Quand on a franchi le pont qui traverse la rivière au chemin des Dalles, la route monte devant soi en lacets pittoresques et ombragés… On vient de suivre des deux côtés une série de villas luxueuses, enfouies dans la verdure, et l’œil continue à distinguer de la plate-forme, qu’on quitte à peine, les toits cossus à clochetons des habitations bourgeoises. À travers les haies de belles-mexicaines, aux grappes fleuries débordant des clôtures, des rires d’enfants, frais, impétueux vous arrivent, cependant que le parler des mamans un peu trainard et lambin, comme une récitation à vêpres, réclame la modération, un peu moins de bruit… Mais, à droite du pont, une bande de terrain raviné court au long du cours d’eau. Plus de maisonnettes pimpantes, soigneusement entretenues. D’abord, à l’angle, un grand dépôt de fumier, formé de tous les détritus d’écurie des environs accumulés là : c’est d’un bon rapport pour l’exploitation qui fournit les parterres du voisinage. Puis, parallèles à la rivière, de branlantes, de pauvres constructions, s’accrochant aux aspérités d’un sol accidenté, pierreux, caillouteux, où les lavandières étendent leur linge au soleil. Toutefois, à peu de profondeur, les gros arbres y trouvent un humus excellent, entretenu par les infiltrations du cours d’eau capricieux, dont leurs racines profitent à souhait.
Tout ce parcours de galets blancs, ronds, lesquels au soleil de midi brûlent les doigts comme si on touchait des œufs chauds, est parsemé ainsi de splendides tcha-tcha aux fleurs tendrement pâles, odorantes, divinement ourlées, de bizarres flamboyants, au corps contourné, complètement dépourvu de feuilles vers l’époque de leur fantaisiste floraison les drapant de rouge de haut en bas, de sabliers énormes, dangereux quand leurs graines, éclatant sous l’action de la chaleur, projettent au loin leurs capsules acérées dans d’incessantes pétarades.
C’était là, dans une des maisonnettes riveraines, que demeurait Mme Luména, la devineresse.
Descendant le sentier qui longe la petite falaise, Zézé, sa boutique sur la tête, son aune en main pour assurer ses pas, s’arrêta à la barrière. Il était un peu après six heures. Le soleil achevait de mourir, s’attardant en quelques nappes encore lumineuses, lointaines, tant sur le petit cours d’eau, savonneux et rare, que sur les masses vertes des hauteurs.