Dialogue de Manon et de Mimi, qui présentent la comédie des Vendanges à son Altesse Royale Madame.
MANON.
Non ma sœur, vous avez beau faire,
Je ne veux point céder mes droits ;
Je suis votre aînée une fois,
Et je veux parler la première.
MIMI.
Bons dieux, ma sœur, que vous faites la fière
Pour avoir plus que moi treize ou quatorze mois.
Quand une fille prétend plaire,
Ce n'est pas là pour l'ordinaire
Ce qui lui donne plus de droits ;
Si de l'âge sur moi vous avez l'avantage,
Un peu plus de beauté m'est tombé en partage,
Je n'ai pas moins que vous d'agrément et d'esprit;
Et, Madame, à ce qu'on m'a dit,
M'aime assurément davantage.
MANON.
Votre beauté, ma sœur, ne me fait point d'ombrage,
Mon cœur n'en est point envieux ;
Vous êtes belle et je suis sage,
C'est ce que Madame aime mieux.
MIMI.
Vous vous piquez déjà d'une vertu diablesse,
Ma sœur, il n'est pas encor temps.
Ce n'est qu'à l'âge de quinze ans,
Qu'il est permis de vanter sa sagesse.
Pour moi mon mérite est de plaire à la Princesse.
MANON.
Mais que faites-vous donc pour lui gagner le cœur?
MIMI.
Je lui fais des mines, ma sœur ;
Je sais d'un air tendre et flatteur
Tourner les yeux, faire la doucereuse ;
Elle rit, c'est assez, je me crois trop heureuse.
MANON.
Votre mérite est grand, assurément ;
En est-ce un de savoir grimacer joliment ?
Ma chère sœur, quel caractère !
MIMI.
Ce n'est donc rien de divertir les Grands ?
Hélas ! ma sœur, combien de gens
Tâchent tous les jours de le faire,
Qui bien souvent font le contraire.
MANON.
Ma sœur, finissons des débats
Dont la Princesse n'a que faire :
Profitons du bonheur qu'ont produit vos appas,
Vous lui plaisez, moi je cherche à lui plaire :
Unissons-nous, faisons qu'elle daigne accepter
Cette petite comédie que nous osons lui présenter.