À Mademoiselle, Mademoiselle…
Mademoiselle,
Vous ne devez pas paraître fort surprise quand je vous fais un présent d’un poème que je n’ai entrepris que pour vous faire passer une heure de temps, si j’ose y joindre ces vers :
Vos yeux sont si charmants, et mon cœur est si tendre,
Que sans cesse pour vous mille et mille soupirs
Vous déclarent l’objet de mes plus chers désirs,
Et celui dont jamais il ne se veut défendre.
Il est si doux de vivre et de mourir pour vous,
Que si votre rigueur contre moi s’évertue,
Je croirai dans mon sort faire mille jaloux,
Quand on verra ma vie à vos pieds abattue.
Et si je suis aimé, hélas ! ô justes dieux,
Suis-je assez fortuné pour plaire à vos beaux yeux !
Mon zèle, mon respect, et ma reconnaissance
Se produiront toujours par mon obéissance,
Et le plus tendre amour vous dira mille fois
Que j’ai su mériter l’honneur d’un si beau choix.
Souscrire à vous aimer c’est être téméraire :
Mais si votre âme aspire à s’en venger un jour,
Ma belle, adressez-vous toute votre colère,
C’est vous qui m’inspirez un si sensible amour.
C’est vous par vos attraits, votre esprit, et ses charmes,
Qui m’avez fait souffrir cent cruelles alarmes,
Et par mille brillants qui m’avez fait juger,
Qu’on ne saurait vous voir sans être en grand danger,
Et vouloir s’asservir au plus cruel empire,
Qu’ait jamais eu l’Amour depuis que l’on soupire.
Il est doux d’être aimé, j’en demeure d’accord,
C’est un bien qui ravit jusqu’au dernier transport :
Mais ce n’est pas encor ce que je vous demande,
La douceur d’être aimé fût-elle encor plus grande.
A moins que mon amour n’ait beaucoup éclaté,
C’est prétendre trop haut et trop se méconnaître,
De vouloir que mon cœur donne sitôt un maître,
À celui qui le tient dans la captivité.
Il faut donc qu’en tous lieux pour tout le monde vous die
Que vous faites toujours ma plus pressante envie,
Et que sans votre image imprimée en mon cœur,
Je saurais mal encore ce que c’est que langueur.
Les rochers et les bois, les prés et les fontaines,
Ne vous entretiendront jamais que de mes peines,
Les rochers, et les bois, et les prés, et les eaux
Deviendront par pitié sensibles à mes maux.
Quand ils vous auront dit que ma flamme infinie
Devrait être à couvert de votre tyrannie,
Et qu’il est du devoir d’épargner un amant,
Qui chérit moins sa vie encor que son tourment ;
Peut-être à ce point-là que j’aurai de l’audace,
Pour vouloir être heureux et vous demander grâce :
Mais jusqu’à ce temps-là, je n’aspire et ne veux
Que vous offrir toujours des soupirs et des vœux,
Et par un ordre exprès de mon ardeur extrême,
Vous pouvoir assurer que je sais comme on aime.
N’est-il pas vrai que c’est se rendre tout d’un coup bien familier que de vous dédier une comédie, sans avoir jamais eu que cinq ou six fois la joie de vous parler, dans l’espérance qu’une épître vous rendrait un peu moins sensible à la confusion que vous devez avoir de vous être assujetti un captif de ma volée ? Si c’est pour vous une injure de m’avoir mis dans vos fers, vous pouviez assurément vous en épargner la peine, et ainsi ne vous offensez pas pour un "j’aime", que vous m’avez forcé de vous dire. Soit que je sois coupable ou que je sois innocent, vous devez être pour moi toute remplie d’indulgence ; car je vous assure que je ne suis point à l’épreuve de votre courroux, et qu’il faudrait bien moins que votre sévérité pour me faire perdre la vie. J’espère que vous me pardonnerez le crime le plus innocent du
Pour faire un trait qui vous ressemble,
Quoique l’on sût unir ensemble
La jeunesse, les ris, la beauté, la blancheur,
Les grâces, l’enjouement, les plaisirs, la fraîcheur,
Les charmes, les brillants, et tout ce qu’on admire,
Ce n’est rien faire encore, et si c’est beaucoup dire.
Pour voir votre peinture, il faut être en mon cœur ;
C’est à lui seul qu’il est possible
De savoir où trouver la plus vive couleur,
Pour dépeindre un objet aussi beau qu’insensible,
Puisque votre portrait est seul en son pouvoir,
Venez-y de vos yeux reconnaître la grâce,
Il veut en vous servant d’un fidèle miroir
Faire en lui par l’Amour ce qu’ailleurs fait la glace.
Si le sacrifice que j’ose vous faire d’une Muse enjouée vous pouvait inspirer quelques sentiments de reconnais
Mademoiselle,
Le plus sincère, le plus fidèle et le plus tendre amant du monde.