Transcription Transcription des fichiers de la notice - 61. Séance du 30 août 1809 1809/08/30 chargé d'édition/chercheur Courant, Elsa (éditeur scientifique) Elsa Courant, CELFF ; EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1809/08/30
Nomination du Modérateur et du Sous-Modérateur Français Nomination du Modérateur et du Sous-Modérateur

Du 30 août 1809.

Séance extraordinaire.

M. Martel.

M. l’abbé de Rozières.

M. Carré.

M. Hocquart.

M. Poitevin.

M. d’Ayguesvives.

M. Jouvent.

M. d’Aguilar.

M. de Malaret.

M. le Modérateur a dit que l’objet de cette séance est de savoir ce qu’il y a à faire pour l’exécution de la décision de Son Excellence le Ministre de l’Intérieur concernant la salle de nos assemblées particulières. M. le Secrétaire perpétuel a lu la lettre de M. le Préfet qui lui annonce cette décision et la lettre du Ministre dont M. le Préfet lui a adressé une copie officielle. Il a lu encore une lettre de M. le Maire qui annonce à l’Académie que ses ordres sont donnés pour que la salle dont il s’agit soit appropriée à nos séances particulières le plus tôt possible.

M. Poitevin a ajouté que le mois de février dernier lorsqu’on s’occupait de l’exécution de l’arrêté de M. le Préfet, il en avait conféré avec M. le Maire et lui avait présenté plusieurs observations touchant le mobilier dont le devis avait été dressé par l’architecte-voyer. Il a communiqué à l’Académie ces observations qu’il se propose de joindre à la réponse qu’il sera chargé de faire à M. le Maire. Il a communiqué aussi son projet de réponse.

L'Académie a prié M. Poitevin de se concerter avec M. le Maire pour l’exécution des ordres que sa lettre annonce ; elle approuve les observations qu’il a faites sur le mobilier et son projet de réponse.

La décision de Son Excellence le Ministre de l’Intérieur sera transcrite dans le présent registre, ainsi que celle de M. le Préfet. En outre la décision ministérielle sera écrite dans le grand Registre vert à fermoir d’argent.

Si, pendant les vacances, il survenait quelque chose qui exigeât une délibération de l’Académie, M. le Secrétaire perpétuel se concerterait avec le Modérateur pour convoquer les Mainteneurs qui seront à Toulouse.

On a tiré au sort les places de Modérateur et de Sous-Modérateur pour le trimestre d’octobre. M. d’Aguilar est Modérateur ; M. de Malaret est Sous-Modérateur.

L'Académie prend ses vacances, conformément aux Statuts, jusqu’au premier vendredi de janvier 1810.

Suit la lettre de M. le Préfet :

« Toulouse le 25 avril 1809.

Le Préfet du Département de la Haute-Garonne, officier de la Légion d’Honneur,

à M. Poitevin Secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux-Floraux.

Je m’empresse, Monsieur, de vous adresser une copie authentique de la lettre que je viens de recevoir du Ministre de l’Intérieur.

Elle contient la décision de Son Excellence concernant le local réclamé par l’Académie.

Je vais la communiquer à Mr le Maire de Toulouse et l’engager à mettre le plus tôt possible l’Académie en possession de ce local.

Recevez, Monsieur, l’assurance de la sincère et parfaite considération avec laquelle j’ai l’honneur de vous saluer. Signé : Desmousseaux. »

Décision de Son Excellence le Ministre de l’Intérieur.

Préfecture du Département de la Haute-Garonne.

Paris le 10 août 1809.

Le Ministre de l’Intérieur par intérim, comte de l’Empire.

à M. Desmousseaux, Préfet du Département de la Haute-Garonne.

Monsieur, j’ai reçu, avec les pièces à l’appui, les renseignements que je vous avais demandés au sujet de la réclamation formée par le Maire de Toulouse contre l’arrêté du 30 janvier dernier par lequel vous avez décidé que l’Académie des Jeux Floraux serait mise en possession du local qu’elle occupait au Capitole avant la Révolution.

J'ai vu avec satisfaction que les membres de cette Académie et la Municipalité s’étaient rapprochés de manière que la difficulté qui s’était élevée entre eux n’a pour ainsi dire plus d’objet.

En effet les premiers ont reconnu qu’ils n’étaient pas propriétaires du local qu’ils occupent, que c’est à titre de prêt qu’ils en jouissent, que si la ville de Toulouse en avait un besoin indispensable, elle serait fondée à les déplacer en leur fournissant un autre local aussi commode et aussi agréable.

D'un autre côté, le Conseil municipal n’a proposé de placer l’Académie des Jeux Floraux dans la partie du Capitole qui était occupée par l’ancienne Académie des Arts, que pour lui procurer trois belles salles et un joli jardin pour la faire jouir de l’agrément de n’être jamais troublé dans ses exercices, tandis qu’elle était exposée au tumulte et au fracas dans son ancien local.

Ainsi un rapprochement complet ne peut manquer de s’opérer. Comme je désire beaucoup d’y coopérer, je vous engage, Monsieur le Préfet, à vous concerter avec le Maire de Toulouse pour que l’Académie soit remise incessamment en jouissance du local qu’elle occupe depuis si longtemps et le conserve jusqu’à ce que sa translation dans celui de l’Académie des Arts puisse avoir lieu de concert avec la Municipalité et que les légers obstacles qui pourraient encore se rencontrer soient levés.

Vous voudrez bien communiquer ma réponse au Maire de Toulouse.

Recevez l’assurance de ma parfaite considération. Signé : Fouché.

Pour copie conforme, le Préfet. Signé : Desmousseaux.

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L'Académie, s’étant réunie le 9 février 1806, pria M. Jamme, son Modérateur, de se transporter à la Mairie pour y déclarer qu’ayant repris nos travaux, nous nous proposions de les continuer, et pour demander à Mr le Maire de nous faire jouir de la Salle des Illustres pour nos séances publiques et de la salle voisine pour nos séances particulières. Cette déclaration faite le 14 février 1806 est transcrite dans le Registre sous la date du 16 février 1806.

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Sous la date du 8 avril 1806, on voit le rapport du Modérateur sur une réunion de plusieurs Mainteneurs formée en exécution d’un arrêté de M. Richard Préfet de la Haute-Garonne.

Cet arrêté et la lettre d’envoi sont ici transcrits :

À Toulouse le 1er avril 1806.

Le Maire de Toulouse, membre de la Légion d’Honneur, à Monsieur Poitevin avocat.

Chargé, Monsieur, de l’exécution d’un arrêté de M. le Préfet relatif au rétablissement de l’Académie des Jeux Floraux et portant convocation de tous les anciens Mainteneurs ou Académiciens, je me fais un vrai plaisir de vous annoncer que l’assemblée doit avoir lieu vendredi prochain, 4 du courant, à six heures du soir, dans la Salle de l’Octogone à l’Hôtel de la Mairie. J'aime à croire que vous voudrez bien vous y rendre et concourir avec vos anciens collègues au moyen de redonner à cette Académie tout le lustre et la gloire qu’elle eut autrefois à tant de titres. J'ai l’honneur de vous saluer. Signé : Ph. Picot.

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Préfecture du département de la Haute-Garonne.

Du 24 mars 1806.

Le Préfet du département de Haute-Garonne, membre de la Légion d’honneur.

Vu la lettre du 8 mars 1806 qui lui a été écrite par M. le Conseiller d’État à vie, Directeur général de l’Instruction publique.

Vu la décision de Son Excellence le Ministre de l’Intérieur relatée dans ladite lettre.

Considérant que rien ne peut être plus agréable à toutes les personnes éclairées de ce Département que de voir renaître, sous les auspices du Gouvernement, un corps académique justement cher à tous les amis des Lettres et particulièrement aux habitants de la ville de Toulouse, et afin de hâter le moment où la poésie et l’éloquence fleuriront de nouveau dans cette métropole par les travaux et par les encouragements d’une compagnie si recommandable.

Arrête.

La société littéraire ci-devant existante à Toulouse sous le nom de Jeux Floraux est rétablie sur les bases et en général avec les statuts donnés par l’Edit de Compiègne du mois d’août 1773.

Ces statuts seront revus le plus tôt possible par les académiciens des Jeux Floraux. Aux articles qui supposent des institutions abolies, il en sera substitué qui s’adapteront au régime actuel de l’Empire.

Ces statuts seront présentés au Préfet du Département pour recevoir son approbation provisoire et être ensuite envoyés par lui à Son Excellence le Ministre de l’Intérieur afin qu’il veuille bien leur donner sa sanction définitive.

Les anciens mainteneurs ou académiciens seront invités à s’assembler dans le local, ainsi qu’au jour et l’heure qui leur seront indiqués, afin de procéder à la nomination des officiers désignés par l’article premier du titre second de l’Edit de 1773.

Ces choix seront ensuite communiqués au Préfet du Département pour être, par lui, transmis à Son Excellence le Ministre de l’Intérieur.

Le rétablissement de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse sera signalé par une séance publique solennelle accompagnée de tout ce qui pourra relever l’état de ce nouveau bienfait du Gouvernement.

Le Maire de Toulouse est chargé de toutes les dispositions relatives à l’exécution du présent Arrêté.

Fait à l’Hôtel de la Préfecture même jour et an que dessus. Le Rréfet Richard signé.

Pour copie conforme, le Maire signé Ph. Picot.

Par le maire signé Philipp Secrétaire en chef

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Suivent deux lettres de M. de Fourcroy, Conseiller d’État à vie, Directeur de l’Instruction publique, l’une écrite à M. Richard Préfet le 8 mars 1806, l’autre à Mr Jamme, Modérateur de l’Académie ,le 31 du même mois.

Préfecture de la Garonne.

Copie de la lettre écrite par M. le Conseiller d’État, Directeur général de l’Instruction publique, à M. le Préfet du département de la Haute-Garonne.

Du 8 mars 1806.

Monsieur le Préfet, je m’empresse de vous prévenir qu’ayant soumis au Ministre de l’Intérieur le vœu exprimé par votre lettre du 15 février relativement aux anciens Jeux Floraux, Son Excellence, par sa décision du 4 de ce mois, m’a autorisé à donner mon approbation authentique au rétablissement de cette société littéraire.

J'ai l’honneur de vous saluer. Fourcroy signé.

Pour copie conforme l’Inspecteur des bureaux de la Préfecture remplissant les fonctions de Secrétaire général - Signé JJ Borel.

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Copie de la lettre écrite par M. le Conseiller d’État Directeur général de l’Instruction publique, à M. Jamme :

J'ai reçu, Monsieur, votre lettre relative au rétablissement de l’Académie des Jeux Floraux. L'empressement que vous annoncez doit honorer ceux qui le partagent. C'est avec plaisir aussi que je vois renaître une institution qui a été longtemps et doit être encore favorable aux Lettres. Vous pouvez compter, Monsieur, sur l’assentiment de Son Excellence le Ministre de l’Intérieur et le mien.

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Concernant la salle de nos séances ordinaires, on voit sous les dates du 26 août, du 12 novembre, du 29 décembre 1808, du 5 janvier 1809 les délibérations de l’Académie prises avant l’arrêté de M. le Préfet qui ordonne que la jouissance de cette salle nous sera rendue. Sous la date du 8 février 1808 est la transcription de cet arrêté et de la lettre d’envoi.

Sous la date du 24 et du 28 mars sont les délibérations relatives à l’opposition de M. le Maire.

Les pièces officielles relatives à l’arrêté de M. le Préfet et à l’opposition de M. le Maire sont ici transcrites.

À Toulouse le 8 8bre 1808.

Le Préfet du département de la Haute-Garonne, membre de la Légion d’honneur, à Monsieur le Secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux Floraux à Toulouse.

D'après la lettre que vous m’avez adressée le 1er 8bre courant, j’ai écrit, Monsieur, au Maire de Toulouse pour l’inviter à faire mettre à la disposition de l’Académie des Jeux Floraux une salle et un cabinet dans l’intérieur du Capitole pour la tenue de ses séances ordinaires et pour le dépôt de ses archives.

J'ai lieu d’espérer que M. le Maire prendra des mesures pour que cette société savante dont l’antique et brillante existence fait tant d’honneur à la ville de Toulouse, y jouisse au moins d’un local décent, convenable et exclusivement affecté à son usage.

Quant à l’augmentation de la dotation que l’Académie sollicite, je ne lui ai point laissé ignorer l’insuccès de la première demande que j’avais formée à cet égard lors de la présentation du Budget 1808. Je vais la renouveler dans le projet de Budget que je transmettrai incessamment au Gouvernement pour l’exercice de 1809, et j’emploierai tous mes moyens pour obtenir un résultat plus heureux.

Du reste, Monsieur, soyez persuadé que je ne négligerai aucun soin pour coopérer avec vous à la stabilité et à la prospérité d’une institution qui s’accorde si bien avec les goûts, le caractère et le génie de la portion la plus spirituelle et la plus aimable de mes administrés.

J'ai l’honneur de vous saluer. Signé Desmonceaux.

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Préfecture du département de la Haute-Garonne.

Copie de la lettre de M. le Préfet.

Du 8 octobre 1808.

