À son altesse sérénissime Madame la duchesse palatine de Simmeren, née princesse d’Orange.
Madame,
La bonté que votre altesse sérénissime eut de me souffrir auprès d’elle à Kreuznach il y a deux ans rappela si bien dans mon souvenir les jours heureux que j’ai passés au service de son illustre et glorieuse maison que, m’y croyant encore attaché, j’eus, sans l’oser témoigner, toutes les peines imaginables à m’arracher d’un lieu où je voyais une princesse du beau sang d’Orange, pour lequel j’ai toujours eu tant de zèle et de vénération. J’ai traversé depuis toute l’Allemagne, et je me trouvai à Berlin dans le même embarras quand il m’en fallut partir. C’est dire assez, Madame, que j’y vis la princesse d’Anhalt, l’incomparable sœur de votre altesse sérénissime, et que m’étant représenté de même en l’abordant ma félicité passée, je rentrai dans les mêmes peines, sans me pouvoir résoudre à m’en éloigner. Ce fut alors que je formai le dessein de me rapprocher de vos altesses sérénissimes le plus tôt qu’il me serait possible, et de ne me présenter pas devant elles les mains vides, après tant de bienfaits que j’en ai reçus. Mais, Madame, n’y a-t-il pas de la témérité à leur offrir d’abord si peu de chose, et quoique dans ces deux poèmes j’ai consulté le plus grand génie de nos derniers siècles, à qui la Hollande a dressé une statue de bronze pour honorer la mémoire de son nourrisson, il faudrait quelque chose de mieux tourné pour satisfaire un esprit sublime comme celui de votre altesse sérénissime. Aussi n’est-ce pas mon dessein de lui faire un présent de trente pages de vers, ni que cette épître passe pour dédicatoire ; je prétends seulement qu’elle me donne lieu de continuer de lui rendre publiquement mes hommages, et de lui demander très humblement la permission de lui consacrer un jour quelque ouvrage moins indigne d’elle. Je sais bien, Madame, que pour une princesse fille du grand Frédéric Henri le preneur de villes et le gagneur de batailles, pour une princesse née dans la pompe, et sortie d’une maison qui fait tant de bruit au monde, il faut des présents d’éclats, et qui répondent à cette splendeur qui l’environne. Je sais encore que, pour un esprit sublime comme celui de votre altesse sérénissime, il faudrait lui offrir quelque chose d’achevé, et qui méritât son attention. Mais Madame, je sais d’ailleurs que ces grandes princesses et ces grands génies, que ces héroïnes et ces esprits tout divins ne dédaignent pas de s’humaniser, qu’ils prennent plaisir à se divertir des folies du peuple, et à se venir quelquefois reposer dans une cabane de berger. Cette femme qui veut régler son sexe et le nôtre, et ce docteur qui instruit son valet à trancher du marquis, ne laissent pas en riant de découvrir de très grands abus, et insinuent bien des choses qui vont à l’avantage des personnes de qualité et de naissance. J’ai tâché autant que je l’ai pu de soutenir les pensées du grand Érasme, et de ne lui rien ôter de cette grâce admirable, dont il accompagne tout ce qu’il dit. Aussi, Madame, je n’aurais jamais osé mettre le nom de votre altesse à la tête d’un ouvrage dont mes amis ne m’eussent donné nulle bonne opinion, et qui n’eut reçu quelque applaudissement du public. Mais quoique j’eusse eu le bonheur d’y réussir, et quand j’aurais atteint la gloire des fameux poètes, je vivrais dans un éternel chagrin si je ne pouvais jamais donner que par de la prose ou des vers des marques du profond respect, et du zèle ardent, avec lequel je serai toute ma vie,
Madame,
De votre altesse sérénissime,
Le très humble, très obéissant et très obligé serviteur,
C.