Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Vie de Molière</em> Voltaire (1694-1778) 1732 [Date de rédaction] 1734 [Date de soumission à la censure] 1739 [Date de l'approbation] 1739 [Date de publication] chargé d'édition/chercheur Macé, Laurence (édition scientifique) Laurence Macé CEREdI, UR 3229 - Université de Rouen-Normandie ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1732 [Date de rédaction] 1734 [Date de soumission à la censure] 1739 [Date de l'approbation] 1739 [Date de publication] Fiche : Laurence Macé CEREdI, UR 3229 - Université de Rouen-Normandie ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris, Bibliothèque nationale de France, 8-LN-14358
La vie de Molière est rédigée par Voltaire à partir de 1732 à la demande de l'imprimeur Prault, pour la nouvelle édition in-8 des Œuvres complètes, après la défection de l'abbé Brumoy pressenti d'abord.<br /><br /><strong>La transcription du texte a été validée scientifiquement le 27/5/2022.</strong> Français La vie de Molière est rédigée par Voltaire à partir de 1732 à la demande de l'imprimeur Prault, pour la nouvelle édition in-8 des Œuvres complètes, après la défection de l'abbé Brumoy pressenti d'abord.<br /><br /><strong>La transcription du texte a été validée scientifiquement le 27/5/2022.</strong>

VIE<lb/> DE<lb/><persname>MOLIERE</persname>.

VIE DE MOLIERE, AVEC DES JUGEMENS SUR SES OUVRAGES.– Par Voltaire. –

A PARIS, Chez PRAULT fils, quay de Conty, à la descente du Pont-Neuf, à la Charité.MDCCXXXIX.Avec approbation & privilege du roi.

VIE DEMOLIERE.

LE goût de bien des lec- teurs pour les choses fri- voles, & l'envie de faire un volume de ce qui ne devroit remplir que peu de pages, sont cause que l’histoire des hommes célébres est presque toujours gâ- tée par des détails inutiles & des contes populaires aussi faux qu’in- sipides ; on y ajoute souvent des

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critiques injustes de leurs ouvra- ges. C’est ce qui est arrivé dans l’édition de Racine faite à Paris en 1728. On tâchera d’éviter cet écueil dans cette courte histoire de la vie de Molière ; on ne dira de sa propre personne que ce qu’on a crû vrai & digne d’être rappor- té, & on ne hazardera sur ses ou- vrages rien qui soit contraire aux sentimens du public éclairé.

Jean-Baptiste Poquelin nâquit à Paris en 1620 dans une maison qui subsiste encore sous les piliers des Halles. Son pere Jean-Bap-tiste Poquelin, valet de chambre tapissier chez le roi, marchand frippier, & Anne Boutet sa mere, lui donnerent une éducation trop conforme à leur état, auquel ils le destinoient : il resta jusqu’à qua-

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torze ans dans leur boutique, n’ayant rien appris outre son mê- tier, qu’un peu à lire & à écrire. Ses parens obtinrent pour lui la survivance de leur charge chez le roi ; mais son génie l’appelloit ailleurs. On a remarqué que pres- que tous ceux qui se sont fait un nom dans les beaux arts, les ont cultivés malgré leurs parens, & que la nature a toujours été en eux plus forte que l’éducation.

Poquelin avoit un grand-pere qui aimoit la comédie, & qui le menoit quelquefois à l’Hôtel de Bourgogne. Le jeune homme sentit bien-tôt une aversion invin- cible pour sa profession. Son goût pour l’étude se développa, il pres- sa son grand-pere d’obtenir qu’on le mît au college, & il arracha

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enfin le consentement de son pe- re, qui le mit dans une pension, & l’envoya externe aux Jésuites, avec la répugnance d’un bour- geois, qui croyoit la fortune de son fils perdue, s’il étudioit.

Le jeune Poquelin fit au collé- ge les progrès qu’on devoit atten- dre de son empressement à y en- trer. Il y étudia cinq années ; il y suivit le cours des classes d’Ar- mand de Bourbon premier prince de Conty, qui depuis fut le pro- tecteur des Lettres & de Moliere.

Il y avoit alors dans ce collé- ge deux enfans qui eurent depuis beaucoup de réputation dans le monde. C’étoit Chapelle & Ber- nier. Celui-ci connu par ses voya- ges aux Indes ; & l’autre célébre par quelques vers naturels & aisés,

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qui lui ont fait d’autant plus de réputation, qu’il ne rechercha pas celle d’auteur.

L’Huillier, homme de fortune, prenoit un soin singulier de l’édu- cation du jeune Chapelle son fils naturel ; & pour lui donner de l’émulation, il faisoit étudier avec lui le jeune Bernier, dont les pa- rens étoient mal à leur aise ; au lieu même de donner à son fils naturel un précepteur ordinaire & pris au hazard, comme tant de peres en usent avec un fils légiti- me qui doit porter leur nom, il engagea le célébre Gassendi à se charger de l’instruire.

Gassendi ayant démêlé de bon- ne heure le génie de Poquelin, l’associa aux études de Chapelle & de Bernier. Jamais plus illustre

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maître n’eut de plus dignes dis- ciples. Il leur enseigna sa philo- sophie d’Epicure, qui, quoique aussi fausse que les autres, avoit au moins plus de méthode & plus de vraisemblance que celle de l’école, & n’en avoit pas la bar- barie.

Poquelin continua de s’instrui- re sous Gassendi ; au sortir du collége, il reçut de ce philoso- phe les principes d’une morale plus utile que sa phisique, & il s’écarta rarement de ces principes dans le cours de sa vie.

Son pere étant devenu infirme & incapable de servir, il fut obli- gé d’exercer les fonctions de son emploi auprès du roi. Il suivit Louis XIII dans Paris : sa pas- sion pour la comédie, qui l’avoit

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déterminé à faire ses études, se réveilla avec force.

Le théâtre commençoit à fleurir alors : cette partie de bel- les-lettres, si méprisée quand elle est médiocre, contribue à la gloire d’un État, quand elle est perfectionnée.

Avant l’année 1625 il n’y avoit point de comédiens fixes à Paris. Quelques farceurs alloient, com- me en Italie, de ville en ville. lls jouoient les pieces de Hardy, de Montcrétien ou de Baltazar Baro (qui fut depuis de l’Acadé- mie françoise.) Ces auteurs leur vendoient leurs ouvrages dix écus piece.

Pierre Corneille tira le théâ- tre de la barbarie & de l’avilisse- ment vers l’année 1630. Ses pre-

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mieres comédies, qui étoient aussi bonnes pour son siècle qu’elles sont mauvaises pour le nôtre, fu- rent cause qu’une troupe de co- médiens s’établirent à Paris. Bien- tôt après la passion du cardinal de Richelieu pour les spectacles mit le goût de la comédie à la mode, & il y avoit plus de so- ciétés particulieres qui représen- toient alors que nous n’en voyons aujourd’hui.

Poquelin s’associa avec quel- ques jeunes gens qui avoient du talent pour la déclamation ; ils jouoient au fauxbourg saint Ger- main & au quartier saint Paul. Cette société éclipsa bien-tôt toutes les autres, on l’appella l’Il- lustre théâtre. On voit par une tragédie de ce tems-là intitu-

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lée, <persname><hi rend="italic">Artaxerce</hi></persname>, d’un nommé Magnon, & imprimée en 1645 qu’elle fut représentée sur l’Illustre théâtre.

Ce fut alors que Poquelin sen- tant son génie, se résolut de s’y livrer tout entier, d’être à la fois comédien & auteur, & de tirer de ses talens de l’utilité & de la gloire.

On sçait que chez les Athé- niens, les auteurs jouoient sou- vent dans leurs piéces, & qu’ils n’étoient point deshonorés pour parler avec grace en public de- vant leurs concitoyens. Il fut plus encouragé par cette idée, que retenu par les préjugés de son siécle. Il prit le nom de Moliere, & il ne fit en changeant de nom, que suivre l’exemple des comé-

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diens d’ltalie & de ceux de l’Hô- tel de Bourgogne. L’un dont le nom de famille étoit le Grand, s’appelloit Belleville dans la tra- gédie, & Turlupin dans la farce ; d’où vient le mot de turlupinage. Hugues Guéret étoit connu dans les piéces sérieuses sous le nom de Fléchelles ; dans la farce il jouoit toujours un certain rolle qu’on appelloit Gautier-Garguille. De même, Arlequin & Scara- mouche n’étoient connus que sous ce nom de théâtre ; il y avoit déja eu un comédien ap- pellé Moliere auteur de la tra- gédie de Polixéne.

Le nouveau Moliere fut ignoré pendant tout le tems que dure- rent les guerres civiles en Fran- ce ; il employa ces années à cul-

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tiver son talent & à préparer quel- ques piéces. Il avoit fait un recueil de scénes italiennes, dont il faisoit de petites comédies pour les provinces. Ces premiers essais très-informes tenoient plus du mauvais théâtre italien où il les avoit pris, que de son génie, qui n’avoit pas eu encore l’occa- sion de se développer tout entier. Le génie s’étend & se resserre par tout ce qui nous environne. Il fit donc pour la province Le Docteur<lb break="yes"/> amoureux, Les trois Docteurs ri-<lb break="no"/> vaux, Le Maître d’école : ouvra- ges dont il ne reste que le titre. Quelques curieux ont conservé deux piéces de Moliere dans ce genre ; l’une est Le Médecin vo-<lb break="no"/> lant, & l’autre, La Jalousie débar-<lb break="no"/> bouillée. Elles sont en prose &

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écrites en entier. Il y a quelques phrases & quelques incidens de la premiere, qui nous sont con- servés dans <hi rend="italic">Le Médecin malgré<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> lui</hi>, & on trouve dans <hi rend="italic">La Jalousie<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> débarbouillée</hi> un canevas, quoi qu’informe, du troisième acte de de George Dandin.

La première piéce réguliere en cinq actes qu’il composa, fut <hi rend="italic">L’Étourdi</hi> ; il représenta cette co- médie à Lyon en 1658. Il y avoit dans cette ville une troupe de comédiens de campagne, qui fut abandonnée dès que celle de Mo- liere parut.

Quelques acteurs de cette ancienne troupe se joignirent à Moliere, & il partit de Lyon pour les États de Languedoc, avec une troupe assez complet-

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te, composée principalement de deux freres nommés Gros-Resné, de Duparc, d’un patissier de la rue Saint Honoré, de la Duparc, de la Béjart & de la de Brie.

Le prince de Conty qui tenoit les États de Languedoc à Be- ziers, se souvint de Moliere qu’il avoit vû au collége, il lui donna une protection distinguée ; il joua devant lui <hi rend="italic">L’Étourdi</hi>, <hi rend="italic">Le Dépit<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> amoureux</hi> & <hi rend="italic">Les Prétieuses ridi-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> cules</hi>.

Cette petite piéce des <hi rend="italic">Prétieu-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> ses</hi> faite en province, prouve assez que son auteur n’avoit eu en vûe que les ridicules des provinciales. Mais il se trouva depuis que l’ou- vrage pouvoit corriger & la cour & la ville.

Moliere avoit alors trente-qua-

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tre ans, c’est l’âge ou Corneille fit <hi rend="italic">Le Cid</hi> ; il est bien difficile de réussir avant cet âge dans le genre dramatique, qui exige la con- noissance du monde & du cœur humain.

On prétend que le prince de Conty voulut alors faire Moliere son secretaire, & qu’heureuse- ment pour la gloire du théâtre françois, Moliere eut le coura- ge de préférer son talent à un poste honorable. Si ce fait est vrai, il fait également honneur au prince & au comédien.

Après avoir couru quelque tems toutes les provinces, & avoir joué à Grenoble, à Lyon, à Rouen, il vint enfin à Paris en 1658. Le prince de Conty lui donna accès auprès de Monsieur,

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frere unique du roi Louis XIV. Monsieur le présenta au roi & à la reine mere. Sa troupe & lui représenterent la même année de- vant leurs Majestés la tragédie de <persname><hi rend="italic">Nicoméde</hi></persname> sur un théâtre éle- vé par ordre du roi dans la salle des gardes du vieux Louvre.

Il y avoit depuis quelque tems des comédiens établis à l’Hôtel de Bourgogne.

