Transcription Transcription des fichiers de la notice - Quatrième état dactylographié Valéry, Paul 1924 [circa] chargé d'édition/chercheur Johansson, Franz (édition scientifique) Franz Johansson, équipe Paul Valéry, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1924 [circa] Texte de Valéry publié avec l'aimable autorisation des ayants droit de Paul Valéry
BnF f. 32-34<br />Cote Rousseau : <br />feuillet 32: 383 15/133 <br />feuillet 33: 383 19/133 <br />feuillet 33: 383 24/133
Série de feuillets de frappe violette, avec numérotation dactylographiée. Les f. 33 et 34 ont été écrits sur des feuilles de récupération: le verso du f. 33 correspond exactement à la même frappe que le f. 29 recto, de même que le verso du f. 34 correspond exactement à la même frappe que le f. 30 recto. Il est intéressant que la numérotation de ces feuillets dans l’inventaire Rousseau ne présente aucune continuité. Français Série de feuillets de frappe violette, avec numérotation dactylographiée. Les f. 33 et 34 ont été écrits sur des feuilles de récupération: le verso du f. 33 correspond exactement à la même frappe que le f. 29 recto, de même que le verso du f. 34 correspond exactement à la même frappe que le f. 30 recto. Il est intéressant que la numérotation de ces feuillets dans l’inventaire Rousseau ne présente aucune continuité.
Robinson

Robinson avait assez assuré sa subsistance et presque pris ses aises dans son île.

Il s’était fait un bon toit, des habits de palmes et de plumes ; et le temps était loin s’oubliait qu’il devait tout le jour courir après son dîner. Il s’étonnait en présentant des œuvres de ses mains. Elles lui paraissaient faites en songe, tant et ses tra vaux assemblés émerveillaient ses regards. Tt L’auteur de tous les détails a une toujours grande peine à se croire  trouver enfin auteur de l’ensemble. Il y a une surprise dans l’addition de nos édifices.

Il avait amené l’eau pure tout auprès de lui, jusque dans l’ombre de sa hutte. Le feu lui obéissait ; il l’éveillait quand il voulait. Une multitude de poissons séchés et fumés pendaient aux membres de bois de sa case ; et de grandes corbeilles qu’il avait tressées étaient pleines de galettes grossières, si dures qu’elles pouvaient se garder éternelle ment.

Une demeure bien assise, des conserves très abondantes, toutes les sûretés essentielles retrouvées, ont le loisir pour conséquence.

Contempler des monceaux de nourriture durable, n’est-ce point voir du temps de reste et des épar actes épargnés ? Un gros biscuit est un de jour de paresse et de vie. Des pots de viande confite, des couffes de fibre gorgées de

Calculs au verso du folio
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graines et de noix sont un trésor de quiétude ; tout un hi ver tranquille est en promesse dans leur parfum, et l’ave nir est serv[…] amassé dans les coffres et les caissons de la cambuse. C’est le plus grand triomphe des hommes  de la vie, qu’elle ait su  et la condition essentielle de tous les autres, que d’avoir su transporter jusqu’au lendemain les effets et les fruits du labeur de la veille. tout le reste en ce procédé

L’humanité ne s’est lentement élevée que sur le tas de ce qui dure. Provisions, prévisions, peu à peu nous ont détachés de l’exactitude de nos nécessités animales et du mot à mot de nos besoins. La nature le suggérait : nous portons avec nous de quoi résister quelque peu à l’inconstance de nos êtres. La graisse qui est sur nos membres, la mémoire qui se tient toute prête dans l’épaisseur de nos âmes, ce sont des ressources modèles de ressources  que notre industrie a imité es et déve loppé es. accommod[…] d’ impétu[…]

