Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Bayard, ou Le Siège de Mézière,</em> comédie héroïque en trois actes et en vers, mêlée d'intermèdes Durosoy, Barnabé Farmian (1745 ? - 1792) [XVIII<sup>e</sup> siècle] chargé d'édition/chercheur Barthélemy, Élisa (transcription et édition numérique) Laurence Macé CEREdI, UR 3229 - Université de Rouen-Normandie ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
ark:/12148/bpt6k30435915 [XVIII<sup>e</sup> siècle] Fiche : Laurence Macé CEREdI, UR 3229 - Université de Rouen-Normandie ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris, Bibliothèque nationale de France, 8-YTH-1827
Révision terminée 03/06/2022. Français Révision terminée 03/06/2022.

Vert BAYARD, OU LE SIEGE DE MÉZIÈRE,COMÉDIE HÉROÏQUE EN TROIS ACTES ET EN VERS,MÊLÉE D'INTERMÉDES. (Par Barn. Farmian de Rozoi, dit Durosoi, d'après Querard.) Yth 1827

iii

PRÉFACE.

Je ne retracerai point ici tous les ex- ploits, et sur-tout les actes de bienfai-sance et de vertu qui ont rendu la mé-moire du chevalier sans reproche etsans peur aussi chère que célebre. Le théâtre a, depuis quelque tems, retenti des hauts faits et des traits mémorablesde ce guerrier, l’honneur de son siecle et de sa patrie. Je l'ai dit et écrit depuis long-tems : la meilleure manière d'ap-prendre à tout un peuple l’histoire de son pays, c'est de la mettre en action sur la scène.

Je n'extrairai donc de la vie de Bayard, que ce qui est relatif à l'ouvrage que je donne aujourd’hui, et je placerai dansquelques notes historiques tout ce qui tient à l’histoire des guerriers qui ont combattu à ses côtés.

Bayard ayant été blessé d'un coup

a ij

iv

Préface.

de pique, dans le haut de la cuisse, à l'assaut de Bresse, dans le moment où il venait d'emporter le retranchement, fut porté ensuite dans la maison d'une dame qui le supplia de sauver sa vie, ses biens, son honneur et celui de ses filles. La ville avait été bientôt forcéepar les Français ; mais la présence de Bayard, fut une sauve-garde assuréepour cette mère sensible, qui, de ce moment prodigua au bon chevalier, ainsi que ses filles, les soins les plus touchans. On sait quel combat de recon- naissance et de générosité signala les adieux de Bayard et de cette mère, que ce seul trait a rendue immortelle.

Dans un autre moment Bayard qui, comme César, comme Alexandre, et sur-tout comme notre bon Henri IV, adorait ce sexe charmant sans lequel la gloire même perdrait tout son prix, voit arriver chez lui une jeune fille qu'on lui avait amenée. Le chevalier espérait ne trouver dans ses yeux que le caractère

Préface.

v

brillant du plaisir et tous les charmes de la volupté. Des larmes coulent au contraire des yeux de cette jeune vic-time. C'est une mère que l'indigence force à sacrifier l’honneur de sa fille ; c'est la mort d'un père tué dans le com-bat, qui a ruiné cette mère si peu ex-cusable. Il y a plus, elle aime, cette jeune infortunée : et dès ce moment elle allait être indigne de l'amant dont elle espé-rait faire un époux. Essuyer ses larmes l'envoyer à Grenoble chez une de ces parentes, dame d'un grand nom, la do-ter après l'avoir réunie à son amant, voilà quels plaisirs délicieux et durables Bayard échangea contre l'instant de vo-lupté passagère qu'il avait crû goûter, et dont le sacrifice lui valut tant d'autres jouissances.

De l'ensemble de ces deux traits de la vie de mon héros, j'ai formé l'intrigue de la piece, où d'ailleurs je me suis plu à peindre toujours Bayard d'après lui-même ; je n'ai changé que peu de

a iij

vi

Préface.

circonstances, et j'avais au moins cette liberté.

En ajoutant l'époque du siège de Mé-ziere, le fait d'armes le plus glorieux du bon chevalier, je dus nécessairement le représenter dans le même tableau comme guerrier et comme amant.

Méziere était alors une place presque démantelée : une faible garnison et de mauvais remparts pouvaient-ils tenir long-tems contre deux armées formida-bles ? Mais Bayard s'y renferma, et vingt chevaliers du plus grand nom se firent un honneur de combattre à ses côtés ; un Clermont-Tonnerre, un Duras, un Montmorenci, un Sassenage, un Mon- teynard, un La Tour du Pin, et Malessie, celui-là même qui avait pris avec lui la caisse militaire des Espagnols ; les habitans de Méziere firent des prodiges de valeur sous les yeux du héros, et j'ai crû devoir consacrer cette anecdotesi glorieuse pour eux, au moment de la levée du siège, par la fête même qu'ils donnent à Bayard.

Préface.

vii

Chaque année, le jour de la délivrance de Méziere, est un jour de fête publique pour ses habitans : le nom de Bayard y est proclamé avec transport après tant de générations ; puisse mon ouvrage y être représenté à l'un de ces anniver-saires, et devenir un des tributs payés par la reconnaissance d'une ville dont chaque citoyen avait mérité d'être un des compagnons d'armes de Bayard.

Le trait que j'ai consacré dans la scène sixieme de mon premier acte est encore une des anecdotes de la vie de Bayard : comment l'oublier au théâtre ?

Celui des vieux guerriers qu'il nour-rissait dans leur vieillesse, dont il avait doté les filles et placé les fils au service, est peut-être la leçon de bienfaisance la plus touchante dont l’histoire et l'art dramatique puissent consacrer le souve-nir : à la mort de Bayard on trouva dans ses papiers des notes réservées pour lui seul, sur un nombre infini de vieux guer-riers, de veuves ou de filles d'officiers,

a iv

viii

Préface.

qu'il soutenait par ses bienfaits, et son testament justifiait ce que je lui fais dire : Et consacrant sa volonté dernière Pour vous servir Bayard se survivra

Une seule partie de mon ouvrage mé-rite d'être discutée ici, et j'avouerai qu'elle est celle à laquelle j'ai attaché le plus d'intérêt en travaillant ; c'est le moment où j'ai mis en scène le con-nétable de Bourbon et Bayard. Plus d'un motif m'a déterminé à placer cette scène qui semble épisodique, mais qui rap-pelle un trait si touchant de Bayard mourant, et sur-tout une anecdote de la vie du connétable qui est très-peu connue.

Dans des mémoires particuliers que j'ai lûs et qui détaillent les malheurs et les exploits de ce prince si coupable, mais d'ailleurs si grand et si cruellement persécuté, il est dit que le connétable avait eu le désir de s'expliquer avec Bayard sur le traité qu'il avait fait avec Charles-Quint ; que même dans un mo-

Préface.

ix

ment il avait été frappé de l'idée d'as-socier le bon chevalier aux projets de sa future grandeur, et de la possessionde ce trône, dont l'adroit souverain avait su présenter à Bourbon le fantôme illusoire. Je n'ai pû, et je le crois, je n'ai point dû résister au plaisir d'enri-chir mon ouvrage de cette anecdote pré-cieuse. Si lors qu'on voit paraître sur la scène Sertorius et Pompée, la seule idée de grandeur, dont on est frappé en se nommant ces deux héros de l'an-cienne Rome, suffit pour faire éprouver au spectateur la plus vive sensation, tout autre intérêt de la piece à part ; de quelle douce émotion doivent être affec-tés des Français, en voyant Bayard et Bourbon développer leur caractère, et ce dernier accablé par les reproches du chevalier, lui dire enfin : Plus tu me hais, plus je t'estime.

Ces paroles si célèbres de Bayard à ce rébelle, d'ailleurs si digne d'être ad-admiré, ne doivent pas être mises dans

x

Préface.

une autre bouche que dans la sienne : c'est comme si l'on faisait prononcer à quelque roi, ou général, la courte et sublime harangue de Henry IV, mar-chant pour combattre la Ligue dans la plaine d’lvry.

Enfin, si en rapprochant Bourbon et Bayard, j'ai abusé du <foreign xml:lang="lat"><hi rend="italic">Quid libet au-</hi><lb/><hi rend="italic">dendi</hi></foreign> d'Horace, au moins me saura-t-on gré d'avoir esquissé le caractère de ce prince, qui regretta tant de fois sa patrie, et qui même, en annoncant à Bayardque son traité est signé avec Charles et qu'il part pour l'Italie, est encor assez français dans le cœur, pour dire à Bayard qu'il souhaite que la victoire lui soit fidèle, et ajoute : Dussé-je un jour être vaincu par toi.

Ce que je dis au troisième acte des soins que le bon chevalier voulait que l'on prît des blessés, soit Espagnols soit Français, est encore un de ces traits ca-ractéristiques, que je n'ai point dû né-gliger. Le détail sur le souterrein qui

Préface.

xi

avait servi à quelques fuyards est con-sacré par l’histoire ; quant aux bandes piémontaises dont je parle dans ce même endroit, on sait comme dès-lors le ré-giment de Piémont jouissait de la plus haute distinction ; l'on sait avec quelle valeur, quelle fidélité irréprochable, il a conservé jusqu'au moment où j'écris le dépôt sacré de gloire et d’héroïsme, dont un Brissac avait, dès le quinzième siècle, allumé le foyer qui semble ne devoir jamais s'éteindre.

C'est ainsi que j'ai rapproché tout ce qui pouvait ajouter à la ressemblance du portrait que j'osais esquisser. Si je regrette bien sincèrement, ainsi que je l'ai dit plus haut, que l'on ait appliqué à d'autres guerriers des mots échappés à la grande ame de Bayard, comment s'est-on permis de lui attribuer à lui, dans plus d'un ouvrage devenu célèbre au théâtre, des actions qui n'étaient pas les siennes ?

Comment ne pas respecter la vérité

xii

Préface.

historique en parlant d'un guerrier qui est si cher à la nation, et dont la vie est l'école la meilleure pour tout Fran-çais qui entre dans la carrière des ar-mes ?...… Comment a-t-on rendu Gaston et Bayard rivaux et jaloux l'un de l'autre ? Comment a-t-on eu la pen-sée de faire présenter un cartel par Bayard ; à qui ? - à son général, au neveu de son roi, au prince qui lui était le plus cher ? – Et dans quel tems ? - au moment d'une campagne qui fixait le sort de cette guerre, à la veille d'une bataille devenue depuis si célèbre dans nos fastes. - Et pour qui ce duel ? – pour une femme qui n'est qu'un personnage supposé. Le chevalier sans reproche commettre une telle faute ! Et les jeunes gens que vous conduisez au théâtre, et qui ne connaissent point assez l’histoire pour être en garde contre une telle fic-tion, emportent avec eux l'idée de cette scène que je trouve inexcusable ! Envain l'auteur a mis Bayard aux pieds de son

Préface.

xiii

général ; envain Gaston fait son testa-ment en sa faveur, s'il meurt dans ce duel si ridiculement imaginé. Pourquoi supposer une faute pour le plaisir de créer ensuite des traits de générosité destinés à l'effacer ?

Qu'un romancier suppose une intrigue d'amour, mette en action une belle, dont plusieurs guerriers se disputent le cœur ; qu'il suppose qu'un combat dicté par l’honneur, comme celui de Bayard avec Sottomaïor, ait été la suite d'un dépit jaloux, qu’il ait même la folie de rendre François premier témoin et juge de ce combat ; que ne pardonne-t-on pas à un romancier ? Encore ne devrait-on se permettre ces écarts d'imagination que lorsqu'il peut en résulter de grandes vérités morales, et des leçons frappan-tes, utiles à toutes les classes d’hommes. Mais il devrait être défendu de défigurer les véritables traits de nos héros, même dans un roman.

Alexandre ne permettait pas qu'un

xiv

Préface.

autre qu'Apelle fit son portrait : le peu-ple français devrait proscrire tout ou-vrage où ses Condé, ses Brissac, ses Dunois, ses Turenne, deviendraient mé-connaissables à ses yeux, par les tableaux mensongers que l'on en ferait. Dans le héros macédonien, c'était orgueil ; dans la nation française, ce serait vénérationet reconnaissance.

Je ne dois pas omettre ici des traits précieux qui ne pourront qu'intéresser mes lecteurs.

Bayard était de la famille des Ter-rail, maison ancienne du Dauphiné. Les ayeux du bon chevalier s'étaient déjà rendus fameux par leurs exploits et par leurs vertus, avant que le Dauphiné eut été donné à la France. Aubert Terrail, cinquieme ayeul du chevalier, avait été tué dans une bataille, à côté du dau-phin viennois, Humbert. Lorsque la province fut devenue l'appanage de l’hé-ritier du trône français, les Terrail de-vinrent des sujets fidèles des successeurs

Préface.

xv

de Hugues Capet. Philippe, quatrième ayeul du chevalier, fut tué à la bataille de Poitiers ; Jean son fils le fut à celle de Verneuil ; Pierre premier, son petit fils à celle d'Azincourt ; Pierre II, ayeul de Bayard à Montlhery. Il fallait un père digne d'un tel fils ; c'était le pre-mier présent que la naure dût faire à notre héros. Aussi ne le lui refusa-t-elle pas. Aimond, père du chevalier, mérita l'estime et l'amour de son roi. Il reçut à la bataille de Guinegaste, quatre bles-sures ; mais si cruelles par leurs suites, qu’il fut réduit à ne plus servir le reste de ses jours.

La mère de Bayard fut pour lui ce que Blanche de Castille fut pour Louis IX, le modèle de toutes les vertus, aussi le chevalier l'aimait-il de l'amour le plus tendre. Aussi bon père, que fils sensi-ble, ayant eu d'une demoiselle née d'une maison noble d'Italie, une fille naturelle digne en tout de son père; il l'éleva comme si elle eût été sa fille légitime ;

xvi

Préface.

elle fut richement dotée par les frèresmême du chevalier dont un était évêque ;aucun genre de vertu ne devait manquerau Chevalier sans reproche.