Ces comédiens assisterent au début de la nouvelle troupe. Moliere après la représentation de <persname><hi rend="italic">Nicoméde</hi></persname>, s’avança sur le bord du théâtre, & prit la liberté de faire au roi un discours, par le- quel il remercioit Sa Majesté de son indulgence, & louoit adroi- tement les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, dont il devoit

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craindre la jalousie : il finit en de- mandant la permission de donner une piéce d’un acte qu’il avoit jouée en province.

La mode de représenter ces petites farces après de grandes piéces étoit perdue à l’Hôtel de Bourgogne. Le roi agréa l’offre de Moliere, & l’on joua dans l’instant <hi rend="italic">Le Docteur amoureux</hi> ; depuis ce tems l’usage a toujours continué de donner de ces piéces d’un acte, ou de trois après les piéces de cinq.

On permit à la troupe de Mo- liere de s’établir à Paris ; ils s’y fixerent & partagerent le théâtre du Petit Bourbon avec les co- médiens italiens qui en étoient en possession depuis quelques années.

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La troupe de Moliere jouoit sur le théâtre les mardis, les jeu- dis & les samedis, & les Ita- liens les autres jours.

La troupe de l’Hôtel de Bour- gogne ne jouoit aussi que trois fois la semaine, excepté lorsqu’il y avoit des piéces nouvelles.

Dès-lors la troupe de Moliere prit le titre de la troupe de Mon- sieur, qui étoit son protecteur ; deux ans après en 1660 il leur accorda la salle du Palais Royal. Le cardinal de Richelieu l’avoit fait bâtir pour la représentation de <hi rend="italic">Mirame</hi> tragédie, dans la- quelle ce ministre avoit composé plus de cinq cens vers. Cette salle est aussi mal construite que la pié- ce pour laquelle elle fut bâtie. Et je suis obligé de remarquer à cette

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occasion, que nous n’avons aujour- d’hui aucun théâtre supporttable ; c’est une barbarie gotique, que les Italiens nous reprochent avec raison : les bonnes piéces sont en France, & les belles salles en Italie.

La troupe de Moliere eut la jouissance de cette salle jusqu’à la mort de son chef. Elle fut alors accordée à ceux qui eurent le privilége de l’opéra, quoique ce vaisseau soit moins propre encore pour le chant que pour la décla- mation.

Depuis l’an 1658 jusqu’à 1673 c’est-à-dire en quinze années de tems, il donna toutes ses piéces, qui sont au nombre de trente. Il voulut jouer dans le tragique, mais il n’y réussit pas ; il avoit une

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volubilité dans la voix & une es- péce de hoquet qui ne pouvoit convenir au genre sérieux, mais qui rendoit son jeu comique plus plaisant. La femme d’un des meil- leurs comédiens que nous ayons eus, a donné ce portrait-ci de Moliere.

Il n’étoit ni trop gras, ni trop maigre ; il avoit la taille plus  grande que petite, le port no- ble, la jambe belle, il marchoit gravement, avoit l’air très-sé- rieux, le nez gros, la bouche grande, les lévres épaisses, le teint brun, les sourcis noirs & forts, & les divers mouvemens qu’il leur donnoit lui rendoient la phisionomie extrêmement comique ; à l’égard de son carac- tére, il étoit doux, complaisant,

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généreux, il aimoit fort à ha- ranguer, & quand il lisoit ses piéces aux comédiens, il vou- loit qu’ils y amenassent leurs ” enfans, pour tirer des conjectu- res de leur mouvement naturel.

Molière se fit dans Paris un très-grand nombre de partisans, & presque autant d’ennemis. Il accoutuma le public, en lui fai- sant connoître la bonne comé- die, à le juger lui-même très- sévérement. Les mêmes specta- teurs qui applaudissoient aux pié- ces médiocres des autres auteurs, relevoient les moindres défauts de Moliere avec aigreur. Les hommes jugent de nous par l’at- tente qu’ils en ont conçue, & le moindre défaut d’un auteur cé- lébre, joint avec les malignités du

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public, suffit pour faire tomber un bon ouvrage. Voilà pourquoi<hi rend="italic"><sic>Brittanicus </sic></hi>& <hi rend="italic">Les Plaideurs</hi> de M. Racine furent si mal reçus ; voilà pourquoi <hi rend="italic">L’Avare</hi>, <hi rend="italic">Le Misantrope</hi>, <hi rend="italic">Les Femmes sçavantes</hi>, <hi rend="italic">L’École des</hi><lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> femmes n’eurent d’abord aucun succès.

Louis XIV qui avoit un goût naturel & l’esprit très-juste, sans l’avoir cultivé, ramena souvent par son approbation la cour & la ville aux piéces de Moliere. Il eût été plus honorable pour la nation de n’avoir pas besoin des décisions de son maître pour bien juger. Moliere eut des ennemis cruels, sur-tout les mauvais au- teurs du tems, leurs protecteurs, & leurs cabales ; ils susciterent contre lui les dévots, on lui im-

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puta des livres scandaleux ; on l’accusa d’avoir joué* des hom- mes puissans, tandis qu’il n’avoit joué que les vices en général, & il eût succombé sous ces accusa- tions, si ce même roi, qui en- couragea & qui soutint Racine & Despreaux, n’eût pas aussi proté-Moliere.

Il n’eut à la vérité qu’une pen- sion de mille livres, & sa troupe n’en eut qu’une de sept. La fortune qu’il fit par le succès de ses ou- vrages, le mit en état de n’avoir rien de plus à souhaiter ; ce qu’il retiroit du théâtre avec ce qu’il avoit placé, alloit à trente mille livres de rente, somme qui en ce tems-là faisoit presque le dou-

Voyez n. 6 les remarques sur ses pié- ces.

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ble de la valeur réelle de pareille somme d’aujourd’hui.

Le crédit qu’il avoit auprès du roi paroît assez par le canonicat qu’il obtint pour le fils de son médecin. Ce médecin s’appelloit Mauvilain. Tout le monde sçait qu’étant un jour au dîné du roi : Vous avez un médecin, dit le roi à Moliere, que vous fait-il ? Sire, répondit Moliere, nous cau- sons ensemble, il m’ordonne des remédes, je ne les fais point, & je guéris.

Il faisoit de son bien un usage noble & sage, il recevoit chez lui des hommes de la meilleure com- pagnie, les Chapelles, les Jon- sacs, les Desbarreaux, &c. qui joignoient la volupté & la philo- sophie. Il avoit une maison de

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campagne à Auteuil, où il se délassoit souvent avec eux des fatigues de sa profession, qui sont bien plus grandes qu’on ne pense. Le maréchal de Vivonne, connu par son esprit & par son amitié pour Despreaux, alloit souvent chez Moliere, & vivoit avec lui comme Lælius avec Térence. Le grand Condé exigeoit de lui qu’il le vînt voir souvent, & di- soit qu’il trouvoit toujours à ap- prendre dans sa conversation.

Moliere employoit une partie de son revenu en libéralités, qui alloient beaucoup plus loin que ce qu’on appelle dans d’autres hommes, des charités. Il encou- rageoit souvent par des présens considérables de jeunes auteurs sans fortune, dans lesquels il re-

marquoit

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marquoit du talent ; c’est peut- être à Moliere que la France doit Racine. Il engagea le jeune Ra- cine, qui sortoit du Port Royal, à travailler pour le théâtre dès l’âge de dix-neuf ans. Il lui fit composer la tragédie de <hi rend="italic"><persname class="undefined persname null" data="Nom de personne">Théa-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> gene</persname> & <persname class="undefined persname null" data="Nom de personne">Cariclée</persname></hi>, & quoique cette piéce fût trop foible pour être jouée, il fit présent au jeune auteur de cent louis, & lui don- na le plan des <hi rend="italic">Freres ennemis</hi>.

Il n’est peut-être pas inutile de dire qu’environ dans le même tems, c’est-à-dire en 1661 Ra- cine ayant fait une ode sur le mariage de Louis XIV M. Col- bert lui envoya cent louis au nom du roi.

Il est très-triste pour l’honneur des Lettres que Moliere, & Ra-

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cine ayent été brouillés depuis ; de si grands génies, dont l’un avoit été le bienfaicteur de l’au- tre, devoient être toujours amis.

Il éleva & il forma un autre homme, qui par la supériorité de ses talens & par les dons singu- liers qu’il avoit reçûs de la nature, mérite d’être connu de la posté- rité, c’étoit le comédien Baron, qui a été l’unique dans la tragé- die & dans la comédie ; Moliere en prit soin comme de son pro- pre fils.

Un jour Baron vint lui annon- cer qu’un comédien de campa- gne, que la pauvreté empêchoit de se présenter, lui demandoit quelque léger secours pour aller joindre sa troupe. Moliere ayant sçû que c’étoit un nommé Mon-

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dorge, qui avoit été son camara- de, demanda à Baron combien il croyoit qu’il falloit lui donner ; celui-ci répondit au hazard : Qua- tre pistoles : Donnez-lui quatre pistoles pour moi, lui dit Mo- liere ; en voilà vingt qu’il faut que vous lui donniez pour vous, & il joignit à ce présent celui d’un habit de théâtre magnifique.

Un autre trait de sa vie mérite en- core plus d’être rapporté. Il venoit de donner l’aumône à un pauvre. Un instant après le pauvre court après lui, & lui dit : Monsieur, vous n’aviez peut-être pas dessein de me donner un louis d’or, je viens vous le rendre : Tien, mon ami, dit Moliere, en voilà un autre ; & il s’écria : Où la vertu va-t-elle se nicher ! Exclamation qui peut

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faire voir qu’il refléchissoit sur tout ce qui se présentoit à lui, & qu’il étudioit par-tout la nature en homme qui la vouloit peindre.

Moliere heureux par ses suc- cès & par ses protecteurs, par ses amis & par sa fortune, ne le fut pas dans sa maison ; il avoit épou- sé en 1661 une jeune fille née de la Béjart & d’un gentilhom- me nommé Modene. On disoit que Moliere en étoit le pere ; le soin avec lequel on avoit répandu cette calomnie, fit que plusieurs personnes prirent celui de la ré- futer.

On prouva que Moliere n’avoit connu la mère qu’après la nais- sance de cette fille. La dispro- portion d’âge, & les dangers aus-

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quels une comédienne jeune & belle est exposée, rendirent ce mariage malheureux, & Moliere tout philosophe qu’il étoit d’ail- leurs, essuya dans son domesti- que les dégoûts, les amertumes, & quelquefois les ridicules, qu’il avoit si souvent joués sur le théâ- tre ; tant il est vrai que les hom- mes qui sont au-dessus des autres par les talens, s’en rapprochent presque toujours par les foibles- ses. Car pourquoi les talens nous mettroient-ils au-dessus de l’hu- manité ?

La dernière piéce qu’il com- posa fut <hi rend="italic">Le Malade imaginaire</hi>, il y avoit quelque tems que sa poitri- ne étoit attaquée & qu’il crachoit quelquefois du sang ; le jour de

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la troisième représentation il se sentit plus incommodé qu’aupa- ravant ; on lui conseilla de ne point jouer, mais il voulut faire un effort sur lui-même, & cet effort lui coûta la vie.

Il lui prit une convulsion en prononçant juro, dans le diver- tissement de la réception du <hi rend="italic">Ma-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> lade imaginaire</hi>. Il acheva la re- présentation. On le rapporta mou- rant chez lui, rue de Richelieu ; il fut assisté quelques momens par deux de ces sœurs religieu- ses qui viennent quêter à Paris pendant le carême, & qu’il lo- geoit chez lui, il mourut entre leurs bras, étouffé par le sang, qui lui sortoit par la bouche, le 17 février 1673 âgé de cinquante-

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trois ans ; il ne laissa qu’une fille, qui avoit beaucoup d’esprit. Sa veuve épousa le comédien Gue- rin. Le malheur qu’il avoit eu de ne pouvoir mourir avec les se- cours de la religion, & la pré- vention que l’on a contre la co- médie, toute épurée qu’elle étoit par lui, furent cause qu’on refusa de l’enterrer. Le roi le regret- toit, & ce monarque, dont il avoit été le domestique & le pen- sionnaire, eut la bonté de prier l’archevêque de Paris de le faire enterrer dans une église. Le curé de saint Eustache sa paroisse, ne voulut pas s’en charger. La popu- lace qui ne connoissoit dans Mo- liere que le comédien, & qui

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ignoroit qu’il avoit été un excel- lent auteur, un philosophe, un grand homme en son genre, s’at- troupa en foule à la porte de sa maison le jour du convoi ; sa veu- ve fut obligée de jetter de l’argent par les fenêtres, & ces misérables qui auroient, sans sçavoir pour- quoi, troublé l’enterrement, ac- compagnerent le corps avec res- pect.

