À son altesse royale, Madame la duchesse de Savoie, reine de Chypre.
Madame,
Ce n’est pas la haute opinion que j’ai de mes ouvrages qui me porte à ne les offrir qu’à des têtes couronnées, et quelques approbations que ce poème comique ait pu avoir du public, je n’aurais jamais eu la hardiesse de l’adresser à votre altesse royale, si je n’en avais eu une plus juste raison. Je viens, Madame, de voir une grande partie des cours de l’Europe, et sans parler du Louvre, proche duquel j’ai eu le bonheur de naître, j’ai eu depuis peu l’entrée libre dans Whitehall, j’ai été souffert chez les électeurs et les princes de l’Empire, j’ai eu l’honneur en Italie d’aborder des souverains ; et dans tous ces lieux, j’ai ouï parler avec tant d’admiration de votre altesse royale. On l’y dépeint et si majestueuse et si belle, on y fait tant de bruit de ses éminentes qualités, qu’encore que je sois indigne de paraître devant elle, je n’ai pu vaincre le juste désir que j’ai eu de lui venir rendre aussi mes profonds respects. Mais je n’ai osé, Madame, me présenter de moi-même, et j’ai eu recours aux Muses pour m’introduire dans une cour toute pompeuse et toute spirituelle, où je sais qu’elles ne sont pas haïes. Elles se montrent d’abord avec un air enjoué pour tâcher de donner quelques heures de divertissement à votre altesse royale, mais elles en prendront bientôt un tout sérieux, quand elles auront eu la permission de hausser la voix, et dans le style héroïque de chanter l’éloge d’une héroïne. Elles sauront se surmonter elles-mêmes dans cette rencontre, et tirer de l’excellence du sujet des forces et des lumières nouvelles pour n’en pas ravaler la dignité. Elles ne pourront rien dire que de glorieux de la glorieuse naissance de votre altesse royale, qui a rendu heureusement à la Savoie le sang royal qu’elle en a tiré ; elles ne pourront rien étaler que d’éclatant de ses vertus éclatantes, rien que de sublime de son sublime génie, rien que de divin de ces traits divins qui la rendent l’une des plus belles princesses de la terre. Ce sont là, Madame, ces grands sujets qui vont sérieusement occuper mes Muses, ce sont ces merveilles qu’elles ont voulu contempler de près, pour les aller débiter avec plus de fermeté dans toutes les cours d’Allemagne où elles retournent ; et si elles n’étaient engagées à reprendre leur vol jusques aux rives de l’Elbe, elles ne pourraient jamais se résoudre à quitter celles du Pô. Éblouies de l’éclat de la cour royale de Savoie, de sa splendeur et de sa magnificence, il leur sera difficile de retrouver le chemin, et les délices du Piémont leur feraient aisément oublier toute autre chose. Mais enfin, Madame, c’est une nécessité, il faut qu’elles partent, quand ce ne serait que pour aller publier de bouche dans cette vaste et belle partie de l’Europe ce qu’elles viennent de voir, tant de gloire et tant de pompe ; à quoi, il leur sera permis d’ajouter l’honneur que j’aurai eu d’être souffert quelques moments dans le palais de Turin, où je ne me présente principalement, que pour protester que je serai toute ma vie avec un très profond respect et un très grand zèle,
Madame,
De votre altesse royale,
Le très humble, très obéissant et très obligé serviteur,
C.