Après avoir lû tant de traits admira-bles de la vie de Bayard, sans douteon croirait que Grenoble, sa patrie,lui aurait au moins élevé un monument ;elle doit être si glorieuse d'avoir pro-duit un tel homme ! Combien les peu-ples mêmes sont ingrats ! Mais si aprèsavoir lû l’histoire du vainqueur de laLigue et du régénérateur de l'empirefrançais, de ce roi si clément, si brave,si sensible, on disait à ceux qui verse-raient des larmes en écoutant pour lapremière fois les récits multipliés desgraces accordées par lui à ses ennemis,« ce héros a été poignardé au milieude sa capitale » ; sans doute l’hommeà qui l'on annoncerait ce parricide,croirait que ce prince régnait sur un peu-ple de tigres. Cette réflexion sur Henri IVne m'éloigne pas de Bayard autant qu'on

pourrait

Préface.

xvii

pourrait le croire. Ce grand roi citaitchaque jour ou les vertus ou les paroleset les faits mémorables du chevalier :il le proposait pour modèle à sa no-blesse. Il faut avouer qu'il y a entreces deux héros si chers à la nation fran-çaise, des ressemblances frappantes.Tous deux francs, valeureux, intrépi-des ; tous deux fidèles à leur parole,généreux envers leurs ennemis, tousdeux amis tendres et sincères ; enfin,dociles à suivre la voix de ce sexe en-chanteur autant qu'impérieux, qui nepermet pas qu'on lui résiste et qui payepar un sourire le sang des héros et lesveilles de l’homme de génie. Ainsi levainqueur de Mayenne, l'ami de Sully,était le Bayard des rois, et Bayardfut le Henri des chevaliers français.

Le bon roi se trouvant à Grenobleen 1600, résolut de faire élever un tom-beau digne de la gloire de Bayard etdigne du monarque qui s'honorait enhonorant sa mémoire. Mais la guerre

b

xviii

Préface.

de Savoye, le mariage de Henri, et beau-coup d'autres événemens suspendirentl'effet d'un projet que le monarque n'avaitjamais perdu de vue. Un crime exécrablel'enleva à la France, et le ciel sembla lapunir d'avoir pû produire un monstrecapable d'un pareil attentat, en susci-tant contre elle une foule de tyranssubalternes. Cependant en 1619, les états du Dauphiné s'étant rassemblés à Gre-noble, firent un fond qui reviendrait àpeu-près à deux mille livres de notremonnoie d'aujourd’hui ; mais cette sommefut dissipée et bientôt employée à un au-tre usage.

Ce n'est que depuis quelques annéesque la peinture et la sculpture se sontdisputé la gloire de rendre ou les traitsou quelque action de la vie de Bayard.

Enfin, au moment où j'écris, unesouscription est ouverte pour concourirà élever ce même monument projettéen vain par Henri IV. Beaucoup de corpsmilitaires se sont fait une gloire de con-

Préface.

xix

courir à cette souscription. Un gentil-homme qui, par les femmes, descend deBayard, a été un des premiers sous-cripteurs ; et le premier prince du sanga souscrit lui seul pour une sommequatre fois plus considérable que celleque les États du Dauphiné avaient ac-cordée en 1619.

Je terminerai ces détails par une ob-servation bien précieuse pour tout amide la vertu, pour tout guerrier sensi-ble, dont l'ame est faite pour sentir leprix de cette récompense, qui tient àl'estime et à la vénération de la posté-rité.

Bayard n'a jamais commandé d'ar-mée en chef : Bayard n'a point livréde bataille, n'a pris aucune ville, etcependant son nom est un des plus cé-lèbres de notre histoire. Je ne sais quecelui de Henri IV, que l'on ne puisseprononcer sans être prénétré d'un sen-timent égal à celui dont on est affectéen nommant Bayard. Comment donc

b ij

xx

Préface.

le bon chevalier se trouve-t-il placé àcôté du héros, qui gagna plus d'unebataille, et qui d'ailleurs comme roi,comme législateur, comme grand poli-tique, effaça, je ne dirai pas seulementtous les princes ses contemporains, maisencore tous les souverains qui l'avaientprécédé sur le trône français ; c'est queBayard fut le plus vertueux des hom-mes ; c'est que ce chevalier si intrépidedans les combats, fut d'ailleurs le plusloyal, le plus magnanime, le plus sen-sible, le plus clément des guerriers,des amis, des gentilshommes. A ce nomque le bon Henri adoptait comme celuiqui devait le rapprocher le mieux detoute sa noblesse, comment ne pas re-gretter que cette même noblesse françaiseait tant perdu de ses prérogatives ? Sansdoute il était affreux que des milliersde tyrans déployassent les uns contreles autres leur bannière, entraînassentau combat leurs vassaux, et que le sou-verain, le seigneur suzerain de tant de

Préface.

xxi

petits despotes, fût trop souvent obligéde les combattre, et plus souvent encorede négocier avec eux, en s'avouant à lui-même qu'il était trop faible pour lesréduire.

Mais qu'il y a loin de cette anarchiedestructive à l'entier asservissement decette foule de successeurs, de tant d’hom-mes dont le seul nom donne l'idée dupatriotisme le plus pur, et de la loyautéla plus touchante. En vain on a cherchéà jetter du ridicule sur ces vertus che-valeresques, à qui l'Europe dut tantd'exemples de grandeur, de magnani-mité, de dévouement héroïque. L'es-prit de chevalerie valait bien sans doutecet esprit de courtisan, qui depuis a dé-naturé ce caractère premier de tout gen-tilhomme français.

Oh ! combien il serait digne d'un roisurnommé Bienfaisant, de régénérer ceprincipe de vertus et d’héroïsme quel'on n'a pû laisser périr sans porter l'at-teinte la plus cruelle à la nation elle-

xxii

Préface.

même. Les sciences, les arts, le génielui-même, servent aux plaisirs, auxcharmes de la volupté, à l'accroisse-ment des richesses fictives du luxe etpeut-être du commerce. Mais l'ancienneRome avait acquis tous ces avantages,lorsqu'elle vit naître dans son sein desTibère, des Séjan, des Héliogabale.En vain elle était devenue la souverainedu monde connu. Lorsqu'elle eût perducet esprit de ses Brissac, de ses Crillon,de ses La Tremoille, de ses Bayard, quilui avait servi à fonder le plus granddes empires, elle vit bientôt chaqueanneau de cette chaîne immense qui at-tachait à son trône tous les peuples del'univers s'affaiblir et se rompre. Alorsla souveraine des nations en devint l'es-clave : on la vit traîner les fers dont elleavait chargé tant de peuples, et l'inertiedans laquelle on la voit languir mêmede nos jours, semble être encore unchâtiment qui venge la terre des mauxque lui fit souffrir pendant trop de siè-

Préface.

xxiii

cles ce même peuple aujourd’hui si peudigne du nom de Romain.

Plus cet exemple est frappant, plusla France doit le regarder comme uneleçon importante pour elle. L'époquemême où j'écris peut être si favorable àà cette renaissance de la grandeur pre-mière de la noblesse française ! Que cevœu suffise ! qu'il soit entendu par lesdignes héritiers des héros fondateurs denotre gloire et de notre puissance. Ce n'estpoint à la tête d'un ouvrage dramatiquequ'il peut m'être permis de discuter unevérité aussi importante pour tout l'em-pire français. Mais comme sujet fidèleet sensible, j'ai pû du moins exprimerle plus pur des vœux ; et tout gentil-homme digne de ce nom répétera sansdoute avec moi la prière que j'adresseen secret au père, au souverain, au bien-faiteur de la nation.

xxiv

PERSONNAGES.

BAYARD, surnommé le Chevalier sans reprocheet sans peur.OCTAVIO FARNÈSE, chevalier italien,Amant de Laure.Le DUC DE BOURBON, connéttable de France.LAURE, jeune Italienne, amante d'Octavio.EMILIE, mère de Laure. MALESSIE, frère d'armes de Bayard.DURAS, chevalier français.ANNE DE MONTMORENCI,alors âgé de 14 ans. CLERMONT,LA TOUR DU PIN,chevaliersfrançais. SOLDATS français, espagnols, italiens. Un SOLDAT espagnol.Un PAYSAN.

La scène est à Mézière en Champagne.

BAYARD,<hi rend="italic">OU</hi><lb/>LE SIEGE DE MÉZIÈRE.

ACTE PREMIER.Le théâtre représente un poste occupé par Bayard,et d'où l'on domine sur l'intérieur de la ville.Dans le fond, on apperçoit une partie des rem-parts, où l'on voit flotter l'étendart de la France.Vers le côté gauche de la scène, est une tour.

SCENE PREMIERE. OCTAVIO, Soldats espagnols etitaliens, déguisés en troubadours.

(Ils ont tous à la main quelque instrument demusique : mais sous leur robe on voit une cui-rasse et un poigard à leur côté).

SEXTUOR,chanté par les guerriers de lasuite d'Octavio.

Nous sommes d’heureux troubadours,Enfants des Ris et des Amours :

A

2

BAYARD,

Toujours le plaisir nous couronne, Et par les biens que Vénus donne Le bonheur compte nos beaux jours. OCTAVIO, après les avoir rassemblés autourde lui, de l'air le plus mystérieux. C'est ici, chers amis, que ma Laure respire, Et dès demain l’heureux Bayard Aux autels de l'hymen espère la conduire. – Oui, dès demain ! un jour plus tard Je la perdais ! Peut-être la vengeance Pour la première fois prit ce déguisement : Je dois ici dévorer en silence, Comme guerrier ma rage, et mes pleurs commeamant, Mais apprenez, quels moyens ma prudence A su se ménager dans un péril si grand : Depuis deux jours, qu'en cette ville Bayard nous a reçus tels que des troubadours, Qui des Français avaient imploré le secours ; Tout a bien secondé ma vigilance utile. Braves amis, j'ai découvert Pour assurer votre retraite Une issue obscure et secrette, Qui vers la Meuse en cent détours se perd. Mais comment voir l'objet que j'aime ? Comment savoir sa demeure en ces lieux ? Je veux l'apprendre, et de Bayard lui-même ; C'est un plaisir de plus pour mon cœur amoureux.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

3

La lui ravir, sera ma première victoire : Maître d'un bien si cher, je suis tout à la gloire. Ce même souterrain au pied de ce rempart Conduira nos soldats ; je veux qu'il me revoie Le fer en main... Mais on vient....C'est Bayard... Renfermons les tourmens où mon ame est en proie.

SCENE II.

BAYARD, les Acteurs précédens.(Au moment où Bayard paraît, les guerriers dela suite d'Octavio prennent leurs instrumens etrecommencent à chanter).

GUERRIERS de la suite d'Octavio.

Nous sommes d’heureux troubadours Enfans des Ris et des Amours : Toujours le plaisir nous couronne ; Et par les biens que Vénus donne Le bonheur compte nos beaux jours.

BAYARD.

Oui, gentils troubadours, le tendre objet que j'aime En ce beau jour sera par vous chanté : Oui, vous célébrerez cette jeune beauté ; Et notre hymen et mon bonheur suprême, Mais vous, accoutumés aux plaisirs des bergers,

A ij

4

BAYARD

Comment avez vous pû braver tant de dangers Et parcourir des lieux dévastés par la guerre ?
OCTAVIO.
Nous revenions de ces pays charmans Où les Forcalquiers, les Sabrans Avaient tenu leur cour plénière ; Cour d'amour, où les arts rapprochant tous les rangs ; Réunissaient le guerrier, la bergère Les poëtes et les amans. Dans notre course vagabonde, L'Espagnol nous rencontre et nous réduit à fuir : Hélas ! pour le malheur du monde L'orgueil aux nations apprit à se haïr. D'un sort affreux tout nous offrait l'image : Au moment où l'on nous poursuit, Du valeureux Beaumont l'intrépide courage, Dans les rangs ennemis bientôt s'ouvre un passage ; Il nous voit, nous délivre, et vers vous nous conduit.
BAYARD.
Le bien que l'on peut faire est d'un heureux présage : Vous pourrez avec moi bientôt vous acquitter, Amis ; ce jour est le jour du carnage : Mais la Gloire, la palme en main Doit, comme époux, me couronner demain ; Demain l'hymen est le prix du courage. Vous chanterez ma Laure, et nous répéterons Ce nom si cher, refrein de vos chansons.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

7

Vas, fais-y de Piémont placer un bataillon ;... De mauvais qu'il était le poste sera bon. (Malessie sort.)

SCENE IV.

BAYARD, seul.

C'est aujourd’hui qu'enfin je justifie Ma gloire comme chevalier, Mes vœux comme sujet. Je venge ma patrie Et le loyal François premier ; Ce jour sera le plus beau de ma vie. A franchir ces remparts l'ennemi se résout : Jamais d'assaut plus long, plus affreux, plus terrible ; Eh bien, où le danger deviendra plus horrible, J'y serai, j'y veux être, et mon poste est par-tout.

A iv

3

BAYARD,

SCENE V.

BAYARD, MALESSIE, plusieursvieux guerriers.

BAYARD.

Viens, mon cher Malessie, et juge par toi- même, S'il est vrai que Bayard t'estime autant qu'il t'aime : Cette brêche effrayante, espoir de l'ennemi, Et dont le seul aspect ajoute à son audace, Voilà ton poste, et mon ami, Dans mon cœur connaîtra sa place Par celle qu'au combat je lui donne aujourd’hui. MALESSIE.

Votre bonté, Bayard, ne s'est point démentie : Quoi ! c'est à moi qu'elle confie Ce poste glorieux !.... Je l'ai bien mérité, Si vous chérir, si vous donner sa vie, Peut être un titre à l'immortalité. On nous citera l'un et l'autre, Vous pour votre grandeur, moi pour votre amitié, Et mon nom à l'appui du vôtre Ne sera jamais oublié. BAYARD, aux vieux guerriers.

Et vous, quelle raison près de moi vous rassemble, Mes bons amis, en ce moment ?

COMÉDIE HÉROÏQUE.

5

OCTAVIO, à part.

Sa Laure ! ma raison s'égare ! BAYARD.

La nature jamais n'orna de plus de dons Une beauté plus tendre. OCTAVIO à part.

Sort barbare ! (haut.)

Mais pour la bien chanter, Seigneur, il faut la voir. BAYARD.

Vous la verrez, et dès ce soir. Cette terrible et sanglante journée De Mezière et de nos guerriers Doit, je l'espère au moins, fixer la destinée : Les myrthes après les lauriers : C'est près d'ici qu'avec sa mère Ma Laure fixa son séjour :OCTAVIO, avec le plus vif intérêt.

Près d'ici ?BAYARD.

Oui, vers cette tour. (On voit ici Malessie paraître de loin.)

On vient : allez ; demain qu'une fête guerrière

A iij

6

BAYARD,

Annonce à tout amant sincère, Que c'est à la victoire à couronner l'amour.OCTAVIO.