La difficulté qu’on fit de lui donner la sépulture, & les injusti- ces qu’il avoit essuyées pendant sa vie, engagerent le fameux pere Bouhours à composer cette es- péce d’epitaphe, qui de toutes celles qu’on fit pour Moliere est la seule qui mérite d’être rapportée, & la seule qui ne soit pas dans cette fausse & mauvaise histoire

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VIE DE MOLIERE.

qu’on a mise jusqu’ici au-devant de ses ouvrages.

Tu réformas & la ville & la cour ; Mais quelle en fut la récompense ? Les Français rougiront un jour De leur peu de reconnaissance ; Il leur fallut un comédien Qui mît à les polir sa gloire & son étude ; Mais Moliere à ta gloire il ne man- queroit rien Si parmi les défauts que tu peignis si bien, Tu les avois repris de leur ingra- titude.

Non-seulement j’ai omis dans cette <hi rend="italic">Vie de <persname class="undefined persname null" data="Nom de personne">Molière</persname></hi> les con- tes populaires touchant Cha- pelle & ses amis ; mais je suis

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obligé de dire, que ces contes adoptés par Grimarest sont très- faux. Le feu duc de Sully, le der- nier prince de Vendôme, l’abbé de Chaulieu, qui avoient beau- coup vécu avec Chapelle, m’ont assuré que toutes ces historiettes ne méritoient aucune créance.

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L’Étourdi,<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> ou<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> les Contre-tems,

Comédie en vers & en cinq actes, jouée d’abord à Lyon en 1653 & à Paris au mois de décembre 1658 sur le théâtre du Petit Bourbon.

Cette piéce est la premiere comédie que Moliere ait donnée au public : elle est composée de plu- sieurs petites intrigues assez indépen- dantes les unes des autres, c’étoit le goût du théâtre italien & espagnol, qui s’étoit introduit à Paris. Les co- médies n’étoient alors que des tissus d’avanture singuliere, où l’on n’avoit

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L’ETOURDI,

guéres songé à peindre les mœurs. Le théâtre n’étoit point, comme il le doit être, la représentation de la vie hu- maine ; la coutume humiliante pour l’humanité, que les hommes puissans avoient pour lors, de tenir des fous auprès d’eux, avoit infecté le théâtre ; on n’y voyoit que de vils bouffons, qui étoient les modéles de nos Jode- lets, & on ne représentoit que le ridi- cule de ces misérables, au lieu de jouer celui de leurs maîtres. La bonne co- médie ne pouvoit être connue en Fran- ce, puisque la societé & la galanterie, seules sources du bon comique, ne faisoient que d’y naître. Ce loisir, où les hommes rendus à eux-mêmes, se livrent à leur caractere & à leur ridi- cule, est le seul tems propre pour la comédie ; car c’est le seul où ceux qui ont le talent de peindre les hommes ayent l’occasion de les bien voir, & le seul, pendant lequel les spectacles

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COMEDIE.

puissent être fréquentés assiduement ; aussi ce ne fut qu’après avoir bien vû la cour & Paris, & bien connu les hommes, que Moliere les représenta avec des couleurs si vraies & si durables.

Les connoisseurs ont dit, que <hi rend="italic">L’E-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> tourdi</hi> devroit seulement être intitulé, Les Contre-tems. Lélie en rendant une bourse qu’il a trouvée, en secourant un homme qu’on attaque, fait des actions de générosité plutôt que d’étourderie.

Son valet paroît plus étourdi que lui, puisqu’il n’a presque jamais l’at- tention de l’avertir de ce qu’il veut faire. Le dénouement qui a trop sou- vent été l’écueil de Moliere, n’est pas meilleur ici que dans ses autres piéces ; cette faute est plus inexcusable dans une piéce d’intrigue, que dans une comédie de caractere.

On est obligé de dire (& c’est prin- cipalement aux étrangers qu’on le dit) que le stile de cette piéce est foible &

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L'ETOURDI, COMEDIE.

& négligé, & que sur-tout il y a beau- coup de fautes contre la langue.

Non-seulement il se trouve dans les ouvrages de cet admirable auteur des vices de construction, mais aussi plu- sieurs mots impropres & surannés.

Trois des plus grands auteurs du siécle de Louis XIV Moliere, La Fon- taine & Corneille, ne doivent être lûs qu’avec précaution par rapport au lan- gage. Il faut que ceux qui apprennent notre langue dans les ecrits de ces grands hommes, y discernent ces peti- tes fautes, & qu’ils ne les prennent pas pour des autorités. Au reste, <hi rend="italic">L’Etourdi</hi> eut plus de succès que <hi rend="italic">Le Misantrope</hi>, <hi rend="italic">L’Avare</hi> & <hi rend="italic">Les Femmes sçavantes</hi>, n’en eurent depuis. C’est qu’avant <hi rend="italic">L’Etourdi</hi> on ne connoissoit pas mieux, & que la réputation de Moliere ne faisoit pas encore d’ombrage. Il n’y avoit alors de bonne comédie au théâtre fran- çois que <hi rend="italic">Le Menteur</hi>.

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LE DÉPIT AMOUREUX,

Comédie en vers & en cinq actes ; représentée au théâtre du Petit Bourbon en 1658.

<hi rend="italic">Le Dépit amoureux</hi> fut joué àParis, immédiatement après <hi rend="italic">L’E-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> tourdi</hi>. C’est encore une piéce d’in- trigue, mais d’un autre genre que la précédente. Il n’y a qu’un seul nœud dans <hi rend="italic">Le Dépit amoureux</hi>. Il est vrai qu’on a trouvé le déguisement d’une fille en garçon peu vraisemblable. Cette intrigue a le défaut d’un roman, sans en avoir l’intérêt. Et le cinquiéme acte employé à débrouiller ce roman, n’a paru ni vif, ni comique. On a ad- miré dans <hi rend="italic">Le Dépit amoureux</hi> la scene

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LE DÉPIT AMOUREUX,

de la brouillerie & du raccommode- ment d’Eraste & de Lucile. Le succès est toujours assuré, soit en tragique, soit en comique, à ces sortes de scenes qui représentent la passion la plus chere aux hommes dans la circonstance la plus vive. La petite ode d’Horace

Donec gratus eram tibi.

a été regardée comme le modéle de ces scenes, qui sont enfin devenues des lieux communs.

LES

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LES PRETIEUSES RIDICULES,

Comédie en un acte & en prose, jouée d’abord en province, & représentée pour la premiere fois à Paris sur le théâtre du Petit Bourbon, au mois de novembre 1659.

Lorsque Moliere donna cette comédie, la fureur du bel esprit étoit plus que jamais à la mode. Voi- ture avoit été le premier en France qui avoit écrit avec cette galanterie ingé- nieuse, dans laquelle il est si difficile d’éviter la fadeur & l’affectation. Ses ouvrages où il se trouve quelques vraies beautés avec trop de faux-brillans étoient les seuls modéles, & presque

D

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LES PRETIEUSES

tous ceux qui se piquoient d’esprit, n’imitoient que ses défauts. Les ro- mans de mademoiselle Scudéri avoient achevé de gâter le goût, il régnoit dans la plûpart des conversations un mélan- ge de galanterie guindée, de sentimens romanesques & d’expressions bizarres, qui composoient un jargon nouveau, inintelligible & admiré ; les provinces qui outrent toutes les modes, avoient encore enrichi sur ce ridicule ; les fem- mes qui se piquoient de cette espéce de bel esprit s’appelloient prétieuses, ce nom, si décrié depuis par la piéce de Moliere, étoit alors honorable ; & Moliere même dit dans sa préface, qu’il a beaucoup de respect pour les vérita- bles prétieuses, & qu’il n’a voulu jouer que les fausses.

Cette petite piéce faite d’abord pour la province, fut applaudie à Paris, & jouée quatre mois de suite ; la troupe de Moliere fit doubler pour la pre-

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RIDICULES.

miere fois le prix ordinaire, qui n’étoit alors que dix sols au parterre.

Dès la premiere représentation, Mé- nage, homme célébre dans ce tems-là, dit au fameux Chappellain: Nous ado- rions vous & moi toutes les sottises qui viennent d’être si bien critiquées ; croyez- moi, il nous faudra brûler ce que nous avons adoré. Du moins c’est ce que l’on trou- ve dans le Menagiana, & il est assez vraisemblable que Chappellain, hom- me alors très-estimé, & cependant le plus mauvais poëte qui ait jamais été, parloit lui-même le jargon des prétieu- ses ridicules chez madame de Longue-ville, qui présidoit, à ce que dit le car- dinal de Retz, à ces combats spiri- tuels, dans lesquels on étoit parvenu à ne se point entendre.

La piéce est sans intrigue & toute de caractere, il y a très-peu de défauts contre la langue, parce que lorsqu’on écrit en prose on est bien plus maître

D ij

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LES PRÉTIEUSES

de son stile, & parce que Moliere ayant à critiquer le langage des beaux esprits du tems, châtia le sien davanta- ge. Le grand succès de ce petit ouvra- ge lui attira des critiques, que <hi rend="italic">L’Etourdi</hi> & <hi rend="italic">Le Dépit amoureux</hi>, n’avoient pas essuyés. Un certain Antoine Bodeau, fit Les vérittables Prétieuses ; on parodia la piéce de Moliere ; mais toutes ces critiques & ces parodies sont tombées dans l’oubli qu’elles méritoient.

On sçait qu’à une représentation des Prétieuses ridicules, un vieillard s’é- cria du milieu du parterre : Courage, Moliere, voilà la bonne comédie.

On eut honte de ce stile affecté con- tre lequel Moliere & Despreaux se sont toujours élevés. On commença à ne plus estimer que le naturel, & c’est peut-être l’époque du bon goût en France.

L’envie de se distinguer a ramené depuis le stile des prétieuses, on le

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RIDICULES.

retrouve encore dans plusieurs au- teurs célébres. Ce stile a reparu sur le théâtre même où Molière l’avoit si bien tourné en ridicule. Mais la nation entière a marqué son bon goût, en méprisant cette affectation dans des auteurs que d’ailleurs elle estimoit.

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LE COCU

LE COCU IMAGINAIRE,

Comédie en un acte & en vers, représentée à Paris le 28 mai 1660.

Le Cocu imaginaire fut joué qua- rante fois de suite, quoique dans l’esté, & pendant que le mariage du roi retenoit toute la cour hors de Paris. C’est une piéce en un acte, où il entre un peu de caractere, & dont l’intrigue est comique par elle-même. On voit que Moliere perfectionna beaucoup sa maniere d’écrire, par son séjour à Paris. Le stile du <hi rend="italic">Cocu ima-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> ginaire</hi> l’emporte beaucoup sur celui de ses premieres piéces en vers, on y trouve bien moins de fautes de lan-

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IMAGINAIRE.

gage, il est vrai qu’il y a quelques gros- sieretés.

La bierre est un séjour par trop mélan- colique Et trop mal-sain pour ceux qui craignent la colique

Il y a des expressions qui ont vieilli. Il y a aussi des termes qu’une délica- tesse peut-être outrée a bannis aujour- d’hui du théâtre, comme carogne, cocu, &c.

Le dénouement que fait Villebre- quin, est un des moins bien ménagés & des moins heureux de Moliere. Cette piéce eut le sort des bons ouvrages, qui ont & de mauvais censeurs & de mau- vais copistes. Un nommé Donneau, fit jouer à l’Hôtel de Bourgogne La<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> Cocue imaginaire à la fin de 1661.

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DON GARCIE DE NAVARRE, OU LE PRINCE JALOUX,

Comédie héroïque en vers & en cinq actes, représentée pour la pre- miere fois le 4 février 1661.

