I.
Ainsi qu’un marinier sur le bord de la mer
N’ayant pour bien voguer un assez bon navire,
En soi pense longtemps s’il osera ramer,
Et par les flots salés sa nacelle conduire,
II.
À la fin lève l’ancre et mettant son espoir
Sur la bonté des dieux, commence son voyage,
Mais éloignant le havre et ne le pouvant voir,
Au moindre flair des rumbs appréhende un naufrage ;
III.
Madame, ainsi voulant du bateau de mes vers,
Nager la haute mer de vos belles louanges,
Mon esprit est confus en cent pensers divers,
Craignant de s’abîmer en des Scyllas étranges.
IV.
Tant de perfections que l’on voit vous parer
Et qui vous font çà-bas comme un Phœbus reluire
Me retiennent au port sans oser démarrer,
Sentant ma frêle nef n’avoir un bon zéphyr.
V.
Toutefois me voyant déjà tant avancé,
Si faut-il m’enhardir d’en voguer quelque terme ;
Mais durant, si je suis de péril menacé,
Au fort de ce danger servez-moi de saint Herme.
VI.
Je vais donc faire voile et délaisser le port,
Non que j’aille pourtant l’abandonnant de vue,
Ains de ce que je suis je ferai mon effort
Attendant que ma nef de vent soit mieux pourvue.
VII.
Mais où me conduis-tu, vaisseau de mon désir,
À l’exécution de si haute entreprise,
Quelles de ses vertus pourras-tu bien choisir
Qui ne soit des humains suffisamment apprise ?
VIII.
Si, poursuis ton dessein imitant les mortels,
Qui bien que de vieil temps chantent des dieux la gloire,
Ne laissent tous les jours d’encenser leurs autels,
Renouvelant sans fin leur plaisante mémoire.
[IX.]
Dans cette haute mer au front doux et calmé
Je vois naître Vénus la céleste et divine,
Celle qui nous remet dedans le ciel aimé,
Où votre esprit a pris son origine.
X.
Après elle je vois les Grâces caroller,
Éparpillant au vent leur belle tresse blonde,
Et le divin amour tout autour bavoller,
Se plongeant à tous coups dedans cette claire onde.
XI.
La Vertu marche après, dont l’esprit est infus
Dans cette haute mer qui la meut et domine,
Gouvernant si très bien son flux et son reflux,
Qu’il ne passe ses bords pour faire de ravine.
XII.
Aussi pour ce sujet quand son eau tarira
Entrant dans l’estomac de la terre profonde,
Malgré le cours du temps son nom demeurera,
Passant à tous propos par les bouches du monde.
XIII.
Mais je m’éloigne trop, il me faut retirer
Mon bateau là lassé, tout contre le rivage,
C’est assez pour ce coup d’avoir su aspirer
À moitié du chemin d’un si beau navigage.