Seigneur, ici personne à cette fête Ne prendra plus que moi de part : A m'y distinguer, je m'apprête, Et je mériterai l'estime de Bayard.(Octavio sort avec sa suite.)

SCENE III.

MALESSIE, BAYARD.

MALESSIE.

Bayard, en ce moment une troupe timide De soldats effrayés d'un danger trop certain, N'ayant que la terreur pour guide, A profité d'un souterain Qui vers la Meuse ouvre un passage...… BAYARD.

Ils sont partis.... Que l'on ne pense pas, Cher Malessie, à marcher sur leurs pas ; Eh ! commande-t-on le courage ? Où les braves vont s'assembler, Les lâches ne doivent pas être : Sur ce passage il suffit de veiller ; Mais comme aux Espagnols ils l'apprendraient peut- être,

inversion des pages suivantes.

inversion des pages 9/11

COMÉDIE HÉROÏQUE.

11

Mais croyez que nos vœux secrets, En suppliant le guerrier qui nous aime De veiller au moins sur lui même, Sont pour le bienfaiteur et non pour ses bienfaits.(Les vieux guerriers se retirent.)

SCENE VI.

MALESSIE, BAYARD.

MALESSIE.

Nous voilà seuls : n'avez-vous point encore Quelques secrets, dont ma tendre amitié ?.... BAYARD.

Il en est un seul, qu'elle ignore, Mais qui lui sera confié Dès ce moment.MALESSIE.

Parlez.BAYARD.

Je n'ai point oublié Ce jour, où l'ennemi par le droit de la guerre S'est vû ravir sa caisse militaire, Et perdit tout en fuyant sous nos coups.MALESSIE.

Eh bien ! cher Bayard ?...

12

BAYARD,

BAYARD.

Il me semble Qu'ayant fait cette prise ensemble, Un partage égal entre nous...… MALESSIE.

Mon général, que dites-vous ? De mon bonheur, me faut-il d'autre gage ; D'autre bien que votre amitié ? BAYARD.

Ainsi donc de cette moitié Qui devait être ton partage, A ton refus je pouvais disposer ?MALESSIE.

En doutez-vous ? BAYARD.

Je sais une beauté sensible ; Que maltraita le sort trop inflexible, Mais sachant d'un beau nom soutenir tout l'éclat. Son père, un vieux guerrier, périt dans un combat, Lui laissant pour tout bien et l'amour d'une mère Et sa candeur et ses attraits. Ne pourrais-tu donc, à ces traits, Me la nommer ? MALESSIE.

C'est la jeune Sancerre.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

9

UN DES GUERRIERS.

Ah ! la reconnaissance et la tendresse ensemble Cédent au même sentiment. Ce soir l'assaut se donne, et ce combat funeste Pour vos jours nous fait trembler tous. Les nôtres ne sont rien ; mais du peu qui nous reste Nous voulons faire un usage bien doux. Souffrez que nous formions, Seigneur, autour de vous Uu bataillon impénétrable, Et que la mort à nos vœux favorable Vous épargne du moins et ne frappe que nous. BAYARD.

Non, d'un trépas si beau Bayard serait jaloux. UN SECOND GUERRIER.

Sans vous, quel eût été le sort de ma famille ! Vous venez d'assurer un époux à ma fille, Et par vous mes deux fils combattent pour le roi. Ils tiennent de moi la naissance De vous l’honneur de s'armer pour la France ; lls vous doivent bien plus qu'à moi. BAYARD,

Amis, sur nos remparts quand je perdrais la vie, Croyez-vous que je vous oublie ? Non, non : j'ai tout prévu. Rien ne vous ravira Les faibles dons d'une amitié si chère, Et consacrant sa volonté dernière, Pour vous servir Bayard se survivra.

10

BAYARD

Dans cet écrit j'ai su prescrire Ce que mon cœur dut me dicter, Et pour le faire exécuter, Entre tant de guerriers, l'honneur de cet empire, Voilà celui dont j'ai fait choix. Il est des nœuds que rien ne peut détruire : La mort même sur eux n'a point de droits. Ce choix, vous l'approuvez ? (Il remet le papier à Malessie.)

LE PREMIER GUERRIER.

Hélas ! comment vous dire Tout ce que nous sentons ? – C'est un bienfait nou-veau. MALESSIE,après avoir lû.

Quoi même au delà du tombeau Veiller sur eux ! – Ah ! votre gloire N'est rien au prix de vos vertus. BAYARD.

Oui, ces bons citoyens béniraient ma mémoire. Mais après ce moment, ami, n'en parlons plus, Cache à jamais ce que je te confie : Si je succombe en vengeant ma patrie, N'écoute point un vain transport : Tout don est un outrage, alors qu'on le publie ; Je regretterais que ma mort Pût révéler ce secret de ma vie. LE SECOND GUERRIER.

Que de vertus ! – Au moins par un dernier effort Nous allons avec vous défendre la patrie.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

13

Vous voyez mon saisissement : Enmoi l'ami, le guerrier et l'amant Vous devront tout. BAYARD.

Dans sa retraite J'ai commandé de porter en ton nom Cet or qui t'appartient : – je n'ai point fait un don ; Je n'ai fait qu'acquitter ma dette. MALESSIE.

Comment ?

BAYARD.

A l'instant même, où l'or des ennemis Me fut apporté dans ma tente, Un soupir t'échappa ; mais moi, je l'entendis. Il s'élancait vers ton amante : Il lui disait : pourquoi cette somme importante N'est-elle point à moi ? – Nous serions réunis. O mon ami ! comment surprendre Un vœu si cher, sans contracter Le devoir d'y céder, dès qu'on a pû l'entendre ? Voilà ce que mon cœur appelle s'acquitter. Point de remercimens : notre amitié sincère Nous les défend et s'en offenserait ; Mais puisqu'enfin mon cœur est satisfait, Je ne vais plus penser qu'à défendre Mézière.

MALESSIE.

Je dois vous l'avouer : par fois je désespère De vous voir repousser ces bataillons nombreux

14

BAYARD,

Qui peuvent malgré nous, tels qu'un torrent fougeux, De nos faibles remparts renverser la barrière. BAYARD.

Point de place faible à mes yeux, Lorsque tant d’hommes valeureux Pour la défendre entrent dans la carrière. Mais un plus cher espoir m'est encore permis. J'attends un guerrier redoutable : Bourbon viendra, Bourbon me l'a promis. MALESSIE.

Quoi ! cet illustre connétable !...… BAYARD.

Oui, ce héros, l’honneur du nom francais. Mon attente par lui ne peut être trompée : Des Guesclins, des Clissons, il mérita l'épée, Et son nom seul me répond du succès. Depuis un mois, chaque jour, à toute heure, Je crois de ce secours entendre le signal. MALESSIE.

Mais si trompant vos vœux, quelque obstacle fatal ?... BAYARD.

Alors il faut que Bayard meure, Ou que seul, sans appui, de lui-même rival, Il reçoive des mains de la France vengée La palme, qu'avec lui Bourbon eût partagée.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

15

(On entend ici un bruit d'armes dans l'éloignement.)

Quel tumulte subit ? (Il va vers le fond de la scène.)

Combattrait-on sans nous ? (Le bruit augmente : on entend derrière la scène un cliquetis d'armes, et quelques cris plaintifs.)

SCENE VII.

BAYARD, MALESSIE, sur le théâtre.LAURE, EMILIE, GUERRIERS dela suite d'Octavio, derrière la scène.

LAURE, appellant à grands cris sans être vûe.Bayard.

EMILIE, de même.

Ma fille. MALESSIE.

O ciel ! BAYARD.

Quels cris se font entendre ? UN GUERRIER de la suite d'Octavio derrière la scène.

Oui, oui, c'est elle : rendez-vous. LAURE, de même.

O Bayard, venez nous défendre

16

BAYARD,

BAYARD, à Malessie

C'est Laure : c'est sa voix ; courons. (Ils mettent tous deux l'épée à la main.)

LE MÊME GUERRIER, appercevant Bayard.

Bayard. BAYARD, ramenant Emilie et Laure sur le théâtre

Moi-même. Vous, m'enlever l'objet que j'aime ! Ce sont ces troubadours !... Qu'ils tombent sous vos coups, Français, marchez, conduits par Malessie : Poursuivez et chargez de fers Ces lâches ravisseurs de deux objets si chers, Que de leur chef sur-tout l'audace soit punie. (Les Français sortent conduits par Malessie, et poursuivent les Espagnols qu'ils ont enveloppes.

SCENE

COMÉDIE HÉROÏQUE.

17

SCENE VIII

BAYARD, LAURE, EMILIE.

BAYARD.

Ainsi, lorsque le Ciel vous destine un vengeur,Son choix daigne deux fois m'en réserver l'honneur. LAURE.

Pour la seconde fois je suis votre conquête :Voilà donc entre nous une chaîne de plus. EMILIE.

Dans ce jour de gloire et de fête,Sans vous, que de bienfaits et que de vœux perdus !Captives toutes deux..... BAYARD.

Vous m'en voyez encoreFrémir de colère et d'horreur.Vous que j'aime, vous que j'adore,Sans vengeance, à mes yeux, connaitre le malheurDu premier effort de leurs armesComment donc étiez-vous l'objet ?Serait-ce l'effet de vos charmes ?....N'est-ce que le hasard ?... ou d'un affreux projetAlliez-vous être la victime ?Où commmande Bayard, triompherait le crime !...Mai vous-même, en secret, ne soupçonnez-vousrien ?

B

18

BAYARD,

LAURE.

Et que soupçounerais-je ? en ces lieux, étrangère, Ici ma mère est ma famille entière Et votre pays est le mien. Du reste des humains je dûs être oubliée.BAYARD.

Ce ne fut pas comme captive au moins Qu'à mes destins vous vous trouvez liée : Une mère et le Ciel ici m'en sont témoins ; L'amour seul a tout fait.

SCENE IX.

BAYARD,LAURE, EMILIE,MALESSIE.

MALESSIE.

Malgré leur résistance, Bayard, ces étrangers sont tombés sous nos coups ; lls sont aux fers : mais presque tous En Italie ont pris naissance. LAURE.

En Italie ! eh ! quel sera leur sort ? BAYARD.

D'avance ils sont condamnés à la mort. Jugés par le conseil de guerre.... LAURE.

Sans les entendre !

COMÉDIE HÉROÏQUE.

19

BAYARD.

Entourés d'ennemis, Par fois vendus à l'or et trop souvent trahis Nos guerriers ont porté la loi la plus sévère Contre quiconque où le jour ou la nuit Dans nos remparts se serait introduit. LAURE.

Ils mourront ! BAYARD.

Mais leur chef ? Sait-on, de son audace, Quel est le vérittable objet ? MALESSIE.

Leur chef était loin d'eux, et seul, de son projetS'occupe, en ce moment, en observant la place. Mais il est poursuivi. BAYARD.

Sans ordre, ses soldats, Et j'avais dû le croire, ont troublé votre asyle, Laure, mon ame est plus tranquile, Puisqu'au moins nos dangers ne vous regardaient pas. LAURE.

O mes concitoyens ! BAYARD.

Ah ! mon ame attendrie A déjà deviné vos secrets sentimens : Mais ils sont de votre patrie, Peuvent-ils m'être indifférens ? Je reviens à l'instant : je vais, s'il est possible,

B ij

20

BAYARD

Rendre leur sort plus doux et calmer votre effroi : Sans trahir mon devoir je puis être sensible, Et me mettre entre eux et la loi.(Bayard sort avec Malessie).

SCENE X.

EMILIE, LAURE.

EMILIE.

Pourquoi vois-je couler tes larmes ? O ma fille ! plus de douleur : L'amour t'offre ici mille charmes ; L'hymen assure ton bonheur. LAURE.

Champ fortunés de l'Italie, Ne vous reverrai-je jamais ? EMILIE.

Eh ! ma fille, quelle patrie Vaudrait ce séjour plein d'attraits ? Bayard, enchaîne à tes pieds sa vaillance, Bayard le héros des Français ! LAURE.

Entre vos bras il m'a conduite en France : Votre bonheur est un de ses bienfaits. EMILIE.

Dans Bresse, livrée au pillage Sans lui quel était notre sort !

COMÉDIE HÉROÏQUE.

21

Il ne nous restait plus qu'un affreux esclavage Et que le déshonneur, plus cruel que la mort. Bayard paraît : à sa voix bienfaisante La mort s'arrête, et le crime en fureur Respecte enfin les cris de la beauté mourante Et les larmes de la pudeur. LAURE.

Sur mon respect, sur ma reconnaissance L'hymen hélas ! lui donne un droit sacré : Peut-être c'est trop peu pour tant de bienfaisance ; Mais n'est-ce rien que d'être révéré ? EMILIE.

Ma fille, sur ta confiance Aurais-je moins de droits ? Ah ! c'est-là le seul bien Dont la perte pour moi serait irréparable. Parle-moi : quel chagrin t'accable ? Qui t'arrête ? Tu le sais bien, Ton secret, en passant de ton cœur dans le mien, Ne change point de place. LAURE.

Ah ! pourquoi de mon ame Vouloir arracher quelque aveu ? Vous connûtes l'objet de ma première flamme, Et qui reçut mon premier vœu. Octavio !..... tout ce qui charme et touche, Je le trouvais en toi.... que devient ma raison ? Octavio !.... pardonne Hymen ! ce nom Pour la dernière fois est sorti de ma bouche. De ta femme, ô Bayard ! tu ne rougiras pas :

B iij

22

BAYARD

Ma main sera le prix de tes nouveaux combats ; N'exige rien de plus : ignore la victoire Que je remporte sur mon cœur, (Avec la plus noble énergie.)

Et mon époux fera ma gloire, S'il ne peut faire mon bonheur.

SCENE XI.

LAURE, BAYARD, EMILIE.

LAURE.

Eh ! bien, ces prisonniers ?... Excusez ma faiblesse, Et mes terreurs ; leur chef ?... BAYARD.

Est arrêté. LAURE.

Vous l'avez vu ? BAYARD.

Je l'ai plaint. Sa jeunesse Rend si touchante sa fierté ! Tout en lui, tout annonce une douleur profonde En vain j'ai voulu qu'il réponde ; Il se tait, ou s'il parle il demande à mourir.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

23

EMILIE.

Il fallait exiger, qu'il dit son nom, son âge.

BAYARD. Je n'en ai pas eu le courage : Comment aigrir ses maux ? Il paraît tant souffrir !(A Laure.)

Vous soupirez. LAURE.

