La main de Dieu a disposé les choses en certains endroits dans le monde pour remuer les âmes, pour élever l’homme au-dessus des misères qui courbent son front vers le sol… En face, sur la rive de Savoie, des montagnes d’une surprenante hauteur, aux lignes correctes, à l’aspect imposant, étalant la sombre verdure de leurs forêts ; au fond, un pan des Alpes parsemé de neiges élevant dans le ciel la bizarre découpure de ses arêtes escarpées ; au bas, la vallée du Rhône, venant finir au lac entre les pieds de deux hautes montagnes ; à droite, le Léman s’étendant comme la mer et se perdant au loin dans de blanches vapeurs ; derrière, sur la rive vaudoise, des collines bosselées, assises les unes sur les autres jusqu’à mi-côte de la hauteur, portant des champs et des prairies dont la végétation, d’un vert clair, contraste avec le ton foncé des forêts de l’autre bord. L’eau clapote en plaintes sourdes sur le rocher, au pied des murailles, comme l’écho des soupirs des malheureux enfermés dans les cachots voûtés dont elle mouille les soupiraux ; et ce clapotement mélancolique fait venir la méditation.
Accoudé à une fenêtre de la tour, Ulrich s’oublia et se perdit bientôt dans les pensées sombres qu’il cherchait à fuir.