Ode. Branle. Amour un jour tout solitaireS’allant promener à l’écart,Rencontra la Mort sagittaire,Qui comme lui portait un dard.Il vint s’accoster d’elle,Ne craignant sa cordelle,Ni son dard furieux :Bien qu’elle fut hideuse,Pâle, maigre et affreuseEn la face et aux yeux.Toutefois, l’Amour amiableNe dédaigna s’accompagnerDe cette chimère effroyable,Et avec elle cheminer :Mais l’ombre de la terreQui le jour ferme et serre,Les contraint d’héberger,Dans un hameau champêtre,Pour ensemble repaîtreEt ensemble loger.Voici que sur la calme Aurore,Amour se vint à réveillerEn huchant la Mort qui encoreEn commençait à sommeiller :Disant : « Vieille sorcière,Sus, hors de la tanière,Faut-il or’ que tu soisDu sommeil abattue,Puisque l’Aube chenueÉclaire jà les bois ?Ce n’est que plaisir et que joieDe voyager au brun matin,Nous pourrons prendre quelque proie,Pour accroître notre butin.Tu sais bien que nous sommesTous deux chasseurs des hommes,En prenant nos ébats,J’ai pouvoir sur la vie,Et tu lui porte envieLa guidant au trépas.Il est bien vrai, vieille édentée,Que tu n’as pouvoir sur les dieuxComme moi, par force indomptée,Qui régit la terre et les cieux,Car je peux navrer oreTous hommes et encoreTous les dieux immortels.Et toute ta puissanceN’a point de connaissanceQue dessus les mortels. »Amour, parmi la chambre obscure,Cherchant son dard vénérien,Prit sur la table d’aventure,Le dard de la Mort pour le sien.Et sur son col il chargeCette mortelle charge,Ni prenant point d’égard,Et tantôt la Mort blêmeSe trompa tout de mêmePrenant d’Amour le dard.Tous deux ensemble départirentDu logis, pour aller vener,Et sortant l’hôtesse avertirentDe tenir prêt leur déjeuner.La bonne femme à l’heure,Dedans son lit mal $$$sure$$$ sûre$$$Se prit fort à pleurer,Cuidant, toute pâmée,Que la Mort affaméeLa dusse dévorer.Quant ils furent dans le bocageOù j’étais allé de malheurCe matin, sous le frais ombragePour réjouir mon triste cœur,Amour d’aile volanteDevança la Mort lente,M’ayant le premier vu,Et la flèche meurtrière,Qui nous met dans la bière,Me darde au dépourvu.Ores à penser, je vous laisseEn quel émoi je fus pour lors,Sentant de mortelle détresseFrissonner tout mon pauvre corps.Par la plaie incurableDe ce dard misérable,Qu’à l’heure je reçus,Ô plaie rigoureuse,Ô plaie amoureuse,Dont amour fut déçu.Amour cuidait par telle plaieM’avoir bien donné le martel,Mais voici la Mort qui s’essaieDe me livrer son coup mortel,Comme étant envieuseDessus ma vie heureuseAinsi qu’il lui semblait,Voyant qu’Amour mieux qu’elleD’avoir fait preuve telle,De joie se comblait.Ô flèche d’Amour fortunée,Que tu m’as donné de soulas !Car la Mort, celle matinée,Pensait bien m’avoir dans ses lacs.Mais elle fut déçue,Car la plaie reçueDe son dard emprunté,M’a remis au corps l’âmePar l’amoureuse lame,Et m’a donné santé.Depuis tous ceux qu’amour en touche,Bien qu’ils ne meurent tout soudain,Si ont-ils mortelle escarmoucheAu cœur par ce trait inhumain.Par cette flèche amère,Par ce dard pestifèreCruel et dangereux,Qui jusqu’à mort ne cesseDe tenir en détresseLes pauvres amoureux.Et ceux-là que la Mort hasardeD’en toucher, sentant tout leur cœur,Rempli d’une flamme gaillarde,Et d’une amoureuse liqueur,Qui détient leur jeunesseEn extrême liesse,En plaisir et soulas.Et bien que main mortelleLeur donne plaie telle,Si n’en meurent-ils pas.Mais la mort après preuve mainteDe ce dard qu’elle avait changé,Ne trouvant point la terre enceinte$$$À$$$A bien à part elle songéQu’elle s’était trompée.Celle même nuitéeQu’avec Amour dormit,Et de colère pleinePrit cette flèche humaineEt en piece la mit.Puis elle s’en va toute dépitePensant bien rencontrer Amour,Mais voici Bellonne subiteQui lui vint donner le bonjour,Lui disant : « Ma nourrice,Voici le temps propicePour montrer notre effortDessus la France armée. » « Mais je suis désarmée »,Lui répondit la Mort.Bellonne alors lui dit : « Goulue,Comment ? qu’est devenu ton dard ?Faut-il que tu sois dépourvueMaintenant au plus grand hasard,Que le tonneau nous donne ? »Et tout à coup Bellonne,La fournit de bâton.Depuis la Mort sévèrePlus que devant s’ingère,Nous chasser chez Pluton.Et à présent cette $$$ Discorde $$$ discorde,Cette Bellonne aux yeux cruelsQui avec la Mort s’accorde,Massacre et rue les mortelsPar guerre tant horribleDont l’effort si terribleRésonne en tous endroits,Que Thémis, ni AstréeNe veuillent faire entréeAu règne des Français.Voilà pourquoi l’on porte en terreAujourd’hui tant de corps humains.Car l’Amour, la Mort et la GuerreSe sont faits tous trois inhumains.Dont l’un par ignorance,Et l’autre par vengeance,Le tiers par trahisonAccable notre vieSans avoir $$$déservie$$$ desservieSi cruelle prison.