Ah ! pardonnez : je tremble Pour un concitoyen, pour un infortuné. BAYARD.

Déjà le conseil se rassemble. LAURE.

Et dès ce jour sans doute condamné.... BAYARD.

Sa jeunesse et sa noble audace N'auront point su m'intéresser en vain. Laure, je tiens ici la place, J'ai les droits de mon souverain, Il juge comme roi, comme père il pardonne. LAURE.

Eh ! bien, Seigneur ?... BAYARD.

Si mon cœur quelquefois S'est désisté du premier de ses droits, Il n'a jamais cédé le second à personne.

B iv

24

Bayard

LAURE.Adieu : Laure, vous prie..... BAYARD.Ou plutôt elle ordonne.... LAURE.De veiller sur les jours de ce jeune étranger.(Laure sort avec Emilie.)

SCENE XII.

BAYARD, seul, tenant une lettre.(Soldats au fond de la scène.)

Lisons maintenant cette lettre D'un guerrier qu'en nos murs on me presse d'ad- mettre Dans quelque piege enfin voudroit-on m'engager ? Lisons : dans ce grand jour rien n'est à néglige.(Il lit.)

» Chevalier, un gentil-homme français qui a » combattu plus d'une fois à vos côtés, et avec » quelque gloire, vous demande un entretien » particulier. Il entrera casque en tête et visière » baissée, de manière que qui que ce soit ne » puisse le reconnaître: Pescaire et Lannoy ont » tous deux consenti à ce que je puisse arriver » jusqu'à vous. Ce que j'ai à vous confier est

COMÉDIE HÉROÏQUE.

25

» d'une si grande importance, que si vous n'étiez » point Bayard, je ne pourrais ni ne devrais vous » le dire. Mais un jour plus tard, il ne serait » plus temps. Adieu, brave Bayard, il me serait » difficile de vous dire si je vous aime plus que » je ne vous honore ». Quel est donc ce guerrier, qu'avec tant de mystère Il faut que j'entretienne ici ? Comment l'ami des Lannoy, des Pescaire Pourrait-il être mon ami ? Que peut-il avoir à m'apprendre ? Est-ce un ministre ou de guerre ou de paix ?... (Avec la plus douce sensibilité.)

Pourquoi le soupçonner, comment ne pas l'en- tendre, Puisqu'il s'annonce pour Français ? (Aux soldats.)

Allez, soldats : dites qu'à l'instant même On peut venir ; ma parole en répond. Si ce n'était qu'un stratagème, On sait comment Bayard sait venger un affront. Allez. (On voit de loin amener Octavio les fers aux mains.)

Que vois-je ? Eh ! pourquoi donc des chaînes ? Quoi, n'est-ce pas assez que le poids du malheur ! Punissons l’homme au moins, sans avilir son cœur ; Dès qu'il ne peut plus nuire, épargnons-lui des peines.

26

BAYARD

SCENE XIII.

OCTAVIO, BAYARD, MALESSIE,DURAS, CHEVALIERS, SOLDATS.

DURAS.

Vous savez comment dans nos murs, Bayard, cet étranger s'est ouvert un passage : Son front chargé d'ennuis et ses discours obscurs D'un funeste complot nous semblent le présage. Mais vous avez voulu prononcer sur son sort. BAYARD.

Quel fut votre dessein, guerrier trop téméraire ? Vous savez les loix de la guerre : Pourquoi chercher des fers, et peut-être la mort ? OCTAVIO.

Est-ce elle enfin que l'on m'annonce ? BAYARD.

Je ne menace point : mon ame s'ouvre à vous. OCTAVIO.

N'attends de moi..... faiblesse ni réponse. Voudrais-je ta pitié ? Craindrais-je ton courroux ? Qui veut mourir, ne craint ni tourmens ni puis- sance.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

27

BAYARD.

Quel est du moins ton nom ou ta naissance ? OCTAVIO.

Mon nom ? je le tairai : mon rang ? je n'en ai plus : J’eus des droits au bonheur, je les ai tous perdus. Soldat ou chevalier, qu'importe ? BAYARD.

Il est un titre, Que malgré toi je saurai respecter, Ton malheur. Si la loi de ton sort est arbitre, Je veux te rassurer et non t'épouvanter. Une voix, qui sur moi connait bien sa puissance, Me dit : « Défends un jeune infortuné : » C'est un ami que je t'aurai donné ».... Je l'accepte ce don avec reconnaissance. Connais mon ame, et sois, en me donnant ta foi, Dans cette tour libre sur ta parole. (Aux chevaliers.)

Vous chevaliers, jugez-le, mais sans moi. Si le coupable appartient à la loi, C'est l’homme qu'en lui je console. (Il détache les fers d'Octavio.)

Mon cœur au moins se réserve pour toi : Tu vois ce que je fais : mais j'apprendrai sans doute... OCTAVIO.

Te dire mon secret ! c'est moi, qui sais le tien.

28

BAYARD

BAYARD.

Le mien ! Achève.... je t'écoute. OCTAVIO.

Marchons : j'en dirais trop ; je ne réponds plus rien. (On conduit Octavio dans la tour : Bayard sort avec les chevaliers français.)

Fin du premier acte.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

29

ACTE II.

SCENE PREMIERE.

ÉMILIE, LAURE.

EMILIE.

Arrête : tu me fuis. LAURE.

Non : je me fuis moi-même, EMILIE, la serrant dans ses bras.

Eh bien ! daigne au moins m'écouter. LAURE.

Ah ! je vais trahir ce que j'aime, Et je ne sais quel Dieu semble m'épouvanter. Un noir pressentiment... des pleurs involontaires... Si vous saviez !..... EMILIE.

Achève. LAURE.

Dans ces lieux, A l'instant même... est-ce toi, qui m'éclaires, Amour, sur mon destin ?.. .des accens douloureux

30

BAYARD

Ont frappé tous mes sens, et j'en frémis encore ! Etrange illusion ! du guerrier que j'adore, J'ai cru reconnaître la voix. EMILIE.

Pourquoi nourrir un feu qui te dévore ? LAURE.

J'aimais pour la première fois, Quand j'ai perdu tout ce que j'aime : La nuit, le jour, dans tous les lieux, je crois Le voir et l'entendre lui-même ; L'absence semble encore ajouter à ses droits. EMILIE.

Eh bien ! c'est trop souffrir : ose imiter ta mère ; De ce moment à Bayard je remets Et sa parole et ses bienfaits. J'ai vu dévaster par la guerre Les biens que ton valeureux père Crût être ton partage un jour : La gloire au champ d’honneur termina sa carrière ; Ton destin me rendait la vie enfin plus chère. Mais malheureuses tour-à-tour, Moi par l’hymen, toi par l'amour , Nous saurons braver la misère. LAURE.

Ah ! n'ajoutez point à mes maux. Que me proposez-vous ? moi que je sacrifieVotre bonheur à mon repos !

COMÉDIE HÉROÏQUE.

31

Cent fois plutôt perdre la vie. (Elle s'arrête comme effrayée et saisie.)

O Ciel ! EMILIE.

Parle, fille chérie : D'où naît ce trouble et ce frémissement ? LAURE, les yeux fixés sur la tour, lentement d'abord, et comme parlant avec effort.

Du fond de cette tour, un long gémissement.... Il a glacé mon cœur par son accent funèbre.... Le désespoir habite en ce lieu de ténèbre ; J'ai peine à résister à mon saisissement. Hélas ! quand je meurs ta victime, Cher amant, tu m'accuseras : Tu ne connaîtras que mon crime, Tu ne sauras point mes combats. (Avec plus de calme, mais plus rapidement.)

Mais j'obtiendrai du moins de Bayard une grace, Et je cours vers lui. EMILIE.

Quel transport ! LAURE.

Ces guerriers, dont son bras a repoussé l'audace ; Quel intérêt si cher les enchaîne à mon sort ? Ils ont un chef. EMILIE.

Eh bien ! que vas-tu faire ?

32

BAYARD.

LAURE.

Je veux le voir : un sentiment secret Me dit ; c'est ton amant : l'amour rend téméraire. Eh ! quel autre que lui pour moi s'exposerait ? EMILIE.

Mais tu dois à Bayard et l’honneur et ta mère : Mais demain à l'autel !.... peux-tu donc oublier Que l’hymen est jaloux ?.... LAURE.

Eh ! de qui peut-il l'être ? L'infortuné meurt en ce jour, peut-être : Que lui pourrait-on envier ? Si c'est lui, que Bayard entende ma prière : Je sauverai du moins cette tête si chère ; Encore ce plaisir : il sera le dernier. (Elle sort.)

SCENE

COMÉDIE HÉROÏQUE.

33

SCENE II.

EMILIE seule.

C'en est donc fait : il faut que je renonce Au bonheur qui du moins eût charmé mes vieux ans ; Après tant de revers !... N'importe : je le sens, O Bayard, le devoir veut que je vous annonce Quels sont de Laure, hélas ! les secrets sentimens. Vous taire ses regrets, c'est en être complice : Oui, je frémis du coup dont je vais vous frapper ; Vous affliger m'est un supplice, Mais il m'est plus affreux encor de vous tromper. Il vient.

34

BAYARD,

SCENE III.

BAYARD, MALESSIE, EMILIE.

BAYARD.

Eh ! quoi, c'est vous, Madame ! Me pardonnerez-vous ?... EMILIE

Seigneur, je vous entends ; Je le vois trop : tous ces instans Sont précieux ; la France les réclame. Tant de devoirs sacrés ! tant de soins importans ! Mais demain, un secret qui pèse sur mon ame.... BAYARD.

Vous consoler, m'est un plaisir si doux ! Demain vous m'apprendrez ce qu'il faut que je fasse, Ce secret.... EMILIE.

Est un crime, il faut, pour qu'il s'efface, Qu'il devienne celui d'un héros tel que vous. BAYARD.

Eh bien ! je l'apprendrai. Mais la trompette sonne : Elle m'annonce un guerrier inconnu ;

COMÉDIE HÉROÏQUE.

35

Veuillez me laisser seul : quoique Laure m'ordonne, Si je fais son bonheur, j'aurai trop obtenu. (Au moment où Emilie sort, on voit s'avancer un guerrier qui regarde si personne ne peut le voir : Bayard va au-devant de lui.)

SCENE IV.

Le Connétable DE BOURBON ;BAYARD.

BOURBON, levant la visière de son casque.

C'est lui, c'est le guerrier que j'aime. BAYARD.

Que vois-je ! O ciel ! me trompé-je ? BOURBON.

Non, non. BAYARD.

Vous, Monseigneur ! BOURBON.

Oui, c'est moi-même. BAYARD.

Le connétable de Bourbon, S'enfermer avec nous dans les murs de Mézière ?Ici de ce moment je ne commande plus,

C ij

36

BAYARD,

Et des Bourbons déployant la bannière Je la montre en triomphe à l'ennemi confus. BOURBON.

Arrêtez, cher Bayard : consentez à m'entendre ; (Il ôte son casque.)

Asseyons-nous. (Ils s'asseyent tous deux.)

Ce n'est plus au repos, Encor moins au bonheur, que Bourbon peut pré- tendre ; Gloire et grandeur, ces deux biens des héros, Tout est fini pour lui. BAYARD.

Par quel revers funeste Pouvez-vous tout perdre à la fois ? BOURBON.

De mes biens, de mon rang, enfin de tous mes droits La vengeance seule me reste. Un ennemi fatal m'a frappé de ses traits, Tyran d'un roi faible qui l'aime, Fière de l'ascendant suprême Qui déguise en vertus ses plus lâches forfaits.... Vous reconnaissez à ces traits Cette duchesse d'Angoulême, Que je méprise et que je hais. Des biens de ma maison, la dépouille honorable Sert de trophée à sa fureur :

COMÉDIE HÉROÏQUE.

37

Elle eût proscrit mes jours ; mais sa haine implacable Jouit en calculant mes momens de douleur ; Et pour mieux savourer son crime Par un cruel rafinement, Elle s'est dit : conservons ma victime, Faisons-la périr lentement. BAYARD.

Vous aviez fui loin d'elle. BOURBON.

Au sein de la nature Je crus trouver le calme et le bonheur : J'avais trois fils, délices de mon cœur ; Ouvrant trois fois, trois fois déchirant ma blessure, Le Ciel les frappa dans mes bras. Ma femme me restait : bientôt elle succombe A sa douleur. Je crois la suivre dans la tombe, Et j'appelle la mort ! la mort ne m'entend pas, Je me trouve enfin seul au monde : Quand je m'écrie, ô ma femme ! ô mes fils ! Il n'est personne, hélas, qui me réponde, Et l'écho des tombeaux répéte seul mes cris. BAYARD.

Ces cris d'un époux et d'un père Dans le fond de mon cœur ont déja retenti. Cher Prince, le malheur rend l'amitié la plus chère : Bayard vous reste au moins ; n'est-ce rien qu'un ami ? BOURBON.

Apprends donc le dernier outrage

C iij

39

BAYARD,

Qui met le comble à mes tourmens. Tandis que je pleurais ma femme et mes enfans ; Mes ennemis consommaient leur ouvrage : On m'eût chargé des fers qu'avait forgé leur rage ; J'ai découvert le plus noir des complots. BAYARD.

Que vous reproche-t-on ? BOURBON.

A l'Europe surprise. J'avais dénoncé mes bourreaux : Mais quand la haine tyrannise, La plainte, hélas ! la plus permise Sert de prétexte encore à des forfaits nouveaux. BAYARD.

Et pour mieux vous soustraire aux attentats du crime, Vous venez vous jetter dans les bras de Bayard ? O du malheur chère et noble victime, Je veux contre eux vous servir de rempart. Nous ne nous quittons plus. BOURBON.

Bayard pourrait me suivre Par-tout où mon destin !... BAYARD.

Oui, Bayard vous suivra ; Bravez vos ennemis ; bientôt je vous les livre, Et François premier m'entendra.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

39

Je lui rends aujourd’hui Mézière : Près de moi, Bourbon combattra ; Et dès demain la France me verra Au pied du trône apporter la lumière : La vérité par ma voix parlera. Nous voilà réunis. BOURBON.

Que ne pouvons-nous l'être ! BAYARD.

Qui peut nous séparer ? BOURBON.

Frémis de mon aveu : Bourbon n'a plus Valois pour maître ; Cet entretien est un adieu. BAYARD se levant avec rapidité.

Qu'ai-je entendu ? Bourbon serait rebelle ! BOURBON, de même.