MOLIERE joua le rolle de Don de Garcie, & ce fut par cette piéce qu’il apprit qu’il n’avoit point de talent pour le sérieux, comme acteur. La piéce & le jeu de Moliere furent très-mal reçûs. Cette piéce imitée de l’espagnol, n’a jamais été rejouée depuis sa chûte. La réputation naissante de Moliere souffrit beaucoup de cette dis- grace, & ses ennemis triomphérent quelque tems. Don de Garcie ne fut imprimé qu’après la mort de l’auteur.

L'ECOLE

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L'ECOLE DES MARIS.

Comédie en vers & en trois actes, représentée à Paris le 24 juin 1661.

Il y a grande apparence que Mo- liere avoit au moins les canevas de ces premieres piéces déja préparés, pusqu’elles se succéderent en si peu de tems.

<hi rend="italic">L’Ecole des maris</hi> affermit pour jamais la réputation de Moliere. C’est une piéce de caractere & d’intrigue ; quand il n’auroit fait que ce seul ou- vrage, il eût pû passer pour un excel- lent auteur comique. On a dit que<hi rend="italic">L’Ecole des maris</hi> étoit une copie des<hi rend="italic">Adelphes</hi> de Térence ; si cela étoit,

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L'ECOLE

Moliere eût plus mérité l’éloge d’avoir fait passer en France le bon goût de l’ancienne Rome, que le reproche d’avoir dérobé sa piéce. Mais <hi rend="italic">Les Adel-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> phes</hi> ont fourni tout au plus l’idée de <hi rend="italic">L’Ecole des maris</hi>. Il y a dans Les Adel- phes deux vieillards de différentes hu- meurs, qui donnent chacun une édu- cation différente aux enfans qu’ils élé- vent ; il y a de même dans <hi rend="italic">L’École des<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> maris</hi> deux tuteurs, dont l’un est sé- vére, & l’autre indulgent ; voilà toute la ressemblance. Il n’y a presque point d’in- trigue dans <hi rend="italic">Les Adelphes</hi> ; celle de <hi rend="italic">L’E-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> cole des maris</hi> est fine, interessante & comique. Une des femmes de la piéce de Térence qui devroit faire le personnage le plus intéressant, ne paroît sur le théâtre que pour accoucher. L’Isabelle de Moliere occupe presque toujours la scene avec esprit & avec grace, & mêle quelquefois de la bien-

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DES MARIS.

séance, même dans les tours qu’elle joue à son tuteur.

Le dénouement des <hi rend="italic">Adelphes</hi> n’a nulle vraisemblance ; il n’est point dans la nature, qu’un vieillard qui a été soi- xante ans chagrin, sévére & avare, de- vienne tout-à-coup gai, complaisant & libéral. Le dénouement de <hi rend="italic">L’Ecole<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> des maris</hi> est le meilleur de toutes les piéces de Moliere. Il est vraisemblable, naturel, tiré du fond de l’intrigue, & ce qui vaut bien autant, il est extrême- ment comique. Le stile de Térence est pur, sententieux, mais un peu froid ; comme César, qui excelloit en tout, le lui a reproché. Celui de Mo- liere dans cette piéce est plus châtié que dans les autres. L’auteur françois égale presque la pureté de la diction de Térence, & le passe de bien loin dans l’intrigue, dans le caractere, dans le dénouement, dans la plaisanterie.

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LES FACHEUX,

Comédie en vers & en trois actes ; représentée à Vaux devant le roi, au mois d’août, & à Paris sur le théâtre du Palais Royal le 4 novembre de la même année 1661.

Nicolas Fouquet dernier sur- intendant des Finances, engagea Moliere à composer cette comédie pour la fameuse fête qu’il donna au roi & à la reine mere, dans sa maison de Vaux, aujourd’hui appellée Villars. Moliere n’eut que quinze jours pour se préparer. Il avoit déja quelques scenes détachées toutes prêtes ; il y en ajouta de nouvelles, & en composa cette comédie, qui fut, comme il le

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LES FACHEUX,

dit dans sa préface, faite, apprise & représentée en moins de quinze jours. Il n’est pas vrai, comme le prétend un certain Grimarest auteur d’une <hi rend="italic">Vie de<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> <persname class="undefined persname null" data="Nom de personne">Moliere</persname></hi>, que le roi lui eût alors four- ni lui-même le caractere du chasseur ; Moliere n’avoit point encore auprès du roi un accès assez libre ; de plus ce n’é- toit pas ce prince qui donnoit la fête. C’étoit Fouquet, & il falloit ménager au roi le plaisir de la surprise. Cette piéce fit au roi un plaisir extrême, quoique les ballets des intermedes fussent mal inventés & mal exécutés. Paul Pélisson, homme célébre dans les Lettres, com- posa le prologue en vers à la louange du roi. Ce prologue fut trés-applaudi de toute la cour, & plût beaucoup à Louis XIV. Mais celui qui donna la fête & l’auteur du prologue furent tous deux mis en prison peu de tems après. On les vouloit même arrêter au milieu de la fête. Triste exemple de l’instabilité des

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LES FACHEUX.

fortunes de cour. Les Facheux ne sont pas le premier ouvrage en scenes ab- solument détachées qu’on ait vû sur notre théâtre. Les visionnaires de Desmarets étoient dans ce goût, & avoient eu un succès si prodigieux, que tous les beaux esprits du tems de Desmarets l’appelloient l’inimitable co- médie. Le goût du public s’est telle- ment perfectionné depuis, que cette comédie ne paroît aujourd’hui inimi- ttable que par son extrême impertinen- ce. Sa vieille réputation fit que les comédiens oserent la jouer en 1719 mais ils ne purent jamais l’achever. Il ne faut pas craindre que <hi rend="italic">Les Fâcheux</hi> tom- bent dans le même décri. On ignoroit le théâtre du tems de Desmarets. Les auteurs étoient outrés en tout, parce qu’ils ne connoissoient point la nature. lls peignoient au hazard des caracteres chimériques. Le faux, le bas, le gigan- tesque dominoient par-tout. Moliere

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LES FACHEUX.

fut le premier qui fit sentir le vrai, & par conséquent le beau. Cette piéce le fit connoître plus particulierement de la cour & du maître, & lorsque quelque tems après, Moliere donna cette piéce à Saint Germain, le roi lui ordonna d’y ajouter la scene du chasseur. On prétend que ce chasseur étoit le comte de Soyécourt. Moliere qui n’entendoit rien au jargon de la chasse, pria le comte de Soyécourt lui-même, de lui indiquer les termes dont il devoit se servir.

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L'ECOLE DES FEMMES,

Comédie en vers & en cinq actes, représentée à Paris sur le théâ- tre du Palais Royal le 26 dé- cembre 1662.

Le théâtre de Moliere, qui avoit donné naissance à la bonne comé- die, fut abandonné la moitié de l’an- née 1661 & toute l’année 1662 pour certaines farces moitié italiennes, moitié françoises, qui furent alors fort accréditées, par le retour d’un fameux pantomime italien, connu sous le nom de Scaramouche. Les mêmes specta- teurs qui applaudissoient sans réserve à ces farces monstrueuses, se rendirent difficiles pour <hi rend="italic">L’Ecole des femmes</hi>,

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L'ECOLE DES FEMMES.

piéce d’un genre tout nouveau, la- quelle, quoique toute en récits, est mé- nagée avec tant d’art, que tout paroît être en action.

Elle fut très-suivie & très-critiquée, comme le dit la Gazette de Loret :

Piéce qu’en plusieurs lieux on fronde, Mais où pourtant va tant de monde, Que jamais sujet important Pour le voir, n’en attira tant.

Elle passe pour être inférieure en tout à <hi rend="italic">L’Ecole des maris</hi>, & sur-tout dans le dénouement, qui est aussi postiche dans <hi rend="italic">L’Ecole des femmes</hi>, qu’il est bien amené dans <hi rend="italic">L’Ecole des maris</hi>. On se révolta généralement contre quelques expressions qui paroissent indignes de Molière ; on désapprouva le corbillon, la tarte à la crême, les enfans faits par l’oreille. Mais aussi les connoisseurs ad- mirerent avec quelle adresse Moliere avoit sçû attacher & plaire pendant

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L'ECOLE DES FEMMES.

cinq actes, par la seule confidence d’Horace au vieillard, & par de sim- ples récits. Il sembloit qu’un sujet ainsi traité ne dût fournir qu’un acte. Mais c’est le caractere du vrai génie de ré- pandre sa fécondité sur un sujet stérile, & de varier ce qui semble uniforme. On peut dire en passant, que c’est-là le grand art des tragédies de Racine.

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LA CRITIQUE DE L'ECOLE DES FEMMES,

Petite piéce en un acte & en prose, représentée à Paris sur le théâtre du Palais Royal le premier juin 1663.

C’est le premier ouvrage de ce genre qu’on connoisse au théâ- tre. C’est proprement un dialogue & non une comédie. Moliere y fait plus la satyre de ses censeurs qu’il ne dé- fend les endroits foibles de <hi rend="italic">L'Ecole des<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> femmes</hi>. On convient qu’il avoit tort de vouloir justifier la tarte à la crême, & quelques autres bassesses de stile qui lui étoient échappées ; mais que ses enne- mis avoient plus grand tort de saisir ces

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LA CRITIQUE, &c.

petits défauts pour condamner un bon ouvrage.

Boursault crut se reconnoître dans le portrait de Lisidas. Pour s’en venger il fit jouer à l’Hôtel de Bourgogne une petite piéce dans le goût de <hi rend="italic">La Critique<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> de l’Ecole des femmes</hi>, intitulée : Le<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> Portrait du peintre ou La Contre-critique.

L’IMPROMPTU DE VERSAILLES,

Petite piéce en un acte & en prose, représentée à Versailles le 14 octobre 1663 & à Paris le 4 novembre de la même année.

MOLIERE fit ce petit ouvrage en partie pour se justifier de- vant le roi de plusieurs calomnies, & en partie pour répondre à la piéce de Boursault. C’est une satyre cruelle & outrée. Boursault y est nommé par son nom. La licence de l’ancienne comé- die grecque n’alloit pas plus loin. Il eût été de la bienséance & de l’honnê- teté publique de supprimer la satyre de Boursault & celle de Moliere. Il est honteux que les hommes de génie & de

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L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

talent s’exposent par cette petite guerre à être la risée des sots. Moliere sentit d’ailleurs la foiblesse de cette petite comédie, & ne la fit point imprimer.

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LA PRINCESSE D’ ELIDE OU LES PLAISIRS DE L'ISLE ENCHANTÉE,

Représentée le 7 mai 1664 à Versailles à la grande fête que le roi donna aux reines.

Les fêtes que Louis XIV donna dans sa jeunesse, méritent d’entrer dans l’histoire de ce monarque, non- seulement par les magnificences singu- lieres, mais encore par le bonheur qu’il eut d’avoir des hommes célébres en tous genres, qui contribuoient en mê- me tems à ses plaisirs, à la politesse, & à la gloire de la nation. Ce fut à cette fête, connue sous le nom de l’isle en- chantée, que Moliere fit jouer <hi rend="italic">La <persname class="undefined persname null" data="Nom de personne">Prin-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> cesse d’El<placename class="undefined placename null" data="Nom de lieu">ide</placename></persname></hi>, comédie ballet en cinq

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LA PRINCESSE D'ELIDE,

actes ; il n’y a que le premier acte & la premiere scene du second qui soient en vers. Moliere pressé par le tems écrivit le reste en prose. Cette piéce réussit beaucoup dans une cour qui ne respiroit que la joie, & qui au mi- lieu de tant de plaisirs, ne pouvoit cri- tiquer avec sévérité un ouvrage fait à la hâte pour embellir la fête.

