quelquefois la chair infirme succombe, nous n’en devons accuser que nous-mesmes, qui deceus par un ombre fuyarde & fausse apparence des choses, trebuchans en la fosse que nous nous estions preparée. Et ce que je deduy icy, n’est sans une tresmanifeste raison, comme je l’experimente maintenant en moy-mesme, qui ayant lasché la bride trop longue a mes affections desordonnées, ay esté tiré du droit chemin, & traistement deceu : & neantmoins je ne scay, ny ne puis m’en retirer, ny prendre la droitte voye, ou tourner le dos a ce qui me nuit : dont maintenant, infortuné & miserable que je suis, je me recognoy estre semblable à celuy qui poursuyvant sa proy par l’espesseur d’un bois, s’eslance indifferement par tout, sans qu’il puisse retrouver le sentier par lequel il estoit entré : ains tant plus il cuide suyvre la trace, il s’en esloigne plus avant, demeurant à la fin intriqué : si est ce (Seigneur Comte) que je ne vueil ny n’entens pas mes allegations précédentes, si bien pallier ma faute ou purger mon erreur, que je ne le recognoisse & confesse en moymesme, mais c’est a fin qu’ayant recherché de loing l’origine de mon mal, vous m’aydez à le plaindre & aiez pitié de moy, car pour vous en dire ce qu en est, je suis tellement envelopé au laby-
rinthe de mon effrené vouloir, qu’encores que je voye ce qui est de meilleur, helas, je suis le pire. Ne suis-je donc pas a plaindre (Comte) qui apres tant de glorieuses victoires, tant sur mer que sur terre, par lesquelles j’ay fait retentir & honorer la memoire de mon nom par toutes les parties, maintenant je suis lié & vaincu d’un si desordonné appetit, que je ne m’en puis relever : dont ceste mienne vie, ou plustost mort, est confite en tant d’angoisse & peines mortelles, que je suis le propre siege de tous maux, & unique receptacle de toute misère. Mais quelle suffisante excuse de mon erreur pourray-je desormais produire, qui en fin ne se manifeste inutile & despourveuë de raison : mais dequoy feray-je bouclier de ma honte, sinon de jeunesse qui me sert d’aiguillon pour m’induire à l’amour ? Les forces duquel j’ay tant de fois repoussées, que maintenant vaincu, je n’ay rien de repos sinon en ta mercy, qui durant le vivant de mon pere, as liberalement respandu ton sang en plusieurs entreprises hautaines, pour son service, lequel depuis as bien continué en moy, qu’en plusieurs affaires perilleux, j’ay souvent esprouvé la verité de ton conseil, par le moyen duquel j’ay mis à fin des choses de grande
consequence, sans jamais t’avoir trouvé retif : lesquelles choses se representans devant mes yeux, me font avec toute confiance & seureté te declarer mon fait, auquel tu peux pourvoir avec ta parolle seule, laquelle t’apportant fruict, tu gaigneras le cœur du Roy, duquel pourras disposer toute ta vie : & d’autant que l’affaire te semblera ardu, difficile ou penible, ton merite sera plus grand, & accroistra l’obligation de celuy qui le reçoit. Pense donques, Comte, quel avantage c’est, d’avoir un Roy à ton commandement : joint que tu as quatre enfans masles, lesquelz tu ne peux honorablement advantager, sans ma faveur, te jurant par mon sceptre, que si tu me soulages en mes ennuis, je pourvoyray si bien les trois derniers, de si bonnes rentes, qu’ils n’auront occasion de porter envie à leur aisné. Recorde toy semblablement, comme je scay récompenser ceux qui me servent, & si tu as cogneu ma liberalité en recognoissant les services des autres, pense, je te prie, quel je seray en ton endroit, duquel ma vie & ma mort depend.