Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace d'<em>Alizon</em> (seconde édition) Discret, L.-C. 1664 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1664 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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À Mesdames les beurrières de Paris.

Mes chères et gracieuses dames,

Faisant assez souvent des réflexions sérieuses sur les livres qu'on imprime de jour en jour, je suis autant de fois tombé dans un profond étonnement de ce que tant d'auteurs qui travaillent, ne se sont encore avisés de vous dédier quelqu'un de leurs ouvrages, vu que, sans vous flatter, mes bonnes, c'est vous qui en faites le plus grand débit. Vous ne vendez pas un quartron de beurre ni d'épinards en Carême que l'enveloppe ne soit des œuvres de messieurs les poètes du temps, de messieurs de l'Académie, des entretiens pieux des pères contemplatifs ou de nos faiseurs de romans et, sans faire tort à leurs forts raisonnements et profonde science, c'est mal reconnaître les obligations qu'ils vous ont, car, comme vous faites toutes choses avec poids et mesure, la balance que vous tenez si souvent à la main, véritable marque de dame Justice, fait que vous les pesez avec tant d'équité que tel qui n'a pas un écu pour acheter un livre entier en voit du moins quelque petite partie à bon marché, puisque vous en donnez toujours quelque lambeau par dessus les denrées que vous débitez. Et par ce moyen, il peut, pour peu d'argent qu'il ait, goûter les charmants entretiens de ces grands génies, s'il ne se sert de leurs ouvrages à autre usage dans le cabinet. Je ne suis pas, mes chères, de ces ingrats ; j'avoue ingénument que la plus grande partie des ouvrages de mon esprit ont passé par vos mains ; vous avez été la justice distributive de mes vers et de ma prose et, comme il a pris fantaisie à messieurs les libraires de faire revivre dame Alizon qui était ensevelie dans le tombeau depuis plus de vingt ans, j'ai cru être obligé de vous en faire présent, ne pouvant la mettre en des mains plus douces et plus coulantes que les vôtres, afin que si les vers ne sont coulants à la fantaisie de ces messieurs qui les voudront lire, vous les frottiez de beurre frais pour les rendre plus glissants et plus faciles à passer dans leurs délicates oreilles, n'étant pas de l'humeur de ceux qui dédiant un mauvais ouvrage à de grands seigneurs, s'imaginent qu'ils en passeront pour meilleurs. Si Alizon se trouve rude, votre marchandise la peut adoucir ; si ses paroles et ses compliments sont bas, ils ont du rapport avec les vôtres ; si son humeur est gaie et enjouée, elle a de la sympathie avec celle des dames de votre qualité et, pour le présent que je vous fais, je souhaite deux choses de vous : l'une, que ma servante allant au marché, vous ayez la bonté de lui donner du meilleur de la motte ou du panier et l'autre, que vous me teniez de votre célèbre compagnie,

Mesdames,

le très humble et affectionné serviteur,

L. C. Discret.