J'avais prévu, que Bayard indigné M'aurait bientôt sans regret condamné. Ami, prends donc pitié de ma douleur cruelle : A cet excès fut-on jamais trahi ? Que de fois aux champs de la gloire Devant moi l'Espagnol a fui ! Que de fois, fixant la victoire, Je fus d'un faible roi le vengeur et l'appui ! Qu'ai-je reçu de l'ingrat en échange ? Croit-il impunément outrager un héros ? L'injure est à son comble, il faut que je me venge...

C iv

40

BAYARD

BAYARD, avec la plus grande énergie :

Oui, Prince, en l'accablant.... mais de bienfaits nouveaux. Vous avez pour l'Etat fait de grands sacrifices : Mais quand l'Etat vous donna de grands noms, Quand il dota tant d'illustres maisons, De leurs enfans d'avance il payait les services, Ces biens si grands sont un dépôt sacré, Qu'en ses besoins il a droit de reprendre : De ses dangers vous l'avez délivré : Ce n'est point lui prêter : non, prince, c'est lui rendre. Voulez-vous vous en faire un titre contre lui ? S'il n'a plus en vous un appui, Si vous cessez d'être fidèle, Cessez aussi d'être Bourbon : Rendez-lui tout, tout, jusqu'à votre nom ;Pour la première fois c'est celui d'un rebelle. BOURBON.

Mais le plaisir d’humilier Ces perfides, dont les outrages Ne doivent jamais s'oublier ! Mes ennemis pour moi sont des tigres sauvages ; J'en veux purger l'Europe. BAYARD.

Auriez-vous espéré Que l'arrogant Lannoi, le superbe Pescaire N'humilieront jamais votre ame altière,

COMÉDIE HÉROÏQUE.

41

Quand à leur foi vous vous serez livré ? Quelque nouvel affront chaque jour dévoré Vous forcera de souffrir en silence : Du fond de ce cœur ulcéré S'élancera le nom, le doux nom de la France. Seul avec vos remords, vous tournerez les yeux Vers ce roi, vers cette patrie lngrate, mais toujours chérie, Qu'en la fuyant on n'aime encor que mieux. BOURBON.

Non, non, de Charlequint j'ai reçu la parole : Comme prince et guerrier, j'ai su dicter des loix ; Des pertes de mon cœur mon orgeuil me console : Je vais m'asseoir au rang des rois. De Bourgogne l'ancien royaume Par le chef de l'empire est pour moi rétabli.... BAYARD.

Vous ! embrasser ce vain fantôme ! Mais fût-ce pour un sceptre, est-on moins avili, Quand on met son devoir et sa gloire en oubli ? BOURBON.

Jugez-moi mieux, Bayard. Que m'importait un trône ? La victoire m'avait assuré ma couronne : Le sceptre des guerriers vaut bien celui des rois. Mais tout me répétait : meurs, ou venge tes droits ; Ce que trois royaumes ensemble N'auraient pu faire, un seul affront l'a fait.

42

BAYARD

Brave Bayard, ce cœur rassemble Tous les tourmens : il se venge à regret ; Tu peux le croire encor... plus d'une fois sans doute Sur mes lauriers je verserai des pleurs : Mais les ingrats, quoiqu'il m'en coûte, Je leur ferai payer cher mes douleurs. (Lentement et avec un sentiment profond.)

Si tu l'avais voulu ! si ta noble vaillance.... BAYARD.

N'achevez pas. BOURBON.

Tu m'as trop entendu. C'en était fait : par ta présence Tu justifiais ma vengeance ; L'Europe alors se serait tû, Et du côté de l'lnnocence Tu mettais au moins la Vertu, BAYARD.

Prince, retirez-vous, et surtout rendez grace A votre nom, à la tendre amitié Dont avec vous jadis je fus lié : Craignez que mon cœur ne se lasse D'entendre vos affreux discours : Allez, dans un exil infame, Allez traîner de tristes jours. Quels droits auriez-vous sur mon ame ? Pensiez-vous m'attendrir ? Vous vous plaignez à moi

COMÉDIE HÉROÏQUE.

43

D'avoir perdu trois fils : vouliez-vous qu'ils vécussent Pour rougir de leur père en redoutant leur roi ? Il valait bien mieux qu'ils mourussent.... Mais non, non, je ne puis renoncer à l'espoir De vous fléchir : et Mézière ! Mézière ! Je parle, hélas ! au nom de la patrie entière, Et la voix de Bayard est celle du devoir. BOURBON.

Tu la défends : Mézière est invincible : Je ne serais moi, qu'un guerrier de plus : Bayard vaut pour elle une armée ; De son bras, de sa renommée, De son génie enfin, Bayard la couvrira. BAYARD.

Loin de lui d'un seul mot, Bourbon me laissera. Qu'il dise, combattons. Gloire, amitié, patrie, Tout l'ordonne : peut-être il en est encor tems. (Il tombe aux genoux de Bourbon.)

Bayard est à vos pieds : il vous aime, il vous prie,Cher prince, profitez de ces derniers instans. Il faut que votre cœur pardonne Au souverain qui vous a dédaigné : Cet horrible projet, votre ame l'abandonne, Et ce traité honteux, jamais.... BOURBON.

Il est signé.

44

BAYARD,

BAYARD, se relevant avec indignation.

Signé !... Bayard était aux pieds d'un traître ! Ami de Charlequint, ennemi de mon maître, Quel sentiment ici vous avait amené ? BOURBON.

Un sentiment, dont je ne fus pas maître, Qui te prouvera mes regrets, Par qui tu pourras reconnaître Que ce cœur est encor français. Pour la défense de Mézière, Bon chevalier, tu m'attendais : Devais-je te tromper ? Ta gloire m'est si chère ! Tu vois combien je hazardais : Rien n'a pu m'arrêter. La victoire t'appelle : Bayard pour l'enchaîner n'a besoin que de soi. Qu'elle te soit toujours fidelle, Dussé-je un jour être vaincu par toi ! Adieu : je cours en Italie Chercher et la vengeance et l'oubli de mes maux. BAYARD.

Vous m'y retrouverez conduisant nos drapeaux. BOURBON.

Pour des ingrats, Bayard y donnera sa vie. BAYARD.

Quand même trahi par le sort, J'y périrais en vengeant ma patrie, Je bénirais au moins ma mort. Alors comme aujourd’hui, Prince, je vous défie,

COMÉDIE HÉROÏQUE.

45

Moi, fidèle sujet, vous traître à votre roi ; Pour vous la honte et la gloire pour moi. BOURBON.

Plus tu me hais, plus je t'estime : Si tes conseils.... mais non : il est trop tard ! Adieu : leur pardonner était d'un cœur sublime, Mais il fallait être Bayard.

SCENE V.

BAYARD, seul.

De quel guerrier ils ont privé la France ! Tout coupable qu'il est, je le plains malgré moi : Mais devait-il, quelle que soit l'offense, Sur son pays se venger de son roi ? Mézière n'a donc plus que moi pour sa défense ! (On entend ici le bruit de soldats en marche.)

Qu'entends-je ? (On voit entrer Octavio au milieu des chevaliers.)

Déja l'on s'avance, Pour se rendre au conseil. L'infortuné, c'est lui ! Combien d'épreuves aujourd’hui Auront fatigué ma constance ! Au moins il m'aura pour appui.

46

BAYARD,

SCENE VI.

OCTAVIO, BAYARD, chevaliersfrançais.

BAYARD, à Octavio.

Enfin il faut parler, et mon cœur le désire : Peut-être dans le vôtre il mérite de lire, Qu'aviez-vous espéré ? OCTAVIO.

Te voir. BAYARD.

Guerrier farouche ! et tu voulais ?... OCTAVIO.

M'instruire. BAYARD.

De quel secret ? OCTAVIO.

Vas : j'ai dû le savoir, Et je le sais. BAYARD.

Quel sentiment t'inspire ? OCTAVIO.

La haine.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

47

BAYARD.Et son objet ? OCTAVIO.Toi-même. MALESSIE.Ah, malheureux ! Haïr Bayard ! DURAS.Pour quelle cause ? MALESSIEIl est le seul et le premier qui l'ose. Il mérite la mort. OCTAVIO.Je l'attends : je la veux, J'ai trop vécu. BAYARD.Quel tourment te déchire ? OCTAVIO, à demi-voix en conduisant Bayard vers l'avant-scène. Ecoute-moi, Bayard : es-tu sensible au moins Autant qu'on te dit l'être, et puis-je sans témoins ?... BAYARD.Ton bonheur y tient-il ?

48

Bayard,

OCTAVIO, de même.

Oui ; fais qu'on se retire. (Haut.) Je le répéte encor : je n'ai rien à leur dire. Que leur conseil me juge et décide mon sort, Et par pitié qu'il m'envoye à la mort. BAYARD.Non, s'il se peut, pour l’honneur de la France, Amis, adoucissez la rigueur de la loi ; Vous le savez tous comme moi : La gloire même est moins que la clémence, Et je vous parle au nom de votre roi. (Tous les chevaliers sortent.)

SCENE VII.

BAYARD, OCTAVIO.

BAYARD.Quel est donc ce secret, que ta douleur m'annonce ? Quels sont les maux que ton cœur a soufferts ? OCTAVIO.Mais sans armes et dans les fers Quelle peut être ma réponse ? Un seul moment, rends-moi la liberté, Rends-moi

COMÉDIE HÉROÏQUE.

49

Rends-moi le fer que les tiens m'ont ôté, Et dans le champ d’honneur ose avec moi paraître. BAYARD.Avec toi ! si du moins tu te fesais connaître ! OCTAVIO.Pour me juger n'en crois que ma fierté : Des Farnèse le rang et les titres peut-être Te sont connus. BAYARD.Je sais qu'un guerrier de ce nom ; L’heureux Octavio, l’honneur de sa maison, Par mille exploits s'est fait connaître. L'Italie à sa gloire a donné des lauriers. OCTAVIO.Et la France des fers. Ce guerrier, c'est moi-même. BAYARD.Toi ! OCTAVIO.Ne me juge pas sur un vain stratagême : J'invoque ici le droit des chevaliers. Un Farnèse mourir avec ignominie ! Accorde un glaive à ma noble furie, Et combattons. BAYARD.Le fier Sottomaïor, Voulut, ainsi que toi, tenter le sort des armes :

D

50

BAYARD

On parle du combat, ou se tait sur les larmes, Que son trépas me coûte encor. Combien mon cœur paya cher cette gloire ! Ni l'orgueil, ni l'amour n'avait armé mon bras : Combien j'ai regretté du ne pouvoir, hélas ! De tous mes biens racheter ma victoire ! Et cependant l’honneur m’en fesait une loi ! Mais en ces lieux mes jours sont tous à ma patrie : Du sort d'un peuple entier je réponds à mon roi ; Puis-je exposer ma vie ? elle n'est point à moi. OCTAVIO.Ainsi j'aurai vécu ! je mourrai ta victime. BAYARD.Mais contre toi quel peut être mon crime ? OCTAVIO, appercevant de loin Laure quis'avance.(à part.) Son crime, le voici.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

51

SCENE VIII.

LAURE, BAYARD, OCTAVIO.

LAURE, s'avancant vers Bayard. Je n'espère qu'en vous : Et lorsque notre hymen s'apprête... (Elle voit Octavio.)

Que vois-je ? ô ciel ! OCTAVIO.Perfide ? LAURE.Arrête.... OCTAVIO.Lui, ton époux ! aveu fatal ! BAYARD, à Octavio.

Qu'as-tu dit, et qui donc vois-je en toi ? OCTAVIO.Ton rival. Apprends que dès nos plus jeunes années L'un pour l'autre nos cœurs avaient sû s'enflammer, Et tout semblait unir nos destinées Moi pour l'aimer, elle pour tout charmer. Le devoir, l’honneur et la guerre M'entraînent loin de nos foyers :

D ij

52

BAYARD.

Dans Bresse alors elle est ta prisonnière ; J'accours la délivrer suivi de nos guerriers. Dans vos climats conduite par sa mère, Elle est ravie à mes désirs brûlans : Je la redemandais à la nature entière ; La fureur égarait mes sens. J'apprends bientôt qu'on assiege Mézière, On te nomme, j'arrive, et ces combats sanglans Mêlent au moins l'espoir à mon malheur horrible. Ce fut alors que d'un déguisement J'empruntai le secours, hélas ! trop imprudent : Mais à l'amour rien ne semble impossible ; Des fers m'en ont puni ! je la vois ! ce moment Me rend encor plus misérable : Quand il ne faut qu'un mot pour prix de mes dou- leurs, Ce mot est un outrage, et de tous mes malheurs Le plus affreux, c'est qu'elle soit coupable. LAURE.Au moment où je te revois, N'accuse point un cœur sincère : Le devoir m'imposait la plus sainte des loix ; Aux cris d'une mère trop chère L'amour dut oublier ses droits. Dans les larmes, dans la misère Elle expirait tendant ses bras vers moi ; Bayard alors fut un dieu tutélaire, Et réduite à choisir, hélas ! entr'elle et toi, Oses-tu m'en haïr ? j'ai préféré ma mère.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

53

BAYARD.

Qu'entends-je ? ô ciel ! suis-je assez malheureux ? Le devoir seul !... Je n'avais pû vous plaire ! Eh ! pourquoi souffrir que j'espère, Puisque vous rejettiez mes vœux ? LAURE.

Les rejetter ! lorsqu'en ce moment même Je fais encor le serment d'être à vous ! Je ne trahirai point une mère que j'aime : Son bienfaiteur dut être mon époux ! Sur le sort d'un captif, que le destin des armes Vous a livré, son malheur, vos vertus, Tout me dit d'être sans allarmes : C'est encore un bienfait de plus !

SCENE IX.

DURAS, BAYARD, OCTAVIO,LAURE.

DURAS, suivi de plusieurs grenadiers.(à demi-voix.) Jeune étranger, il faut me suivre : Vous êtes condamné. OCTAVIO, de même.

Je vais cesser de vivre !

D iij

54

BAYARD

LAURE, avec effroi. Où le conduit-on ? OCTAVIO.A la mort. D'un objet importun mon trépas te délivre : Sois contente : ou plutôt connais le repentir, Et si dans ce moment la voix de la justice Te parle encore, ton supplice Doit commencer où le mien va finir. LAURE.Il meurt, et c'est pour moi ! de cet amour si tendre Une mort cruelle est le prix ! Est-ce donc là, Bayard, ce que je dus attendre Du héros qui m'avait promis De le sauver, au moins de le défendre ? BAYARD.Son destin est affreux : moi-même j'en frémis. DURAS.Plus long-tems je ne puis attendre : Bayard, l'ordre m'en est donné. BAYARD, serrant Octavio sur son sein. O de tous les mortels le plus infortuné ! Les larmes que tu fais répandre Rendent tes jours sacrés pour moi : Je chéris mon rival en toi. (On entend ici le bruit d'une canonade éloignéequi augmente par dégrés ; elle cesse et reprend.)