M. le Secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux Floraux réclame, Monsieur le Maire, au nom de cette compagnie, un local fixe pour la tenue de ses séances.

L'Académie des Jeux Floraux jouissait autrefois dans l’intérieur du Capitole d’un logement qui fut donné aux troubadours en 1356 en remplacement de leur jardin que les Capitouls avaient détruit pour la défense de la ville, et ce logement était tellement considéré comme une propriété de l’Académie que les Capitouls allaient le lui demander lorsqu’ils en avaient besoin pour quelques cérémonies publiques. Ce local lui était assigné par les Lettres Patentes de Louis 14.

Les droits que l’Académie rappelle dans ce moment justifient la demande qu’elle forme. Il paraît convenable et juste qu’elle ait à son entière disposition une salle et un cabinet dans l’intérieur du Capitole, tant pour ses réunions et séances ordinaires que pour le dépôt de ses archives, et elle saisit cette circonstance parce qu’elle a été instruite des réparations importantes que l’on exécute aujourd’hui dans cet édifice. J'ai l’honneur de vous saluer. Desmousseaux signé.

Pour copie conforme, l’Inspecteur des bureaux de la Préfecture remplissant les fonctions de Secrétaire général. Signé JJ Borel.

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Préfecture du département la Haute-Garonne.

Copie de la lettre écrite par M. le Maire à M. le Préfet le 19 décembre 1808.

Monsieur le Préfet.

Je croyais être certain de vous avoir observé dans le temps qu’il était pour le moment impossible de placer l’Académie des Jeux Floraux ailleurs que dans le local de l’ancienne Académie des Arts. Dans votre lettre du [un blanc], vous me faites l’honneur de me dire que je ne vous en ai pas parlé. Ce serait alors un défaut de ma mémoire que je vous prie d’excuser, que je m’empresse de réparer.

J'ai l’honneur de vous observer que si vous l’approuvez, mon projet serait, d’après l’avis des ingénieurs, de restaurer cinq belles salles dans cette partie du Capitole appelée l’ancienne Académie des Arts.

La première de ces salles servirait de bibliothèque et d’archives à l’Académie des Jeux Floraux ; la seconde serait un beau salon de réunion ; la troisième qui serait extrêmement vaste, serait consacrée aux assemblées ordinaires, seulement les assemblées publiques et générales devant toujours avoir lieu dans la Salle des Illustres ; la quatrième servirait de bibliothèque à l’Académie des Sciences et la cinquième serait un cabinet de machines et d’instruments pour cette même Compagnie dont les assemblées pourraient se tenir dans la même salle que celle des Jeux Floraux vu que ces deux sociétés ne se réunissent ni aux mêmes jours, ni aux mêmes heures. Le jardin qui est contigu à ce local serait disposé avec soin et de manière à rappeler aux académiciens l’ancien jardin des troubadours.

Présumant que le renvoi que vous m’avez fait du devis pouvait n’avoir été occasionné que par l’insuffisance des réparations proposées qui ne se montait qu’à 1.941 francs, j’en ai fait faire un second où sont compris tous les ouvrages qu’on peut faire dans ce local qui n’est que provisoire puisque, d’après l’ordre que vous m’avez donné le [un blanc], je fais travailler à la levée du plan général des bâtiments du Capitole. L’exécution de ce plan, qui n’est pas encore connu, pouvant rendre inutile toutes les réparations déjà faite, il me paraît prudent de ne pas se livrer à de trop grandes dépenses.

En relisant les lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire les 8 et 24 octobre dernier au sujet du local que je destinais à la tenue des séances de l’Académie des Jeux Floraux, j’ai éprouvé du regret en voyant que, sans rendre justice à la bonté des intentions du Maire de Toulouse que son devoir oblige de défendre les intérêts de la commune qu’il administre, vous accueillez avec faveur des prétentions que je crois mal fondées, qui me paraissent blesser l’autorité municipale et uniquement basées sur des allégations fabuleuses dont on cherche à se faire des titres à l’ombre de votre protection.

J'espère qu’après avoir pesé mes raisons, vous jugerez, comme moi, que l’Académie ne peut pas raisonnablement s’obstiner à vouloir occuper dans l’Hôtel de Ville tel local plutôt que tel autre qui remplit le même but et réunit les mêmes avantages, lorsque de grands changements, des réparations immenses faites à grands frais à l’occasion de l’arrivée de Sa Majesté, ont donné au local qu’elle réclame une autre destination nécessitée par les convenances et le bien de la ville.

Je ne puis me persuader que pour satisfaire des prétentions exagérées et qui n’ont d’autres fondements que l’amour-propre, on doive gêner les dispositions qu’a faites l’administration publique dans un local qui lui est essentiellement consacré. Des titres fabuleux, des allégations chimériques ne sont plus d’aucun prix après qu’une longue révolution a anéanti toutes les corporations, fondations, institutions, sociétés savantes et généralement tous leurs privilèges. Notre Académie subit cette loi comme les autres. Elle ne doit son rétablissement qu’à la protection du Gouvernement et à la générosité du Corps municipal qui lui a accordé une dotation sur les revenus de la ville. Cette Société pourrait-elle croire avoir conservé des droits et des privilèges fabuleux lorsque toutes les institutions et la Ville même en ont perdu de réelles.

Vous avez dans le temps, et à l’époque de l’arrivée de Sa Majesté, approuvé la nouvelle destination que j’ai donnée au local qu’occupait l’Académie des Jeux Floraux dans le Capitole avant la Révolution. De grandes et coûteuses réparations l’ont entièrement changé ; de nouvelles distributions, des tapisseries magnifiques, de riches dorures, un ameublement élégant ont rendu ces salles propres à servir de cabinet à Sa Majesté l’Empereur le jour qu’il daigna nous honorer de sa présence et depuis il est destiné à servir de logement à un prince ou grand dignitaire qui passerait dans nos murs.

La ville a consacré 200 000 fr. à la décoration de ces salles, tant elle attachait de prix à la noble destination qu’elle leur donnait. Faudra-t-il qu’elle perde le fruit d’aussi grands sacrifices pour satisfaire l’amour-propre et les prétentions chimériques de cette Société savante.

L'administration n’épargnera rien pour approprier le local qu’elle lui destine pour le rendre spacieux, sûre, commode et convenable en tous points. Il offrira l’avantage de réunir à côté l’une de l’autre l’Académie des Sciences et celle des Jeux Floraux. Cette dernière se refuse à cet arrangement parce qu’elle ne veut occuper d’autre local que celui qu’elle occupait autrefois. Cette prétention qui traverse sans motif raisonnable les intérêts de la ville, est appuyée sur les plus étranges allégations. Qu'importe aujourd’hui que les Capitouls de 1350 aient prêté ou non un local à ces Sociétés dans l’intérieur du Capitole pour y tenir ses séances, vu qu’on avait été obligé de prendre son jardin pour la défense de la ville.

Les Capitouls de 1356 n’étaient pas plus chargés de pourvoir à la défense de la ville que le Maire ne le serait aujourd’hui si elle était assiégée. Le Gouvernement aujourd’hui comme alors s’emparerait des propriétés qui lui seraient nécessaires, mais ce serait lui et non l’administration de la ville qui indemniserait les dépossédés.

Il est superflu de faire mention des Lettres Patentes de Louis 14 qui assigne un local aux Jeux Floraux dans l’enceinte du Capitole. Ces lettres sont d’un bien petit poids lorsqu’une Révolution a fait changer de face la forme du gouvernement. D'ailleurs c’est encore dans l’enceinte du Capitole que je propose de leur céder un local, mais un local qui ne gênera pas les dispositions de l’administration et qui sera une concession faite par elle et non le paiement d’une redevance.

On a lieu d’être étonné au surplus que l’Académie invoque les Lettres Patentes de Louis 14 puisqu’en les rapportant fidèlement on y trouve la condamnation formelle de ses prétentions. Ces Lettres Patentes accordées au mois de septembre 1694 renferment ces paroles remarquables :

« que le Maire et les Capitouls deux ans après la présente guerre et autant qu’il plaira au dit Chancelier et Mainteneurs, leur prêteront une salle dans ledit Hôtel de Ville qui soit commode pour y tenir leurs assemblées ordinaires et autres assemblées particulières, la meublant et entretenant de meubles et réparations aux frais de ladite ville et dès à présent, par provision, fourniront ainsi meublée et entretenue celle qui est au bout de la Galerie appelée des Hommes Illustres ».

D'après ces expressions, il est évident 1° que le local accordé au bout de la Salle des Illustres n’était que provisoire et jusqu’à ce que le Maire et les Capitouls eussent le temps d’en désigner et approprier un autre, ce qui devait être effectué deux ans après la guerre alors existante. 2° que ce local ne serait dans le Capitole qu’autant qu’il plairait auxdits Chancelier et Mainteneurs de ne pas transférer ailleurs leurs assemblées, vu qu’il n’était accordé ou prêté que par provision et en attendant.

L'autorité municipale s’estimera toujours heureuse de pouvoir favoriser et encourager une Société qui a beaucoup contribué à la propagation du goût pour les Belles Lettres et la Poésie dans une ville qu’elles ont rendu célèbre. Chef momentané de cette administration, je saisirai moi-même avec empressement toutes les occasions où je pourrai, sans nuire à l’intérêt public, faire quelque chose qui soit utile et agréable à cette Académie. L'ingratitude des enfants d’Isaure qui remonte au siècle dernier ne pourra jamais affaiblir l’intérêt que leur porte l’administration.

Vous connaissez trop bien, Monsieur le Préfet, l’origine et la vanité de leurs fabuleuses prétentions pour que vous ne les appréciez pas à leur juste valeur. Votre jugement exquis n’aura pas été la dupe des moyens ils ont toujours mis en usage pour donner à leurs fictions une apparence de vérité et pour se procurer de puissants protecteurs. Ils ont eu soin, dans tous les temps d’offrir le fauteuil académique aux fonctionnaires les plus élevés en dignité, ceux dont la puissance pouvait le mieux accréditer les fables qu’ils avaient intérêt de propager et comme il n’est pas de meilleur aveugle que celui qui ne veut pas voir, leurs rêveries ont autrefois trouvé des partisans qui ont feint de croire à leur authenticité. Mais aujourd’hui les intérêts de la ville ne saurait être en de meilleures mains puisqu’elle s’honore de vous avoir pour juge et pour protecteur et que c’est à vous qu’il appartient de faire triompher sa cause.

Ramenant la question à son véritable point, on ne peut douter que les droits de l’Académie n’eussent été dévorés et anéantis par la Révolution. Quand même elle en aurait eu de véritables, elle n’existe aujourd’hui que par un acte de la volonté de l’Empereur. Tous ses droits, ses privilèges ne datent que du jour de sa nouvelle création, lorsque la générosité du Conseil municipal a provoqué le rétablissement de cette Société littéraire au besoin de laquelle il a consacré une partie de ses revenus. Il est bien étonnant qu’ayant à peine recouvré son existence, elle suscite des tracasseries à sa bienfaitrice en faisant revivre des prétentions et des privilèges chimériques.

L'administration municipale ne pense pas qu’il soit convenable de céder à cette Société la salle qu’elle occupait jadis, vu qu’elle est destinée à d’autres usages auxquels il est honorable pour la ville de l’employer. Elle vous demande l’autorisation de faire réparer un autre local dépendant du Capitole et qui réunira tous les avantages qu’on peut désirer. Et pour cet effet j’ai l’honneur de vous adresser le devis des réparations à faire afin que vous veuillez bien m’autoriser à le faire exécuter.

J'ose me flatter, Monsieur le Préfet, que vous approuverez les observations que j’ai l’honneur de vous adresser. S'il en était autrement et que mon espérance fut déçue, veuillez me donner des ordres positifs sur la marche que j’ai à tenir. Et comme il entre essentiellement dans mes devoirs de les exécuter, ils le seront sur le champ.

J'ai l’honneur de vous saluer. Signé Bellegarde.

Pour copie conforme, l’Inspecteur des bureaux de la Préfecture remplissant les fonctions de Secrétaire général. Signé J.J. Borel.

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Préfecture du Département de la Haute-Garonne.

Du 22 décembre 1808.

Copie de la lettre de M. le Maire à M. le Préfet.

« Dans ma lettre du 19 du courant, j’eus l’honneur de vous faire part des observations que m’avaient inspirées les demandes de l’Académie des Jeux Floraux et je vous proposais de m’autoriser à lui faire disposer un local dans l’ancienne Académie des Arts.

J'ai appris postérieurement que les membres de cette Société avait de l’aversion pour aller occuper cette dépendance du Capitole parce qu’on n’y entre pas par la principale porte de cet édifice.

Comme en repoussant des prétentions exagérées de cette société, je désirerais infiniment trouver un moyen qui put concilier les égards qu’on leur doit avec les intérêts de la ville, je me suis occupé de cet objet et je pense avoir trouvé le moyen de tout arranger.

J'ai conféré à ce sujet avec plusieurs membres de cette Compagnie. Ils m’ont témoigné que la Société verrait avec plaisir qu’on lui cédat l’emplacement qu’elle occupait à l’époque où l’on fit reconstruire la façade du Capitole.

