Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Dipné, infante d'Irlande</em> Avre, François d' 1668 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1668_avre_dipne 1668 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Madame, Madame Marie-Éléonore de Rohan, très digne abbesse de l’abbaye royale de Malnoüe.

Madame,

Je parais bien hardi, et devrais justement être accusé d’une insupportable témérité d’oser convier à la tragédie une vierge professe d’un monastère très réformé, clos et grillé très exemplairement. La sainteté de votre divine retraite, l’austérité de vos vœux sacrés, et la rigueur de votre clôture inviolable me pourraient reprocher une dernière effronterie, si j’ignorais, Madame, quel théâtre vous est odieux, quels jeux vous dédaignez, quels spectacles vous sont en horreur.

Il est vrai que je suis encore à deviner les raisons pour lesquelles autrefois les Éliens permettaient aux vierges la vue des jeux olympiques, qu’ils défendaient à toutes les matrones : car bien que ce spectacle ne fût que de divers exercice de courage et de force, l’indécente posture des combattants devait apparemment en exclure aussi bien les unes que les autres, et même encore plus raisonnablement celles qu’on maintenait dans cet interdit. Les sages sont d’accord, que l’empereur Auguste, sous prétexte d’honneur, traita honteusement les anciennes vestales, qui étaient les vierges professes de la religion païenne des Romains, pour leur avoir donné la liberté d’assister au théâtre commun, avec expresse assignation de places de séance. Aussi est-ce bien mal honorer les vierges que de les exposer à la perte de ce qui les rend honorables, par l’assistance aux représentations lascives et impures qui sont ordinaires à ce lieu d’infamie.

Je viens vous convier, Madame, au spectacle sacré d’un théâtre chrétien, où vous pouvez donner une assistance religieuse sans sortir de votre cellule, et sans distraire vos plus dévotes occupations des objets qui font votre oratoire. Vous y verrez le vrai Dieu reconnu, adoré, déclaré, protesté par les témoignages d'esprit et de vérité, qui doivent lui être déférés de tous ses vrais adorateurs. Vous y reconnaîtrez un Jésus-Christ hautement médité, ardemment désiré, amoureusement recherché, chastement et virginalement embrassé. Vous y contemplerez les saints courageusement combattants, et glorieusement triomphants. Enfin vous n’y trouverez que l’action d’une cellule animée, d’un oratoire vivant, d’un sanctuaire mouvant, où votre âme pourra se contenter chrétiennement, votre vie se divertir dévotement, et tous vos mouvements se dresser et compasser religieusement.

Mais ce qui m’a porté, Madame, à vous adresser particulièrement cette pièce de tragédie, c’est que, m’étant en elle proposé de tracer le tableau poétique d’une princesse qui abhorre le monde, qui méprise la cour, qui fuit très volontairement et courageusement tous les attraits mondains d’un sang illustre, d’une haute naissance, d’une condition relevée en toutes les circonstances qui peuvent rendre une fille de cette qualité très digne et méritante d’être recherchée des plus hautes et considérables alliances, laquelle consacre sa pure intégrité au pur époux des vierges, pour n’aimer plus que lui, ne penser plus qu’à lui, ne vivre et ne mourir qu’avec lui et pour lui, pour m’en former l’idée, je regardais en vous comme en la vraie image, les traits plus vifs et naturels de ses perfections, et c’est ce qui m’oblige à vous la rapporter, puisque c’est proprement de vous que je la tiens. Car pour cette rencontre de rapport, je puis dire que comme il n’y a qu’un même mouvement de l’esprit au portrait et à l’original, j’ai eu même pensée de vous et de la sainte que j’ai représentée, d’autant plus que servant de conduite et d’acheminement à cet original, j’y prévois avec votre rapport, votre réduction, où doit enfin paraître en son entier l’achèvement de vos mérites couronnés.

J’ajouterai encore, Madame, sous votre bon plaisir, que comme pour tirer à l’heureuse considération de ma sainte princesse, vous avez des attraits ravissants d’adresse et de conduite, j’ose espérer que vous aurez la bonté de conduire et relever par vos favorables entremises du spectacle de sa vie militante à celui de sa vue triomphante.

Madame,

Votre très humble, très obéissant, et très obligé serviteur,

F. d’Avre, Pr. ind.