À la reine.
$$$ Les dieux ne laissent point errer à l'aventure
Les hommes, qui des cieux ont leur être et nature ;
Mais toujours quelque dieu pour leur servir de frein
Se recèle ici-bas dessous un corps humain.
$$$ En l'heureuse saison, quand les hommes sans peine
Vivaient vides de soin, de gland mûr, et de faine,
Quand du coutre pointu la terre on ne fendait,
Quand la seule vertu maîtresse commandait,
$$$ Lors au lieu de leur bien, les hommes appelèrent
Le labeur, le souci, et forcenés allèrent
Trouver le fer meurtrier de la terre au giron,
Et le sein de Téthys fendre à coups d'aviron.
$$$ Le repos avec eux ne fit plus sa demeure,
L'ombrageuse forêt ne fut retraite sûre,
La simple piété ne fut plus qu'un mépris,
Et dessus la vertu les vices eurent prix.
$$$ Comm'on baille au poulain une bride plus forte,
Quand folâtre, à son gré, son dompteur il emporte,
Ce peuple opiniâtre, et rejetant les lois
de nature, plia sous le sceptre des rois.
$$$ On dit que Jupiter, repu de l'ambroisie,
De voir sa force peinte, eut un jour fantaisie,
Que lors il fit les rois portrait de son pouvoir,
Comm'on se voit rendu par l'acier d'un miroir.
$$$ Lui donc, au lieu d'Astrée, il ordonna les princes
Aux peuples vagabonds, et firent des provinces,
Et leur bailla soigneux les lois, que de leur main
Pour gouverner le peuple ils taillèrent dans l'airain.
$$$ Et pour ne voir un jour cette race nouvelle
Dégénérer de lui, et à vertu rebelle,
Il appela Vulcain et miracle nouveau,
Il se fit d'une hache entamer le cerveau.
$$$ Minerve aux yeux d'azur sortit hors de sa tête,
Pour combattre le vice ayant jà la main prête ;
Jupiter la bailla, comme jumelle sœur,
Aux héros et aux rois pour garder leur bonheur.
$$$ Elle sauta du ciel aux rivages de Grèce,
Et charpenta la nef à la brave jeunesse
Qui première laissa l'aise de la maison,
Pour avecque l'honneur, gagner une toison.
$$$ À Thèbes on la vit combattre pour Tydée,
Par elle la fureur d'Achille fut bridée,
Quand contre Agamenon jà l'estoc il jetait,
Qui dans sa Briséis le cœur lui emportait.
$$$ Elle a guidé depuis, par une longue suite,
Les rois, desquels l'honneur et victoire mérite,
Retirant leur renom du tombeau, dans les cieux,
Qu'on leur dresse un autel, et qu'on les nomme dieux.
$$$ Entre lesquels on voit comme une étoile claire
Qui sur l'argent des eaux à la mi-nuit éclaire
Ces grands vainqueur français, ore l'honneur du ciel,
Qui boivent devant tous le nectar immortel.
$$$ Mais pour ce que depuis le hasard et l'audace
Dessus le savoir saint murmuraient leur menace,
Et que jà de courroux la déesse quittait
Le peuple, qui au joug du vice se mettait,
$$$ Jupiter s'alluma tout le front de colère,
Il prit la foudre au poing, et d'une voix sévère,
Dedans son trône assis, tout l'Olympe ébranla,
Et au milieu des Dieux, Mercure, il appela.
$$$ « Vite, courrier des dieux, ma race la plus chère,
Emplume tes talons, et d'une aile légère
Par le grand vide épars rame soudainement,
Et pour voler plus tôt, fais réveiller le vent.
$$$ Minerve que j'avais laissé là-bas pour guide,
Et qui baillait aux rois de leur peuple la bride,
Les laisse comme on voit un vaisseau dans la mer
Sans voiles, sans timon, au gré des flots ramer.
$$$ Je veux que vous preniez tous deux une autre face,
Toi d'un brave guerrier, et elle d'une grâce,
Que sur les bords herbus tu t'en ailles là-bas,
Où le vieil Arno enceint Florence dans ses bras.
$$$ Tu te diras tirer de ceux de ton origine
Qui ont de l'ignorance arraché la racine,
Et ramené les arts, jadis le brave orgueil
D'Athènes, et de Rome, ainsi que d'un cercueil.
$$$ Et pour te voir expert en science et en guerre,
Du beau Laurier vainqueur, et du gentil lierre
Les hôtes de là-bas ton front couronneront,
Et de tant des Lauriers Laurent te nommeront.
$$$ Minerve aussi viendra, d'où les troupes marines
Lamentent une nymphe aux tresses argentines,
Qu'arrachant à Triton en ville je formais,
Et de nymphe des eaux, Bologne la nommai.
$$$ Vous serez en neuf mois parents d'une déesse,
Mais pour l'orner, ainsi que dans la prée épaisse
La bergère ne prend que les belles couleurs,
Des plus rares vertus ne cueillez que les fleurs. »
$$$ Adonc se tut ce dieu, et Mercure dévale,
Les cygnes dedans l'air, de la voix il égale.
Minerve vient aussi, et au bout de neuf mois,
On vit naître des deux la mère de nos rois.
$$$ Ainsi qu'on voit la lune, ainsi que l'aube encore,
Quand leur front au matin tout notre ciel colore,
Hâter leurs noirs chevaux pour céder au soleil,
De qui l'oiseau crêté annonce le réveil,
$$$ Ces dieux montent au ciel, de vitesse pareille
À celle d'un éclair, raconter la merveille,
Et comme on vit après l'enfantement nouveau,
Le Bonheur de retour côtoyer le berceau.
$$$ Comme l'aigle de loin au retour au bocage,
Qui vient de ses petits chercher le pâturage
Se hâte pour aller courageux défier
Les pasteurs, qui venaient ses petits épier,
$$$ Les géants qui déjà empiétaient cette terre,
Et contre l'honneur saint déjà dressaient la guerre,
De peur tournent le dos, et la paix retourna,
Qui la guerre captive en triomphe mena.
$$$ Car encore qu'elle n'eût le morion en tête,
Horrible de serpents cordonnés sus la crête,
Qu'elle n'eût la Gorgon pour changer en rocher
Quiconque la viendrait au combat approcher,
$$$ La vertu qui était dedans son sein maîtresse,
À grands pas reculait de ces monstres la presse,
Qui à son seul regard honteuse s'effrayait,
Et sans fermer les pas à l'abandon fuyait.
$$$ Tant plus le vice est fort, tant plus il tient empreinte,
Sus le sein de méchant, la terreur et la crainte,
Qui met les armes bas, et se rend combattu
D'un regret immortel, en voyant la vertu.
$$$ Ainsi celui qui sort des obscures carrières,
Sus ses yeux éblouis déplie les paupières,
Et bien qu'il soit fâché de cet obscur séjour,
Rien ne l'offense plus que les rayons du jour.
$$$ Or qu'on ne vante point d'Hercule la victoire,
Qui de deux gros serpents fit sa première gloire,
Les vices et malheurs horriblement meurtriers,
Sont de notre Pallas les trophées premiers.
$$$ Puis quant ce grand Henri enjonchait la campagne
Des Espagnols taillés aux bords de l'Allemagne,
Elle, comme un pilote, hors les rocs rejetait
Notre nef, qui alors à plein voile flottait.
$$$ Ce seront quelque jour les chansons de ma lyre,
Voire je suis certain si haut la faire bruire,
Si d'un bon trait de l'œil elle me vient toucher,
Qu'on verra jusqu'au Ciel mes lauriers attoucher.