Les paysans disent du musicien : le magicien. Non pas seulement pour la magie de son chant, mais parce qu’il se dérobe absolument à la vue. On l’entend, on ne le voit jamais. La légende affirme qu’il n’en fut pas toujours ainsi. À l’époque où l’île n’était pas connue des rapaces étrangers, à l’époque où les aborigènes l’habitaient dans la paix et les fêtes, où les oiseaux ne regardaient pas l’homme comme leur plus cruel ennemi, le musicien, non seulement ne se dérobait pas, mais, entouré d’amour et d’admiration, presque l’objet d’un culte, prenait part presque à toutes les solennités nationales. Les joies de ce peuple prémitif étaient, comme on sait, religieuses et champêtres. Son existence de chaque jour n’était qu’un hymne en l’honneur du Dieu simple, bon, qui lui faisait la vie insoucieuse sous ce ciel enchanteur qu’était Haïti. Dans les forêts, à l’ombre des grands arbres où il se plaisait à chanter ses louanges, à parer ses autels rustiques des plus belles fleurs et des plus beaux fruits de la saison, le musicien, se posant sur la branche de tcha-tcha fleuri, entonnait son chant d’allégresse