On a depuis représenté <hi rend="italic">La <persname class="undefined persname null" data="Nom de personne">Princesse<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> d’<placename class="undefined placename null" data="Nom de lieu">Élide</placename></persname></hi> à Paris, mais elle ne put avoir le même succès, dépouillée de tous ses ornemens & des circonstances heureu- ses qui l’avoient soutenue. On joua la même année la comédie de La Mere<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> coquette, du célébre Quinault ; c’étoit presque la seule bonne comédie qu’on eut vûe en France, hors les piéces de Moliere, & elle dut lui donner de l’é- mulation. Rarement les ouvrages faits pour des fêtes réussissent-ils au théâtre de Paris. Ceux à qui la fête est donnée sont toujours indulgens ; mais le public

libre

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OU L'ISLE ENCHANTÉE.

libre est toujours sévére. Le genre sé- rieux & galant n’étoit pas le génie de Moliere, & cette espéce de poëme n’ayant ni le plaisant de la comédie, ni les grandes passions de la tragédie, tombe presque toujours dans l’insipi- dité.

F

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LE MARIAGE FORCÉ,

Petite piéce en prose & en un acte, représentée au Louvre le 24 jan- vier 1664 & au théâtre du Palais Royal le 15 décembre de la même année.

C’est une de ces petites farces de Moliere, qu’il prit l’habitude de faire jouer après les piéces en cinq actes. Il y a dans celle-ci quelques scenes tirées du théâtre italien. On y remarque plus de bouffonnerie que d’art & d’agrément ; elle fut accompa- gnée au Louvre d’un petit ballet, où Louis XIV dansa.

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L'AMOUR MEDECIN,

Petite comédie en un acte & en prose, représentée à Versailles le 15 septembre 1665 & sur le théâtre du Palais Royal le 22 du même mois.

<hi rend="italic">L’Amour médecin</hi> est un impromp- tu fait pour le roi en cinq jours de tems. Cependant cette petite piéce est d’un meilleur comique que <hi rend="italic">Le Ma-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> riage forcé</hi> ; elle fut accompagnée d’un prologue en musique, qui est l’une des premieres compositions de Lully.

C’est ce premier ouvrage dans le- quel Moliere ait joué les médecins, ils étoient fort différens de ceux d’au- jourd’hui, ils alloient presque toujours

F ij

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L'AMOUR MEDECIN.

en robe & en rabat, & consultoient en latin.

Si les médecins de notre tems ne connoissent pas mieux la nature, ils connoissent mieux le monde, & sça- vent que le grand art d’un médecin est l’art de plaire. Moliere peut avoir contribué à leur ôter leur pédanterie, mais les mœurs du siécle qui ont chan- gé en tout, y ont contribué davantage. L’esprit de raison s’est introduit dans toutes les sciences, & la politesse dans toutes les conditions.

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DON JUAN, OU LE FESTIN DE PIERRE,

Comédie en prose & en cinq actes,représentée sur le théâtre duPalais Royal le 15 février1665 .

L’original de la comédie bizarre du Festin de Pierre, est de Triso de Molina auteur espagnol, il est inti- tulé :  <foreign class="sp foreign null" data="Langue" xml:lang="sp"><sic>Les</sic> Combidado di piédra</foreign>, Le Con-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> vié de pierre . Il fut joué ensuite en Italie, sous le titre de <foreign class="it foreign null" data="Langue" xml:lang="it">Convitato di pié-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> tra</foreign> . La troupe des comédiens ita- liens le joua à Paris, & on l’appella Le<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/><hi rend="italic">Festin de pierre</hi> : il eut un grand succès sur ce théâtre irrégulier ; l’on ne se

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DON JUAN,

révolta point contre le monstrueux as- semblage de bouffonnerie & de reli- gion, de plaisanterie & d’horreur, ni contre des prodiges extravagans qui sont le sujet de cette piéce, une statue qui marche & qui parle, & les flammes de l’enfer qui engloutissent un impie sur le théâtre d’Arlequin, ne soule- verent point les esprits, soit qu’en effet il y ait dans cette piéce quelqu’interêt, soit que le jeu des comédiens l’embel- lit, soit plutôt que le peuple à qui <lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> Le Festin de pierre plaît beaucoup plus qu’aux honnêtes gens, aime cette es- péce de merveilleux.

Villiers comédien de l’Hôtel de Bourgogne , mit le Festin de pierre en vers, & il eut quelque succès à ce théâtre. Moliere voulut aussi traiter ce bizarre sujet. L’empressement d’en- lever des spectateurs à l’Hôtel de Bour- gogne , fit qu’il se contenta de donner en prose sa comédie ; c’étoit une nou-

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OU LE FESTIN DE PIERRE.

veauté inouie alors, qu’une piéce de cinq actes en prose. On voit par-là combien l’habitude a de puissance sur les hommes & comme elle forme les différens goûts des nations ; il y a des pays où l’on n’a pas l’idée qu’une co- médie puisse réussir en vers ; les Fran- çois au contraire ne croyoient pas qu’on pût supporter une longue co- médie qui ne fût pas rimée. Ce préjugé fit donner la préférence à la piéce de Villiers sur celle de Moliere, & ce pré- jugé a duré si long-tems, que Thomas Corneille en 1673 immédiatement après la mort de Moliere, mit son Fes- <lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> tin de pierre en vers ; il eut alors un grand succès sur le théâtre de la rue Guénegaud, & c’est de cette seule ma- niere qu’on le représente aujourd’hui.

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LE MISANTROPE,

Comédie en vers & en cinq actes, représentée sur le théâtre du Palais Royal le 4 juin 1666.

L’EUROPE regarde cet ouvrage comme le chef-d’œuvre du haut comique, le sujet du Misantrope a réussi chez toutes les nations long-tems avant Moliere & après lui. En effet, il y a peu de choses plus attachantes qu’un homme qui hait le genre hu- main, dont il a éprouvé les noirceurs, & qui est entouré de flatteurs, dont la complaisance servile fait un contraste avec son infléxibilité ; cette façon de traiter le Misantrope est la plus com- mune, la plus naturelle & la plus sus-

ceptible

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LE MISANTROPE

ceptible du genre comique. Celle dont Moliere l’a traité est bien plus délicate, & fournissant bien moins exigeoit beau- coup d’art ; il s’est fait à lui-même un sujet stérile, privé d’action & vuide d’intérêt ; son Misantrope hait les hom- mes encore plus par humeur que par raison ; il n’y a d’intrigue dans la piéce que ce qu’il en faut pour faire sortir les caracteres, mais peut-être pas assez pour attacher : en récompense tous ces caracteres ont une force, une vérité & une finesse, que jamais auteur comique n’a connues comme lui.

Moliere est le premier qui ait sçû tourner en scenes ces conversations du monde & y mêler des portraits ; Le Mi-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> santrope en est plein, c’est une pein- ture continuelle ; mais une peinture de ces ridicules que les yeux vulgaires n’apperçoivent pas. Il est inutile d’exa- miner ici en détail les beautés de ce chef-d’œuvre de l’esprit, & de montrer

G

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LE MISANTROPE.

avec quel art un homme qui pousse la la vertu jusqu’au ridicule, est si rempli de foiblesses pour une coquette, de re- marquer la conversation & le contraste charmant d’une prude avec cette co- quette outrée. Quiconque lit doit sen- tir ces beautés, lesquelles même, toutes grandes qu’elles sont, ne seroient rien sans le stile. La piéce est d’un bout à l’autre à peu près dans le stile des Saty-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> res de Despreaux, & c’est de toutes les piéces de Moliere la plus fortement écrite. Elle eut à la première repré- sentation les applaudissemens qu’elle méritoit. Mais c’étoit un ouvrage plus fait pour les gens d’esprit que pour la multitude, & plus propre encore à être lû qu’à être joué ; le théâtre fut désert dès le troisiéme jour. Depuis, lorsque le fameux acteur Baron étant remonté sur le théâtre, après trente ans d’ab- sence, joua Le Misantrope, la piéce n’attira pas un grand concours, ce qui

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LE MISANTROPE.

confirma l’opinion où l’on étoit, que cette piéce seroit plus admirée que sui- vie. Ce peu d’empressement qu’on a d’un côté pour <hi rend="italic"> Le Misantrope</hi>, & de l’autre la juste admiration qu’on a pour lui, prouve peut-être plus qu’on ne pense, que le public n’est point injuste. Il court en foule à des comédies gaïes & amusantes, mais qu’il n’estime gué- res, & ce qu’il admire n’est pas tou- jours réjouissant. Il en est des comé- dies comme des jeux, il y en a que tout le monde joue, il y en a qui ne sont faites que pour les esprits plus fins & plus appliqués. Si on osoit encore cher- cher dans le cœur humain la raison de cette tiédeur du public aux représen- tations du Misantrope, peut-être les trouveroit-on dans l’intrigue de la piéce, dont les beautés ingénieuses & fines ne sont pas également vives & interessantes ; dans ces conversations même, qui sont des morceaux inimi-

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LE MISANTROPE.

tables, mais qui n’étant pas toujours nécessaires à la piéce, peut-être réfroi- dissent un peu l’action, pendant qu’elles font admirer l’auteur ; enfin dans le dénouement, qui tout bien amené & tout sage qu’il est, semble être attendu du public sans inquiétude, & qui ve- nant après une intrigue peu attachante, ne peut avoir rien de piquant. En effet le spectateur ne souhaite point que le Misantrope épouse la coquette Céli- méne, & ne s’inquiéte pas beaucoup s’il se détachera d’elle. Enfin on prendroit la liberté de dire, que Le Misantrope est une satyre plus sage & plus fine que celles d’Horace & de Boileau, & pour le moins aussi bien écrite, mais qu’il y a des comédies plus intéressantes ; & que Le Tartuffe, par exemple, réunit les beautés du stile du Misantrope avec un interêt plus marqué. On sçait que les ennemis de Moliere voulurent per- suader au duc de Montausier, fameux

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LE MISANTROPE.

par sa vertu sauvage, que c’étoit lui que Moliere jouoit dans Le Misantro-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> pe. Le duc Montausier alla voir la piéce, & dit en sortant, qu’il auroit bien voulu ressembler au Misantrope de Moliere.

G iij

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LE MÉDECIN MALGRÉ LUI,

Comédie en trois actes & en prose, représentée sur le théâtre du Palais Royal, le 6 août 1666.

MOLIERE ayant suspendu son chef-d’œuvre du Misantrope, le rendit quelque tems après au public, accompagné du Médecin malgré lui, farce très-gaye & très-bouffone, & dont le peuple grossier avoit besoin ; à peu près comme à l’opéra, après une musique noble & sçavante, on entend avec plaisir ces petits airs qui ont par eux-mêmes peu de mérite, mais que tout le monde retient aisé- ment. Ces gentillesses frivoles servent à faire goûter les beautés sérieuses.

Le Médecin malgré lui soutint Le

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LE MÉDECIN MALGRÉ LUI.

Misantrope ; c’est peut-être à la honte de la nature humaine, mais c’est ainsi qu’elle est faite ; on va plus à la co- médie pour rire, que pour être instruit ; Le Misantrope étoit l’ouvrage d’un sage qui écrivoit pour les hommes éclairés, & il fallut que le sage se déguisât en farceur pour plaire à la multitude.

G iiij

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LE SICILIEN OU L'AMOUR PEINTRE,

Comédie en prose & en un acte, représentée à Saint Germain en Laye en 1667 & sur le théâtre du Palais Royal le 10 juin de la même année .

C’est la seule petite piéce en un acte où il y ait de la grace & de la galanterie, les autres petites piéces que Moliere ne donnoit que comme des farces, ont d’ordinaire un fonds plus bouffon & moins agréable.

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MELICERTE, PASTORALE HEROÏQUE

Représentée à Saint Germain en Laye pour le roi au Ballet des<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> Muses, en décembre 1666.

MOLIERE n’a jamais fait que deux actes de cette comédie, le roi se contenta de ces deux actes dans la fête du Ballet des muses. Le public n’a point regretté que l’auteur ait négligé de finir cet ouvrage, il est dans un genre qui n’étoit point celui de Moliere, quelque peine qu’il y eût prise ; les plus grands efforts d’un hom- me d’esprit ne remplacent jamais le génie.

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AMPHITRION,

Comédie en vers & en trois actes, représentée sur le théâtre du Pa- lais Royal le 13 janvier 1668 .

Euripide & Archippus avoient trai- té ce sujet de tragicomédie chez les Grecs, c’est une des piéces de Plaute qui a eu le plus de succès ; on la jouoit encore à Rome cinq cens ans après lui, & ce qui peut paroître singulier, c’est qu’on la jouoit toujours dans des fêtes consacrées à Jupiter. Il n’y a que ceux qui ne sçavent point combien les hommes agissent peu conséquemment, qui puissent être surpris qu’on se moc- quât publiquement au théâtre des mêmes dieux qu’on adoroit dans les temples.

