Ode. À Madame de Broon.
Muse, si dès mon enfance
J’ai cherché vos sentiers,
Et votre gentille danse,
Et le frais de vos lauriers,
Si vous m’avez fait la grâce,
Suivant votre docte trace,
De boire du pur cristal
Qui perle de sa rosée
La belle prée arrosée
De votre vallon natal,
Ne me laissez à cette heure
Veuf de votre bon secours,
Ou bien sans vous je demeure
Au commencement du cours
Des louanges d’une dame
Douée d’une si belle âme
Qu’onques en forma le Ciel,
De qui a été l’idée
Saintement là-haut gardée
Comme un trésor non pareil.
Elle prit place en ce monde
Comme un joyau précieux
Qui, tiré du bord de l’onde,
Fait honte au flambeau des cieux,
Ne pouvant des dieux le père,
Qui tout l’univers tempère,
Faire un œuvre plus exquis
Que celle qui en partage
Dès le bers de son jeune âge
Les vertus avait aquis.
Tout ensemble la déesse
Sœur et femme de Jupin
Et la chaste chasseresse
Qui reçoit honneur divin
En sa terre délienne,
Pallas et la Cyprienne,
Lui donnèrent leurs présents :
Grandeurs, chasteté parfaite,
Beauté, signe manifeste
Que vertu luit au-dedans.
Et comme Diane passe
De ses nymphes le troupeau,
Cette dame ainsi surpasse,
Comme un miracle nouveau,
Ses égales en la France,
Étant de telle excellence
Que Phébus en la grandeur
De cette ronde machine
N’en œillade une plus digne,
Ni qui mérite plus d’heur.
Aussi le fit bien paraître
Le ciel son destin roulant
Lui faisant prendre son être
D’un père si excellent,
Qui d’une accorte sagesse,
D’une invaincue prouesse
A mérité les honneurs
Que le roi, pour la vaillance
Et la longue expérience,
Donne aux loyaux serviteurs.
Quand les troupes d’Allemagne
Et les scadrons basanés
Des mi-maures de l’Espagne,
Et les Hongres forcenés
Contre le français empire,
Voulaient gâter, et détruire
Les murs de Metz la cité
Où la forte destinée
Contre Charles obstinée
Son outre avait limité,
Lui, d’un indompté courage
Soutint la brusque fureur,
Le dépit, l’orgueil, la rage
De ce superbe empereur,
Qui d’une faim enragée
La poitrine avait rongée,
Et se donnait en songeant
Tout l’empire de ce monde,
Depuis l’océanique onde
Jusqu’aux Indes d’Orient.
La faux si dru ne moissonne
De Cérès les beaux présents
Que lui, chéri de Bellone,
Bouleversa d’Allemands
Et de nourrissons d’Espagne
Sur les bords que le Rhin baigne,
Empourprant ses claires eaux
Du sang de son adversaire,
Que son rouge cimeterre
Envoyait proie aux corbeaux.
Pour sa vertu tant insigne
Henri prince très humain
De Metz et terre messine
Lui donna la bride en main ;
Charles voyant sa vaillance
Le fit Maréchal de France,
Où si bien il le servit
Que l’hérésie têtue
Dévotement combattue
Sous lui esclave se vit.
Le fatal cheval de Troie
N’enfanta tant d’hommes forts
Quand les Grecs eurent en proie
De Priam les beaux trésors,
Comme la maison puissance
De Scépeaux et florissante
Produit de braves guerriers,
Qui d’une âme généreuse
Ont sur leur face poudreuse
Planté les plus verts lauriers.
Mais pourquoi dis-je l’histoire
De votre père et aïeux,
Vu que votre seule gloire
Vous parangonne aux plus vieux ;
Votre sagesse admirable,
Votre bonté secourable,
M’apprêtent trop d’arguments
Pour faire ouïr vos louanges
Aux nations plus étranges
Et vous chanter hautement.
Le Ciel de douce influence
Pour mari vous a donné
L’œil de Bretagne et de France,
Le généreux d’Espinay,
Race digne de ses pères,
Frère digne de ses frères,
Broon le mignon de Pallas,
Ce grand guerrier indomptable,
Qui s’est rendu redoutable
À nos rebelles soldats.
Si je voulais d’ordre écrire
Toutes vos perfections,
Si j’entreprenais de dire
Vos heureuses actions,
Il faudrait que dans Parnasse
J’eusse des premiers pris place
Et que ma voix fût d’airain,
Car à sonner votre gloire
Qui a sur le temps victoire
Il faudrait l’archet thébain.
Adr. d’Amboise