J'ai saisi avec empressement cette proposition qui peut tout concilier et éviter des discussions toujours nuisibles au bien public. Malgré que ce local soit approprié à d’autres usages, je changerai sa destination et le céderai à l’Académie, si vous l’approuvez. Je viens d’écrire à M. Poitevin, Secrétaire perpétuel, pour l’engager à le venir voir et à me proposer les dispositions qu’il croira convenables. Immédiatement après j’aurai l’honneur de vous adresser les plans et devis auxquels je ferai travailler sur le champ.

Au reste ce logement n’est que provisoire, car dans l’exécution du plan que je fais lever de l’intérieur du Capitole il sera construit des salles uniquement destinées à l’Académie et qui, je l’espère, ne lui laisseront rien à désirer.

J'ai l’honneur de vous saluer. Signé Bellegarde.

Pour copie conforme, l’Inspecteur des bureaux de la Préfecture remplissant les fonctions de Secrétaire général J.J. Borel.

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Préfecture du Département de la Haute-Garonne.

Copie de la lettre écrite à M. le Maire de Toulouse par M. le Préfet de la Haute-Garonne en date du 23 décembre 1808.

Je viens de recevoir, Monsieur le Maire, votre lettre du 19 du courant relativement au local que l’Académie des Jeux Floraux réclame pour la tenue de ses séances et je m’empresse d’y répondre.

Dans ma lettre du 28 mai dernier en réponse à la vôtre du 24 du même mois dans laquelle vous me proposiez d’établir le lieu des séances des Académies des Jeux Floraux et des Sciences dans les bâtiments de l’ancienne Académie des Arts, je vous observai que l’Académie des Jeux Floraux jouissant depuis des siècles, dans l’intérieur du Capitole, d’une salle spécialement affectée à ses réunions et n’ayant point demandé d’en sortir, il était juste de lui conserver cette jouissance ; que dès lors on ne pouvait point penser à réunir les deux Académies dans le même local et que celui de l’ancienne Académie des Arts que vous aviez choisi pourrait servir pour l’Académie des Sciences avec les chefs de laquelle je vous invitais à conférer.

Cette lettre donna lieu à plusieurs conférences entre vous et moi. Nous allâmes ensemble visiter le bâtiment de l’ancienne Académie des Arts. Il fut convenu dans cette entrevue que ce local serait consacré à l’Académie des Sciences. Je me transportai moi-même à cette Académie pour lui faire part des soins que vous vous étiez donnés pour lui procurer cet édifice et elle l’accepta avec reconnaissance.

Par mes lettres des 10 juin et 6 8bre derniers, je vous invitai à faire dresser le plus tôt possible les devis estimatifs des réparations nécessaires au local concédé pour l’approprier au service de l’Académie des Sciences. Il n’était plus question alors de réunir dans le même local les deux académies et quel fut mon étonnement lorsque je reçus en réponse, sous la date du 15 octobre, un état estimatif des réparations à faire à ce bâtiment pour être adapté au service de ces deux Sociétés. Je vous répondis le 24 du même mois en vous renvoyant ce devis et je vous rappelai surtout les droits de l’Académie des Jeux Floraux, droits que cette Compagnie elle-même venait de réclamer tout récemment, et je vous invitai à faire rectifier le devis estimatif que vous m’aviez adressé et de le borner uniquement aux réparations nécessaires à l’établissement de l’Académie des Sciences dans ce local.

Cette lettre resta sans réponse ; je vous la rappelai par une dernière sous la date du 30 9bre dernier et je n’ai pas été peu surpris de recevoir enfin en réponse votre lettre du 19 du courant.

D'après les faits que je viens de rétablir, il est incontestable, Monsieur, que nous ne sommes jamais convenus d’établir le lieu des séances de l’Académie des Jeux Floraux dans le local destiné à l’Académie des Sciences ; qu’au contraire je me suis toujours attaché dans mes conférences et dans ma correspondance avec vous à vous rappeler les droits que cette Compagnie a acquis depuis longtemps à un local spécial et indépendant dans l’intérieur du Capitole. Vous croyez que ses droits ont péri avec elle lors de la destruction des corps littéraires, mais cette opinion me paraît erronée. L'Académie des Jeux Floraux a été rétablie et non instituée par le prince magnanime qui a réouvert les sanctuaires de la Science et dès lors ce corps savant subsiste avec tous ses anciens droits, sauf les modifications incompatibles avec le nouvel ordre des choses. Or ceux de ces droits qu’on ne peut raisonnablement placer dans cette classe étant d’être logée dans le Capitole et dans les locaux qui lui ont été donnés non seulement par Louis 14, mais encore par Louis 15 par son Edit de 1713. Ce corps ayant d’ailleurs une possession plus que séculaire, il lui paraît difficile de croire qu’il puisse en être dépouillé par le chef temporaire de l’administration municipale et je partage cette opinion.

J'ajouterai encore que la visite dont Sa Majesté a honoré la ville de Toulouse est une trop grande faveur pour espérer qu’elle se répétera souvent, mais que, si la ville avait ce bonheur et cet honneur, il y a lieu de croire que toute la partie du mobilier et des décorations qui embellissent aujourd’hui les salles du Capitole ne pourraient plus servir pour cette grande solennité parce qu’il est impossible de les garantir de la flétrissure du temps ; qu’ainsi l’on peut, l’on doit dès à présent rendre ces belles salles à leur usage habituel, à l’usage pour lequel elles ont été construites et préparées, de même que cela se pratique dans toutes les grandes villes, sauf à faire, s’il y avait lieu, toutes les dispositions intérieures pour une nouvelle réception du Souverain.

J'observerai enfin, Monsieur le Maire, que l’ingratitude dont on accuse cette Académie envers l’administration municipale qui, dites-vous, lui a donné des preuves réitérées de sa bienveillance, de sa munificence et même de sa générosité, que cette ingratitude, dis-je, ne me paraît prouvée ni pour le passé, ni pour le présent ; que les anciens Capitouls en disposant annuellement d’une modique somme de 1.500 francs pris sur les revenus de la ville (qui certes n’étaient pas les leurs) ne se sont montrés ni généreux, ni magnifiques envers le plus ancien Corps littéraire de la Monarchie, corps dont la gloire réfléchissant sur la ville qui avait été son berceau, relevait en même temps l’éclat de leur magistrature si courte et si passagère, qu’enfin ces réflexions s’appliqueraient bien plus fortement aujourd’hui au Conseil municipal qui n’a que des vœux à exprimer, des propositions à faire, vœux et propositions qui peuvent être suppléés, s’ils ont été omis, ou rejetés, s’ils ne paraissent pas fondés.

Ces observations vous engageront sans doute, Monsieur le Maire, à ne point renouveler entre l’Académie des Jeux Floraux et l’administration municipale une division qui amuserait la sottise et réjouirait la malignité, en affaiblissant le respect qu’on doit aux magistrats et aux hommes qui honorent leur patrie par leur talent et leur savoir.

Je vais au surplus faire examiner le projet de restauration que vous m’avez adressé avec votre lettre du 19 décembre. Ce projet me paraît sagement conçu. Il pourra être exécuté en grande partie pour adapter le bâtiment de l’ancienne Académie des Arts au service de l’Académie des Sciences et je vous invite à vous occuper définitivement du choix et de la disposition du local intérieur qui, depuis des siècles, est affecté aux séances de l’Académie des Jeux Floraux. J'ai l’honneur de vous saluer. Signé Desmousseaux.

Pour copie conforme, l’Inspecteur des bureaux de la Préfecture remplissant les fonctions de Secrétaire général. Signé JJ Borel.

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Préfecture de la Haute-Garonne.

Copie de la lettre de M. le Maire de Toulouse à M. le Préfet du Département de la Haute-Garonne, en date du 10 février 1809

Monsieur le Préfet,

J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre arrêté du 30 janvier dernier concernant le local accordé à l’Académie des Jeux Floraux et qui m’a été transmis par votre lettre du 3 du courant. Je veillerai à son exécution. J'ai l’honneur de vous saluer. Signé Bellegarde.

Pour copie conforme, l’Inspecteur des bureaux de la Préfecture remplissant les fonctions de Secrétaire général. Signé J.J. Borel.

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Préfecture du Département de la Haute-Garonne.

Copie de la lettre de M. le Maire de Toulouse à Son Excellence le Ministre de l’Intérieur, en date du 22 février 1809.

Monseigneur,

L’ancienne Académie des Jeux Floraux qui, pendant la Révolution, avait subi le sort de tous les établissements littéraires, fut rétablie non par un décret impérial, mais par un arrêté de M. le Préfet il y a environ quatre ans à la sollicitation du Conseil municipal. La ville jalouse d’encourager les Sciences et les Lettres dota cette Société d’un revenu annuel de 2.000 francs et lui assigna provisoirement un local pour tenir ses séances dans une des salles du Capitole dite le Petit Consistoire. Ce beau local suffisait pour le service de l’Académie et les choses ont resté dans cet état jusqu’au mois de septembre dernier. À cette époque cette Compagnie ayant manifesté le désir d’avoir un logement particulier et affecté à son usage, je l’ai chargé l’architecte voyer de faire approprier et décorer trois-pièces pour cet objet dans une partie de l’Hôtel de Ville. L'Académie aurait été logée d’une manière décente, commode et convenable sous tous les rapports. Cependant, quelque raisonnable, quelque avantageuse même que fut cette proposition, elle fut rejetée par cette Société qui, se sentant forte du pouvoir et du crédit des fonctionnaires éminents qu’elle avait admis dans son sein, exigea qu’on lui rendit le même local qu’elle occupait dans l’Hôtel de Ville avant la Révolution et qui est une salle du premier étage dans l’endroit le plus central. Cette salle venait tout récemment d’être choisie, appropriée et richement décorée pour servir de cabinet de repos à Sa Majesté l’Empereur le jour qu’elle daigna honorer de sa présence la fête que lui donna la ville. L'Académie ne craignit pas d’entrer en lutte avec l’administration et fit valoir les fables les plus chimériques à l’appui de ses prétentions. N'ayant pu réussir auprès du Maire, elle adressa ses réclamations à M. le Préfet qu’elle avait admis au nombre de ses membres. Ce magistrat me transmit les allégations de cette Société dans sa lettre du 8 octobre. Je crus qu’il était de mon devoir de les combattre et de défendre les intérêts de la ville que j’ai l’honneur d’administrer, lesquels intérêts étaient évidemment blessés par de pareilles prétentions.

Je répondis le 15 décembre à M. le Préfet ainsi que Votre Excellence pourra le voir par la correspondance ci-jointe. Je tachai de lui faire sentir combien étaient futiles les raisons sur lesquelles l’Académie appuyait ses singulières demandes. Je lui démontrai que jamais cette Société n’avait tenu ses séances dans le local réclamé que d’une manière provisoire d’après le texte même des Lettres Patentes de Louis 14 ainsi conçu : « que le Maire et les Capitouls, deux ans après la présente guerre et autant qu’il plaira auxdits Chancelier et Mainteneurs, leur prêteront une salle dans ledit Hôtel de Ville qui soit commode pour y tenir leurs assemblées ordinaires et autres assemblées particulières, la meublant et entretenant des meubles et réparations aux frais de ladite ville ; et dès à présent et par provision fourniront ainsi meublé et entretenu celle qui est au bout de la Galerie appelée des Hommes Illustres. »

Je lui prouvai que, quand même contre toute évidence ces Lettres Patentes pourraient être aujourd’hui de quelque valeur, elles détruisaient formellement les prétentions de l’Académie. Je lui disais que, n’ayant aucun droit ni aucun motif plausible de préférer un local plutôt que tel autre lorsqu’on lui en offrait un infiniment convenable, c’était vouloir contrarier l’administration municipale par un pur caprice et dans l’unique dessein de l’inquiéter et de l’humilier en obtenant de l’autorité supérieur ce que le Maire lui avait refusé par de si justes motifs ; mais que cependant, voulant condescendre autant que possible au vœu de l’Académie et concilier les égards dus à ce Corps littéraire avec l’intérêt de la ville et la dignité des magistrats, j’offrais à l’Académie d’autres locaux également propres à son service, comme vous pourrez en juger par les expressions de ma lettre du 19 décembre dernier. Tous les moyens de conciliation ont été rejetés ; l’académie a opiniâtrement persisté et M. le Préfet, par son arrêté du 6 du courant, m’ordonne de la mettre en possession du local contesté.

Comme il entre essentiellement dans mon devoir d’exécuter les ordres du Préfet quels qu’ils soient, je fais procéder à la confection du mobilier qui doit être placé dans cette salle. Avant un mois tout sera prêt et, si je ne reçois pas de nouveaux ordres de Votre Excellence, l’Académie sera en possession de ce qu’elle appelle sa propriété.

Cependant, comme cette mesure m’a paru contraire à tous les principes et qu’il m’a semblé que M. le Préfet, juge et parti dans cette affaire, a cédé plutôt à des considérations particulières et à l’obstination de ce Corps qu’à sa propre conviction, j’ai cru ne pouvoir me dispenser de soumettre à Votre Excellence les observations qu’elle m’a fait naître.