Moliere a tout pris de Plaute, hors les scenes de Sosie & de Cléantis.

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AMPHITRION.

Ceux qui ont dit qu’il a imité son prologue de Lucien, ne sçavent pas la différence qui est entre une imitation & la ressemblance très-éloignée de l’ex- cellent dialogue de la Nuit & de Mer- cure dans Moliere, avec le petit dialo- gue de Mercure & d’Apollon dans Lu- cien ; il n’y a pas une plaisanterie, pas un seul mot que Moliere doive à cet auteur grec.

Tous les lecteurs exemts de pré- jugés sçavent combien l’Amphitrion françois est au-dessus de l’Amphitrion latin. On ne peut pas dire des plaisan- teries de Moliere ce qu’Horace dit de celles de Plaute :

Nostri pro ævi Plautinos & numeros &Laudavere sales nimium patienter utrum- que.

Dans Plaute, Mercure dit à Sosie : Tu viens avec des fourberies cousues. Sosie répond : Je viens avec des habits cousus. Tu as menti, replique le dieu, tu viens avec tes pieds & non avec tes habits. Ce

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AMPHITRION.

n’est pas-là le comique de notre théâ- tre ; autant Moliere paroît surpasser Plaute dans cette espece de plaisanterie que les Romains nommoient urbanité, autant paroît-il aussi l’emporter dans l’économie de sa piéce. Quand il falloit chez les Anciens apprendre au specta- teur quelque événement, un acteur venoit sans façon le conter dans un monologue ; ainsi Amphitrion & Mer- cure viennent seuls sur la scene dire tout ce qu’ils ont fait, pendant les entre-actes ; il n’y avoit pas plus d’art dans les tragédies, cela seul fait peut- être voir que le théâtre des Anciens, (d’ailleurs à jamais respectable) est par rapport au nôtre, ce que l’enfance est à l’âge mûr.

Madame Dacier qui a fait honneur à son sexe par son érudition, & qui lui en eût fait davantage, si avec la science des commentateurs elle n’en eût pas eu l’esprit, fit une dissertation pour

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AMPHITRION.

prouver que l’Amphitrion de Plaute étoit fort au-dessus du moderne ; mais ayant ouï dire que Moliere vouloit faire une comédie des Femmes sçavan-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> tes , elle supprima sa dissertation.

L’Amphitrion de Moliere réussit pleinement & sans contradiction ; aussi est-ce une piéce pour plaire aux plus simples & aux plus grossiers comme aux plus délicats. C’est la premiere comédie que Moliere ait écrite en vers libres. On prétendit alors que ce genre de versification étoit plus propre à la comédie que les rimes plates, en ce qu’il y a plus de liberté & plus de va- riété. Cependant les rimes plates en vers alexandrins ont prévalu. Les vers libres sont d’autant plus mal-aisés à faire, qu’ils semblent plus faciles. Il y a un rithme très-peu connu qu’il y faut observer, sans quoi cette poësie re- bute : Corneille ne connut pas ce rith- me dans son <persname class="Personnage historique persname null" data="Nom de personne" type="Personnage historique" ref="Agésilas">Agésilas</persname>.

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L’AVARE,

Comédie en prose & en cinq actes, représentée à Paris sur le théâ- tre du Palais Royal le 9 septem- bre 1668 .

CETTE excellente comédie avoit été donnée au public en 1667 mais le même préjugé qui fit tomber Le Festin de pierre, parce qu’il étoit en prose, avoit fait tomber L’Avare. Mo- liere pour ne point heurter de front le sentiment des critiques, & sçachant qu’il faut ménager les hommes quand ils ont tort, donna au public le tems de revenir, & ne rejoua L’Avare qu’un an après ; le public qui à la longue se rend toujours au bon, donna à cet ouvrage les applaudissemens qu’il mé- rite. On comprit alors qu’il peut y avoir

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L'AVARE.

de fort bonnes comédies en prose, & qu’il y a peut-être plus de difficulté à réussir dans ce stile ordinaire où l’esprit seul soutient l’auteur, que dans la ver- sification, qui par la rime, la cadence & la mesure, prête des ornemens à des idées simples, que la prose n’embelli- roit pas. Il y a dans L’Avare quelques idées prises de Plaute & embellies par Moliere. Plaute avoit imaginé le pre- mier de faire en même tems voler la cassette de l’avare & séduire sa fille ; c’est de lui qu’est toute l’invention de la scene du jeune homme qui vient avouer le rapt, & que l’avare prend pour le voleur ; mais on ose dire que Plaute n’a point assez profité de cette situation, il ne l’a inventée que pour la manquer ; que l’on en juge par ce trait seul : l’amant de la fille ne paroît que dans cette scene, il vient sans être annoncé ni préparé, & la fille elle- même n’y paroît point du tout.

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L'AVARE.

Tout le reste de la piéce est de Moliere, caracteres, intrigues, plai- santeries ; il n’en a imité que quelques lignes, comme cet endroit où l’avare parlant (peut-être mal-à-propos) aux spectateurs dit, Mon voleur n’est-il point parmi vous ? lls me regardent tous, & se mettent à rire. Quid est quid ride- tis ? Novi omnes, scio fures hic esse com- plures. Et cet autre endroit encore, où ayant examiné les mains du valet qu’il soupçonne, il demande à voir la troi- siéme, Ostende tertiam ?

Mais si l’on veut connoître la diffé- rence du stile de Plaute & du stile de Moliere, qu’on voye les portraits que chacun fait de son avare. Plaute dit :

Clamat suam rem periisse seque,De suo tigillo sumus si qua exit foras.Quin, cum id dormitum, sollem obstringit ob gulamNe quid animæ forte amittat dormiens ;Etiámne obturat inferiorem gutturem ? &c.

Il crie qu’il est perdu, qu’il est abîmé,

si

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L'AVARE.

si la fumée de son feu va hors de sa mai- son. Il se met une vessie à la bouche pen- dant la nuit, de peur de perdre son souffle. Se bouche-t-il aussi la bouche d’en-bas ?

Cependant ces comparaisons de Plaute avec Moliere, toutes à l’avantage du dernier, n’empêche pas qu’on ne doive estimer ce comique latin, qui n’ayant pas la pureté de Térence, avoit d’ailleurs tant d’autres talens, & qui quoiqu’inférieur à Moliere a été pour la variété de ses caracteres & de ses intri- gues, ce que Rome a eu de meilleur. On trouve aussi à la vérité dans L’Avare de Moliere quelques expressions gros- siéres, comme je sçai l’art de traire les hommes , & quelques mauvaises plai- santeries, comme je marierois, si je l’avois entrepris, le grand turc & la ré- publique de Venise.

Cette comédie a été traduite en plusieurs langues, & jouée sur plus d’un théâtre d’Italie & d’Angleterre,

H

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L'AVARE.

de même que les autres piéces de Mo- liere ; mais les piéces traduites ne peu- vent réussir que par l’habileté du tra- ducteur. Un poëte anglois nommé Shadivell, aussi vain que mauvais poëte, la donna en anglois du vivant de Mo- liere . Cet homme dit dans sa préface : Je crois pouvoir dire sans vanité que Mo- liere n’a rien perdu entre mes mains, Ja- mais piéce françoise n’a été maniée par un de nos poëtes, quelque méchant qu’il fût, qu’elle n’ait été rendue meilleure ; ce n’est ni faute d’invention ni faute d’esprit que nous empruntons des François, mais c’est par paresse ; c’est aussi par paresse que je me suis servi de L'Avare de Moliere .

On peut juger qu’un homme qui n’a pas assez d’esprit pour mieux cacher sa vanité, n’en a pas assez pour faire mieux que Moliere. La piéce de Shadivell est généralement méprisée. M. Fildeng, meilleur poëte & plus modeste a tra- duit L’Avare, & l’a fait jouer à Londres

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L'AVARE.

en 1733. Il y a ajouté réellement quel- ques beautés de dialogue particulieres à sa nation, & sa piéce a eu près de trente représentations ; succès très-rare à Londres, où les piéces qui ont le plus de cours, ne sont jouées tout au plus que quinze fois.

H ij

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GEORGES DANDIN OU LE MARI CONFONDU,

Comédie en prose, & en trois actes, représentée à Versailles le 15 de juillet 1668 & à Paris le 9 de novembre 1668.

ON ne connoît, & on ne joue cette piéce que sous le nom de <persname class="none persname null" data="Nom de personne" ref="Georges Dandin"> <title><hi class="italic" rend="italic">Georges<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> Dandin</hi> ; & au contraire Le Cocu ima-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> ginaire qu’on avoit intitulé & affiché <hi class="italic" rend="italic">Sganarelle</hi>, n’est connu que sous le nom du Cocu imaginaire, peut-être parce que ce dernier titre est plus plaisant que celui du Mari confondu. <persname class="none persname null" data="Nom de personne" ref="Georges Dandin">Georges<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> Dandin </persname> réussit pleinement ; mais si on ne reprocha rien à sa conduite & au stile, on se souleva un peu contre le sujet même de la piéce ; on se révolta contre une comédie, dans laquelle une femme mariée donne un rendez-vous à son amant.

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L’IMPOSTEUR, OU LE TARTUFFE,

Joué sans interruption en public le 5 février 1669.

On sçait toutes les traverses que cet admirable ouvrage essuya. On en voit le détail dans la préface de l’au- teur au-devant du Tartuffe.

Les trois premiers actes avoient été représentés à Versailles devant le roy le 12 mai 1664. Ce n’étoit pas la pre- miere fois que Louis XIV qui sentoit le prix des ouvrages de Moliere, avoit voulu les voir avant qu’ils fussent ache- vés ; il fut fort content de ce commence- ment, & par conséquent la cour le fut aussi.

Il fut joué le 29 novembre de la

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L'IMPOSTEUR,

même année à Rainsy devant le Grand Condé . Dès lors les rivaux se réveil- lerent, les dévots commencerent à faire du bruit, les faux zélés, (l’espece d’hommes la plus dangereuse) crierent contre Moliere, & séduisirent même quelques gens de bien. Moliere voyant tant d’ennemis qui alloient attaquer sa personne encore plus que sa piéce, voulut laisser ces premieres fureurs se calmer ; il fut un an sans donner Le Tar-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> tuffe, il le lisoit seulement dans quel- ques maisons choisies où la superstition ne dominoit pas.

Moliere ayant opposé la protection & le zéle de ses amis aux cabales nais- santes de ses ennemis, obtint du roi une permission verbale de jouer Le Tar-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> tuffe. La premiere représentation en fut donc faite à Paris le 5 août 1667. Le lendemain on alloit la rejouer ; l’as- semblée étoit la plus nombreuse qu’on eût jamais vûe, il y avoit des dames de

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OU LE TARTUFFE.

la premiere distinction aux troisiémes loges. Les acteurs alloient commencer lorsqu’il arriva un ordre du premier président du Parlement, portant dé- fense de jouer la piéce.

Pendant qu’on supprimoit cet ou- vrage, qui étoit l’éloge de la vertu, & la satyre de la seule hypocrisie, on per- mit qu’on jouât sur le theâtre italien, <hi class="italic" rend="italic"><persname class="none persname null" data="Nom de personne" ref="Scaramouche">Scaramouche Hermite</persname></hi>, piéce très-froide si elle n’eût été licentieuse, dans laquelle un hermite vêtu en moine, monte la nuit par une échelle à la fenestre d’une femme mariée, & y reparoît de tems en tems, en disant qu’esto è per mortifi- car la carne. On sçait sur cela le mot du Grand Condé. Au bout de quelque tems Moliere fut délivré de la persécu- tion, il obtint un ordre du roi par écrit de représenter Le Tartuffe. Les comédiens ses camarades, voulurent que Moliere eût toute sa vie deux parts dans le gain de la troupe, toutes les

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L'IMPOSTEUR,

fois qu’on joueroit cette piéce ; elle fut représentée trois mois de suite, & du- rera autant qu’il y aura en France du gout & des hypocrites. Aujourd’hui bien des gens regardent comme une leçon de morale cette même piéce, qu’on trouvoit autrefois si scandaleuse. On peut hardiment avancer que les dis- cours de Cléante, dans lesquels la vertu vraie & éclairée est opposée à la dévo- tion imbécille d’Orgon, sont à quel- ques expressions près, le plus fort & le plus élégant sermon que nous ayons en notre langue ; & c’est peut-être ce qui révolta davantage ceux qui par- loient moins bien dans la chaire queMoliere au théâtre.

