ODE A LA REINE.
Reine, descends, ores prends terre,
Car jà par le destiné sort
Heureusement surgit à port
Cette nef qui flottait de belle erre :
Descends donc et l'accroche
Au croc de cette roche.
Oui, je dis, cette nef flottante
À si heureux port que tu as,
Séant sur la pile du mât
Par la tempête nef froissante,
Guidé sans craindre orage,
Ou péril de naufrage.
Cette nef, las, c'est notre France,
Qui, forçant les lois du destin,
Vivant en jour sous l'incertain,
Sous l'aile d'une défiance,
A rompu par outrage,
Les sains droits d'hôtelage.
L'un veut voguer vers Sarmatie,
Et l'autre en poupe ayant le vent
Veut cingler devers le Levant,
Les autres devers la Scythie,
Ainsi la nef de France
Du havre loin devance.
Mais toi lors voyant ce navire
Par les vents, à vau-l'eau poussé,
Jà des flots étant tout froissé ;
Aux vents ne servant que d'un gyre
Dont s'en jouait Borée,
Dessus l'onde voirrée ;
La poupe était déjà froissée,
Les antennes, et le voil' bas,
Jà était décrollé le mât,
Et la proue des flots brisée,
Poussée à vau les ondes
Par les vagues profondes ;
Lors tu t'es mis' dans la carène,
Avecques tous tes enfants rois,
Et le tout-pouvant Navarrois,
Ne craignant d'Aquilon l'haleine
Qui les navires verse,
Et sus dessous renverse.
Et ainsi de ta main agile,
Toi du nef la plautre guidant,
Les syrtes marins ne craignant
Qu'ils froissassent ta nef débile,
N'aussi que la sirène
Encharmât ta carène ;
Ô reine, reine débonnaire,
Du nef, tu as, à sûreté,
En la rade l'ancre jeté,
Voulant de naufrage soustraire,
De tout mal et outrance,
Le navire de France.
Oui, tu as apaisé les flottes
Et rallié tous nos François
Par la France épars en desrois,
Cherchant argument de révoltes,
Voulant par leur rebeine
Mettre la France en ruine.
Tu as par l'heur de ta faconde
Accoisé les flots écumeux
D'aucuns François séditieux
Tell'ment que tu es seule au monde
De notre pauvre France
Le pavois et la défense.