COMÉDIE HÉROÏQUE.

55

Quel bruit au loin se fait entendre ! Le signal des combats !... Sans doute l'ennemi... (à Octavio.) Adieu ; conserve encor un reste d'espérance. OCTAVIO.Non, laisse-moi mourir. LAURE.Non, prenez sa défense ? BAYARD.Elle fut ton amante et je suis ton ami. (Les soldats emmenent Octavio.)(Laure s'éloigne en lui jettant un regard doulou-reux. La canonade se fait entendre de nouveauet l'on voit tous les chevaliers accourir et serassembler autour de Bayard, ayant tous lecasque en tête et le bouclier à la main ; différenscorps de troupes viennent se ranger au fond dela scène.)

D iv

56

BAYARD.

SCENE X.

BAYARD, chevaliers français,MALESSIE.

MALESSIE.A commencer l'assaut, l'ennemi se prépare, Chevalier, l'instant est venu. BAYARD.Guerriers, pour nous unir, la gloire nous sépare : Chaque poste vous est connu. (On apporte ici des étendarts.)

Duras, La Tour-Dupin, Clermont et Sassenage, J'attends tout de votre courage : (Chaque chevalier se mef à la téte de la divisionqu'il doit commander.) Voilà notre plus sûr rempart. Guerriers, même devoir, même ardeur nous entraîne. A son poste déja j'ai placé Monteynard : (à un jeune chevalier.) Jeune Montmorenci, des héros de Lorraine, C'est à vous qu'en ce jour je remets l'étendart. (à tous les chevaliers.) N'attendons rien que de notre vaillance : N'espérons plus ni secours ni Bourbon ;

COMÉDIE HÉROÏQUE.

57

Bieutôt avec toute la France Vous en apprendrez la raison. Dans ce moment si cher, mais si terrible, Amis, par un serment venez tous vous lier : (Il met l'épée à la main.)

Vous connaissez ce fer. DURAS.Oui, quand un roi sensible (à Bayard.)

Voulut par vous être armé chevalier, Il réservait ce don pour un bras invincible, Et c'est à vous qu'il dut le confier. BAYARD.Pour la dernière fois nous nous voyons peut-être : Ainsi qu'à moi tout vous dit aujourd’hui, Qu'après le doux plaisir de vivre pour son maître, Le plus touchant est de mourir pour lui. Jurons que tout devoir par nous sera rempli. (Ils croisent tous leur épée sur celle de Bayard enforme de serment.) MALESSIE.Nous le jurons, Bayard. BAYARD.Guerriers, si quelque grace Pouvait de l'un de vous faire ici le bonheur ? (Un silence.)

58

BAYARD

Si d'offenser quelqu'un j'avais eu le malheur ! Qu'il parle en ce moment, me pardonne et m'em- brasse. MALESSIE.O le plus juste des guerriers ! DURAS. Le plus loyal des chevaliers ! MALESSIE.Qui n'a pas éprouvé ta noble bienfaisance ? DURAS.A qui ce cœur sensible eût-il fait quelque offense ? BAYARD.Ainsi vous n'avez rien, vous, à me demander. Eh bien ! moi, j'attends de votre ame Le bienfait le plus cher que la mienne réclame ; Vous seuls pouvez me l'accorder. DURAS.Ordonnez, chevalier : le héros de la France Éprouver un refus ! nous serions bien ingrats ! MALESSIE.Ton vœu fut-il injuste.... il ne le sera pas, Puisqu'il devient ta récompense. BAYARD.Que vous me rendez fortuné ! Vous venez tous de m'accorder la vie

COMÉDIE HÉROÏQUE.

60

De ce jeune étranger à la mort condamné. O clémence, ô vertu, sur mon ame ravie Que ton empire est doux ! DURAS.Mais nos loix ! BAYARD.Mais mon cœur, Que ce bienfait si doux console ! Vous m'avez tous donné votre parole : Ne la rétractez pas ; elle fait mon bonheur. Ah ! ce n'est pas un prisonnier vulgaire : Vous apprendrez bientôt... Vous voyez mes trans- ports. Venez, amis : d’héroiques efforts Vont vous payer d'une grace si chère ; J'en jure foi de chevalier, Bayard, sur les murs de Mézière, Veut à chacun de vous servir de bouclier. Marchons. MALESSIE.Nous te suivons. BAYARD.Et toi, cher Malessie, Va porter l'ordre heureux qui lui sauve la vie. MALESSIE.Au moment de venger l'Etat, Il n'est rien que ton cœur oublie. Mais à quel mot veux-tu qu'on se rallie ?

60

BAYARD

BAYARD, après un moment de silence, prenantson casque et sa lance des mains d'un soldat. L'honneur, Français, l'honneur, c'est le mot du combat. TOUS LES CHEVALIERS, sortent avec Bayardet répetent en se séparant : L'honneur, Français, l'honneur, c'est le mot du combat (Marche militaire pendant laquelle toutes lestroupes défilent.)

Fin du second acte.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

61

ACTE III.

SCENE PREMIERE

OCTAVIO, seul.(II sort de la tour.)

Je suis libre, et ma vie est un don de Bayard ! » Allez, m'a-t-on dit de sa part, » Allez vers vos compagnons d'armes, » Les rassurer dans leur prison, » En vous les rendant sans rançon, » Demain de l'amitié l'amour paîra les larmes. » Trop généreux, trop cruel ennemi, A quoi me réduis-tu ? Bayard, en ton absence, Je dois fuir ce que j'aime.. Et ma reconnaissance... Libre, et n'oser la voir !... que ne m'as-tu haï ! Reprends ce bienfait de la vie Qui me pèse et qui m’humilie ; Il m'était plus doux de mourir. – Mais ces infortunés gémissant dans les chaînes, Que d'un trépas honteux l'attente fait frémir ; Qui donc est auteur de leurs peines ? Malheureux, c'est moi seul ! qui m'arrête ? et pour- quoi

62

BAYARD

Ne pas voler vers eux pour calmer leur effroi ?... Un sentiment secret me la fait-il attendre ? (II regarde par un des côtés de la scène.) Que faire ? ô ciel ! je crois l'entendre ! Rentrons dans cette tour, je ne la verrai pas : Soyons infortunés, ne soyons pas ingrats. (II rentre dans la tour.)

SCENE II.ÉMILIE, LAURE.

LAURE.C'est-là qu'en gémissant il mesure la tombe Qui d'instant en instant se creuse sous ses pas : Ah ! s'il mourait du moins au milieu des combats ! Mais en criminel !... je succombe ; S'il m'entendait à ses derniers momens ! (Elle appelle en étendant les bras vers la tour.)

Octavio !... ma triste plainte S'éleve jusqu'à toi. (Après un long silence, pendant lequel elle écoutesi on lui répondra.) Mais, hélas ! cette enceinte Repousse mes gémissemens.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

63

EMILIE.Octavio, c'est Laure qu'il t'appelle. Ne lui refuse pas de répondre à sa voix ; Oublie un seul moment que tu souffres pour elle. (Après un silence.) Tout se tait !... quoi, déjà !... (Elle fixe la porte de la tour, elle voit qu'elleest ouverte.) Mais qu'est-ce que je vois ? LAURE.La porte,... ô ciel ! elle est ouverte. lls ont hâté le moment de sa perte : A l'échafaud déja conduit par eux... Je meurs. (Elle tombe dans les bras d'Emilie.)

64

BAYARD

SCENE III.OCTAVIO, LAURE, EMILIE.

OCTAVIO, sortant de la tour.

Ah ! ç'en est trop... je dois...(à Laure.) C'est vous, cruelle ! LAURE.Octavio ! dois-je en croire mes yeux ? OCTAVIOFuyez, pourquoi chercher ces lieux ? LAURE.Tu peux le demander ! mon cœur toujours fidèle Y voulait tes derniers adieux. Je te revois au moins, et mon ame attendrie Espère encor.... Bayard.... OCTAVIO.Je suis libre. LAURE.Et ta vie ? OCTAVIO.Elle est à moi : mais la tienne est à lui. LAURE.Octavio, ne m'en fais plus un crime. Il a sauvé tes jours, et cet effort sublime Doit

COMÉDIE HÉROÏQUE.

65

Doit par un autre effort se payer aujourd’hui, C'est pour mieux mériter ce noble sacrifice, Qu'il soustrait son rival au glaive de la loi : Il put t'abandonner sans blesser sa justice ; En eût-il été moins à moi ? OCTAVIO.Comme il est admiré par toi ! De sentir la pitié, comme le cœur se lasse ! En servant son rival, qu'un rival est adroit ! Que l’homme heureux qui peut faire une grace A bientôt effacé celui qui la reçoit ! LAURE.(On entend ici la canonade se rapprocher par dégrés.) lnjuste Octavio !... Quel bruit se fait entendre ? On combat, on expire : ô mes concitoyens ! O Bayard ! cœur encor plus malheureux que tendre, En ce moment, quels vœux sont donc les tiens ? Ah, Bayard ! si d'un coup funeste... OCTAVIOQu'as-tu dit ? qu'as-tu fait ? tu frissonnes d'effroi. LAURE.Ce n'est point pour Bayard : c'est... OCTAVIO.Eh ! pour qui ? LAURE.Pour toi. J'ai craint de rencontrer dans tes yeux l'esperance :

E

66

BAYARD,

J'ai craint qu'un sentiment trop indigne de moi.... Souhaite que le ciel veille pour sa désense, Ah ! s'il mourrait !... OCTAVIO.Acheve. LAURE.Tu serais Plus malheureux, que tu ne l'es encore. Bayard vivant, l'aveu de mes regrets Peut l'affliger, mais au moins il l'honore : Je puis laisser couler mes pleurs sans les cacher ; J'en ai le droit : c'est lui qui me le donne ; Il entend mes soupirs, et s'il me les pardonne, Qui pourrait me les reprocher ? S'il n'était plus ; contre moi-même Quel autre que moi défendrait Et sa mémoire, et ce devoir suprême Qui pour jamais lui survivrait ?

COMÉDIE HÉROÏQUE.

67

SCENE IV.MALESSIE, plusieurs soldats,les personnages précédens.

(Malessie conduit plusieurs grenadiers portantsur des brancards des soldats blessés dont lesuns ont l'écharpe blanche, les autres l'écharperouge.)

MALESSIE, au fond de la scène. Bayard lui-même vous en prie, Soldats, prenez soin des blessés : Espagnols ou Français, conservez leur la vie ; Vos soins par lui seront récompensés. Les ennemis sont repoussés : Sur les pas d'un héros je vole à leur poursuite ; La gloire enfin nous venge par leur fuite : Tous nos malheurs sont effacés. (Il sort avec les soldats.)

E ij

68

BAYARD,

SCENE V.OCTAVIO, LAURE, EMILIE.

OCTAVIO.Bayard est donc vainqueur ! je perds toute espérance : Rivaux, guerriers, tout céde à sa puissance. Je ne puis sans rougir, détester mon rival ; Tout, jusqu'à ses vertus, tout en lui m'est fatal ! Fuyons : c'est trop de reconnaître Qu'un rival préféré peut mériter de l'être. LAURE.Où vas-tu ? de ta gloire au moins, lnfortuné, prends quelques soins. (Ici le fonds du théâtre s'ouvre, et l'on voitd'un côte Bayard et tous les Français poursuivantles ennemis ; de l'autre une partie des remparts,d'où les assiégés repoussent; et précipitent lesennemis.) EMILIE.O mes enfans, vos maux sont mon ouvrage :

COMÉDIE HÉROÏQUE.

69

Mais ainsi que vous deux j'ai des devoirs sacrés ; Mais ces maux même enfiu me rendent mon courage, C'est par moi qu'en ce jour il seront réparés. OCTAVIO.Que dites-vous ? EMILIE.Des larmes d'une mère Bayard prendra pitié. Mon cœur reconnaissant Veut à ses pieds lui dire, en gémissant : » Souffrez qu'une fille si chère » Céde sans crime à son premier penchant ; » Ce sacrifice si touchant » Est digne du héros que la France révère. LAURE.Vous, nous unir ! vœux superflus ! J'ai pour prix de ses jours engagé ma parole : Trahirai-je Bayard alors qu'il nous console ? (à Octavio.)

Tu lui dois, toi, la vie, et nous encore plus : Ne doit-on que s'aimer ? Le reste est-il frivole, Et l'amour tient-il lieu de toutes les vertus. OCTAVIO.Eh bien ! je ne suis plus le même.... Soyez époux.... Soyez heureux.... Mais laisse-moi fuir de ces lieux ; Chéris Bayard autant qu'il t'aime :

E iij

70

BAYARD

Je céde : je le dois.... c'est un effort suprême ! S’il fit beaucoup pour moi, j'aurai plus fait pour lui, Je vécus ton amant, et mourrai ton ami. (Octavio sort au moment où tous les chevaliers français qui reviennent du combat, Bayard àleur tête.)

SCENE VI.

BAYARD, chevaliers français,LAURE, EMILIE.

