindre, si je puis au moins vous faire comprendre que je suis véritablement,

Madame,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

J. de la Forge.