Voyez sur tout cet endroit,

Allez, tous vos discours ne me font point de peur, Je sçai comme je parle, & le ciel voit mon cœur ;

Il

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OU LE TARTUFFE.

Il est de faux dévots ainsi que de faux bra- ves, &c.

Presque tous les caracteres de cette piéce sont originaux ; il n’y en a aucun qui ne soit bon, & celui du Tartuffe est parfait : on admire la conduite de la piéce jusqu’au dénouement ; on sent combien il est forcé, & combien les louanges du roi, quoique mal amenées, étoient nécessaires pour soutenir Mo- liere contre ses ennemis.

Dans les premieres représentations l’imposteur se nommoit Panulphe, & ce n’étoit qu’à la derniere scéne qu’on apprenoit son vérittable nom de Tar- tuffe , sous lequel ses impostures étoient supposées être connues dedu roi. A cela près la piéce étoit comme elle est au- jourd’hui ; le changement le plus mar- qué qu’on y ait fait, est à ce vers :

O Ciel pardonnes-moi la douleur qu’il me donne ;

I

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L'IMPOSTEUR,

Il y avoit,

O Ciel pardonne-moi comme je lui par- donne.

Qui croiroit que le succès de cette ad- mirable piéce eût été balancé par celui d’une comédie qu’on appelle La Femme<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> juge & partie , qui fut jouée à l’Hôtel de Bourgogne aussi long-tems que Le<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> Tartuffe au Palais Royal . Montfleury comédien de l’Hôtel de Bourgogne, auteur de La Femme juge & partie, se croyoit égal à Moliere, & la préface qu’on a mise au-devant du recueil de ce Montfleury, avertit que monsieur de Montfleury étoit un grand homme. Le succès de La Femme juge & partie, & de tant d’autres piéces médiocres, dé- pend uniquement d’une situation que le jeu d’un acteur fait valoir. On sçait qu’au théâtre il faut peu de chose pour faire réussir ce que l’on méprise à la lecture : on représenta sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, à la suite de

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OU LE TARTUFFE.

La Femme juge & partie, la Critique du<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> <persname class="none persname null" data="Nom de personne" ref="Tartuffe">Tartuffe</persname> . Voici ce qu’on trouve dans le prologue de cette critique :

Moliere plaît assez, c’est un bouffon plaisant,Qui divertit le monde en le contrefaisant ;Ses grimaces souvent causent quelques sur- prises,Toutes ses piéces sont d’agréables sottises ;Il est mauvais poëte & bon comédien.Il fait rire, & de vrai c’est tout ce qu’il fait bien.

On imprima contre lui vingt libelles ; un curé de Paris s’avilit jusqu’à com- poser une de ces brochures, dans la- quelle il débutoit par dire qu’il falloit brûler Moliere. Voilà comme ce grand homme fut traité de son vivant ; mais l’approbation du public éclairé lui don- noit une gloire qui le vengeoit assez.

I ij

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MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Comédie-ballet en prose & en trois actes, faite & jouée à Cham- bord pour le roi, au mois de septembre 1669 & représentée sur le théâtre du Palais Royal le 15 novembre de la même année.

Ce fut à la représentation de cette comédie, que la troupe de Mo- liere prit pour la premiere fois le titre de la troupe du roi. Pourceaugnac est une farce, mais il y a dans toutes les farces de Moliere des scenes di- gnes de la haute comédie. Un homme supérieur quand il badine ne peut s’em- pêcher de badiner avec esprit. Lully qui n’avoit point encore le privilege

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M. DE POURCEAUGNAC.

de l’opéra, fit la musique du ballet de Pourceaugnac ; il y dansa, il y chanta, il y joua du violon. Tous les grands talens étoient employés au di- vertissement du roi, & tout ce qui avoit rapport aux beaux arts étoit honorable.

On n’écrivit point contre Pour-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> ceaugnac : on ne cherche à rabaisser les grands hommes que quand ils veu- lent s’élever. Loin d’examiner sévére- ment cette farce, les gens de bon goût reprocherent à l’auteur d’avilir trop souvent son génie à des ouvrages frivoles qui ne méritoient pas d’exa- men ; mais Moliere leur répondoit, qu’il étoit comédien aussi-bien qu’au- teur, qu’il falloit réjouir la cour & attirer le peuple, & qu’il étoit réduit à consulter l’interêt de ses acteurs aussi- bien que sa propre gloire.

I iij

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LE BOURGEOIS GENTILHOMME,

Comédie-ballet en prose & en cinq actes, faite & jouée à Cham- bord au mois d’ octobre 1670 & représentée à Paris le 23 novembre de la même année.

LE Bourgeois gentilhomme est un des plus heureux sujets de comé- die que le ridicule des hommes ait ja- mais pû fournir : la vanité attribut de l’espece humaine fait que des princes prennent le titre de rois, que les grands seigneurs veulent être princes, & comme dit La Fontaine :

Tout prince a des ambassadeurs,Tout marquis veut avoir des pages.

Cette foiblesse est précisément la même

103

LE BOURGEOIS,&c.

que celle d’un bourgeois qui veut être homme de qualité. Mais la folie du bourgeois est la seule qui soit comique & qui puisse faire rire au théâtre ; ce sont les extrêmes disproportions des manieres & du langage d’un homme, avec les airs & les discours qu’il veut affecter, qui font un ridicule plaisant ; cette espéce de ridicule ne se trouve point dans des princes ou dans des hommes élevés à la cour, qui cou- vrent toutes leurs sottises du même air & du même langage ; mais ce ridicule se montre tout entier dans un bour- geois élevé grossiérement & dont le naturel fait à tout moment un contraste avec l’art dont il veut se parer. C’est ce naturel grossier qui fait le plaisant de la comédie ; & voilà pourquoi ce n’est jamais que dans la vie commune qu’on prend les personnages comiques. Le Misantrope est admirable, Le Bour-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> geois gentilhomme est plaisant.

I iiij

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LE BOURGEOIS, &c.

Les quatre premiers actes de cette piéce peuvent passer pour une comé- die ; le cinquiéme est une farce qui est réjouissante, mais trop peu vrai- semblable. Moliere auroit pû donner moins de prise à la critique, en suppo- sant quelqu’autre homme que le fils du Grand Turc. Mais il cherchoit par ce divertissement plûtôt à réjouir qu’à faire un ouvrage régulier.

Lully fit aussi la musique du ballet, & il y joua comme dans Pourceau-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> gnac.

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LES FOURBERIES DE SCAPIN,

Comédie en prose & en trois actes, représentée sur le théâtre du Palais Royal le 24 mai 1671.

Les Fourberies de <persname class="none persname null" data="Nom de personne" ref="Scapin">Scapin</persname> sont une de ces farces que Moliere avoit préparées en province. Il n’avoit pas fait scrupule d’y insérer deux scenes entieres du Pédant joué , mauvaise piéce de Cirano de Bergerac. On prétend que quand on lui reprochoit ce pla- giarisme, il répondoit : Ces deux sce- nes sont assez bonnes. Cela m’appar- tenoit de droit, il est permis de re- prendre son bien par-tout où on le trouve.

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LES FOURBERIES

Si Moliere avoit donné la farce des Fourberies de <persname class="none persname null" data="Nom de personne" ref="Scapin">Scapin</persname> pour une vraie comédie, Despreaux auroit eu raison de dire dans son Art poëtique :

C’est par-là que Moliere illustrant ses ecrits,Peut-être de son art eût remporté le prix,Si moins ami du peuple en ses doctes pein- tures,Il n’eût point fait souvent grimacer ses figu- res,Quitté pour le bouffon l’agréable & le fin,Et sans honte à Térence allié Tabarin ;Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe,Je ne reconnois plus l’auteur du Misantrope.

On pourroit répondre à ce grand critique, que Moliere n’a point allié Térence avec Tabarin dans ses vraies comédies, où il surpasse Térence, que s’il a déféré au goût du peuple, c’est dans ses farces, dont le seul titre an- nonce du bas comique, & que ce bas comique étoit nécessaire pour soutenir son théâtre.

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DE SCAPIN.

Moliere ne pensoit pas que Les<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> Fourberies de Scapin & Le Mariage<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> forcé valussent L’Avare, Le Tartuffe & Le<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> Misantrope , ou fussent même du même genre. De plus, comment Despreaux peut-il dire, que Moliere peut-être de son art eût emporté le prix ? Qui aura donc ce prix, si Moliere ne l’a pas ?

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PSICHÉ,

Tragédie-ballet en vers libres & en cinq actes, représentée devant le roi, dans la salle des machi- nes du Palais des Thuilleries, en janvier & durant le carnaval de l’année 1670 & donnée au public sur le théâtre du Palais Royal en 1671.

Le spectacle de l’opéra connu en France sous le ministere du car- dinal Mazarin , étoit tombé par sa mort ; il commençoit à se relever. Per- rin introducteur des ambassadeurs chez M. Cambert intendant de la mu- sique de la reine mere, & le marquis de Sourdiac homme de goût, qui avoit du génie pour les machines, avoient

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<hi rend="italic">PSICHÉ</hi>.

obtenu en 1669 le privilège de l’o- péra, mais ils ne donnerent rien au public qu’en 1671. On ne croyoit pas alors que les François pussent jamais soutenir trois heures de musique, & qu’une tragédie toute chantée pût réussir. On pensoit que le comble de la perfection est une tragédie décla- mée avec des chants & des danses dans les intermédes. On ne songeoit pas que si une tragédie est belle & inté- ressante, les entre-actes de musique doivent en devenir froids, & que si les intermédes sont brillans, l’oreille a peine à revenir tout d’un coup du char- me de la musique à la simple décla- mation. Un ballet peut délasser dans les entre-actes d’une piéce ennuyeuse ; mais une bonne piéce n’en a pas be- soin, & l’on joue <hi class="italic" rend="italic">Athalie</hi> sans les chœurs & sans la musique ; ce ne fut que quelques années après que Lully & Quinault nous apprirent qu’on pou-

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<hi rend="italic">PSICHÉ</hi>.

voit chanter toute une tragédie, com- me on faisoit en ltalie, & qu’on la pouvoit même rendre intéressante, per- fection que l’ltalie ne connoissoit pas.

Depuis la mort du cardinal Maza- rin, on n’avoit donc donné que des piéces à machines avec des divertisse- mens en musique, telles qu’Andromé-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> de & la toison d’or. On voulut don- ner au roi & à la cour pour l’hyver de 1670 un divertissement dans ce goût, & y ajouter des danses. Moliere fut chargé du sujet de la fable, le plus ingénieux & le plus galant, & qui étoit alors en vogue par le roman aima- ble, quoique beaucoup trop allongé, que La Fontaine venoit de donner en 1669.

Il ne put faire que le premier acte, la premiere scene du second & la pre- miere du troisième ; le tems pressoit, Pierre Corneille se chargea du reste de la piéce, il voulut bien s’assujettir au

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PSICHÉ.

plan d’un autre, & ce génie mâle, que l’âge rendoit sec & sévére, s’amollit pour plaire à Louis XIV. L’auteur de Cinna fit à l’âge 67 ans cette déclara- tion de Psiché à l’Amour, qui passe encore pour un des morceaux les plus tendres & les plus naturels qui soient au théâtre.

Toutes les paroles qui se chantent sont de Quinault. Lully composa les airs ; il ne manquoit à cette société de grands hommes que le seul Racine, afin que tout ce qu’il y eut jamais de plus excellent au théâtre se fût réuni pour servir un roi qui méritoit d’être servi par de tels hommes.

Psiché n’est pas une excellente pié- ce, & les derniers actes en sont très- languissans ; mais la beauté du sujet, les ornemens dont elle fut embellie, & la dépense royale qu’on fit pour ce spectacle firent pardonner ses défauts.