Si vos importantes occupations vous permettaient, Monseigneur, d’examiner avec attention la conduite de l’Académie des Jeux Floraux depuis son origine jusqu’à nos jours, je ne doute pas que vous n’y trouvassiez des motifs puissants pour condamner les prétentions qu’elle manifeste en ce moment. Vous y verriez la suite des empiétements que cette Société s’est permis sur les droits de la ville à la faveur des hommes puissants qu’elle avait admis dans son sein AL'Intendant de la province, l’Archevêque de Toulouse et plusieurs autres archevêques et évêques de France, le Premier Président du Parlement et cinq ou six autre présidents ou conseillers de cette Cour en faisaient partie. Personne n’ignore que ce Corps puissant a toujours recherché et saisi avec empressement l’occasion d’humilier l’administration municipale de son temps.. Vous trouverez sans doute étrange que, devant son existence première, sa conservation et de nos jours son rétablissement à la sollicitude et à la générosité de ses magistrats, elle se soit de tous les temps permis les procédés les plus condamnables. Nos registres sont pleins de protestations sur ses étranges procédés. Elle a voulu de tous les temps et elle veut aujourd’hui passer pour être propriétaire d’un local au centre du Capitole. Elle fonde ses prétentions sur une donation supposée faite à la ville par une dame, Clémence Isaure, être chimérique qui n’a jamais existé ainsi que l’attestent nos meilleurs historiens. Elle oppose des registres sans authenticité et une tradition fabuleuse au silence de nos registres, aux défauts absolus de preuves et aux démentis formels des auteurs les plus anciens. C'est ce dont Votre Excellence pourrait aisément se convaincre si elle daignait jeter les yeux sur le mémoire imprimé que j’ai l’honneur de lui adresser.

L’Académie des Sciences dont les travaux sont bien autrement utiles que ceux de l’Académie des Jeux Floraux, a accepté avec reconnaissance le local que l’administration municipale lui a prêté, convaincu que le chef de cette administration était plus intéressé que personne à donner aux Corps savants une existence honorable. Cette académie n’a pas eu lieu de se repentir de sa confiance. Par quelle fatalité celle des Jeux Floraux témoigne-t-elle si peu d’égards pour l’administration d’une ville qui l’a toujours comblée de bienfaits ? Vous la dirai-je, Monseigneur, c’est que cette Académie loin de marcher, comme celle des Sciences, vers le véritable but de son institution, s’en écarte journellement. C'est que l’amour-propre et l’orgueil sont les plus grands mobiles de quelques individus qui l’influencent, et que, se sentant fort du crédit de quelques-uns de ses membres, elle veut, aujourd’hui comme autrefois, donner à ses concitoyens le spectacle affligeant d’une lutte entre elle et l’autorité municipale. L'espoir qu’elle a de triompher et d’augmenter sa part de considération publique aux dépens de celle qu’on doit aux magistrats ne vous paraîtra pas sans doute très louable.

La faiblesse de l’ancien Gouvernement avait pu faire souffrir et tolérer une conduite aussi abusive, mais il ne peut entrer dans les vues de celui du grand Napoléon de diminuer cette considération dont les magistrats exerçant des fonctions gratuites ont tant de besoin pour parvenir à faire le bien. M. le Préfet que l’Académie des Jeux Floraux a eu la politique d’inscrire au nombre de ses membres, a cru devoir soutenir ses prétentions. Mais je ne puis m’empêcher de penser que sa décision blesse trop évidemment les droits de la ville et que je dois en appeler dev ant Votre Excellence. Personne ne peut être dans cette cause moins suspect que le Maire de Toulouse. Si quelqu’un est intéressé à faire fleurir les Arts et les Sciences dans une ville, c’est sans doute son premier magistrat dont la carrière administrative ne peut que s’illustrer de leurs succès. Cette considération, toute puissante qu’elle est, n’a pu me déterminer à sacrifier l’intérêt de la ville à celui qui m’est personnel.

Mais voulez-vous permettre, Monseigneur, que, vous occupant un instant de moi, je vous soumette ma conduite et vous prouve la pureté de mes intentions.

Le Maire de Toulouse, en cette qualité, est académicien né tout le temps qu’il occupe cette place. Cette distinction est peu honorable sans doute pour l’individu sous les rapports académiques puisqu’il ne la doit qu’à des fonctions qu’il exerce temporairement. L’Académie qui a parfaitement senti qu’en allant dans son sein j’exerçais un droit attaché à ma place et à raison duquel je ne lui devais aucune reconnaissance, m’a offert de m’associer personnellement. J'appréciai vivement une telle faveur, je remerciai cependant, motivant mon refus sur la nécessité où j’étais de conserver mon indépendance, l’assurant toutefois que, aussitôt que mes fonctions de Maire aurait cessé, je serais infiniment flatté d’obtenir cette distinction honorable si, à cette époque, l’Académie m’en jugeait encore digne. Mais dans le moment actuel, je ne voulais pas que des considérations particulières, intéressées et personnelles pussent influencer ma conduite. J’avais observé en lisant nos annales que toutes ] les prétentions de l’Académie, les fables de sa fondation et de sa prétendue dotation ne tiraient leur origine que de la complaisante faiblesse des anciens magistrats municipaux qu’on nommait Capitouls dont les fonctions n’étaient qu’annuelles. La trop courte durée de leur magistrature les attachait bien faiblement à la conservation des droits de la ville et souvent ils les sacrifiaient à l’Académie dont le diplôme leur donnait pour toute leur vie un certain relief aux yeux de leurs concitoyens.

Mais usant de l’indépendance que m’a conservée ma conduite, je m’honore de pouvoir plaider aujourd’hui la cause de la ville auprès de Votre Excellence ; j’ai l’honneur de lui observer :

1°) qu’il me paraît de toute injustice qu’une Société littéraire prétende s’arroger dans le Capitole comme une propriété et contre le vœu de l’administration municipale un local qui ne lui a jamais été que prêté momentanément, par provision comme s’expriment les Lettres Patentes de Louis 14, local qui est au centre de l’Hôtel de Ville et qui a été réparé, décoré et approprié pour servir de cabinet de repos à l’Empereur le jour qu’il nous honora de sa présence. Je croirais manquer à mon devoir comme magistrat et comme citoyen en laissant ignorer à Votre Excellence des faits importants et qui peuvent avoir les plus grandes conséquences toutes les fois qu’il s’agit des droits d’une ville usurpés par une Société nombreuse et puissante qui se renouvelle sans cesse et qui se compose d’hommes les plus en crédit et les plus élevés en dignité.

2°) L’injuste occupation du local dont il s’agit par l’Académie rend impossible l’exécution du projet qui avait été formé de construire un logement complet pour recevoir et loger momentanément dans le Capitole les grands dignitaires et les illustres voyageurs qui passeraient dans notre ville, attendu que ce même local est une dépendance essentielle de celui qui a été choisi et qui est le seul propre à cet usage comme entièrement indépendant et prenant jour sur la grande place impériale.

3°) Il me paraît étranger aux attributions de M. le Préfet et contraire aux droits d’une aussi grande ville de Toulouse que ce magistrat dispose à son gré et contre le vœu de l’administration municipale des locaux qui sont dans l’intérieur de la Mairie et qui lui sont essentiellement consacrés. Le Préfet doit sans doute surveiller en grand toutes les parties de l’administration, mais il paraît contre toutes les convenances que le Maire n’aye pas le droit de disposer des locaux qui constituent ce bâtiment. Les fonctions de Maire étant entièrement gratuites et n’offrant pour dédommagement des dépenses fréquentes et quelquefois considérables qu’elle occasionne, des contrariétés, des dégoûts journaliers qu’elles font essuyer, des dangers auxquels elles exposent, que la seule consolation de pouvoir quelquefois faire le bien de ses administrés et concourir à la prospérité du gouvernement, procure peu de crédit à celui qui les exerce, mais je ne pense pas qu’on veuille les réduire à la condition d’un simple commis de bureau.

4°) Votre Excellence ne pourra apprendre qu’avec étonnement qu’on donne à cette Académie un local magnifique, tandis que tout ce qui constitue l’administration est placé dans les locaux les plus indécents, les moins convenables et que le Maire lui-même n’a pour son bureau qu’une pièce si rétrécie et si peu appropriée qu’elle ressemble plutôt au bureau d’un employé subalterne qu’à celui d’un chef d’administration. Le logement qu’on cède à l’Académie semblait être fait exprès pour être le bureau du Maire. M. le Préfet lui-même m’avait dit dans le temps qu’il le croyait convenable pour cet objet ; je répondis qu’il ne fallait pas contrarier le plan de faire un logement complet pour un grand dignitaire. J'ai été bien mal récompensé de ma discrétion.

Je regarde comme dangereux de laisser un Corps nombreux et composé d’hommes puissants se ressaisir de droits et privilèges abusifs que la Révolution avait abolis et chercher à s’en attribuer d’autres qui ne lui ont jamais appartenu. Malgré les prétentions de l’Académie qui cherche à tirer vanité de son ancienne origine et des concessions que lui ont faites nos anciens rois, cherchant à s’en faire un titre pour tout exiger, je persiste à croire qu’il est essentiel qu’elle oublie pour toujours tout ce qui a précédé le règne de l’immortel Napoléon pour ne se souvenir que de ses bienfaits et qu’elle se persuade bien que ses seuls privilèges seront ceux qu’elle obtiendra de ce monarque. Si elle parvient à obtenir qu’il sanctionne son rétablissement, il sera assez glorieux pour elle de lui devoir sa nouvelle existence. Elle se rendrait coupable d’ingratitude si, se rattachant aux temps passés, elle faisait valoir d’autres titres que ce qu’elle tiendra de ce héros.

Si cependant vous pensiez, Monseigneur, que l’opinion du Maire dans cette affaire ne fut pas celle de toute l’administration, je supplie Votre Excellence d’ordonner que le Conseil municipal soit convoqué pour émettre son vœu.

J'ai l’honneur d’être de Votre Excellence, Monseigneur, le très humble et très obéissant serviteur. Signé Bellegarde.

Pour copie conforme, l’Inspecteur des bureaux de la Préfecture remplissant les fonctions de Secrétaire général. Signé J.J. Borel.

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Mémoire pour l’Académie des Jeux Floraux

concernant la salle de ses assemblées particulières, avec la lettre d’envoi.

Toulouse le mardi 11 avril 1809.

Le Secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux Floraux à Monsieur Desmousseaux, Préfet de la Haute-Garonne.

Monsieur,

Un de mes devoirs est de veiller aux intérêts de l’Académie et c’est là l’objet de la correspondance que je suis chargé d’entretenir avec les autorités constituées. Vous avez approuvé que la lettre qui a été communiquée au Conseil municipal se bornât à déclarer, contre l’assertion de M. le Maire, que nous ne prétendions et que jamais nous n’avions prétendu avoir un droit de propriété dans les bâtiments du Capitole. Ses autres imputations étaient suffisamment réfutées par la notoriété du contraire dans l’esprit de nos concitoyens qui connaissent notre histoire et nos principes. Mais je dois des éclaircissements détaillés à l’autorité qui nous a donné sa confiance, qui protège et encourage nos travaux, et j’acquitte ce devoir par le mémoire que je joins ici. Ayez la bonté, Monsieur, d’en prendre connaissance et si vous n’y trouvez rien, comme je m’en flatte, qui ne se conforme à la vérité et aux plus rigoureuses convenances, veuillez bien, je vous en supplie, le mettre sous les yeux de Son Excellence le Ministre de l’Intérieur.

Je suis avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble et très obéissant serviteur – Signé Poitevin.

Mémoire.

L'Académie a été rétablie sur ses anciennes bases et avec ses statuts par un Arrêté du Préfet de la Haute-Garonne rendu le 24 mars 1806 sur une décision de Son Excellence le Ministre de l’Intérieur transmise par une lettre de M. de Fourcroy Conseiller à vie et Directeur de l’Instruction Publique.

Ainsi rétablie l’Académie réclama sa dotation, la Galerie des Illustres pour ses séances publiques, la salle attenante pour ses séances particulières, conformément aux Lettres Patentes de 1694 et de l’Edit de 1773 qui forment sa constitution.

La justice de ces trois demandes fut reconnue. Le Conseil municipal vota une somme annuelle de 2.000 francs pour la dotation et cette somme est annuellement portée sur le Budget. La Galerie des Illustres était dans un état de grande dégradation. En attendant qu’elle fut réparée on mit à leur disposition le Grand Consistoire. La salle de nos assemblées particulières était occupée par le bureau de la Comptabilité. En attendant qu’on pût le placer ailleurs, on mit à notre disposition le Salon Octogone où s’assemblent et le Conseil municipal et les différentes commissions de ce Conseil.

Il arrivait de là que souvent le jour de nos séances particulières, nous trouvions la place prise et qu’il fallait nous assembler dans une des pièces qui précèdent le Salon Octogone et qui alors n’était qu’un passage ; ou aller tenir nos assemblées dans une maison voisine. Nos travaux en souffraient, cependant nous prenions patience dans l’attente des réparations projetées.

