À son altesse royale Mademoiselle.
Mademoiselle,
Lorsque j’eus l’honneur de paraître devant votre altesse en qualité d’acteur, je n’espérais pas avoir un jour le glorieux avantage de m’y voir en celle d’auteur ; et véritablement, Mademoiselle, j’en aurais une surprise sans égale, n’était que toute la terre sait bien que quiconque a le bonheur d’être regardé de votre royale personne, fût-il le plus stupide du monde, ne peut manquer d’avoir quelque étincelle d’esprit, quand la splendeur du vôtre a réfléchi sur le sien. Si bien, Mademoiselle, que les merveilleuses qualités dont votre altesse brille ne laissent rien partir d’auprès d’elle qui n’en emporte des clartés considérables. Et comme j’étais le plus ignorant de tous les hommes avant cet heureux moment, je puis dire que si j’ai quelque talent, qu’il ne me vient que d’avoir paru en votre auguste présence. Jugez donc, Mademoiselle, si ce ne serait pas vous faire une espèce de larcin, si je ne vous offrais un ouvrage qui est plus à vous qu’à moi, n’ayant rien en ma personne que ce que j’ai gardé de l’idée de vos charmantes perfections ; joint que comme il n’est point d’auteurs qui ne vous aient consacré leurs plus chères productions, ce serait manquer à mon devoir, si je ne suivais de si dignes traces. Il est toujours bien avantageux de suivre un chemin quand il mène au temple de la vertu. Je m’y vois donc, Mademoiselle, et mon pédagogue, qui n’a pas moins de vertu que d’amour, vient immoler toute la sienne à la vôtre : il est bien juste que tout ce qui vous est tributaire vous rende son hommage. Je ne doute pas que votre altesse, qui n’a rien que d’achevé en elle, ne remarque en cette pièce quantité de fautes et de conduite et de jugement, et même dans la justesse des vers, pour peu qu’elle daigne s’abaisser à lire un si défectueux ouvrage ; mais, Mademoiselle, y a-t-il rien au monde qui puisse avoir quelque chose de considérable à l’aspect de votre altesse, hors la gloire d’en approcher ? Non, non, Mademoiselle, ni moi, ni tous les auteurs du siècle, ne peuvent rien exposer à vos yeux qui ne soit plein de défauts auprès de votre haut mérite. Voilà ce qui peut m’excuser envers votre altesse de l’audace que je prends de lui faire un présent si peu digne d’elle, et sa bonté, qui est plus grande mille fois que ma témérité, fait que j’en ose espérer le pardon avec la grâce de me dire d’un zèle aussi respectueux que soumis,
Mademoiselle,
De votre altesse,
Le très humble, et très obéissant et très obligé serviteur,
Chevalier.