Transcription Transcription des fichiers de la notice - Le flibustier, pp. 37-39 Vilaire, Etzer 1902 chargé d'édition/chercheur Boraso, Silvia (éd.) Silvia Boraso, Université Ca' Foscari et Université Paris Est Créteil ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1902 Fiche : Silvia Boraso, Université Ca' Foscari et Université Paris Est Créteil ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français

L’étoile se levait sur les flots apaisés

Une ombre diaphane errait, vapeur d’opale,

Au souffle caressant d’un ciel limpide et pâle.

Des nuages semblaient, teints de reflets rosés,

Un voile nuptial qui flotte et se balance

Dans le palais doré du rêve et du silence.

La tempête avait fui, laissant comme un frisson

Dur la brune Atlantique ; et, muettes, lointaines,

Les vagues s’endormaient aux mourantes haleines

Qui des cieux descendaient comme l’écho d’un son,

L’accord final d’un chœur, un chuchotement tendre,

Soupir de l’infini qu’on peut à peine entendre.

Les pourpres du couchant se décoloraient. Rien

Ne bougeait dans la nuit - l’inquiétude humaine

Ne trouble point la paix de la nature. À peine

La lune soulevait le voile aérien

Pour rêver doucement de célestes mystères ;

Devant la majesté des ondes solitaires.

Douce nuit tropicale ! Un bandeau tremblotant

Cache à demi ton front que l’étoile décore ;

Et tu resplendis moins que le vermeille aurore ;

Mais ton pur clair de lune avec amour étend

Sur les flots assoupis sa flottante caresse,

Fluidique baiser du ciel muet d’ivresse.

Pour te laisser régner, ô molle et tiède Nuit,

Tout se tait et tout dort ! Sous ton discret sourire,

Les mondes inconnus, les esprits en délire

S’éveillent dans l’éther. La tristesse et l’ennui

Cortège affreux du jour – fuient avec la lumière ;

Mais tu laisses vieillir l’amour et la prière…

L’ouragan, cependant, avait dès le matin,

Soulevé le courroux de ces ondes sereines.

Le vent avait soufflé vers les îles prochaines

Dont les sommets d’or pâle, au couchant qui s’éteint,

Ondulent sous les plis transparents des nuages…

Que ce ciel tropical est fécond en orages !

Nul ne les peut prévoir. Malheur aux matelots !

Un éclair, un profond roulement de tonnerre,

Et soudain l’ouragan déchaîne sa colère,

Et l’ombre comme un deuil se répand sur les flots !

Rien ne vous avertit : nulle voix, nul présage !

Rarement des oiseaux au sinistre plumage,

Muets avant-coureurs, vous annoncent la mort…

Le ciel le plus trompeur luit comme une merveille,

L’onde la plus perfide est celle qui sommeille…

Puis soudain tout se tait, et des nuages d’or

Remplacent aussitôt l’épaisseur des ténèbres

Qui couvrait l’océan de leurs voiles funèbres.

Comme il était venu, l’ouragan passager

S’enfuit vers d’autres bords et les cieux reparaissent,

Et des vents plus légers et murmurants caressent

Les flots rassérénés. Oubliant le danger,

Des oiseaux voyageurs, pour des courses nouvelles,

Ouvrent sous le ciel pur l’éventail de leurs ailes.

Ainsi sur les flots bruns, après l’orage obscur,

Le Fantôme voguait – une blanche frégate

Comme un cygne nageant sous ses pennes d’agate.

Elle se soulevait d’un élan souple et sûr.

Et, pour fendre la mer, retombait avec grâce

Sous des mâts droits et fiers qui découpaient l’espace.

Les vents s’étaient lassés : un souffle harmonieux

N’imprimait qu’un frisson fugitif à ses voiles

Cependant, il glissait sous les vives étoiles,

Sans effort et sans bruit ; et, sur l’azur de cieux

Que la Nuit revêtait de gaze violette,

Le vaisseau projetait sa pâle silhouette.