L'arrivée de Leurs Majestés à Toulouse les fit accélérer. La Galerie des Illustres fut restaurée, le bureau de la Comptabilité laissa libre la salle de nos assemblées. On la meubla pour le jour de la fête qui fut donnée à Leurs Majestés. Sur quoi il faut observer que l’Académie l’avait toujours mise à la disposition des Capitouls dans tous les cas d’une fête publique donnée au Capitole.

Lorsque Leurs Majestés eurent quitté Toulouse, nous crûmes qu’on allait enlever les meubles de luxe dont cette salle avait été parée et y rétablir la table, les fauteuils, les tablettes et les armoires que nous y avions laissés.

M. le Maire nous proposa, à la place, un logement dans les bâtiments extérieurs du Capitole, près de la barrière, dans une maison qui n’a point de cour et dont l’entrée est toujours embarrassée par le roulage de la douane. Sur nos observations, il renonça à ce projet et nous proposa provisoirement de nous établir dans l’ancien bureau du percepteur en attendant l’exécution d’un plan de construction intérieure qui comprendrait un logement commode et convenable pour l’Académie.

D'abord l’emplacement proposé est trop étroit ; on ne pourrait pas y placer la table académique autour de laquelle nous tenons nos séances.

En outre, depuis que le percepteur l’a quitté, on l’a approprié pour être le dépôt des détenus que la police a fait arrêter. Il aurait donc fallu avant tout remplacer cette prison provisoire et ensuite lui donner une nouvelle forme pour sa nouvelle destination. Ces réparations pouvaient bien être commencées tout de suite, mais elles pouvaient durer plusieurs années et, en attendant, nous étions sans asile pour nos assemblées particulières.

Cette raison seule aurait suffi pour nous faire insister à demander celle dont nous pouvions être mis en possession tout de suite et qu’on n’avait aucun motif de nous refuser.

M. le Maire en trouva un, non pour la refuser absolument, mais pour ne pas nous la rendre tout de suite. Dans une lettre qu’il écrivit au Secrétaire perpétuel de l’Académie le 22 décembre 1808, il lui dit qu’il y a de forte raison de croire qu’à son retour d’Espagne Sa Majesté l’Empereur passera par Toulouse et qu’ainsi cette salle qui avait été meublée avec élégance pour la fête qui lui a été donnée, ne pouvait pas nous être rendue dans le moment actuel. Il ajoute qu’on peut espérer d’avoir à Toulouse une junte ou un congrès, et qu’en attendant on ne peut pas changer la destination de cette salle où il serait agréable pour la ville de loger un grand dignitaire de l’Empire.

Il y avait là de quoi nous faire suspendre la poursuite de notre demande. Mais lorsque Sa Majesté fut de retour à Paris et que l’Espagne soumise eut écarté toute idée d’un congrès ou d’une junte convoqués à Toulouse, les motifs de M. le Maire ne subsistant plus, nous espérâmes qu’il nous rendrait notre salle. Mais il s’y refusa sous prétexte qu’il y avait un plan de construire là un appartement pour tout prince, grand dignitaire ou tel autre illustre voyageurs qui passerait par Toulouse.

Il n’y a pas là assez d’espace pour un appartement ordinaire et cet espace va encore être diminué par l’élargissement de la Salle de Spectacle. D'ailleurs on n’a encore rien arrêté à cet égard, il n’y a qu’un projet vague de constructions intérieures dans lesquelles l’Académie doit trouver son logement. Combien d’années s’écouleront avant que ce plan soit dressé, arrêté et approuvé ? Pourquoi, en attendant, ne pas nous rendre cette salle qui n’a pas d’autre destinations, que nous avions occupée pendant quatre-vingt-quinze ou seize ans et dont la jouissance nous est attribuée par les deux lois qui forment notre Constitution ?

Il fut impossible de le faire entendre à M. le Maire. M. le Préfet dont nous avions invoqué l’intervention plutôt que l’autorité, l’essaya vainement. Ordonnez-le, disait-il toujours, j’exécuterai vos ordres ; et pour cela il ne voulut pas se contenter d’une lettre, il voulut qu’il y ait un Arrêté. À peine l’eut-il reçu qu’il commença à l’exécuter. On crut que tout était fini. Sa réclamation fut un secret. La lettre qu’il écrivit à Son Excellence le Ministre de l’Intérieur est un tissu d’inexactitudes dans les faits, dans les assertions et dans les inculpations dont plusieurs sont d’un genre très grave.

Dans sa lettre du 22 décembre 1808 dont il a été déjà parlé, il dit qu’on lui rend justice en pensant qu’il est disposé à faire tout ce qui pourra être utile et agréable à l’Académie, a un Corps littéraire si distingué et dont il a l’honneur d’être membre ; ce qui le mène à dire que l’Académie est toute composée de citoyens généreux.

Un mois et demi après, il présente cette Académie comme une compagnie dont il serait dangereux de favoriser les prétentions, composée d’hommes puissants qui ne savent pas oublier que tous les anciens privilèges ont été détruits par la Révolution, étrangement attachée à ceux qui leur furent accordés par nos anciens rois et ne pouvant pas se persuader qu’elle n’en peut avoir d’autres que ce que leur accordera le grand Napoléon.

Il n’a manqué à cette dénonciation pour être désastreuse que d’avoir été faite dix ans plus tôt. Notez que parmi ces hommes dangereux, il y a deux sénateurs, deux Préfets, le Premier Préside de la Cour d’Appel, le Recteur de l’Université impériale, le conservateur d’une des deux bibliothèques, le conservateur des Eaux et Forêts, deux professeurs au lycée, six membres du Conseil municipal ou du Conseil général, deux de la Garde d’Honneur, l’ancien Maire de Toulouse, plusieurs Maires d’autres communes, de sorte qu’à l’exception de quatre académiciens que leur âge ou leurs infirmités écartent des emplois publics, tous les autres sont ou ont été honorés de la confiance du gouvernement et lui donne journellement des gages de leur attachement et de leur fidélité.

Et comment M. le Maire a-t-il ainsi changé subitement d’opinion sur le compte des citoyens généreux dont est composée une académie si distinguée dont il s’honore d’être membre ? C'est qu’il est contrarié dans la demande que l’Académie a faite de la salle de ses assemblées particulières ; et à défaut de motifs raisonnables, il suppose que nous voulons usurper la propriété de cette salle, tandis que l’arrêté contre lequel il s’est pourvu porte qu’on nous en rendra la jouissance et que nous avons déclaré dans notre délibération visée dans cet arrêté que nous n’entendons pas mettre obstacle aux vues que l’administration municipale aurait sur cette salle et que nous l’abandonnerons sans peine quand on nous en donnera une autre qui soit commode et convenable pour en jouir aux termes des Lettres Patentes de 1694.

Non content de calomnier nos principes, M. le Maire attaque notre existence politique et à cet égard il ignore absolument et notre histoire ancienne et celle de notre rétablissement.

Quand notre auguste Empereur chercha à relever les établissements qui tenaient à l’instruction publique, Toulouse sentit vivement ce bienfait et tous les yeux se portèrent sur la statue de Clémence Isaure qui, par une sorte de miracle, était restée debout.

Les vœux de toute la ville nous appelaient à reprendre nos fonctions. Nous nous réunîmes spontanément le 9 février 1806. Nous donnâmes connaissance de cette réunion à la Mairie et à Son Excellence le Ministre de l’Intérieur. M. de Fourcroy, Conseiller d’État à vie et directeur de l’Instruction publique, loua notre zèle comme favorable au progrès des Lettres, nous assura de l’assentiment du Ministre, provoqua une décision ministérielle d’après laquelle M. Richard, alors Préfet de la Haute-Garonne, rendit l’arrêté qui rétablit l’Académie des Jeux Floraux sur ses bases, avec ses statuts portés par l’Edit de 1773. Cet arrêté fut approuvé par Son Excellence le Ministre de l’Intérieur qui, dans une dépêche à M. Desmousseaux, nouveau Préfet, s’informa de l’état de l’Académie et lui demanda de lui faire connaître quels encouragements le Gouvernement pourrait nous donner.

Les bases sur lesquelles l’Académie était rétablie sont : 1°) les Lettres Patentes qui érigèrent les Jeux Floraux en Corps académique, lui donnèrent des Statuts et fixèrent sa dotation. 2°) l’Edit de 1773 qui a fait quelques changements à ces Statuts.

Ainsi autorisés par le Gouvernement à nous regarder tels que nous étions avant notre dispersion, nous suivîmes nos anciennes formes relativement à la nomination de nos officiers, aux élections, aux séances publiques et particulières, à l’ouverture du concours, au jugement des ouvrages, à la distribution des prix, nous conformant en tout à notre constitution. M. de Bellegarde, lorsqu’il eut été installé dans sa place de Maire, vint prendre place parmi nous comme académicien né en vertu des Lettres Patentes de 1694. C'est là son seul titre, et tandis qu’il en use et le fait valoir, il nous impute d’être de mauvais citoyens parce que nous voulons aussi faire valoir les droits que cette loi nous a donnés. S'ils regardent cette loi comme abrogée, pourquoi se dit-il académicien ? Quant à nous qui sommes plus conséquents et aussi bons citoyens que lui, nous en demandons l’exécution en vertu de la décision ministérielle qui nous a rétabli sur cette base.

Ici M. le Maire fait une petite équivoque : son prédécesseur fut attaché à l’Académie par une élection personnelle parce qu’il avait des titres littéraires. M. de Bellegarde aurait pu en acquérir si son goût et ses études l’avaient porté à remplir ses devoirs d’académicien. Il avait dans notre histoire l’exemple de M. Daspe, Maire de Toulouse en 1694, qui s’étant montré littérateur, homme d’esprit et de goût, dans les séances ordinaires et dans le jugement des ouvrages, demanda et obtint, lorsque la Mairie fut supprimée, une place d’académicien ordinaire.

M. de Bellegarde sait qu’à cet égard l’Académie ne prévient les vœux de personnes. L'article X du titre premier de nos Statuts porte que les aspirants à une place déclarée vacante se présenteront au Modérateur de l’Académie pour le prier de les proposer, sans quoi ils ne seraient pas éligibles, et nous protestons qu’il n’a jamais été question à l’Académie de nous attacher M. le Maire plus particulièrement.

Quant à M. Desmousseaux qu’il dit, comme s’il s’agissait d’une confrérie, que nous nous empressâmes d’inscrire sur notre liste, voici le fait dans toute sa vérité. Avant qu’il arrivât à Toulouse, nous avions cru que puisque le Maire était académicien né, il y avait de plus fortes raisons d’affecter une autre place au Préfet du Département qui est son supérieur et qui réside aussi à Toulouse. Lorsqu’il fut arrivé et que nous eûmes vu qu’il aimait les Lettres, qu’il s’intéressait à leur progrès et qu’elles occupaient une place distinguée dans l’élévation de ses vues administratives, trouvant encore en lui les autres qualités qu’exigent nos statuts, nous accueillîmes sa demande avec un empressement très désintéressé ou qui, du moins, n’avait pour cause que l’intérêt des Lettres.

M. le Maire peut nous prêter d’autres motifs ; une imputation de plus n’est pas considérable dans l’intention de sa lettre. C'est ainsi qu’il calomnie aussi le temps passé parce que l’Académie avait dans son sein des présidents et des conseillers au Parlement.

M. le Maire n’ignore pas qu’alors à Toulouse tous les talents distingués prenaient le parti de la haute magistrature ou du barreau et qu’ainsi c’était là que devait être la principale ressource de l’Académie pour réparer ces pertes. Cependant il n’y avait guère que la moitié des académiciens qui fussent gens de robe. Ce n’était pas la dignité, c’était le mérite littéraire qui déterminait ces élections. Ce qui le prouve, c’est que M. de Bastard, Premier Président du Parlement, n’était pas membre de l’Académie. Il est également vrai que dans ces élections nous ne cherchions que des avantages littéraires ; on en sera convaincu quand on saura que notre dotation de 1.660 francs était restée la même quoiqu’elle ne représentât pas la moitié de sa valeur primitive et que les finances de l’Académie fussent dans un état de détresse qui nous obligeait d’y suppléer à nos dépens.

Malgré cette prétendue puissance des présidents et des conseillers au Parlement, nous n’avons jamais pu ni recouvrer nos registres qui sont dans les archives de la ville, ni pénétrer dans ces archives pour y prendre connaissance des titres qui nous étaient communs avec les Capitouls, ni nous garantir de l’usurpation des Capitouls qui sous le nom de Bayles s’étaient incorporés dans les Jeux Floraux, ni conserver dans le quinzième et le seizième siècles la salle de nos exercices particuliers.

C'était la plus funeste de leurs oppositions puisqu’elle avait réduit les Jeux Floraux à n’être qu’une simple fête, ce qui devait opérer leur ruine absolue.

C'est pour cela que Louis 14 voulut qu’on nous mit tout de suite en possession d’une salle où nous puissions vaquer à nos travaux. C'est pour cela que nous mettons un si grand intérêt à la recouvrer.

