Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>La Fête de Vénus</em> Boyer, Claude (1618-1698) 1669 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1669_boyer_fete-venus 1669 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Madame.

Madame,

Dans le dessein que j’avais d’offrir la Fête de Vénus à votre altesse royale, je craignais bien que la fortune, qui n’est pas de mes amies, ne me jouât quelque mauvais tour. Mais je n’ai pas raison aujourd’hui de me plaindre d’elle ; elle a laissé à mon présent tout l’agrément de l’approbation publique, et cette dernière me fait lui pardonner toutes ses injustices. Je m’imagine, Madame, que comme on a souvent confondu la bonne fortune avec Vénus, un ouvrage qui porte le nom de sa fête, ne pouvait pas être malheureux, ou plutôt je vois bien que la fortune a respecté ce qui vous était consacré, et qu’elle vous a prise pour Vénus même, j’entends cette Vénus Uranie, cette Vénus toute pure et toute céleste, telle que j’ai tâché de la représenter dans mon ouvrage.

En effet, si parmi les dieux les plus connus

La fable vante tant une fausse Vénus,

N’êtes-vous pas la véritable,

Ou la vérité de la fable ?

Si l’on tient de Vénus au sentiment de tous

Ce qu’on voit de poli, de galant, et de doux,

Si Vénus des beautés est la source féconde ;

Si Vénus est enfin l’âme de tout le monde,

Que serait le monde sans vous ?

Si tout languit sans la belle déesse,

Que deviendront les grâces, les amours,

Les ris, les jeux, les fêtes, les beaux jours,

Sans la charmante et divine princesse ?

Agréez, Madame, que j’arrête toutes mes pensées sur une idée, qui nous représente si bien votre altesse royale. Elle sait bien que Vénus, grâce, et beauté, sont une même chose, et qu’ainsi, il est vrai de dire qu’on ne voit rien dans sa personne qui n’ait sa Vénus. On voit dans tout ce qu’elle dit, dans tout ce qu’elle fait, ce charme inexplicable, cette grâce qu’on ne peut définir, et qui est plus belle, et plus conquérante que la beauté même. Cette Vénus n’en demeure pas là, elle a passé dans votre esprit, c’est là qu’elle règne principalement, c’est elle qui fait ce tour fin et délicat que vous donnez à toutes choses, c’est elle qui vous rend une des premières intelligences du monde galant et spirituel, et c’est enfin de cette source d’agrément que nos meilleurs auteurs tirent la perfection de leurs ouvrages. Que j’ai honte, Madame, d’avoir été si longtemps privé d’un si glorieux avantage ! Et que ne ferais-je pas pour m’en rendre digne ? C’est à vous seule que je veux sacrifier désormais, comme à la déesse des grâces :

Vous me tiendrez lieu des neuf Muses,

Et même, s’il le faut, de tous les Immortels ;

Ces vierges près de vous muettes et confuses,

Vous céderont tous leurs autels ;

Vous y serez seule adorée ;

Vous aurez tous les vœux que j’ai perdus ailleurs ;

Pour vous tout mon encens, pour vous toutes les fleurs,

Dont la fable autrefois couronna Cythérée.

Je ne ferai plus de portrait,

De héroïne et de déesse,

Où je ne mêle quelque trait

De l’incomparable princesse.

Vous voyez, Madame, par quel zèle, et par quelles promesses, je tâche de mériter l’honneur de votre protection. Les dieux de la terre comme ceux du ciel ne regardent que l’intention dans les vœux des mortels ; la mienne est d’attirer vos faveurs pour vous rendre mes offrandes plus agréables, ce que vous avez droit de refuser à la faiblesse d’une Muse trop ambitieuse, daignez l’accorder au culte le plus sincère, et le plus respectueux qui fut jamais. Je suis,

Madame,

De votre altesse royale,

Le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur,

Boyer.