Transcription Transcription des fichiers de la notice - Préface de<em> Théophile</em> Sérizanis de Cavaillon 1695 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1695_serizanis_theophile 1695 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À une dame de distinction pour servir de préface à cet ouvrage.

Madame,

Dès la naissance du monde jusqu'à notre siècle les vers ont toujours été préférés à la prose.

Les Anciens ont appelé la poésie le langage des dieux.

Les démons mêmes, singes fameux de la divinité, ont affété de se rendre considérables par des oracles rimés afin d'imposer plus agréablement.

On croit chez quelques rabbins que le démon tentateur de la première femme lui chanta fleurettes en vers pour insinuer plus facilement le mensonge dans le cœur, par les oreilles. Que si l'effet fut si prompt et si pernicieux, il y a lieu sans doute de penser que la poésie s'en mêle artificieusement.

Quoi qu'il en soit, il est vrai de dire que les siècles ensuite ont fait gloire de transmettre à la postérité leurs pensées plutôt par les vers que par la prose.

Bélus, le plus célèbre successeur des enfants de Noé, faisait porter devant lui, par une espèce de connétable, une longue et large épée, d'où est venu l'adage du sabre, sur la lame de laquelle on lisait en vers assyriens, gravés en caractères d'or, ce que nous pouvons rimer en français de cette manière :

Je suis dans l'univers

Pour dompter les pervers.

Ninus, successeur de ce grand empereur son père, qui donna tout le premier l'idée auguste de l'Empire des Assyriens, ne dégénéra nullement de son esprit, soit à l'égard de la belle gloire, soit à l'égard de l'illustre poésie, c'est-à-dire que Ninus remplit tous les desseins de son père Bélus et en forma de plus glorieux, animé de la passion du sang des héros.

La passion dominante de ce premier conquérant du monde, 1944, dans la première ville de son Empire, Babylone, que les Turcs appellent aujourd'hui Bagdad, fut de s'immortaliser par l'architecture et les vers pour transmettre son nom à la postérité la plus reculée.

À cet effet, héritier de l'esprit de ces fameux ambitieux qui voulurent escalader le ciel, fit bâtir le plus superbe temple qui fût jamais et l'enrichit de dix mille inscriptions en vers, qui publièrent tous les hauts faits de guerre de son père et les siens propres. Il donna à ce temple magnifique les plus excellents poètes de son temps pour sacrificateurs et les obligea de composer des hymnes de leur façon à la gloire de son père et à la sienne.

Par l'adresse de cette ambition, la poésie reçut un lustre extraordinaire et commença d'être consacrée.

Mais comme cet empereur ne donnait point de bornes à son ambition, la poésie n'en eut point, pour son bonheur. Ninus pensa qu'une nouvelle ville de son nom, sous le gouvernement des poètes, serait bien de sa grandeur et de ses inclinations. Le projet en fut admirable et le dessein glorieusement exécuté.

Ninive l'emporta par-dessus Babylone en mille magnificences, dont la plus célèbre fut une académie royale à former la jeunesse assyrienne en l'art des vers.

De là est venue l'idée du Parnasse et des neuf sœurs, que neuf jeunes demoiselles de qualité et d'esprit représentaient par leurs talents en poésie dans Ninive et à qui on donna le prix des vers, par la libéralité du prince, pour des drames de leur façon, ce qui obligea l'empereur de se qualifier leur Apollon, c'est-à-dire leur protecteur, et de leur décerner des honneurs comme divins, sur une montagne voisine qu'on nomma sacrée.

Les peuples ensuite extrêmement grossiers tournèrent en idolâtrie ce culte innocent des poètes, singulièrement les Égyptiens extrêmement superstitieux donnèrent dans le panneau de l'idolâtrie d'une étrange manière.

Leurs esprits, pourtant, amateurs des belles choses sut démêler la poésie de la superstition et s'en servir uniquement pour l'immortalité de la gloire. Ils inventèrent des pyramides et des obélisques qu'ils chargèrent de vers à l'égyptienne, c'est-à-dire par hiéroglyphes, à dessein d'instruire de leurs sentiments les nations à venir.

Les Grecs merveilleusement curieux à expliquer les hiéroglyphes des Égyptiens en développèrent les mystères et s'en firent un plaisir qu'ils appelèrent l'art nouveau de la poésie.

Cet art enchanta les plus grands génies de leur siècle. Anacréon y réussit à mirable pour le lyrique, Sophocle pour le tragique et enfin Homère pour l'épique.

Ces trois illustres Grecs s'érigèrent en maîtres et les savants latins se sont fait un honneur de les louer et de les exprimer.

Horace a imité Anacréon, Sénèque a été le fameux disciple de Sophocle et Virgile celui d'Homère.

Par le mérite de ces trois auteurs, la poésie s'est rendue comme adorable partout et s'est faite aimer, singulièrement en Italie, en France et en Espagne, et il est vrai de dire que la France l'a emporté glorieusement par-dessus toutes les nations ses rivales. Elles ont toutes souscrit unanimement à cette vérité et à cette ardeur héréditaire de préférer les vers à la prose, nommément dans le christianisme où le souvenir est journalier des cantiques de Moïse, des psaumes de David et des hymnes de l'Église : les saints Pères s'y sont distingués.

C'est l'esprit de cette vérité et de cette ardeur, à vous parler ingénument, Madame, qui a animé extraordinairement ma jeunesse à me faire lire tous les poètes grecs et latins et à me remplir l'esprit de Sophocle et de Sénèque pour composer une tragédie sainte, conformément à mon état et à ma dévotion.

Cet ouvrage fut imprimé à Lyon par Michel Duhan libraire et fit le plaisir de deux éminentissimes cardinaux Bichi et Grimaldi, qui en témoignèrent avoir quelque estime. Ce dernier me fit l'honneur de me le demander et moi, je me fis un triomphe de rendre mon présent public.

Ce que je fis pour lors en latin à l'âge de vingt-cinq ans, je le fais aujourd'hui en français, au-dessus de soixante-dix, à l'égard d'une dame qui a l'intelligence de l'une et l'autre langue, pour agréer mon zèle et le dévouement avec lequel je suis et me récrie dans tous mes ouvrages,

Madame,

de votre excellence,

le très humble et très obéissant serviteur, De Sérizanis de Cavaillon, chanoine théologal de la sainte église d'Aix.