À très illustre princesse, Madame Marguerite de France, duchesse de Savoie.
Le poète et la Muse ont le soin de chanter
Les hommes et les dieux : elle afin de vanter
La force et la grandeur de ceux qui ont puissance
De manier du Ciel l’éternelle accordance,
Et lui, en échangeant le labeur de ses mains
(Ainsi que troc pour troc) aux bienfaits des humains
Pour chanter en ses vers leurs vertus et leur gloire,
Et pour les bienheurer d’une longue mémoire :
Car la Muse divine a le ciel immortel,
Le poète qui est homme, a son sujet mortel.
S’il est doncques ainsi, ni l’immortelle Muse,
Ni le poète mortel, ne trouveront excuse,
Qui les puisse exempter de s’employer tous deux,
Pour raconter le los des hommes et des dieux.
La Muse te dira la française Minerve,
Sous qui le faux erreur, et l’ignorance serve
Furent jadis bannis d’avecque les Français,
Et renvoyés au sein des plus barbares rois :
Le poète te dira sa sévère sauvegarde,
Sa targue, qui défend une langue jazarde,
Qui d’un parler moqueur le pensait effrayer.
Il dira que tu peux sous ta Gorgon muer
Ceux qui effrontément sont venus à l’exemple
Des corbeaux enroués, croasser dans ton temple.
Ma princesse, je viens appendre à ton autel
Du fruit de mon printemps, à celle fin qu’il dure
Encontre les efforts d’une mordante injure :
Car seule tu le peux, or qu’il dusse mourir,
Des envieux, du temps, et de mort secourir.