Voz propos m’ont renduë si confuse & tellement ravie en admiration (monseigneur & pere treshonoré) que si toutes les parties de mon corps estoient converties en langues, elles ne me sembleroient assez suffisantes, pour dignement exprimer la moindre partie de mon dueil & mescontentement : & certainement avec tresgrande & tresjuste raison je me puis maintenant plaindre de vous, veu le peu de conte que
faites de moy, qui suis vostre chair, vostre sang, & vos os, & qui pour le tribut de ta vie fresle & caduque que vous m’avez donnée, me mettant sur terre, vous voulez prendre mon honneur maintenant en payement. En quoy j’experimente que non seulement toutes les loix de nature sont esteintes & amorties en vous, mais, qui pis est, vous excedez & surpassez en cecy la cruauté des animaux, lesquels quelque brutalité qu’ils ayent, si ne sont ils point si denaturez de faire tort à leurs faons ou d’exposer leur fruit à la mercy d’autruy, comme vous faites le vostre, soubs le plaisir d’un Roy : Car quelque estroite puissance que vous ayez de me commander, comme à vostre treshumble & tresobeissante fille, toutesfois vous devez penser & reduire en vostre memoire, que jamais vous n’avez veu en moy acte ny mouvement, ny signe, ny entendu parolle qui vous deust inciter, ne tenir propos si deshonnestes. Et combien que le Roy par plusieurs fois avec une infinité de prieres, presens & messages, & autres tels allechemens propres à persuader ait desployé tout l’artifice de son esprit, pour me seduire & corrompre, si est ce qu’il ne peut oncques avoir autre response de moy, sinon que l’honneur m’estoit mille fois plus cher que
la vie ce que je vous ay tousjours voulu celer : comme aussi ay je fait à mes autres parens de peur de vous induire à commettre felonnie, ou de conspirer quelque chose contre nostre Roy, prevoyant les estranges accidens, qui sont souvent advenus pour semblables choses avec la ruine de plusieurs citez & provinces, mais bon Dieu, je suis bien esloignée de mon doutte, veu que vous-mesme estes le courtier honteux d’un acte si deshonneste. Et afin de conclure en peu de paroles, encore que j’eusse tousjours esperance que le Roy me voyant arrestée en mon inviolable chasteté, se deporteroit de me poursuyvre, & me lairroit, pour l’avenir, vivre en repos avec mes semblables : si est ce que le voyant obstiné en son erreur, je suis resoluë pour mourir ne faire chose qui luy plaise. Et de peur qu’il prenne de moy par force ce que de mon gré je ne luy veux ottroyer suyvant vostre conseil, j’esliray de deux maux le moindre, ayant plus cher me defaire & tuer de mes propres mains, que souffrir qu’une telle tache ou vitupere obscurcisse la gloire de mon nom, ne voulant rien commettre en secret, qu’estait quelque fois puis après publié, me puisse faire changer de couleur. Et en ce que mettez en avant d’avoir juré & engagé vostre foy au Roy pour asseurance de
vostre promesse, c’est tresmal consideré à vous, quelle est la puissance que les peres ont sur leurs enfans, veu qu’elle est si bien bornée par la loy de Dieu, qu’ils ne sont obligez à leurs parens, en ce qui est contre ses divins commandemens : d’avantage tant s’en faut que nous puissions nous obliger aux choses incestueuses & deshonnestes, que mesmes il nous est estroittement enjoint de ne les faire point si nous en sommes requis. Et eust esté trop plus decent & excusable devant Dieu, si lors que vous feistes ceste legere promesse au Roy, luy eussies promis de m’estrangler plustost de vos propres mains, que de consentir de me laisser tomber en une faute si abominable. Et afin de tirer le dernier arrest & conclusion de ce que j’ay arresté en moy avec une tresmeuve deliberation & immuable conseil. C’est que vous direz au Roy, que j’ayme mieux perdre la vie avec la plus cruelle de toutes les honteuses morts qu’il scauroit inventer, que de consentir une chose tant deshonneste, ayant de long temps imprimé cecy en mon ame, que la mort honneste honore la vie passée.