Il y avait chez Robinson, traînant non loin de l’âtre, une vieille table de logarithmes sauvée des eaux, qui lui servait à maint usage domestique. Quand elle s’ouvrait, on eût dit  juré que ses pages fussent étaient couvertes  batailles  de fourmis en rangs serrés. Ces feuillets tout dévorés de chiffres nous disaient dans leur naïf langage décimal, que notre espèce laborieuse s’était constitué [à déchiffrer] a fait des économies de vérités, et que des écritures convenables  ingénieuses offrent propagent les longues peines de quelqu’un et les consacrent  à l’utilité immédiate  [à déchiffrer] la hâte des [à déchiffrer] de la patience de tout le monde.   Les Égyptiens et quelques autres se sont mis à conserver jusqu’aux morts

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graines et de noix sont un trésor de quiétude ; tout un hiver tranquille est perceptible dans leur parfum. C’est le plus grand triomphe des hommes, et qui commandait tous les autres, que d’avoir su transporter jusqu’au lendemain les effets et les fruits du labeur de la veille. Provisions et prévisions, peu à peu, nous ont détachés de l’exactitude de nos nécessités animales et du mot ‒ à ‒ mot de nos besoins. La graisse qui est sur nos membres, la mémoire qui se tient auprès de nos âmes, ce sont des ressources contre l’instant que notre industrie a imitées.

Il y avait chez Robinson, traînant non loin de l’âtre, une vieille table de logarithmes sauvée des eaux, qui lui ser vait à maint usage domestique. Elle disait aussi, dans son naïf langage décimal, que nous nous sommes fait des écono mies de pensées, et que des écritures convenables changent les heures de quelqu’un en minutes de tout le monde…

Robinson, au milieu de ses nouveaux biens, et dans la présence et la certitude de son capital de durée, commença de redevenir un homme. Il respirait distraitement, il ne savait quels fantômes poursuivre. Il était menacé de songe. L’oisiveté, qui est fille du sel, de la cuisson, et de tous les apprêts qui suspendent, en quelque sorte, le destin des aliments périssables, quand on dit qu’elle est mère des vi ces, on se trompe, on omet un degré de filiation. Elle n’est que l’aïeule des vices, mais elle est mère directe des rêveries, lesquelles enfantent tout ce que l’on sait.

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Robinson, au milieu de ses nouveaux biens, commençait se sentait de redevenir un homme ; il naissait c’est-à-dire un être indécis. Il respirait distraitement, il ne savait quels fantômes pour suivre. Il était menacé de songe s et d’ennui. Le soleil lui semblait beau. Il se trouvait

Notre avenir étant mis en caisses et confié à des prépa rations inaltérables, cette assurance matérielle nous livre sans défense aux étranges mouvements propres de notre esprit. Nos appétits ne commandent pus nos journées X. Nous croyons d’ê tre libres, mais nous ne sommes qu’à la disposition des incidents les plus vains de notre regard. La variété, l’in finité des images qu’il se crée nous abusent sur nos pou voirs. dégoût des glandes

Robinson, créateur de loisir, puisqu’il n’avait plus rien à faire, se sentait envahir de pensées.

Ne rien faire, n’avoir rien à faire c’est se faire universel. Une barre de séparation et un trait d’encre semble isoler toute la fin du texte.

À peine nous a vons nous les mains libres, aussitôt cette liberté gagne l’esprit. Il se déploie et se dépense devant soi-même, comme pour emplir le vide du temps qui lui appartient. C’est une sorte Ce groupe de mots est en décalage par rapport au début de la ligne  de solitude que le désœuvrement ; l’âme essaie de s’y sous traire par ses moyens intérieurs, comme un homme qui ne pouvant supporter le silence et la profondeur d’une forêt, chante ou parle à tue-tête, et se récite tout ce qu’il sait.

  Seul et désœuvré, ce Robinson eût mérité était menacé d’inventer les arts que les uns font naître de l’ennui, les autres de l’amour, mais que j’imagine procéder de la prétention de faire plaisir.

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L’ave Son avenir étant mis en caisses, en préparations inaltérables, Robinson créateur de loisir, puisqu’il n’avait plus rien à faire, se sentait envahir de pensées.

Ne rien faire, c’est se faire universel ; et qu’on le veuille ou non, à peine nous avons les mains libres,  aussitôt cette liber té gagne l’esprit.