Madame, tous ceux-là qui consacrent aux grands
Leurs écrits sérieux, les savent ignorants,
Et si ne les font pas juges de leur doctrine,
Mais ils pensent ceci, que la grandeur est digne,
Des Muses, ou plutôt, enseignent aux seigneurs
D’avancer les savants aux biens et aux honneurs :
Et en particulier attendent récompense
De leur docte labeur, d’une vaine espérance,
Dont ils restent trompés, et mieux il leur vaudrait
S’en adresser à tel qui leur cause entendrait,
Et, bien que d’ailleurs fût sa puissance petite,
Certes pût dignement estimer leur mérite.
« L’honneur soutient les arts, le vertueux désir
De louange adoucit le travail en plaisir.
Mais quoi ? La pauvreté presque aux doctes commune
Assise en leur foyer, les foule et importune,
Et très malaisément maints se peuvent sauver
De qui ce monstre laid fait les vertus couver. »
Car de ce temps les mains des princes sont fermées
Aux savants, et sont peu les lettres estimées :
Barbare chicheté ! Les finances des rois
Servent aux carnevaux, aux lices et tournois.
Les mignons d’Apollon accroupis aux études
Façonnent les leçons de leurs écoliers rudes,
Qu’on pourrait employer aux affaires d’État,
Ou celles qu’aux palais en justice on débat,
Ou grands ambassadeurs d’une grave éloquence
Discourir sur la guerre ou sur la patience.
Mais on avance là ceux qui savent un peu,
Gens qui ont bonne mine et souvent mauvais jeu.
De Dieu, me trouve hors de toute cette danse :
Je ne suis souffreteux de ma condition,
Et n’ai besoin de mieux, puis franc d’ambition,
Je méprise la gloire, et l’honorable peine
De monter aux honneurs d’une attendante haleine.
J’ai appris les faveurs des rois et de la cour
Pratiquées longtemps se passer en un jour,
Quand elles dureraient, qu’il est malaisé suivre
Tout ensemble la cour, et ensemble bien vivre,
Que les conseils des bons n’y sont si tôt reçus
Que des méchants par qui les princes sont déçus.
Et quand l’âme j’aurai haute et ambitieuse,
Et quand j’aurai la main très pauvre et disetteuse,
Néanmoins si j’étais un petit vertueux,
J’aurais bien rencontré remède pour les deux
En votre royauté, qui du sceptre et couronne
Semblez les autres grands, et non de la personne,
Miroir des bonnes mœurs, et de la piété,
Suivant les pas d’Astrée et la droite équité
Très libérale aux bons, aux méchants rigoureuse,
Arnie des savants, savante et vertueuse,
Vers qui ni les plaisants, les postes, ni flatteurs,
Ni ces trouveurs d’argent, ni ces grands prometteurs
Ont favorable accès, mais ceux dont la justice
Vous est bien aperçue, ennemie du vice.
Mais faut-il discourir si longuement un fait
Éprouvé par les bons, que tout le monde sait ?
Il suffit que cela m’a fait vouer mon livre
À votre majesté pour plus sûrement vivre
Sous si digne faveur, qui savez estimer
Les écrits saints et bons les louer et aimer.
Qui taxe la bonté d’une fausse sagesse,
Et l’estime souvent au prix de la vieillesse,
Comme les vieux écus, les poèmes plus vieux
Il tient pour les meilleurs, plus chers et précieux.
C’est tout, je veux pourtant vous avertir d’un cas,
Le jugement du peuple ici ne suivez pas,
Il hait les nouveautés, et les plumes grégeoises
Et romaines il met au-dessus des françaises.
Il faut en préférant les étrangers aux siens,
Et aux doctes nouveaux les rêveurs anciens.
Je crois qu’il y en a, dont la troupe est petite,
Qui de tous ces premiers égalent le mérite,
Je ne mets en ce rang un monde d’écrivains,
Qui de mille cahiers nous barbouillent les mains,
Ne servent qu’aux beurriers, et aux fripiers libraires,
Aux merciers, aux grossiers, et aux apothicaires.
Mais certes il en est qui aux langues et arts
Nous rendent les esprits de ces divins vieillards,
Soit, si je l’ose dire, en la théologie,
Ou en la médecine, ou la philosophie.
Et de ma part je veux, tant que je puis tâcher
Quelques fautes fuir, où je vois trébucher
L’Euripide ancien, dont le grand Aristote
Très sévère censeur le châtie et le cotte,
Je ne veux suivre Plaute en ce qu’Horace dit
Être en lui vicieux, rabaissant son crédit.
Mais de ces repreneurs les plumes trop hardies
N’eussent, peut-être, fait de bonnes tragédies,
Et aussi n’entreprends-je au langage étranger
À ce prince tragic de me comparager.
Bien que j’écrive en grec, et bien que je l’entende,
Je ne saurais pourtant faire une œuvre si grande.
Mais je veux en ma langue oser audacieux
Faire entendre qu’on peut tout autant que les vieux,
Lorsqu’ils ont le mieux fait, sans ensuivir pour guide,
En ce qu’ils ont failli Plaute ni Euripide.
Quoi ! Chacun dit ainsi, et chacun se promet,
Fausse témérité ! d’atteindre le sommet.
Tous brouillent le papier, tous se mêlent d’écrire,
Et des hommes ceci presque est la faute pire.
Moi-même qui me dis écrire point ou peu
Avant l’aube du jour, je demande du feu,
Je demande une plume, et de fâcheuse grâce,
Vingt sujets entrepris je renverse et retrace,
Je heurte le pupitre, et mordille mes doigts,
Je tiens la vue basse, et haute quelquefois,
Je suis impatient, je rechigne et me ride.
Or je veux commenter l’Électre d’Euripide,
Or je veux éclaircir les grands trésors des Grecs,
Ore des livres saints les plus rares secrets.
Comment ? Un autre ouvrier ne prendra la boussole,
Ni le cadran craignant de mal jouer son rôle,
Celui n’ordonne pas le sirop inconnu
Au malade, qui est pour artisan tenu,
Car c’est aux médecins à composer les doses
De casse et d’agarie et de pareilles choses.
Chacun fait son métier, mais les sages et fous,
Les bons et les mauvais écrivent presque tous.
Leurs cerveaux éventés, leurs trop légères têtes,
Leur vie trop oisive, ou leur condition
Chétive et affamée, ou leur présomption.
Je dirai seulement qu’on juge le poète
Non pas tant par les vers, que le sujet qu’il traite,
Empédocle se doit philosophe nommer,
Théognis ne se doit poète surnommer,
Ni Phocylide encor’, Lucrèce, ni Pontan,
Ni Candre, ni Lucain, ni mêmes Oppien,
L’un traite la nature, et un autre l’histoire,
L’autre enseignant les mœurs a avancé sa gloire.
Autres sont les discours de la folle Sapphon,
De Stésichore, Ibyc, du chauve Anacréon,
Je veux de ces premiers surpasser le mérite,
Non pas par mon savoir, car ma force est petite,
Mais par le puissant nom de ce très grand seigneur
Dont je chante les faits, la victoire, et l’honneur.
Madame, ce nom-là m’apporte confiance
Que sous votre faveur la Navarre et la France
Recevront mon labeur, et verront quelquefois
Mon livre bienvenu aux familles des rois.