M le Maire peut comme particulier ne pas faire grand cas de ces travaux, mais comme magistrat il doit voir que les Lettres et les Sciences se prêtent mutuellement un utile secours. Ceux qui les cultivent à Toulouse ne s’occuperont jamais de ces vaines disputes de préférence. Leur émulation n’a pour objet que de perfectionner leurs travaux et M. le Maire, lorsqu’il dit que nous ne marchons pas vers le but de notre institution, ne prouve autre chose sinon que, pouvant partager nos exercices, il y est aussi étranger qu’à notre histoire. Nous lui dirons encore qu’en déprimant les Jeux Floraux si chers aux toulousains, il contrarie et contriste l’opinion de tout ce qu’il y a de bons esprits et de personnes éclairées parmi ses administrés.

Il pourrait savoir mieux qu’un autre qu’en 1774 l’opposition que nous éprouvâmes de la part des Capitouls et du Conseil de Bourgeoisie souleva toute la ville contre leur injuste agression et excita des réclamations que le Gouvernement d’alors entendit. M. le Maire qui remarque que les Capitouls étaient annuels et par là dans l’impossibilité de connaître ou de défendre les droits de la ville, aurait dû ajouter que le Conseil de Ville chargée de cette défense était uniquement composée d’anciens Capitouls qui, se regardant comme une classe à part, ne perdait aucune occasion d’accroître leur prérogative. Ce fut l’orateur de ce Conseil qui, dans un discours qui fourmille d’inexactitudes et de sophismes, attaqua à la fois et notre antique origine et l’institution assez récente de la fondation de Clémence Isaure.

C'est dans un extrait de cette mauvaise dissertation que M. le Maire a renforcé ses préjugés. Cette brochure dont le titre seul annonce que c’est un ouvrage satirique, M. le Maire l’accrédite auprès de Son Excellence le Ministre de l’Intérieur ; il la distribua aux membres du Conseil municipal sans songer que l’Académie qui dans le temps détruisit les sophismes et les faussetés de l’original, n’eut pas laissé sans réponse cette faible copie si elle pouvait fournir la matière d’un doute raisonnable.

Quoiqu’il en fut de l’existence de Clémence Isaure et de sa fondation, il ne serait pas moins vrai, comme le Maire et les Capitouls de 1694 en convinrent dans leur supplique à Louis 14, que nous avions hors des murs en 1356 une maison et jardin que les Capitouls firent détruire pour la défense de la ville ; qu’on nous donna dans le Capitole l’indemnité provisoire d’un asile pour y continuer nos exercices publics et particuliers ; que les exercices particuliers cessèrent faute d’une salle où les Mainteneurs pussent se réunir ; que ce fut pour les reprendre tout de suite que la salle dont il est question nous fut attribuée. Nous l’avons occupée pendant près d’un siècle. Elle nous eut été rendue en 1806 si elle avait été libre. Aujourd’hui aucune autre destination ne s’opposant à cette restitution et M. le Maire reconnaissant nos autres droits, celui-ci, qui a le même fondement, ne peut pas être méconnu, surtout dès que notre demande ne porte aucune atteinte à la propriété de la ville et ne peut contrarier aucun plan de réparations ou de constructions nouvelles.

A notre droit évident se joignent toutes les considérations de convenance. Notre institution est-elle étrangère à la ville ? Ne sommes-nous pas citoyens de Toulouse et citoyens utiles sous le rapport de nos fonctions littéraires ? Malgré le peu d’importance qu’il met à la culture des Lettres, M. le Maire renoncerait-t-il aux lustres que la ville qu’il administre a reçu et reçoit tous les jours de cette antique institution ? Croit-il que cette institution puisse se soutenir si elle est en butte aux contradictions de la Municipalité ? Il fait remarquer plus d’une fois que ses fonctions sont gratuites. Sommes-nous salariés, avons-nous d’autre dédommagement de nos soins et de notre zèle que la satisfaction d’être utile et la considération que méritent nos travaux ? N‘eussions-nous aucun droit, M. le Maire devait-il hésiter un instant à nous remettre en possession d’une salle dont nous avons joui pendant plus d’un siècle, qui n’a aucune autre destination actuelle, qui est la seule du Capitole où nous puissions être décemment et qu’il pourra reprendre en nous logeant ailleurs si les arrangements de son administration l’exigent. Son père et les autres Capitouls de 1774 n’allèrent pas jusqu’à vouloir que nous fussions ainsi sans asile.

En adoptant les fausses suppositions de leur orateur contre un incident de notre histoire, ils nous laissèrent jouir paisiblement de la salle que nous réclamons, qui devrait nous être offerte si nous n’y avons aucun droit, puisqu’enfin nous avons échappé à la barbarie qui nous en dépouilla en 1791.

Nous pourrions ne pas pousser plus loin notre défense et, s’il n’était question que de la salle de nos assemblées, nous nous arrêterions là. Mais puisque M. le Maire affecte de ne rien savoir de notre histoire et de nous regarder comme une création de l’Hôtel de Ville, nous ne devons pas négliger de mettre sous les yeux de Son Excellence le Ministre de l’Intérieur les preuves de notre existence indépendante et de lui prouver que M. le Maire n’est pas plus exact en parlant de notre institution que lorsqu’il a calomnié nos principes.

Au demeurant cette histoire n’est pas ici un objet de pure curiosité. Elle prouvera que le Corps littéraire dont Toulouse s’honore, étonnant par son zèle et par l’étendue de ses lumières au commencement du quatorzième siècle, réduit ensuite à lutter pendant trois cents ans contre les Capitouls, su mieux conserver son indépendance que les biens de sa dotation.

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Abrégé sommaire de l’histoire de l’Académie des Jeux Floraux.

Les Jeux Floraux n’ont été érigés en académie qu’en 1694. La dénomination même des Jeux Floraux n’est pas très ancienne, elle date de la fin quinzième siècle. À partir de là et en remontant jusqu’en 1323, le Corps littéraire dont Toulouse s’honore s’appelle Collège ou Compagnie de la Gaie Science ou du Gai Savoir.

Par là cette histoire se divise naturellement en deux parties. La première relative à l’ancien Collège du Gai Savoir finit avec le quinzième siècle. La seconde embrasse les trois siècles suivants et le commencement du dix-neuvième.

Première partie

Histoire de l’ancien Collège de la Gaie Science ou du Gai Savoir.

C'est le nom que ce Collège donnait à la poésie, soit parce qu’elle entretient une douce satisfaction dans l’âme de ceux qui la cultivent, soit par le contraste des charmes de la littérature avec l’austérité des autres études. La poésie portait encore le nom d’amors à cause du goût qu’elle inspire à ceux qui ont l’âme sensible et l’esprit bien fait. Ainsi les règles de la poésie s’appelaient Lois d‘Amors ou Fleurs du Gai Savoir, les exercices poétiques l’art joyeux de faire des vers, la fleur qui en était le prix La joie de la Violette. Ceux qui composaient ce collège s’intitulaient Le Gai Consistoire, les Mainteneurs du Gai Savoir, l’Excellement Gaie Compagnie.

On trouve ces notions dans un ancien registre très précieux parce qu’il contient la poétique encore inédite que nos devanciers publieront en 1356, seul monument où l’on puisse bien connaître l’état de langue romane et de la littérature provençale à cette époque ; et ensuite parce qu’on y trouve les actes sur lesquels est fondée l’histoire du plus ancien Corps littéraire de l’Europe.

Le premier de ces actes est une lettre circulaire écrite en vers et adressée aux principales villes de la Langue d’oc par la très Gaie Compagnie des sept poètes de Toulouse. « Nous sept, disent-ils, qui avons succédé au corps des poètes qui sont passés , nous avons à notre disposition un jardin qui est merveilleux et beau où nous allons tous les dimanches lire nos ouvrages et nous perfectionner en nous communiquant nos lumières. Nous vous faisons savoir que le premier jour de mai prochain nous nous rendrons dans ce verger charmant pour accueillir ceux qui nous apporteront leurs ouvrages et nous donnerons une Violette d’or à celui qui aura fait le meilleur poème ».

« Ces lettres furent données au faubourg des Augustines, au verger dudit lieu, au pied d’un laurier, le mardi après la Toussaint, l’an de notre Rédemption mil trois cent vingt-trois. Et afin que vous ajoutiez une foi entière à nos promesses, nous avons fait mettre en témoignage de vérité notre sceau à ces présentes lettres. »

Il est donc vrai qu’en 1323 il y avait à Toulouse une compagnie littéraire composée de sept poètes ayant un établissement fixe, des exercices réguliers, un sceau et par conséquent un Chancelier, un lieu d’assemblée qu’ils tenaient de leurs devanciers, ainsi que la règle de leurs exercices.

Ce corps était-il bien ancien, était-il constitué ? Avait-il des fonctions publiques ?

Nous voyons dans le Registre que c’était un corps enseignant, conférant, comme les Universités, les grades de Bachelier et de Docteur, avec les mêmes formes et après les mêmes examens publics et particuliers, ayant comme les Universités un Chancelier et un Bedeau. Ce Corps littéraire avait-il précédé ou suivi l’établissement des Universités ? Chacun peut se livrer à cet égard à ses conjectures. Quant à nous qui ne voulons rien avancer qui ne soit incontestable, nous nous bornons à dire qu’étant antérieur à l’époque de 1323 et d’une origine qui se perd dans la nuit des temps, il serait téméraire de lui assigner une époque trop rapprochée du quatorzième siècle, si l’on considère surtout que l’amour des Lettres est inné à Toulouse et que déjà du temps des Romains ses habitants par la culture de leur esprit lui avaient mérité le nom de Palladienne. Quoiqu’il en soit cet égard, Toulouse aura toujours la gloire d’avoir élevé un temple aux muses et d’avoir répandu le goût et l’amour du gai savoir très longtemps avant la renaissance des Lettres en France.

Le 1er mai 1324, jour annoncé par la lettre circulaire des sept troubadours, ils se rendirent à leur beau jardin. Le concours des poètes fut immense. La journée entière fut employée à recevoir les ouvrages. Le lendemain ces ouvrages furent examinés en public.

Le troisième jour, fête de Ste-Croix, ils prononcèrent leur jugement et donnèrent la Violette d’or qu’ils avaient promise à Maître Arnaud Vidal de Castelnaudary.

L'intérêt et la nouveauté du spectacle avaient attiré avec ce concours de poètes un grand nombre d’étrangers et d’habitants. Les personnes de Toulouse les plus considérables par leur rang, leur grade, leurs lumières et leurs offices, y avaient été invitées, entre autres les Capitouls de l’année et plusieurs anciens Capitouls. Ils furent tous si enchantés de l’ouverture brillante de cette fête poétique qu’après la première séance, les Capitouls assemblèrent le Conseil de Ville où il fut délibéré que dorénavant (d’acqui en avant, dit le registre) la Joie de la Violette qui excitait une si grande émulation serait payée des revenus de la ville.

Dans ce registre dont la partie historique embrasse un espace de trente-quatre ans, à compter de 1323 jusqu’à 1356, il n’est plus parlé des Capitouls.

On y voit que le Collège du Gai avoir s’occupait de la rédaction d’une poétique qui pût diriger les auteurs dans leurs compositions et leur fournir à eux-mêmes des règles fixes de critique. Ils en avaient donné la commission de vive voix à Guillaume Molinier leur Chancelier. En 1355 ils la lui renouvelèrent par écrit pour la révision de son ouvrage en lui permettant de s’adjoindre les savants qu’il croirait capables de le seconder.

L’année suivante, ce grand ouvrage étant terminé, ils le publièrent et l’adressèrent non seulement aux savants, aux amateurs de la Gaie Science, mais aux souverains, rois, princes, ducs, marquis, comtes, dauphins, etc. Dans les lettres patentes de cette publication ils disent qu’ils ont le droit de publier, loin et près, les Lois d’Amors et les Fleurs du Gai Savoir. Ce qui prouve non seulement leur parfaite indépendance, mais qu’ils avaient la même autorité, la même juridiction que les Universités.

Dans ces lettres écrites de leur beau jardin fleuri, sans autre date que celle de l’année 1356, ils disent que la noble fête du mois de mai sera toujours célébrée suivant la coutume ; qu’ils donneront au poète qui aura fait la meilleure ode (Cansou) une Violette d’or fin et, pour augmenter la solennité de la fête, un Souci et une Églantine d’argent pour d’autres ouvrages de poésie.

A ce jardin était appropriée une vaste maison dans laquelle ils tenaient leurs séances pendant l’hiver. Il en est fait mention dans le Registre. Un des savants que le chancelier Molinier avait pris pour conseil, répondant à son invitation, le trois des nones de mai 1355, parle dans sa lettre du portier qui garde le palais du Gai Consistoire.

Tandis que la Poétique des sept Mainteneurs étendit au loin l’empire des Lettres, de la morale et de la raison, un événement funeste leur enlevait leur palais et ce jardin dont le nom dans leur bouche est toujours accompagné d’épithètes qui en expriment l’agrément. Une menace de guerre et la crainte d’un siège portèrent les Capitouls à détruire pour la défense de la ville l’entier faubourg des Augustines. Il fallut sans doute indemniser ceux qui perdaient ainsi leurs habitations. Pour que les troubadours pussent sans interruption donner leurs leçons, conférer les grades de la Gaie Science et vaquer à leurs autres exercices, on leur donna un asile dans le Capitole. Quelque honorable que fut cette indemnité, elle ne pouvait pas leur représenter la propriété qui leur avait été enlevée. Ils ne perdirent jamais l’espoir de la recouvrer après la guerre ; cet esprit de retour s’est toujours conservé dans leur descendance.