BAYARD.Méziere est libre enfin ! cette heureuse journée, Amis, sauve la France et punit nos rivaux : Le plus beau de ma destinée Fut de conduire des héros. Il est donc vrai que rien n'échappe Aux traits vengeurs que vos mains ont lancés : S'ils résistent encor, que le glaive les frappe ; Pardonnez-leur, dès qu'ils sont terrassés. MALESSIE.Non, non, mon général : plus de dangers à craindre ; L'ennemi par sa fuite a trompé la valeur De ceux qu'armait encore une noble fureur.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

72

LAURE.Serais-je donc ici la seule à plaindre ?Si mes regrets, Seigneur, ont pu vous offenser,Oubliez ma faiblesse, il la faut effacer !Vous le savez : ce coeur ne sait point feindre EMILIE.Gardez-vous de l'en croire : un guerrier malheureux,Déjà sauvé par vous, dans sa douleur profondeA pris en haine e sa vie et ses feux :Qu'à ses gémissemens votre pitié réponde ;Qui plus que vous sait être généreux ? BAYARD.Voyez tous ces guerriers, que le bonheur rassemble,Laure : sans vous quels bien je gôuterais !Amis, vous savez tous combien je l'adorais !La victoire et l'hymen ensembleAujourd'hui comblaient mes souhaits.Que dis-je ? devant eux !... LAURE.Quand vous daignez tout fairePour sauver un rival, en dois-je faire moinsPour vous, son bienfaiteur, pour vous que je révère ?D'un sacrifice volontaire (En montrant tous les chevaliers)

Puis-je jamais avoir de plus dignes témoins ? BAYARD, avec le plus noble enthousiasme,

Un sacrifice ! eh quoi ! la France nous contemple,

E iy

72

BAYARD,

L'honneur élève un combat entre nous ;Quand je dois vous donner l'exemple,Je pourrais, moi, le recevoir de vous !N'est-il donc qu'un genre de gloire ?Non, non, je n'aurai point à rougir de mes feux.Bayard, encore une victoire ;Tu n'es pas né pour faire un malheureux. (à Laure)

Je renonce au bonheur suprêmeQui m'unissait à votre sort :C'est trop peu de braver la mort;J'aurai su me vaincre moi-même,Femme d'Octavio.... LAURE.J'embrasse vos genoux. EMILIE.O mon héros ! BAYARD.Laure, que faites-vous ?Je souffre autant que je vous aime :En m'arrachant à vous ! je m'arrache à moi-même :Plus que jamais je sens le trait,Le trait vainqueur !... Mais c'en est fait.Votre bonheur est mon ouvrage :Allez, madame, allez vers votre amant.Mon cœur est trop sensible et trop tendreNe se réserve en ce momentQue le plaisir de lui pouvoir apprendre

COMÉDIE HÉROÏQUE.

73

Qu'il devient par moi votre époux.Entre vous et moi quel partage !Pour vous l'amour, pour lui des nœuds si doux,Pour moi votre amitié, ce faible et dernier gage,Mais dont l'hymen ne peut être jaloux. LAURE.Je cours vers lui : bientôt vous le verrez paraître ?Qui ? lui, jaloux ! pourrait-il encor l'être ?L'est-on du Dieu, qui peut, et qui fait tout pour nous ? (Laure sort : on voit au même instant entrer par le fond de la scène tous les habitants de Mé-zière, hommes et femmes, tous les paysans et bergers des environs ; les femmes apportent des branches et des couronnes de laurier qu'elles distribuent aux chevaliers)

74

BAYARD

SCENE VII.

BAYARD, les chevaliers français, EMILIE, les habitans de Mézières, paysans.

EMILIE, PREMIER COUPLET.Honneur au héros de la France ;Sa valeur fut notre rempart ;Candeur unie à bienfaisance,Bonté, vertu, voilà Bayard.De lauriers couronnons sa tête :Il est le Dieu qu'il faut chérir ; De la valeur par lui la fête,Est pour nous celle du plaisir. LE CHŒUR répète,De lauriers, etc. II. COUPLET.

Ami constant, sujet fidèle,Guerrier sans peur, amant sans art ;Veut-on proposer un modele,L'esprit, le cœur nomment Bayard.De lauriers couronnons, etc. LE CHŒUR.De lauriers, etc.

(On danse.)

COMÉDIE HÉROÏQUE.

75

III. COUPLET.

Un jour, quand d'un héros sublime,Les Français suivront l'étendart,Pour chanter son cœur magnanime,Chacun dira : c'est un Bayard.De lauriers couronnons sa tête ;Il est le Dieu qu'il faut chérir ;De la valeur par lui la fête,Est pour nous celle du plaisir. LE CHŒUR.De lauriers, etc. etc.

(On danse.)

SCENE VIII et dernière.OCTAVIO, LAURE, les personnagesprécédens.

OCTAVIO.Ou me conduis-tu ? Je te suis,Je cède au charme involontaire....Mais voudrais-tu, malheureux que je suis,Me rendre le témoin ?... LAURE.

Viens, si je te suis chère ;

76

BAYARD,

Il a l'honneur pour lui, le bonheur est pour moi,Octavio, mais l'amour est pour toi ;Unis tes vœux aux miens. (Elle présente une écharpe à Bayard.)

Bayard, que cette chaîneSuffise à la vertu. Mon cœur reconnaissant.... BAYARD.Je vous la cède ; et pour charmer ma peine,Je n'aurai d'elle, hélas ! que ce présent ;Ne me l'enviez pas. OCTAVIO.Héros trop magnanime,Je vous dois mon bonheur. Quel trouble ! quelstransports !Par le bienfait, je mesure le crime :Ah ! j'ai pu vous haïr, jugez de mes remords. BAYARD.Des remords ! non, pour moi l'amour vous justifie :Si vous êtes encor criminel à vos yeux,Il faut donc qu'avec vous je vous réconcilie ;A votre tour vous m'allez rendre heureux. OCTAVIO.Qui ? moi ! BAYARD.Vous-même. Ami sensible autant qu'utile,Prenez à tous mes vœux le plus tendre intérêt :Vous ne me devez qu'un bienfaitEt je veux vous en devoir mille.

COMÉDIE HÉROÏQUE.

77

OCTAVIO.O digne chevalier, disposez de mon coeur.Qu'ordonnez-vous ? BAYARD.En ItalieLe devoir va bientôt entraîner nos FrançaisDe la guerre et de ses forfaitsNe punissez point ma patrie :Que jamais votre cœur n'oublieLes sermens sacrés qu'il m'a faits ;Et si, prêt à perdre la vie,Dans les fers ou dans les combats,Un Français vous tendait les bras,Ah ! croyez voir en lui Bayard qui vous supplie ;A ce seul souvenir ne le repoussez pas. OCTAVIO.Oui, je croirai toujours entendreLa reconnaissance et l'honneurMe dire : Octavio, mérite ton bonheur ;Comme Bayard sois généreux et tendre,Sois digne de ton bienfaiteur. BAYARD.C'en est assez ; d'avoir sauvé MézièreLa récompense est dans mon cœur. (Aux chevaliers)

Et nous, pour réparer les maux qu'a faits la guerre,Allons de chaumière en chaumière,

78

BAYARD,

Consoler le cultivateur :Que chacun de vous soit un pèreDevant qui fuira le malheur.Ah ! que jamais, sans trouver un vengeur,La vertu de vous ne s'approche :Guerriers, c'est trop peu pour l'honneur,D'être des chevaliers sans peur,Il faut être encor sans reproche.

DIVERTISSEMENT GENERAL.DANSESVAUDEVILLE.

EMILIE.

Comme il combat, il plaît, il aime :Mais toujours maître de son cœur :Quel autre que Bayard lui-mêmePeut de Bayard être vainqueur ?A la beauté toujours fidèle,Tous ses vœux sont purs et constans,Et des guerriers l'heureux modèle,Est encore celui des amans. LE CHŒUR repéte.Et des guerriers etc. etc. MALESSIE.Dans les combats, dans les alarmes,Il souffre dès qu'il voit souffrir :

COMÉDIE HÉROÏQUE.

79

Tout soldat est son frère d'armes ;En donnant, il croit s'enrichir.A l'amitié toujours fidèle,Elle lui doit un nouveau prix,Et des guerriers l'heureux modèleEst encor celui des amis. UN CHEVALIER. – Duras.Par lui le pauvre, en sa chaumière,Croit encore à l'humanité :Plus de douleur, plus de misère;On est riche de sa bonté.A la vertu toujours fidèle,Il se plaît à sécher nos pleurs,Et des guerriers l'heureux modèleEst encor celui des bons cœurs. UN SOLDAT.C'est le refrein qu'à sa familleRépéte le bon laboureur :La mère l'apprend à sa fille,Et tout soldat le chante en chœurA la vertu toujours etc. etc.

Fin du troisième et dernier acte.

80

APPROBATION.

J'ai lu par ordre de M. le Lieuteunant-Géné-ral de Police, Bayard ou le Siège de Mézières, comédie héroïque, et je n'y ai rien trouvé qui puisse empêcher la représentation, ni l'impres-sion. A Paris, ce 3 avril 1788.

SUARD.

Vu l'approbation, permis de réprésenter et d'imprimer. A Paris, ce 8 avril 1788.

DE CROSNE.

81

NOTES HISTORIQUES.

C'est aujourd'hui qu'enfin je justifie Ma gloire comme chevalier, Mes vœux comme sujet.

J'ai déjà donné dans ma préface une idée des exploits de Bayard : j'ajouterai quelques traits àcette première esquisse.

Dès son enfance il avait été donné pour page à Philippe, comte de Beaugé, seigneur de Bresse, gouverneur du Dauphiné, et qui fut depuis duc de Savoye. Charles VIII le lui demanda en pas-sant à Lyon, et ce roi le mena en 1495 en Italie, à la conquête du royaume de Naples. Dès-lors son nom devint célèbre ; n'étant âgé que de 19 ans, lors de la bataille de Fournouë, il y eut deux chevaux tués sous lui et enleva un étendart aux ennemis.

Après la mort de Charles VIII, il suivit Louis XII à la conquête du Milanès en 1499, et delà il fut envoyé à Naples en 1502, où sur le pont du Garillan il soutint seul l'attaque de deux cents Espagnols. Il fut enfin secouru, et les ennemis furent mis en fuite.

Après la journée dites des éperons, il sauva les

F

82

NOTES

débris de l'armée française, en arrêtant avec quinze gens-d'armes à la tête d'un pont, les efforts de l'armée victorieuse. C'est ici que l'on peut dire edite Graii, cedite Romani.

Il servit encor en 1507 dans l'armée envoyée au secours de Maximilien, et l'an 1508 il se trouva au siége de Padouë, et secourut la comtesse de la Mirandole et le duc de Ferrare.

Il contribua, sous les ordres du duc de Nemours, à la défaite d'André Gritti, général des Vénitiens, et à la prise de la ville de Bresse. Ce fut dans cette dernière ville qu'il se signala par ce trait de bien-faisance, dont j'ai parlé dans ma préface.

Je ne dois plus penser qu'à défendre Mézière.

Ce fut en 1521 que Bayard défendit cette ville contre Charles-quint, dont l'armée était composée de 40, 000 hommes d'infanterie et de 4, 000 de ca-valerie : il la battit avec dix pièces de canon. Bayard sauva la ville par sa valeur et par sa vigi-lance. François I le combla d'honeurs et lui donna à commander cent hommes d'armes de ses ordonnances ; prérogative accordé jusqu'alors aux seuls princes du sang.

Dès l'année 1512, Louis XII l'avait nommé lieutenant-général de la province du Dauphiné.

Quand même trahi par le sort, J'y périrais en vengeant ma patrie, Je bénirais au moins ma mort.

HISTORIQUES.

83

Ce fut en 1524, à la retraite de Robec, que Bayard reçut un coup de mousquet, qui lui brisa l'épine du dos. Il mourut de cette blessure, âgé seulement de quarante-huit ans. Dès l'année 1523 il avait suivi en Italie l'amiral Bonnivet dont l'inex-périence, l'orgueil et les fautes multipliées cau-sèrent les malheurs de la France, et lui coutèrent tant d'hommes, d'argent de désastres.

J'omets ici les exploits du bon chevalier au siege de Pampelune ; la défense de Mézière aurait suffi pour le rendre immortel.

Moi fidèle sujet, vous traître à votre roi, etc. etc.

Ce sont les propres paroles de Bayard mourant au connéttable de Bourbon : je ne puis trop le ré-péter ; comment peut-on mettre dans la bouche d'un autre guerrier quel qu'il soit, ces paroles mé-morables, et que la situation même des deux héros rend plus frappantes encore. Si l'on ne res-pecte pas de tels traits historiques, il faut traiter les hommes comme ils n'aiment que trop à se voir traiter, ne leur offrir que des fables.

…… du fier Sottomaïor Tu sais comme par moi l'audace fut punie, etc. etc.

L'Espagnol Sottomaïor avait osé avancer un men-songe qui importait à l'honneur de Bayard : le chevalier le défia au combat et le tua ; mais il pleura sa victoire, et s'écria : si j'avais cent mille

F ij

84

NOTES

écus, je les donnerais pour l'avoir vaincu sans l'avoir tué. Et l'on a osé d'une affaire d'honneur qui coûte des larmes à Bayard, en faire une de jalousie amoureuse ? Et pourquoi ? Quelle leçon pouvait résulter d'une pareille fiction ! O vanas hominum mentes !

Duras, La Tour-du-Pin, Clermont et Sassenage, J'attends tout de votre courage : A son poste déjà j'ai placé Monteynard Jeune Montmorenci des héros de Lorraine C'est à vous qu'en ce jour je remets l'étendart;

Duras. Ce guerrier de l'ancienne et illustre fa-mille des Durfort, était communément appelé le Cadet des Duras. Tous les mémoires de ce siècle si fécond en preux chevaliers, le citent comme un des plus braves. Il avait toujours été lié par l'ami-tié la plus tendre avec Bayard. Quant aux Dur-fort, lisez les mémoires que j'ai inséré dans le second volume de mes Annales de Toulouse : pour détailler les services de cette maison, et vous verrez com-bien de générations d'hommes chers à la patrie se sont succédées dans cette famille illustre à tant de titres.

La Tour-du-Pin. Peu de maisons plus anciennes. On fait remonter son origine jusques aux anciens Dauphins viennois auxquels les liens de la plus prochaine parenté l'unissaient, trois frères de cette maison servent aujourd'hui avec distinction, et

HISTORIQUES.

85

par un choix également honorable pour chacun d'eux, tous trois dans une même promotion furent élevés au même grade militaire par le feu roi ; époque rare dans une famille.

Clermont. Le guerrier de ce nom dont je parle dans cette pièce était le frère d'armes et ami le plus cher du chevalier Bayard. Il était digne et d'avoir un tel ami et de soutenir l'éclat de sa maison. Je placerai ici quelques détails histori-ques, que mes lecteurs n'y trouveront pas sans plaisir. Ce que j'ai dit des La Tour-du-Pin, et ce que j'ai à dire des Clermont, me fait un devoir d'y ajouter un précis rapide de l'histoire d'une province dont les titres de gloire se confondent avec ceux de ces maisons illustres.

Les Allobroges rendirent le Dauphiné célèbre dès le règne de Tarquin l'Ancien, l'an 139 de la fondation de Rome. Les Romains finirent par s'en rendre maîtres, ainsi que de tant d'autres provin-ces de l'Europe et de l'Asie, et leur possession du Dauphiné dura jusqu'en 475 de l'ere chré-tienne, époque du règne d'Auguste : elle avait duré 596 ans ; pendant cette époque, la province viennoise donna sept consuls à Rome ; et la ville de Vienne eut un sénat, comme étant devenue la capitale de l'empire d'Occident.

