À Madame de la Vérune.
Madame,
J'avais arrêté en moi-même de ne commettre aucune chose de ma composition au trop subtil jugement de nos Français, assez reprenants de nature, si ce n'était comme en passant, d'autant que je me persuadais qu'il leur serait fort difficile d'écouter ce qu'on dirait, et s'attacher ensemble à ce qu'ils trouveraient à reprendre. Mais j'ai changé tout aussitôt ma résolution que j'ai tourné l'œil dessus vous, dont l'autorité peut non seulement rembarrer les médisants, mais du tout assoupir et éteindre leurs médisances. Je ne veux pourtant sous ombre d'un tel bouclier me feindre Achille, n'étant qu'un Patrocle. Ma présomption n'est pas si grande. Je désire seulement tirer un bon marché de ces repreneurs, trop communs entre nous, qui blâment les labeurs d'autrui, sans aucune apparence de raison, et qui, se chatouillant pour se faire rire, ne trouvent jamais rien de bien fait s'il ne sort de leur boutique. Je les entrois déjà dire, ce me semble : « Qui est ce corbeau qui se mêle de chanter parmi nos rossignols ? » Mais vous leur répondrez, s'il vous plaît, qu'il n'est oiseau qui n'ait son ramage à part, et qu'ils doivent favoriser à ceux qui, par la rudesse des vers qu'ils composent, rendent la douceur des leurs plus agréables, s'ils se veulent au moins conformer à l'exemple d'Antigénide. D'autre part ce me sera beaucoup d'honneur et pour l'avenir beaucoup de profit d'être admonété, voire repris des hommes judicieux sans passion, pourvu que cela ne soit accompagné d'une moquerie, qui n'est jamais l'hôtesse d'un bel esprit, mais d'un enhortement à faire mieux. Je pourrais trouver quelque excuse pour pallier mon insuffisance, mais je n'en ai que faire, Madame, étant une fois couvert du manteau de votre faveur, qui pourra servir de passe-porte à cette tragédie que je vous offre, par tous les endroits de ce royaume, où le bruit de votre bonne réputation est parvenu. Je sais que vous n'en trouverez les vers assez polis, ains rudes, et mal tournés, à la comparaison de ceux que liment et reliment ces beaux esprits dont la France s'honore. Mais ainsi que pour assaisonner les bonnes viandes, les sauces aigres sont bien souvent autant nécessaires que les douces : les vers rudes, mais graves et sentencieux en récompense, contentent quelquefois autant un bon esprit que ceux-là qui ne se peuvent attribuer qu'une douceur et je ne sais quelle affectation de paroles. Non que je l'improuve en tout et partout, mais il me semble que je ne dois encourir blâme aucun, si je dis qu'il faut plutôt astreindre les paroles aux choses que les choses aux paroles. Or pour frapper au but assigné, je vous offre, Madame, les prémices des fruits qu'a portés une plante stérile de soi et qui n'a jamais été arrosée du nectar des Muses que par acquit. Vous les trouverez aigrets, mais salubres, et se peut faire que la mûreté pourra leur apporter quelque agréable douceur. Il vous plut prendre la peine d'assister à la représentation de cette tragédie ; vous la prendrez encore, s'il vous plaît, de la lire. Peut-être qu'elle ne vous contentera tant à la seconde fois comme elle fit à la première (si vous pûtes prendre contentement en chose de si peu de goût), d'autant qu'elle a déjà perdu en votre endroit la grâce de la nouveauté, mais votre bonté naturelle et courtoisie accoutumée pourra suppléer à ce défaut, vous la faisant recevoir avec autant de bon accueil que je vous ai voué de service. C'est,
Madame,
Votre obéissant et affectionné serviteur,
A. Montchrestien.