Pour exprimer ce désir et pour conserver une image des séances qu’au retour du printemps ils tenaient dans leurs beaux jardins, ces vénérables troubadours s’assemblaient tous les ans le 1 et le 3 du mois de mai, sous un orme, dans la cour du Collège de St-Martial. Les Capitouls leur envoyaient là leurs fanfares et une garde d’honneur et allaient au-devant d’eux d’abord jusqu’à la porte du Capitole, ensuite jusqu’à une pierre indicative placée exprès au milieu de la cour.

Par-là se perpétuait aussi le souvenir de leur translation solennelle.

Cette cérémonie a duré jusqu’en 1773 inclusivement. Ce fut l’Académie qui, pour mettre fin à des difficultés que ce cérémonial occasionnait trop souvent, en demanda la suppression qui fut ordonnée par l’édit de 1773.

Revenons aux troubadours dont le Collège était provisoirement transporté au Capitole.

L'envoi qu’ils avaient fait de leur Poétique aux souverains étrangers ne fut pas une vaine formalité. Jean roi d’Aragon y puisa l’émulation d’avoir aussi dans ses Etats une école de Gaie Science. En 1388 il envoya à Charles VI roi de France une ambassade solennelle pour lui demander des poètes de Langue d’oc qui allassent l’établir dans ses Etats et l’on peut voir dans l’Itinéraire descriptif de l’Espagne par M. Alexandre de Laborde (Tome 1er page 330) que vers la fin du quatorzième siècle une Académie de Gaie Science fut fondée à Barcelone et formée par deux mainteneurs de Toulouse, et ensuite un démembrement de l’Académie de Barcelone fit un pareil établissement à Tortose sous le Roi Martin. Nos devanciers avaient donc été bien inspirés lorsque, dans leur zèle pour le progrès des Lettres, ils avaient envoyé leur Poétique aux Rois des Etats voisins.

La Gaie Science dont l’enseignement se propageait en Espagne, n’était pas négligée à Toulouse. Mais en entrant dans le quinzième siècle il faut descendre jusqu’en 1446 pour recouvrer les registres où furent recueillies les pièces couronnées jusqu’en 1484.

Ici finit la première partie de notre histoire et nous remarquerons 1°) qu’il n’a encore été question nulle part ni de Clémence Isaure, ni des Jeux Floraux, mais seulement du Collège et des Mainteneurs de la Gaie Science. 2°) que ce Collège avait déjà une très grande antiquité prouvée et une origine inconnue. 3°) qu’il avait des fonctions analogues, des formes semblables et un langage d’autorité égale à celui des Universités. 4°) qu’outre une maison pour ses exercices, il avait de plus un jardin qui, par sa fraîcheur et sa beauté, était particulièrement approprié à la nature de la Science qu’on y cultivait. 5°) que ce fut en indemnité de ce jardin que les Mainteneurs de la Gaie Science furent reçus au Capitole.

Loin de contracter par là aucun assujettissement, on verra que le désir de recouvrer leur joyeuse habitation fut transmis à leurs successeurs qui n’ont pas cessé de le manifester.

Seconde partie.

Histoire des Jeux Floraux.

Une obscurité profonde est répandue sur les vingt-neuf années qui s’écoulèrent depuis 1484 jusqu’à 1513, mais dans le sein de ces ténèbres s’opère une grande révolution. Dans le Collège du Gai Savoir on ne connaissait que la langue romane ; dans l’espace de ces vingt-neuf ans il devient un Collège de Poésie française. Le Registre de 1513 est écrit en français. Ce Collège en perdant sa langue, a perdu également son nom, ses usages, sa forme primitive. Ses exercices s’appellent les Jeux Floraux. Il n’y a plus ni Bachelier, ni Docteur, ni Gaie Science, mais seulement des Maîtres es Jeux Floraux. Les prix sont plus riches, mais on ne les reçoit plus comme un don des Capitouls. Le corps des Jeux Floraux les demande comme une dette ; il prend à l’égard des Capitouls le ton et l’empire d’un créancier, ils répondent qu’ils feront leur devoir. Ces prix sont déposés dans l’église de la Daurade. Les Mainteneurs qui vont les chercher, sont accompagnés dans leur marche solennelle par les Capitouls qui leur cèdent le pas et se placent à leur gauche.

Quelle peut être la cause de cette grande révolution ? Par qui a été faite cette institution nouvelle ? Très certainement on n’en est pas redevable aux Capitouls. S'ils avaient été les fondateurs de ces nouveaux prix, ils auraient affecté au moins l’empire que donnent les bienfaits ; il n’aurait pas consenti à prendre à côté des Mainteneurs une place subordonnée. Ils ne sont donc que les exécuteurs d’une fondation étrangère qui a mis dans leurs mains des fonds considérables et leur en a prescrit l’emploi.

Quel est donc l’auteur de cette fondation ? Nous pourrions nous dispenser de répondre à cette question après avoir montré que ce ne sont pas les Capitouls.

Mais il est plus aisé qu’on ne croit de répondre directement. Notre réponse serait tranchante s’il nous avait été permis de fouiller dans les archives du Capitole. Mais la discussion des faits historiques admet d’autres preuves que les actes de la vie civile. Elle admet les traditions fondées sur le témoignage des auteurs contemporains, sur les monuments publics, sur les aveux de ceux qui avaient intérêt à les démentir. La jurisprudence même admet les énonciations des actes anciens. Or tous ces genres de preuves concourent pour établir que les Jeux Floraux ont été institués par Clémence Isaure.

Fixons-nous bien sur ce point que cette institution a été faite dans l’intervalle de 1484 à 1513.

Benoît, jurisconsulte célèbre qui fut professeur en Droit à Cahors jusqu’en 1499, puis Conseiller au Parlement de Bordeaux et ensuite au Parlement de Toulouse où il mourut en 1510 et qui par conséquent était contemporain de l’institution des Jeux Floraux. Benoît, dans son commentaire sur le chapitre Raynutius enseigne que suivant les lois romaines on peut léguer à une ville des fonds pour faire célébrer des jeux, et il cite en exemple la fondation faite à Toulouse par Clémence fille illustre citoyenne de Toulouse.

En 1527 Étienne Dolet publia des vers latins à la louange de Clémence sous ce titre : « de muliere quadam quae ludos litterarios Tholose constituit ».

En 1530 Jean Boissoné, professeur en Droit de Toulouse, célèbre en vers français et latins la fondation de Clémence.

En 1535 Jean Voulté se plaint qu’on lui a refusé un prix qu’il croyait avoir mérité et de ce que les volontés de Dame Clémence sont mal exécutées.

Nous bornons là la citation des auteurs contemporains, mais nous les renforçons par un Arrêt du Parlement rendu en 1535 à la requête des Capitouls, énoncé dans le second registre manuscrit des Annales de Toulouse. Cet arrêt permet aux Capitouls de renforcer leur garde le trois de mai, jour auquel on célèbre publiquement les Jeux Floraux de Clémence.

Le registre de 1513 dont nous avons parlé, est en bonne forme. Il est l’ouvrage commun des Mainteneurs et des trois Capitouls Bailes qui faisaient partie du corps des Jeux Floraux. Ce registre était en conséquence déposé au greffe du Capitole. C'est là que Catel l’avait consulté. Il porte que le Collège de la poésie française a été fondé en Tholose par feue Dame Clémence de bonne mémoire. Il énonce le registre antérieur qui contient les ordonnances de Dame Clémence. On y voit sous la date de 1540 que les Capitouls, sommés d’exécuter le testament de Dame Clémence, répondent qu’ils sont prêts d’exécuter le contenu en icelui.

L’on y voit chaque année le Chancelier des Jeux Floraux leur faire la Sommation accoutumée de tout préparer pour la fête des Jeux suivant la volonté de Dame Clémence, et leur réponse qu’ils obéiront et feront leur devoir.

En 1598 ils ajoutent qu’ils ont vu naguère le testament de feue Dame Clémence Isaure de bonne mémoire.

Dans tous les comptes du Trésorier de la ville depuis 1526 jusqu’en 1585 on trouve relativement aux Jeux Floraux, pour l’entretènement de la fondation de Dame Clémence qui a laissé par légat à la ville les revenus de la Place de La Pierre etc. qui ne sont biens et deniers communs, ni dons ni octrois du Roi, mais du patrimoine laissé à la ville par ladite Dame, à la charge de fournir pour les Fleurs.

Dans ces mêmes comptes, on trouve les gages et la robe du Bedeau institué par Dame Clémence ; l’honoraire de la messe qu’elle avait fondée et l’honoraire du sermon de Dame Clémence, le jour des Fleurs.

Dans le second registre de l’Hôtel de Ville cité par Raynal (Histoire de Toulouse page 130) est un accord de l’année 1568 entre le Collège et les Capitouls portant que le Collège de poésie française a été institué en Tholose par Dame Clémence Isaure et que pour la continuation et entretènement perpétuel de ses exercices, elle a laissé par institution, légat et donation faites à la ville plusieurs grands et notables revenus.

Voici qui tranche toute difficulté.

En 1540 les Capitouls par le ministère du Syndic de la ville font devant les commissaires du Roi le dénombrement des biens de la ville. Il porte en tête ces propres mots :

« C’est le dénombrement des biens que a et tient la ville et cité de Tholose, en commun, par le vouloir et permission du Roi, des bienfaiteurs en icelle. »

Ces bienfaiteurs sont les Comtes de Toulouse, un Comte d’Armagnac et Clémence Isaure. Après l’énumération des biens que la ville tient des deux premiers bienfaiteurs, viennent six articles relatifs au pain du gorp, au denier de la place St-Georges, à l’émolument de la Halle, à la maison de ville, à la place de La Pierre, à cent vingt arpents de communaux ; et pour ces articles on ne cite d’autres bienfaiteurs que Clémence Isaure.

Ces communaux étaient inscrits dans le cadastre de 1478 sous le nom de Clémence Isaure. Le Capitoul Montaudier l’attestait pour l’avoir vérifié ; cette partie du cadastre disparut bientôt après. Le dénombrement de 1540 nous eut également été soustrait s’il n’avait été déposé que dans les archives de la ville, mais il est aussi dans celles de la Chambre des Comptes de Montpellier. C'est là qu’on nous en délivra un extrait en forme. Si un tel acte propre et particulier aux Capitouls n’est pas l’expression de la vérité, s’il ne prouve pas contre eux et contre leurs successeurs que la fondation des Jeux Floraux a été faite par Clémence Isaure, il faut renoncer à pouvoir jamais avoir aucune preuve historique.

Quant à la place de La Pierre, comment peut-on douter que la ville ne la tienne de Clémence Isaure lorsqu’on voit que les Capitouls, en reconnaissance de ce bienfait, y avaient érigé une statue de cette fille illustre. Pierre Dufaur et du Boulai en parlent.

C'est là qu’en 1563 parmi les fêtes données à Charles IX, les Capitouls dressèrent un théâtre sur lequel était la statue de Clémence Isaure où étaient peintes les neuf muses, tant pour le respect du Roi, amateur des muses et disciplines, dit le procès-verbal rapporté dans les annales de Lafaille, que aussi en mémoire de Dame Clémence Isaure, laquelle n’a été moins en Toulouse que Minerve à Athènes, laquelle donna à la ville ladite place de La Pierre à condition de annuellement entretenir les Jeux Floraux qu’elle avait institués.

La ville jouit de cette place ; là sont les établis de tous les bouchers et la halle au blé. Nous ignorons quel en est le produit annuel, mais à coup sûr il excède et de beaucoup la dotation de l’Académie, y comprise l’estimation de son habitation dans le Capitole.

La statue de Clémence Isaure a disparu de la place de La Pierre, mais en 1759 les Capitouls la remplacèrent par une autre, placée sur le pavillon qui termine à droite la façade de l’Hôtel de Ville. On l’y voit tenant en main les quatre fleurs qu’elle a fondées, mais ce ne sont que des copies. La statue de Clémence Isaure qui est un monument incontestable de son existence et de sa fondation est celle aux pieds de laquelle tous les ans, depuis 1527, son éloge a été publiquement prononcé, le 3 de mai en présence des Capitouls.

Là est son épitaphe qui détaille les libéralités qu’elle a faites à la ville et ces détails s’accordent avec le dénombrement de 1540 et les registres du Capitole.

Cette statue, transportée de l’église de la Daurade où elle décorait le tombeau de Clémence Isaure, est couronnée de roses le trois de mai pour remplacer la cérémonie prescrite dans son testament de jeter des roses sur son tombeau.

En mémoire de sa sépulture dans l’église de la Daurade, les fleurs d’or et d’argent sont déposées ce jour-là sur le maître-autel cette église. Les Mainteneurs vont les chercher solennellement et les Capitouls les ont toujours accompagnés dans cette cérémonie jusqu’en 1789 inclusivement.