Les Bourguignons succédèrent aux Romains dans le cinquième siècle, sous Honorius et Va-lentinien, troisième du nom. Mais leur domina-

F iij

86

NOTES

tion ne dura que cinquante-deux ans. Les rois français de la seconde et de la troisième race possédèrent le Dauphiné pendant 352 ans. Boson qui en était gouverneur se révolta en 879 : il fut élu roi de Bourgogne et fonda le second royaume de ce nom. Rodolphe III fut son septième suc-cesseur et laissa en mourant, par testament, ses états à l'empereur Conrad,

Dès avant l'année 889, le comte d'Albon s'était établi dans le Dauphiné, et c'est de lui que des-cendent les Dauphins. Déjà le progrès du gou-vernement féodal avaient été rapides en Europe. Rodolphe III, vivait encore que déjà le Graisi-vaudan, le Viennois, le Valentinois et le Diois avaient leurs seigneurs particuliers. Delà cette lutte continuelle des grands feudataires contre le souverain, et cette foule de bannières qui s'éle-vaient pour entourer et abbatre, s'il était possible, l'étendart du suzerain. Le Dauphiné sur-tout éprouva les effets de cette rapide révolution. Le clergé ne s'oublia point dans un moment où sa politique infatigable pouvait, à l'aide des foudres de Rome, recueillir des fruits si précieux de ses négociations multipliées. Les seigneurs se parta-gèrent entr'eux des domaines que la faiblesse du souverain n'avait plus le courage ou les moyens de leur disputer. Les empereurs d'Allemagne se contentèrent de vendre les honneurs de l'investi-ture en s'en réservant le droit. Il se trouve tou-

HISTORIQUES.

87

jours au milieu d'une semblable anarchie, quel-ques guerriers plus braves ou plus adroits. Un des comtes d'Albon fut ce guerrier non moins ambi-tieux que redouttable ; et Guignes, premier du nom, ayant su réunir à ses domaines d'immenses possessions, prit le premier le surnom de Dau-phin. Guignes VIII y ajouta le nom de Viennois. Humbert II ne voulut avoir sur ses armes d'autre empreinte que celle d'un dauphin. Alors le Diois et le Valentinois étaient possédés en toute pro-priété par le comte de Poitiers. Louis Aymard, mourant sans postérité, fit don de ces deux do-maines au Dauphin en 1419 ; ils furent réunis à ceux du Dauphin viennois, par plusieurs tran-sactions dont les époques sont consignées dans l'Histoire.

Guignes, neuvième du nom, n'eut qu'une fille nommée Anne Dauphine. Elle transféra ses Etats à Humbert, premier seigneur de La Tour-du-Pin en 1282. Guignes, treizième du nom, petit-fils d'Humbert I, n'ayant point laissé d'enfant d'Isabeau de France, fille du roi de France Phi-lippe le Long, Humbert son frère, lui succéda, et ce dernier prince fit don à la France de tous sesEtats.

Ce fut ce même Humbert, à qui les monarques français durent une si riche possession, qui avait plus que tout autre Dauphin illustré son pays par les loix les plus sages, et sur-tout par les

F iv

88

NOTES

prérogatives honorables, qu'il avait accordées aux chefs de toutes les maisons dont les services avaient bien mérité ou de ses prédécesseurs ou de lui-même.

Les guerrieurs du nom de Clermont avaient plus qu'aucune autre famille signalé leur attachement au Dauphin ; Humbert, par ses lettres datées du 20 juin 1340, érigea la terre de Clermont, située dans le Diois, en Vicomté, et donna en outre à Aymard de Clermont, quatrième du nom, trois charges qu'il voulut être à jamais héréditaires dans sa maison. La première fut celle de capitaine gé-néral de ses armées, ou connéttabledu Dauphiné : la seconde, celle de chef de son conseil ; la troi-sième, celle de grand maîtrede sa maison. Il instala Aymard de Clermont dans la possession de la charge de connéttable en lui mettant dans une main une épée nue, et dans l'autre un guidon, où étaient les armes du Dauphiné ; dans celle de la seconde charge, en lui donnant une baguette blanche, et enfin dans celle de la troisième, en lui mettant au doigt un anneau d'or.

On ne doit pas s'étonner de ce haut degré de grandeur auquel Humbert éleva le chef de la mai-son de Clermont. Déjà l'on savait que le dau-phin viennois, inconsolable d'avoir perdu un fils de la nièce du roi de Sicile qu'il avait épousée, avait résolu d'abdiquer ses etats. Le duc de Sa-voie avait jetté des vues sur quelques parties de

HISTORIQUES.

89

cette belle province : il sollicitait Aymard de Clermont de faire cause commune avec lui, et le dauphin autant par reconnaissance que par politi-que crut devoir enchaîner à jamais par la gloire et par les titres les plus illustres, seuls bienfaits dignes de lui, un feudataire dont la valeur, les services et l'alliance pouvaient faire pencher la balance à sa volonté.

Humbert se repentit d'avoir abdiqué : mais on sut faire valoir contre lui le motif de la religion, parce qu'il avait embrassé l'état ecclésiastique. Enfin en 1350, il reçut les trois Ordres à quelques heures les uns des autres, et mourut à Clermont en Auvergne, le 22 mars 1354. Son corps fut apporté à Paris et enterré dans l'église des Jaco-bins, dont il était prieur.

Au moment où il avait signé un premier traité de la cession qu'il faisait de ses etats, il avait eu soin de stipuler que toutes les prérogatives, tous les honneurs, tous les titres et toutes les franchises qu'il avait accordés soit aux grandes maisons du Dauphiné, soit aux simples citoyens, seraient conservés par les monarques français, et Charles V, ce prince dont la mémoire est si respecttable par le surnom de Sage que son siecle lui donna et que la postérité a confirmé, jura de ne point dé-truire l'ouvrage des dauphins, et de regarder com-me un dépôt sacré tout ce qui était un monument de la gratitude et de la magnificence des dauphins.

90

NOTES

viennois. Ainsi les Clermont jouissent encore des trois titres glorieux dont Humbert II avait in-vesti Aymard de Clermont son défenseur et son parent.

Depuis l'époque où Charles, fils de France, devint dauphin, les Clermont vouèrent au monar-que français, leur nouveau souverain, le même attachement qui leur avait mérité tant d'estime et de faveur de la part des dauphins viennois.

Cette maison a donné des grands maîtres à l'Ordre de Malthe, des prélats célèbres au clergé de France, des guerriers fameux à la patrie. Les alliances les plus illustres ont perpétué sa grandeur. Point de siecle où l'on ne trouve dans les annales du Dauphiné quelque guerrier de ce nom ; c'est un Aymard, seigneur de Clermont qui fait le voyage de la terre sainte avec le comte Aimé le Verd, et qui vole au secours de l'émpereur que les Turcs menaçaient d'un sort funeste. C'est un autre Aymard, baron de Clermont, qui avec un baron de Sassenage, un Jean Flotte, baron de Montmaur, un Jean de Salvaing, s'arment pour aller secourir les chevaliers teutoniques et les dé-livrent du danger dont les Lithuaniens les mena-çaient.

C'est un baron de Clermont qui, au siège de Pontoise en 1444, mérite par sa valeur d'être fait chevalier par le roi lui-même, sur la brèche où il avait fixé les regards de son prince et de toute l'armée française.

HISTORIQUES.

91

C'est un Philibert de Clermont, seigneur de Montoison qui, à la bataille de Fournouë, a le bonheur et la gloire de dégager Charles VIIIdes mains de l'ennemi, et qui renouvelle ce qu'un Destaing (*) avait fait pour Philippe Auguste à la bataille de Bovines. Ce même Philibert est le Clermont qui combattit avec les Duras, les Sassenage, les Beaumont et les Montmorenci, sur les remparts de Mézières : c'est encore lui, qui étant mort à Ferrare où il commandait, couta des larmes à ce Louis XII, père du peuple, dont la tendre amitié était seule un si grand éloge pour le guerrier, qui l'avait méritée.

Je terminerai cet article par cette seule observa-tion, c'est qu'il n'y avait dans tout le Dauphiné

(*) Au moment où je rédige ces notes historiques, les papiers publics me sont apportés dans la retraite champêtre que j'habite. Je trouve dans l'extrait qu'ils donnent d'une pièce nouvelle, qu'un jeune homme nommé Sargine, sauve la vie au roi Phi-lippe Auguste à la bataille de Bovine. J'ai peine à croire qu'au théâtre on ait pu défigurer encore ce trait si célèbre de la vie de Philippe et démentir nos fastes qui nomment un Destaing comme ayant été le Décius qui exposa sa vie pour sauver celle de son roi.

Dans mon drame héroïque sur la bataille d'Ivry, un père reconnaît qu'il a été fait prisonnier par son fils à l'épée que celui-ci rapporte du combat ; c'était une faible réminiscence du combat du vieux d'Ailly contre son fils ; mais au moins n'était-ce pas le trait lui-même.

Dans mes Mariages samnites, Eliane cette fille samnite, qu'une faute commise contre la loi fait condamner à perdre le

92

NOTES

que quatre baronnies d'ancienne création ; c'était celles de Clermont, de Sassenage, de Bressieu, et de Montmaur.

Quel plaisir ne dois-je pas goûter en retraçant la gloire d'une province qui a seule donné tant de défenseurs à la patrie : je n'en citerai qu'un seul exemple, mais aussi glorieux qu'effrayant ; plus de trois cents gentilhommes du Dauphiné se trou-vèrent à la bataille de Pavie, presque tous y ayant un commandement : presque tous y perdirent la vie, et pas un seul n'en revint sans avoir été blessé.

Sassenage. On voit par ce que je viens de dire que les seigneurs de Sassenage étaient au nombre des hauts barons de la province. En 1416, un Henri, baron de Sassenage, fut élu gouverneur

droit d'être choisie pour épouse par un héros, prend une armure et s'élance dans les rangs ennemis. Elle sauve la vie au général samnite en se jettant entre lui et un soldat romain qui allait le percer de son javelot. Elle revient du combat le casque en tête et la lance à la main ; est reconnue pour avoir réparé sa faute par ce trait héroïque ; mais j'étais maître de mon sujet et je n'au-rais jamais osé, dans un sujet français, attribuer à un inconnu une action héroïque connue pour être celle d'un guerrier, et de quel nom encore ! du nom de Destaing. Je le redis encore ici, parque ce qu'il est de ces vérités que l'on n'a pas encore assez répétées lors même qu'on les a écrites milles fois ; le théâtre est la véri-ttable école où toute la nation doit apprendre sa propre histoire. Si l'on y défigure les traits principaux et caractéristiques des héros, on se rend coupable de leze-majeste nationale, si j'ose m'expri-mer ainsi. Les Anglais n'ont jamais commis cette faute : mais aussi la trempe de leur génie répond à celle de leur caractère.

HISTORIQUES.

93

de la province. Cette famille a donné aussi à l'Ordre de Malthe des grands maîtres, aux provinces des gouverneurs, aux armées des généraux.

Cette famille forma d'abord deux branches dont la première eut pour auteur Artaud, troisième du nom, comte de Forez et finit en 1336. La seconde produisit un nombre infini de guerriers ; entr'au-tres Antoine qui fut proposé par la noblesse du Dauphiné pour succéder, en qualité de lieutenant général de la province, à Antoine de Clermont.

Henri, gouverneur de la même province tué en 1424, à la bataille de Verneuil, où trois cents gentilhommes périrent à ses côtés.

François, fils de Henri, qui périt comme lui au champ d'honneur.

Trois guerriers de cette même famille condui-sirent successivement l'arrière-ban de la noblesse dauphinoise.

Monteynard. Ce guerrier commanda une sortie que Bayard fit faire sur les assiégeans : il était d'une maison distinguée du Dauphiné. Elle a donné plus d'un guerrier à la France. Un Rai-mond Aymard, seigneur de Monteynard, fut lieutenant général de sa province. De nos jours, un guerrier du même nom a été secrétaire d'état au département de la guerre, et mérita l'estime de de la nation pendant son ministère, comme il avait mérité celle des guerriers pendant sa carrière militaire.

94

NOTES

Montmorenci. Celui dont il est question ici était alors âgé de 14 ans, et fit ses premières armes au siege de Mézières, où il portait l'étendart de Lorraine. C'était ce même Anne de Montmorenci, devenu depuis connéttable et qui mourut des bles-sures qu'il reçut à la bataille de S. Denis après avoir fourni une si longue carrière, tantôt dans la plus haute faveur, tantôt obligé de lutter contre l'insolente prospérité des Guises.

Du valeureux Beaumont l'intrépide courage, etc.

Ce Beaumont commandait en effet un des postes des assiégés ; on sait que la maison de Beaumont est une des plus anciennes du Dauphiné ; un François de Beaumont, seigneur des Adrets, se rendit célebre par son courage féroce dans les guerres civiles qui désolèrent la France au milieu du seizieme siecle. De nos jours un jeune guerrier du nom de Beaumont a vengé le pavillon français et illustré notre marine par un combat qui rendra son nom à jamais célèbre. On ne pourra lire l'hist-toire de ce qu'a fait la France pour soutenir et assurer l'indépendance de l'Amérique, sans trouver le nom de Beaumont à côté de celui des Destaing, des La Fayette, des Rochambeau, des Guichen. On peut d'ailleurs consulter sur les titres de cette maison un ouvrage rédigé par M. l'abbé Brizart, le même littérateur qui a rendu un hommage si touchant à la mémoire de Henri IV, et qui depuis

HISTORIQUES.

95

a mérité d'être couronné par l'Académie des Ins-criptions et Belle-Lettres. Nul écrivain plus digne de recueillir les titres des héros français et de les faire passer à la postérité.

Viens mon cher Malessie, et juge par toi-même S'il est vrai que Bayard t'estime autant qu'il t'aime.

Tout est historique dans cette scène : il m'est bien doux de pouvoir encore placer dans mon ou-vrage le nom d'un guerrier dont les descendans existent, et dont j'ai vu par moi-même la noble et brûlante sensibilité en apprenant que ce moment de la vie d'un de leurs ancêtres serait cité au théâtre avec le nom de Bayard, et celui de tant d'autres preux dont le seul souvenir élève l'ame et pénetre de vénération.

F I N.