Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Jephté</em> Templery, Joseph Leven de (16..-1706) 1676 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1676_venel_jephte 1676 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Madame de Venel, dame ordinaire de la reine, sous-gouvernante de Messeigneurs les enfants de France.

Madame,

Quand je vous aurai dit que l’auteur de cette tragédie est le plus galant esprit du royaume, je ne doute pas que vous ne croyiez aussitôt que c’est cet homme illustre avec qui vous êtes aussi étroitement liée par le nœud de l’amitié que par celui du sacrement, mais je doute que vous me pardonniez ma supercherie, quand je vous aurai déclaré que je lui ai dérobé cet ouvrage pour l’exposer au public. À vous dire la vérité, j’ai cru que le larcin est permis lorsqu’il tourne à l’avantage de celui à qui on le fait, et je n’ai pu souffrir dans les ténèbres une production si accomplie sans la mettre au jour, et faire connaître au monde que le bien dérobé peut prospérer. Aussi, un ouvrage qui imprime la vertu à tous ceux qui le voient, ne méritait-il pas d’être imprimé ? J’ai donc délivré cet enfant de la prison où son père l’avait condamné afin qu’il coure toute la terre, et qu’il instruise par son exemple les parjures et les vicieux. La tragédie, qui est appelée par Aristote la princesse du théâtre, ne vise pas seulement au plaisir des spectateurs, elle butte encore à leur utilité. Elle est comme ces viandes qui sont également délicieuses et nourrissantes, et qui ont la friandise des ragoûts, et la vertu des médecines. On trouve l’une et l’autre dans ce poème dramatique, car si l’on y admire la grâce des passions, le plaisir de la surprise, la liaison des incidents, le nœud et le dénouement de l’intrigue, on y remarque aussi des sentiments élevés, des caractères vertueux, un père qui sacrifie sa fille pour ne contrevenir à son serment, et une fille qui se résout à la mort pour ne désobéir à son père. C’est, Madame, cette même fille, cette jeune et sage princesse que je vous présente maintenant, afin que, comme elle est étrangère en ce royaume, vous daigniez la protéger et en avoir quelque soin. Vous êtes déjà accoutumée d’en prendre pour des personnes de cette naissance, et puisque le plus grand roi du monde remet ses enfants entre vos mains, pourrais-je faire scrupule d’y remettre la fille de Jephté ? Ici, Madame, un plus éloquent que moi prendrait l’occasion d’élever par de justes louanges cette conduite et cette prudence qui vous a attiré l’estime, non seulement de toute la cour, mais même des têtes couronnées, cette sagesse et cette hauteur d’âme qu’on ne saurait considérer sans des transports d’admiration, cette noble honnêteté qui vous fait distinguer partout où vous êtes, et enfin ce charmant esprit duquel on peut dire ce que Cicéron disait de la vertu, que si elle était visible, tout le monde la suivrait. Mais pour moi, je vous avoue, Madame, qu’un si haut dessein me passe. D’ailleurs, je sais que l’encens est incompatible avec votre modestie, et que son odeur vous est si fort désagréable que vous prenez pour des injures toutes les louanges qu’on vous donne. Il vaut donc mieux qu’au lieu de vous faire un éloge, je vous fasse cette sincère protestation que j’aurai toujours pour votre personne des respects profonds et infinis, et que jamais je ne dirai plus volontiers qu’à vous je suis,

Madame,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Templery.