Transcription Transcription des fichiers de la notice - Le flibustier, pp. 22-24 Vilaire, Etzer 1902 chargé d'édition/chercheur Boraso, Silvia (éd.) Silvia Boraso, Université Ca' Foscari et Université Paris Est Créteil ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1902 Fiche : Silvia Boraso, Université Ca' Foscari et Université Paris Est Créteil ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Cependant, il aimait l’immensité des mers,

Que sont les hauts sommets, dans notre faible monde,

Auprès des profondeurs qui fatiguent la sonde ?

La terre est l’élément d’où les germes amers

Font épanouir l’être et la vie éphémère,

Comme une frondaison de la sombre Misère.

L’homme l’assujettit, la transforme à son gré.

D’une empreinte d’horreur que jamais rien ne s’efface,

La guerre et les forfaits ont marqué sa surface.

C’est le chemin des Pleurs, c’est le seuil exécré,

Où s’assoit la Folie, où veille la Détresse,

Où, le front teint de sang, l’Orgueil mortel se dresse !

Mais à tes flots d’azur un seul commande, un seul,

Océan, et c’est Dieu ! Que toujours recommence

Ton défi formidable à l’humaine démence !

Ondes, étendez-vous comme un mouvant linceul

Au long frémissement des vents, de la lumière !

Royaume où tout fléchit sous la Cause première ;

Là finit tout prestige et naissent les effrois.

L’empire de l’orgueil laisse là ses conquêtes

Les tyrans redoutés qui font tomber les têtes,

Le vainqueur tout-puissant qui va dictant ses lois

À la terre tremblante, éternelle asservie,

Cède à ton vaste empire et pleure pour sa vie.

Un roi des rois en vain fera fouetter les flots ;

Le monde rit encore de sa folle colère.

En vain le sol s’ébranle aux éclats du tonnerre,

En vain l’Éther pâlit et souffle ses flambeaux ;

Rien ne pourra couvrir jusqu’à la fin des âges

Cette immense harmonie embrassant tes rivages.

L’homme, sans la pouvoir comprendre, entend ta voix

Plus haut que ses soupirs, l’effort de sa parole,

Que l’Azur triomphant dont l’aube est l’auréole,

Que le bruit des cités et les concerts des bois,

Monter à l’infini, profonde, solitaire,

Comme un cri de l’Abîme à l’éternel Mystère !

Tu couvris l’univers de ta vaste unité.

L’haleine des flots au-dessus de nos têtes

Compose la nuée errante et les tempêtes.

Symbole du Très-haut et de l’éternité,

Toujours changeant, toujours nouveau, toujours le même

Tu t’étends et te meus comme un vivant problème !

Reflet de l’insondable et des bleus firmaments,

Le monde rajeunit sous ton humide étreinte

Jamais tes flots émus ne gardent une empreinte ;

Sur tes chemins d’azur l’homme en proie aux tourments,

Isolé, laisse à peine un fugitif sillage,

Et s’il meurt, rien ne reste attestant son naufrage.

Les plus grands sont pour toi comme s’ils n’étaient pas.

Flotte ou nef, tout périt sous un pli de ta face.

Nul, ton courroux passé, ne sait quel sombre espace

Recèle les témoins de tant d’obscurs trépas !

Et les couleurs du ciel décorent tes abîmes

Vierges et somptueux plus que les fiers cimes.

C’était pourquoi sans doute Argan aimait les flots.