À son Excellence Madame la comtesse de Marchin.
Madame,
Je demande à votre Excellence, avec tout le respect que je lui dois, quelque témoignage de bonté pour cette jeune Espagnole à qui j’ai appris le français et qui s’explique en ce divin langage que vous entendez si parfaitement. Elle est Précieuse de nom et d’effet, et doit passer assurément pour un miracle dans la nature. C’est une Égyptienne chaste, généreuse et fidèle. Les charmes de son visage, de son humeur et de son esprit lui ont acquis partout des amants d’importance, et celui que l’amour sut résoudre à se faire Égyptien pour la posséder n’est pas moins considérable par ses rares qualités que par le noble sang de sa famille, mais tous ces avantages doivent céder à celui que j’espère de Votre Excellence. Oui, Madame, si vous daignez l’honorer d’un accueil favorable, elle en aura bien plus de joie que de l’heureuse reconnaissance qui a fini la misère de son destin honteux, et s’estimera plus glorieuse mille fois de cette bonne aventure que de toutes les conquêtes qu’elle a faites jusqu’à présent. La pudeur qu’elle a toujours conservée parmi tant d’occasions de la perdre et ses bonnes mœurs, qui ont triomphé du vice à la suite d’un tas de vagabonds abandonnés à tous les désordres d’une vie infâme, la rendent digne sans doute de votre bienveillance, qui comblera son cœur de satisfaction et qui doit faire sa meilleure fortune. En effet, Madame, quel plaisir plus sensible et quel plus grand honneur lui pourrait-il arriver que celui de gagner les bonnes grâces d’une personne comme vous, qui possède à si bon titre l’estime générale de tout le monde, illustre par sa vertu et sa piété, par sa naissance et ses aïeux qui furent si vaillants et si braves, et par ce grand capitaine son époux, qu’on peut nommer sans exagération un héros de notre siècle. S’il m’était permis de m’étendre sur un sujet si beau, si ample et qui mérite les plus dignes éloges, que ne dirais-je pas à la gloire de l’un et de l’autre, mais votre modestie impose silence à mon zèle, et me défend encore de louer votre Excellence du refus qu’elle a fait des louanges qui ici lui sont dues avec tant de justice. Je me tairai, Madame, puisque vous l’ordonnez, mais votre vertu n’en sera pas moins connue de toute la terre, puisque vos actions en parlent beaucoup mieux que je ne pourrais faire. C’est ce qui me fait obéir avec moins de peine à ces ordres sévères, trop content si je puis par mes soumissions vous témoigner un peu de reconnaissance pour l’honneur que vous me faites et beaucoup de respect dans la passion que j’ai d’être toute ma vie,
Madame,
de votre Excellence,
le très humble et très obéissant serviteur,
Sallebray.