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LES FEMMES SÇAVANTES,

Comédie en vers & en cinq actes, représentée sur le théâtre du Palais Royal le 11 mars 1672.

Cette comédie, qui est mise par les connoisseurs dans le rang du Tartuffe & du Misantrope, attaquoit un ridicule qui ne sembloit propre à réjouir ni le peuple, ni la cour, à qui ce ridicule paroissoit être également étranger : elle fut reçûe d’abord assez froidement, mais les connoisseurs ren- dirent bien-tôt à Moliere les suffrages de la ville, & un mot du roi, lui donna ceux de la cour ; l’intrigue qui en effet a quelque chose de plus plai- sant que celle du Misantrope soutint la piéce long-tems.

Plus

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LES FEMMES SÇAVANTES.

Plus on la vit, & plus on admira comment Moliere avoit pû jetter tant de comique sur un sujet qui paroissoit fournir plus de pédanterie que d’agré- ment ; tous ceux qui sont au fait de l’histoire litteraire de ce tems-là, sça- vent que Ménage y est joué sous le nom de Vadius, & que Trissotin est le fameux abbé Cottin, si connu par les Satyres de Despreaux. Ces deux hom- mes étoient pour leur malheur enne- mis de Moliere ; ils avoient voulu per- suader au duc de Montausier, que Le <lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> Misantrope étoit fait contre lui ; quel- que tems après ils avoient eu chez Ma- demoiselle, fille de Gaston de France , la scene que Moliere a si bien rendue dans Les Femmes sçavantes. Le malheu- reux Cottin écrivoit également contre Ménage, contre Moliere & contre Despreaux ; les Satyres de Despreaux l’avoient déja couvert de honte, mais Moliere l’accabla. Trissotin étoit ap-

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LES FEMMES SÇAVANTES.

pellé aux premières représentations Tricottin. L’acteur qui le représen- toit avoit affecté autant qu’il avoit pû de ressembler à l’original par la voix & par le geste ; enfin pour comble de ridicule les vers de Trissotin, sacrifiés sur le théâtre à la risée publique, étoient de l’abbé Cottin même. S’ils avoient été bons, & si leur auteur avoit vallu quelque chose, la critique sanglante de Moliere & celle de Des- preaux ne lui eussent pas ôté sa répu- tation ; Moliere lui-même avoit été joué aussi cruellement sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, & n’en fut pas moins estimé. Le vrai mérite résiste à la satyre, mais Cottin étoit bien loin de pouvoir se soutenir contre de telles attaques ; on dit qu’il fut si accablé de ce dernier coup, qu’il tomba dans une mélancolie qui le conduisit au tom- beau. Les Satyres de Despreaux cou- terent aussi la vie à l’ abbé Cassaigne :

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LES FEMMES SÇAVANTES.

triste effet d’une liberté plus dangereu- se qu’utile, & qui flatte plus la mali- gnité humaine qu’elle n’inspire le bon goût.

La meilleure satyre qu’on puisse faire des mauvais poëtes, c’est de don- ner d’excellens ouvrages ; Moliere & Despreaux n’avoient pas besoin d’y ajouter des injures.

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LES AMANS MAGNIFIQUES,

Comédie-ballet en prose & en cinq actes, représentée devant le roi à Saint Germain, au mois de février 1670.

LOUIS XIV lui-même donna le sujet de cette piéce à Moliere. Il voulut qu’on représentât deux princes qui se disputeroient une maîtresse, en lui donnant des fêtes magnifiques & galantes. Moliere servoit le roi avec précipitation. Il mit dans cet ouvrage deux personnages qu’il n’avoit point encore fait paroître sur son théâtre, un astrologue & un fou de cour. Le monde n’étoit point alors désabusé de l’astrologie judiciaire, on y croyoit

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LES AMANS MAGNIFIQUES.

d’autant plus, qu’on connoissoit moins la véritable astronomie. Il est rappor- té dans Vittorio Siri, qu’on n’avoit pas manqué à la naissance de Louis XIV de faire tenir un astrologue dans un cabi- net voisin de celui où la reine accou- choit ; c’est dans les cours que cette superstition regne davantage, parce c’est-là qu’on a plus d’inquiétude sur l’avenir.

Les fous y étoient aussi à la mode ; chaque prince & chaque grand sei- gneur même avoit son fou, & les hom- mes n’ont quitté ce reste de barbarie qu’à mesure qu’ils ont plus connu les plaisirs de la société & ceux que don- nent les beaux arts. Le fou qui est re- présenté dans Moliere n’est point un fou ridicule, tel que le Moron de La Prin-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> cesse d’E<placename class="undefined placename null" data="Nom de lieu">lide</placename> ; mais un homme adroit, & qui ayant la liberté de tout dire, s’en sert avec habileté & avec finesse. La musique est de Lully. Cette piéce

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LES AMANS MAGNIFIQUES.

ne fut jouée qu’à la cour & ne pou- voit guéres réussir que par le mérite du divertissement & par celui de l’a- propos.

On ne doit pas omettre, que dans les divertissemens des Amans magnifi-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> ques, il se trouve une traduction de l’ode d’Horace :

Donec gratus eram tibi.

LA COMTESSE D'ESCARBAGNAS,

Petite comédie en un acte, & en prose, représentée devant le roi à Saint Germain, en  février1672 & à Paris sur le théâtre du Palais Royal, le 8 juillet de la même année.

C'EST une farce, mais toute de caracteres, qui est une peinture naïve, peut-être en quelques endroits trop simple des ridicules de la provin-

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LA COMT. D'ESCARBAGNAS.

ce ; ridicules dont on s’est beaucoup corrigé à mesure que le goût de la so- ciété & la politesse aisée qui regne en France se sont répandus de proche en proche.

LE MALADEIMAGINAIRE,

En trois actes avec des intermédes, fut représentée sur le théâtre du Palais Royal le 10 février 1673.

C’est une de ces farces de Moliere dans laquelle on trouve beaucoup de scenes dignes de la haute comé- die. La naïveté peut-être poussée trop loin en fait le principal caractere. Ses farces ont le défaut d’être quelquefois un peu trop basses, & ses comédies de n’être pas toujours assez intéressan- tes ; mais avec tous ces défauts-là, il sera toujours le premier de tous les

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LE MALADE IMAGINAIRE.

poëtes comiques. Depuis lui le théâ- tre françois s’est soutenu, & même a été asservi à des loix de décence plus rigoureuses que du tems de Moliere. On n’oseroit aujourd’hui hazarder la scene où le Tartuffe presse la femme de son hôte ; on n’oseroit se servir des termes de fils de putain, de carogne, & même de cocu ; la plus exacte bien- séance regne dans les piéces modernes. Il est étrange que tant de régularité, n’ait pû lever encore cette tache qu’un préjugé très-injuste attache à la profes- sion de comédien ; ils étoient honorés dans Athénes, où ils représentoient de moins bons ouvrages ; il y a de la cruauté à vouloir avilir des hommes nécessaires à un Etat bien policé, qui exercent sous les yeux des magistrats un talent très-difficile & très-estimable ; mais c’est le sort de tous les gens à talens, qui sont sans pouvoir, de tra- vailler pour un public ingrat.

FIN.

APPROBATION.

J’ai lû par ordre de Monseigneur le Chan- celier la Vie de <persname class="Personnage historique persname null" data="Nom de personne" type="Personnage historique" ref="Jean-Baptiste Poquelin">Moliere</persname>, & n’y ai rien trou- vé qui en doive empêcher l’impression. Fait à Paris ce 29 février 1739.

FONTENELLES.

PRIVILEGE DU ROI.

LOUIS par la grace de Dieu roi de France & de Navarre : a nos amés & feaux Conseillers les gens tenans nos cours de Parlement, maîtres des requêtes ordi- naires de notre hôtel, grand Conseil, pre- vôt de Paris, baillifs, sénéchaux, leurs lieu- tenans civils, & autres nos justiciers qu’il appartiendra, salut. Notre bien amé LAURENT-FRANÇOIS PRAULT fils, libraire à Paris, nous ayant fait exposer qu’il sou- haiteroit faire imprimer & donner au public l'Histoire de la poësie françoise, par le sieur abbé Massieux ; Mahomet, tragédie ; la Vie<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> de <persname class="Personnage historique persname null" data="Nom de personne" type="Personnage historique" ref="Jean-Baptiste Poquelin">Moliere</persname>, avec des jugemens sur ses ouvra-<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/> ges, s’il nous plaisoit lui accorder nos let- tres de privilége sur ce nécessaires ; offrant pour cet effet de les faire imprimer en bon papier & beaux caracteres, suivant la feuille imprimée & attachée pour modéle sous le contre-scel des présentes. A CES CAUSES, voulant traiter favorablement le dit exposant, nous lui avons permis & permettons par ces

présentes de faire imprimer les dits ouvrages ci-dessus spécifiés, en un ou plusieurs vo- lumes, conjointement ou séparément, & au- tant de fois que bon lui semblera, & de les vendre, faire vendre & débiter par tout notre royaume, pendant le tems de six années consécutives, à compter du jour de la datte des dites présentes : faisons défenses à toutes sortes de personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient d’en introduire d’im- pression étrangere dans aucun lieu de notre obéissance ; comme aussi à tous libraires, imprimeurs, & autres, d’imprimer, faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter ni contrefaire les dits ouvrages ci-dessus exposés en tout ni en partie, ni d’en faire aucuns extraits, sous quelque prétexte que ce soit, d’augmentation, correction, changement de titre ou autrement, sans la permission ex- presse & par écrit du dit exposant ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de confisca- tion des exemplaires contrefaits, de six mille livres d’amende contre chacun des contreve- nans, dont un tiers à nous, un tiers à l’Hô- tel-Dieu de Paris, l’autre tiers au dit expo- sant, & de tous dépens, dommages & inte- rêts ; à la charge que ces présentes seront enregistrées tout au long sur le registre de la communauté des libraires & imprimeurs de Paris, dans trois mois de la datte d’icelles ; que l’impression des dits ouvrages sera faite dans notre royaume, & non ailleurs ; & que l’impétrant se conformera en tout aux régle- mens de la librairie, & notamment à celui du dix avril mil sept cent vingt cinq ; & qu’a-

vant de les exposer en vente, les manuscrits ou imprimés qui auront servi de copie à l’im- pression des dits ouvrages seront remis dans le même état où les approbations y auront été données, ès mains de notre très-cher & féal chevalier le sieur Daguesseau, chan- celier de France, commandeur de nos or- dres ; & qu’il en sera ensuite remis deux exem- plaires de chacun dans notre bibliothéque publique, un dans celle de notre château du Louvre , & un dans celle de notre dit très-cher & féal chevalier le sieur Daguesseau, chan- celier de France, commandeur de nos or- dres : le tout à peine de nullité des présentes ; du contenu desquelles vous mandons & en- joignons de faire jouir l’exposant ou ses ayans cause pleinement & paisiblement, sans souffrir qu’il leur soit fait aucun trouble ou empêchement : voulons qu’à la copie des di- tes présentes, qui sera imprimée tout au long au commencement ou à la fin des dits ou- vrages soit tenue pour dûement signifiée, & qu’aux copies collationnées par l’un de nos amés & féaux conseillers & secretaires foi soit ajoutée comme à l’origrinal : comman- dons au premier notre huissier ou sergent de faire pour l’exécution d’icelles tous actes requis & nécessaires, sans demander autre permission & nonobstant clameur de haro, chartre normande & lettres à ce contraires ; car tel est notre plaisir. Donné à Paris le neuviéme jour du mois de juin, l’an de gra- ce mil sept cens trente-neuf , & de notre re- gne le vingt-quatriéme. Par le roi en son conseil, SAINSON.

Registré sur le registre dix de la chambre royale des libraires & imprimeurs de Paris, no 247 fol. 224 conformément aux anciens réglemens, confirmés par celui du 28 février 1723. A Paris le 12 Juin 1739.

LANGLOIS, syndic.

Vie <lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/>de<lb class="yes lb null" data="Retour à la ligne" break="yes"/><persname class="Personnage historique persname null" data="Nom de personne" type="Personnage historique" ref="Jean-Baptiste Poquelin">Moliere</persname>

L27n14358