À Mademoiselle de Scay.
Eh bien, Mademoiselle, que vous avais-je dit ? Ne suis-je pas homme de parole ? Et ne confessez-vous pas aujourd’hui que si j’avais toujours aussi fidèlement entretenu mes promesses, je serais maintenant à la tête de ceux qu’a célébrés Monsieur de Bussi ? Vous vous imaginiez sans doute que quelque reste d’amitié occupait encore quelque petit coin dans mon cœur ; et je gagerais bien que vous avez dit plus de mille fois à Marrichon le sage, depuis vingt-quatre heures, que j’avais beau faire, et que la nécromancienne du faubourg Saint-Germain n’était pas novice en son art, qui vous avez prédit que je devais enfin me venir brûler à votre suppositoire. Non, non, Mademoiselle, les deux louis sont perdus que vous lui donnâtes pour cette ridicule consultation, et je vous puis assurer que ses oracles ne vous doivent point faire fonder d’espérance sur mon cœur. Soyez donc désabusée, car votre mal est monté à un tel période, que Machaon ni Esculape ne pourraient vous tirer de peine, s’ils avaient entrepris votre guérison. Mais pourquoi aurez-vous cette sévérité ? N’ai-je pas encore quelque peu de bien, qu[e] changeant de nature on trouvera moyen de vendre pour vous servir d’amorce ? Et n’êtes-vous plus ce malheureux cavalier à qui la bizarre fortune n’a laissé que ce qu’elle ne lui pouvait ôter ? Oui, Mademoiselle, vous avez encore, à ce qu’on m’a témoigné, près de deux mille écus, et de vingt-huit mille livres qui furent votre partage. Le marquis de Courcelles ne vous en a pas mangé plus de quinze ; et c’est tout au bout du monde si j’ai été jusques à sept. Il est vrai aussi que je ne suis pas mieux doré en Hollande que je ne l’étais en France ; au contraire, je n’ai point ici les pensions que j’avais là, et si ce n’est que parfois je répands mon venin sur votre peinture, l’on ne m’y connaîtrait pas. Mais cela n’est rien, je renonce à vous comme au diable, et fais profession ouverte de vous haïr toute ma vie, de ne vous voir jamais que comme la cataplèbe a de coutume de regarder, et ne vous parler plus qu’en semblables termes. Je me porte à cette résolution sans effort : car, enfin, qu’avez-vous d’aimable ? Et quelles sont les parties dont vous prétendriez de m’arrêter ? Vos yeux sont plus creux et jettent moins de lumière que la coque d’une noix ; votre nez est un retrait où la nature a tant refermé d’ordure qu’on ne peut vous approcher sans étouffer, et votre bouche recèle plus de vers qu’un fromage pourri. Vos cheveux sont semblables à ceux de Furie ; vos bras sont tellement carrés et si secs, que la divinité qui règne aux sombres lieux en fera faire quelque jour des dés au passe-temps de la ténébreuse famille, et votre taille est devenue si horrible depuis votre dernière couche que les bons connaisseurs disent que la nature vous fit sur le modèle de la Tour grise de Verneuil. Votre esprit n’a pas de plus beaux ornements : il est libertin et extravagant, et voudrait qu’il n’y eût non plus de justice en France qu’il n’y en avait autrefois en Arcadie, et que les avocats et le procureur d’Alençon fussent changés contre les pâtres de la Libye. Il est vrai qu’à l’exemple des pantomimes il contrefait merveilleusement la voix des hommes, le cri des bêtes et le chant des oiseaux, et qu’un jour ayant entendu dans l’église des Capucins de votre ville, où vous feigniez d’être en prière, que Nanette Soyer assignait rendez-vous à son serviteur dans le parc, aussitôt que les Néréides auraient fait la couverture du lit du soleil, dès qu’enfin les ténèbres régneraient sur la terre, vous y étant rendue en sa place vous imitâtes si bien sa voix que vous reçûtes le sacrifice qui lui était consacré. Votre ajustement n’a pas moins de dégoût, et cette couleur de perroquet sur qui votre constance s’est inséparablement attachée, a fait dire à quelques rieurs que vous n’en faisiez cas que parce que les Turcs la révèrent, et que ces barbares, dont la force est presque toute au milieu du corps, vous sont en singulière recommandation. Vous voyez donc bien, Mademoiselle, qu’il n’y a plus lieu de retour, et que l’amour n’avait pas allumé son flambeau aux soleils de sa mère, lorsqu’il nous fit faire la petite sottise que vous aimez tant. Toutefois, je suis pitoyable, et la crainte où je tombe, que le dépit ne vous rende pareille à cette malheureuse qui fut convertie en un rocher de la Béoce, m’arrache les armes que la haine m’avait mises en main. Pour vous dire que combien que je sois un Amfiare dont vous avez été l’Érifile, par trahison seulement, car que vous ayez été ma femme, c’est ce qui grâce au destin n’est pas arrivé, pour vous apprendre, dis-je, que je consens que votre cœur soit éternellement dévoré d’un feu grégeois composé de soufre et de chaud vive, de naphte et de camphre. Et afin de pousser quelques vœux en votre faveur, je vous souhaite la morsure d’un crocodile, la harpe d’un lion ou d’un tigre, les défenses d’un sanglier, la trompe d’un éléphant, et le coup de pied d’un cerf en plein cœur de rut.