Robinson avait assez assuré sa subsistance et presque
pris ses aises dans son île.
Il s’était fait un bon toit, des habits de palmes et de
plumes ; et le temps était loin
courir après son dîner. Il s’étonnait
mains. Elles lui paraissaient faites en songe,
vaux assemblés émerveillaient ses regards. Tt L’auteur de tous
les détails a une
Il avait amené l’eau pure tout auprès de lui, jusque dans
l’ombre de sa hutte. Le feu lui obéissait ; il l’éveillait
quand il voulait. Une multitude de poissons séchés et fumés
pendaient aux membres de bois de sa case ; et de grandes
corbeilles qu’il avait tressées étaient pleines de galettes
grossières, si dures qu’elles pouvaient se garder éternelle
ment.
Une demeure bien assise, des conserves très abondantes,
toutes les sûretés essentielles retrouvées, ont le loisir
pour conséquence.
Contempler des monceaux de nourriture durable, n’est-ce
point voir du temps de reste et des épar actes épargnés ?
Un gros biscuit est un de jour de paresse et de vie. Des
pots de viande confite, des couffes de fibre gorgées de
graines et de noix sont un trésor de quiétude ; tout un hi
ver tranquille est en promesse dans leur parfum, et l’ave
nir est
plus grand triomphe des hommes et la condition essentielle
de tous les autres, que d’avoir su transporter jusqu’au
lendemain les effets et les fruits du labeur de la veille.
L’humanité ne s’est lentement élevée que sur le tas de ce
qui dure. Provisions, prévisions, peu à peu nous ont détachés
de l’exactitude de nos nécessités animales et du mot à
mot de nos besoins. La nature le suggérait : nous portons
avec nous de quoi résister quelque peu à l’inconstance de
nos êtres. La graisse qui est sur nos membres, la mémoire
qui se tient toute prête dans l’épaisseur de nos âmes, ce
sont des ressources ressources es et déve
loppé es.
Il y avait chez Robinson, traînant non loin de l’âtre, une
vieille table de logarithmes sauvée des eaux, qui lui
servait à maint usage domestique. Quand elle s’ouvrait, on
eût dit couvertes
rangs serrés. Ces feuillets tout dévorés de chiffres nous
disaient dans leur naïf langage décimal, que notre espèce
laborieuse s’était constitué
que des écritures convenables offrent
de quelqu’un à l’utilité immédiate
graines et de noix sont un trésor de quiétude ; tout un
hiver tranquille est perceptible dans leur parfum. C’est le
plus grand triomphe des hommes, et qui commandait tous les
autres, que d’avoir su transporter jusqu’au lendemain les
effets et les fruits du labeur de la veille. Provisions et
prévisions, peu à peu, nous ont détachés de l’exactitude de
nos nécessités animales et du mot ‒ à ‒ mot de nos besoins.
La graisse qui est sur nos membres, la mémoire qui se tient
auprès de nos âmes, ce sont des ressources contre l’instant
que notre industrie a imitées.
Il y avait chez Robinson, traînant non loin de l’âtre, une
vieille table de logarithmes sauvée des eaux, qui lui ser
vait à maint usage domestique. Elle disait aussi, dans son
naïf langage décimal, que nous nous sommes fait des écono
mies de pensées, et que des écritures convenables changent
les heures de quelqu’un en minutes de tout le monde…
Robinson, au milieu de ses nouveaux biens, et dans la
présence et la certitude de son capital de durée, commença
de redevenir un homme. Il respirait distraitement, il ne
savait quels fantômes poursuivre. Il était menacé de songe.
L’oisiveté, qui est fille du sel, de la cuisson, et de tous
les apprêts qui suspendent, en quelque sorte, le destin des
aliments périssables, quand on dit qu’elle est mère des vi
ces, on se trompe, on omet un degré de filiation. Elle n’est
que l’aïeule des vices, mais elle est mère directe des
rêveries, lesquelles enfantent tout ce que l’on sait.
Robinson, au milieu de ses nouveaux biens, commençait
redevenir un homme ; il naissait c’est-à-dire un être indécis.
Il respirait distraitement, il ne savait quels fantômes pour
suivre. Il était menacé de songe
Notre avenir étant mis en caisses et confié à des prépa
rations inaltérables, cette assurance matérielle nous livre
sans défense aux étranges mouvements
appétits ne commandent pus nos journées
tre libres, mais nous ne sommes qu’à la disposition des
incidents les plus vains de notre regard. La variété, l’in
finité des images qu’il se crée nous abusent sur nos pou
voirs.
Robinson, créateur de loisir, puisqu’il n’avait plus rien
à faire, se sentait envahir de pensées.
Ne rien faire, nous a
vons nous les mains libres, aussitôt cette liberté gagne l’esprit.
Il se déploie et se dépense devant soi-même, comme pour
emplir le vide du temps qui lui appartient.
de solitude que le désœuvrement ; l’âme essaie de s’y sous
traire par ses moyens intérieurs, comme un homme qui ne
pouvant supporter le silence et la profondeur d’une forêt,
chante ou parle à tue-tête, et se récite tout ce qu’il sait.
eût mérité
que les uns font naître de l’ennui, les autres de l’amour,
mais que j’imagine procéder de la prétention de faire plaisir.
L’ave Son avenir étant mis en caisses, en préparations
inaltérables, Robinson créateur de loisir, puisqu’il n’avait
plus rien à faire, se sentait envahir de pensées.
Ne rien faire, c’est se faire universel ; et qu’on le veuille à peine nous avons les mains libres,
ou non,
té gagne l’esprit.