Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>L'Aminte</em> [Le Loyer, Pierre (1550-1634)] 1591 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1591_loyer_aminte 1591 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
<a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb39329689z" target="_blank" rel="noreferrer noopener">Arsenal 8-BL-6727</a>
Français

À Madame la Marquise de Noirmoutier.

La même différence qu'on remarquerait entre deux diamants égaux en grandeur et beauté, dont l'un lourdement enfoncé dedans du plomb semblerait pâle et terni comme du verre, l'autre délicatement mis en œuvre dedans l'or émaillé, et relevé par le teint de la feuille, brillerait de mille feux étincelants : cette même différence paraîtra bientôt entre la composition et la traduction de ce livre. L'auteur de ce petit œuvre ayant semé parmi ses poésies une infinité de belles fleurs faisant un bouquet à part de l'élite des plus rares, les a recueillies en ce petit volume, qui est comme la couronne de ses premiers écrits et des labeurs de sa jeunesse. À la richesse de l'invention les belles façons de parler se trouvent si heureusement jointes, et les mots si bien taillés à la mesure des conceptions qu'ils représentent, que l'un semble tenir la place du corps et l'autre de l'âme. Ces belles figures, dont le champ de sa fable est si diversement émaillé, retiennent les esprits avec pareille douceur que les yeux seraient retenus en la contemplation d'un beau paysage. Voilà ce beau diamant à la valeur duquel répond l'excellence de l'or, de l'émail et de l'œuvre. Celui que je vous présente, Madame, est bien un diamant de la même roche que l'autre, il est bien enchâssé dedans de l'or (car l'excuse de la pauvreté de notre langue serait fausse et honteuse), mais entre mes mains, cet or est devenu plomb comme entre les mains d'un alchimiste ou, pour mieux dire, l'artifice que j'y ai apporté est tant inégal à la richesse des étoffes qu'elles se doivent plutôt dire étouffées et ensevelies que dignement mises en œuvre. La faute en est à l'ouvrier et sur lui seul doit être rejetée l'imperfection de l'ouvrage, la matière duquel était trop précieuse pour être mise au hasard du coup d'essai d'un écrivain qui avait si peu d'expérience. Pour le moins aurai-je cet avantage que je demeurerai caché sous le silence de mon nom, comme Apelle derrière son tableau, et me rendant par ce moyen comme invisible, je me verrai souvent reprendre sans rougir et ferai mon profit des justes corrections de ceux qui, n'ayant connaissance de moi, ne seront poussés de haine ni d'envie. Mais si votre faveur se joint à cet avantage, plutôt que de craindre des calomnies et des répréhensions, il me sera permis d'espérer des louanges. Car tout ainsi que les fausses pierreries portées par les grands sont estimées du vulgaire fines et orientales, de même s'il vous plaît recevoir cet ouvrage tel qu'il est en votre protection et en faire quelque estime, chacun à votre exemple en jugera favorablement et dira qu'il doit être beau puisqu'il est jugé tel par la Beauté même.