Pour infirmer la preuve qui résulte de là en faveur de la fondation de Clémence Isaure, on a été jusqu’à dire que jamais personne n’avait été enterré dans l’église de la Daurade. Mais le contraire a été démontré quand on a rebâti cette église et Don Vayssette, cet historien judicieux, pose comme un fait certain, après une discussion sérieuse et profonde, que Clémence Isaure a été inhumée à la Daurade. Et quelle autre origine pourrait avoir la cérémonie d’y déposer tous les ans les fleurs que nous distribuons ? Quel autre motif aurait pu engager les Capitouls à ne prendre que la seconde place dans cette marche solennelle ?

La forme de cette statue prouve qu’elle était sépulcrale et nous le prouvons encore par le bail de besogne passé avec le sculpteur qui fut chargé d’en refaire les bras. On a osé dire que son costume n’est pas celui de la fin du quinzième siècle et cependant il ressemble à celui de la Reine Jeanne, première femme de Louis XII, qui vivait en 1498 et dont le portrait est gravé dans l’édition in folio de l’Histoire de France de Mézeray.

Les détracteurs de cette fille célèbre se rangent tous sous la bannière de Catel qui le premier dans ses Mémoires du Languedoc éleva un doute sur l’existence de Clémence Isaure, en convenant que la tradition qui lui attribue la fondation des Jeux Floraux est ancienne et suffisamment justifiée par les registres de l’Hôtel de Ville.

Le malheur de Catel, car c’en est un de se tromper pour avoir manqué d’attention, son malheur vient de ce qu’il a confondu l’institution des Jeux Floraux avec celle de la Gaie Science. Égaré par cette confusion d’idées, il alla chercher la fondation des Jeux Floraux dans le registre de 1356 et dans la collection des poètes antérieurs ; et n’y trouvant point le nom de Clémence Isaure, il douta de son existence.

Mais aucun de ces anciens écrits ne faisait non plus aucune mention des Jeux Floraux. En remarquant que cette dénomination ne remontait pas plus haut que la fin du quinzième siècle, c’était là qu’il devait chercher leur institution et l’existence de celle qui les avait fondés. En voyant qu’une grande révolution s’était opérée alors dans la forme, dans les actes, dans la langue de ce Corps littéraire et que Clémence Isaure était signalée par les auteurs contemporains qui avaient pu la connaître ou recueillir le témoignage immédiat de ceux qui l’avaient connue, il eût trouvé l’expression de la vérité dans l’accord de leurs écrits, des registres de l’Hôtel de Ville, des monuments et des cérémonies qui proclamaient si hautement ses bienfaits.

Catel avait près de trente ans lorsqu’en 1598 les Capitouls déclaraient qu’ils avaient vu naguère le testament de Clémence Isaure.

Pour l’éclaircissement de son doute, il avait consulté le registre où cette déclaration est consignée. Pourquoi ne s’y arrêta-t-il point pour la discuter ou plutôt pour la recevoir lui-même de la bouche de ceux qui l’avait faite ? Et comment peut-on prendre pour garant d’une opinion extraordinaire un auteur qui a écrit l’histoire avec cette légèreté.

La même confusion d’idées a aussi égaré Cazeneuve et Lafaille. Celui-ci a même poussé plus loin la négligence de s’instruire, car, ayant sous les yeux le registre de 1513, il avance comme un fait positif que la tradition qui attribue à Clémence Isaure la fondation des Jeux Floraux n’a commencé qu’en 1540.

Clémence Isaure descendait-elle des comtes de Toulouse ou d’une famille moins illustre ? Sa famille était-elle originaire de Toulouse où s’éteignait-t-elle à sa mort ?

À ces questions et à mille autres pareilles que faisaient les Capitouls et leur orateur de 1774, l’Académie a toujours répondu : C'est à vous de nous le dire, à vous qui avez eu et qui avez peut-être encore en votre pouvoir son testament, le registre de ses ordonnances, l’entier cadastre de 1478. Les motifs et l’époque de sa fondation prouvent qu’elle avait une âme élevée et supérieure à son siècle ; qu’elle était digne, par son amour pour les Lettres, d’être née à Toulouse où les Lettres avaient toujours été cultivées ; il n’y a que des esprits bizarres et irréfléchis qui puissent mettre quelque intérêt à combattre une opinion si bien fondée, si honorable pour Toulouse, si chère à tous les amis des beaux-arts et de leur patrie.

Au demeurant la fondation de Clémence Isaure n’est qu’un incident dans notre histoire. Ce n’est pas là-dessus qu’est fondé notre établissement au Capitole. Nous sommes les successeurs des troubadours qui acceptèrent provisoirement cette faible et insuffisante indemnité. La fondation des Jeux Floraux par qui qu’elle ait été faite, n’ajoute rien à nos droits et ne nous ôte rien de notre ancienne indépendance puisqu’elle n’elle n’est pas due aux Capitouls. Leurs registres et les nôtres, les monuments de l’Hôtel de Ville, une longue suite d’actes et de cérémonies, les auteurs contemporains proclament Clémence Isaure. En conservant à sa mémoire l’honneur qu’elle mérita, nous acquittons la dette de la patrie et c’est là notre seul motif.

La fondation de Clémence Isaure nous a fourni les moyens d’être plus utiles au progrès des Lettres ; mais elle n’a répandu aucun lustre sur notre antique institution. Il faut donc écarter d’ici toute idée d’une fable inventée par les Mainteneurs et leur savoir gré d’avoir, par leur constance, sauvé au Corps municipal le reproche d’une horrible ingratitude.

Clémence Isaure avait cru ne pouvoir mieux faire, pour le soutien de sa fondation, que d’en mettre les revenus entre les mains des Capitouls, avec la précaution d’ordonner qu’on n’en appliquât rien à d’autres usages et que le résidu, s’il y en avait, fut employé à un festin. En vain donna-t-elle aux Mainteneurs le droit de réclamer et de provoquer cette exécution.

Un Corps littéraire qui s’assemblait rarement ne pouvait que perdre dans la lutte qui s’établit dès le commencement entre les Mainteneurs comme créanciers et les Capitouls comme débiteurs, entre les Mainteneurs dont les titres et les registres étaient dans les archives du Capitole et les Capitouls qui, en avouant leurs obligations, cherchaient à s’y soustraire. C'est ainsi qu’ils parvinrent à supprimer la messe et le sermon que Clémence Isaure avait fondés et les aumônes qu’elle avait ordonnées. Sans perdre jamais de vue le projet de s’emparer de la fondation entière, d’en faire regarder les revenus comme leur chose propre, en attendant de présenter comme une fable l’histoire de cette institution dont la gloire et la durée avaient été confiées à leur zèle et à leur loyauté.

C'est leur funeste influence qui la dégrada en la réduisant à une simple fête et en transformant ensuite cette fête en une espèce d’orgie puisque le festin en devint l’objet principal.

C'est de cet état de dégradation que Louis XIV retira les Jeux Floraux en les érigeant en Académie. Mais l’esprit de retour vers leur ancienne habitation vivait toujours parmi les Mainteneurs. Ils en firent consigner l’expression dans les Lettres Patentes à l’exemple de leurs devanciers. Ce n’est qu’à titre d’emprunt qu’ils veulent continuer d’habiter dans le Capitole, conservant la liberté de le quitter lorsqu’ils jugeront à propos. Et alors les Capitouls Bayles cesseront de prendre part à leurs exercices afin qu’il soit bien constant qu’ils n’y sont admis que parce qu’ils font aux Mainteneurs les honneurs du CapitoleLettres Patentes, Statuts de 1694..

La même réservation fut faite dans l’Edit de 1773Titre 3, article 9. de quitter le Capitole quand nous le jugerions à propos. On peut voir par là si nous avons jamais eu l’intention d’y usurper un droit de propriété.

On ne sera pas étonné de cette persévérance dans le désir de recouvrer notre antique habitation, si l’on considère qu’aux anciennes contradictions que rappellent les Lettres Patentes de 1694, succédèrent des tracasseries et des oppositions de toute espèce.

En 1718, les Capitouls refusèrent de venir au-devant des Mainteneurs et de les reconduire jusqu’à la porte de l’Hôtel de Ville. Il fallut obtenir un arrêté du Parlement pour les y contraindre. Vaincus sur cet article, ils élevèrent la prétention de présider l’Académie dans ses séances publiques.

Ils sollicitèrent ensuite la suppression de la somme modique que les Lettres Patentes avaient fixée pour les Prix et pour les dépenses académiques. En 1759, quand la façade de l’Hôtel de Ville eut été reconstruite, la salle de nos assemblées particulières nous fut rendue sans avoir été plafonnée. L'Académie, pour pouvoir l’habiter, fut obligée d’avancer le prix de ce plafond et il fallut avoir un procès pour en obtenir le remboursement.

La Semonce qui n’était d’abord qu’une simple sommation aux Capitouls de faire les apprêts de la Fête des Fleurs, étant devenue, depuis les Lettres Patentes de 1694, le discours d’ouverture de nos séances annuelles, les Capitouls crurent devoir aussi donner à leur réponse une forme académique au lieu de la formule par laquelle il répondait qu’ils feraient leur devoir, ils voulurent discourir aussi sur l’amour des Lettres, sur la protection que leur devaient les magistrats et sur les services que leur avait rendus Clémence Isaure.

Ces réponses n’étaient pas sans intérêt lorsque celui qui en était chargé avait quelques connaissances littéraires et qu’il n’était pas étranger aux bienséances d’une telle cérémonie.

Mais parmi des gens qu’animait l’esprit de contention et le dépit de ne pas dominer l’Académie, il s’en trouva trop souvent qui méconnurent les justes égards que nous étions en droit d’attendre de ceux qui n’étaient là que pour nous faire les honneurs du Capitole.

L'un d’eux prenant le contre-pied des réponses qui avaient été faites par ses prédécesseurs depuis deux siècles et demi, débuta par dire que Clémence Isaure n’avait jamais existé et que les Fleurs qu’elle avait fondées, était une libéralité des Capitouls.

Cette assertion ne pouvait pas être dissimulée, elle ne pouvait pas non plus être combattue sans dénaturer l’objet de cette séance, sans donner le scandale d’un débat litigieux dans une assemblée destinée à réunir les amis des Lettres dans l’amour des mêmes devoirs. L'Académie qui sollicitait la réformation d’une partie de ses statuts, demanda et obtint que le cérémonial qui déplaisait tant aux Capitouls, fut supprimé et que dans les assemblées publiques de l’Académie il n’y eut d’autres orateurs que ceux qu’elle aurait chargé d’y porter la parole.

L'esprit de paix qui avait provoqué ces dispositions fut comme un brandon jeté au milieu du Conseil de Bourgeoisie. De là ce fameux discours imprimé aux frais de la ville et publié sous les auspices des Capitouls de 1774 et dont l’auteur fut convaincu d’ignorance, d’inexactitude et d’infidélité par un mémoire que l’Académie publia en 1775.

C'est dans ce mémoire que M. le Maire aurait dû puiser ses instructions. Quoiqu’il fut bien jeune alors, il pourrait se souvenir du succès qu’il obtint.

Les habitants de Toulouse, éclairés sur un point si intéressant de l’histoire de leur ville et plus attachés que jamais au maintien de leur antique institution littéraire, virent avec indignation cette conspiration du Conseil de Bourgeoisie contre les Lettres et contre ceux qui en maintenaient le goût et l’émulation. En jetant un coup d’œil observateur sur la composition de ce Conseil, ils virent qu’il avait été dénaturé ; qu’en le restreignant aux anciens Capitouls, c’était en écarter ceux qui avaient le plus grand intérêt à la bonne administration de la ville. Le Gouvernement entendit leurs réclamations. Le Conseil municipal fut composé, comme nous le voyons aujourd’hui, de citoyens pris dans toutes les classes honnêtes de la société. Le Capitoulat ne fut pas uniquement livré à ceux qui n’y étaient portés que par la petite ambition de s’ennoblir.

Les nouveaux administrateurs vinrent à nous avec des paroles de paix. Clémence Isaure reçut leur tribut de reconnaissance. Cet état de paix, de concorde et de bonheur dura jusqu’en 1790.

Il cessa alors parce que la Révolution inspira aux officiers municipaux toutes les prétentions des Capitouls de 1774 et il est impossible de ne pas voir la même influence dans la contradiction que nous éprouvons et principalement dans l’esprit qui a dicté la lettre qui nous attaque avec si peu de mesure et de vérité.

M. le Maire qui s’était bien gardé de consulter le Conseil municipal avant d’engager cette querelle, a cru qu’une fois engagée, on le soutiendrait par égard pour sa place et pour lui épargner ce qu’il appelle un désagrément.

La commission qu’il avait nommée ayant frustré son attente, il a voulu empêcher qu’on opinât sur le rapport de cette commission ; et enfin l’avis du Conseil étant qu’on nous rendit notre salle provisoire, il a mis un grand intérêt à faire désigner pour nous placer définitivement le projet qu’il avait abandonné de nous établir dans l’ancien emplacement de l’Académie des Arts. Ne craignant pas que ce projet s’exécute, nous applaudissons au sentiment qui a porté le Corps municipal à adoucir ainsi les regrets qu’a M. le Maire d’avoir élevé sans cause une pareille contestation. C'est le même motif qui nous a fait contenir nos justes sujets de plainte.