Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - II, 02 : De Jupiter Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Iupiter.

CHAPITRE II.

Genealogie & nourriture de IupiterOR ſus, recherchons maintenant que peut auoir de diuin ce Iupiter, que les Anciens ont qualifié Pere des hommes, & Roy des Dieux ; & quelle a eſté ſa race & ſon origine. Mais parce que pluſieurs ont porté le nom de Iupiter, voila pourquoy les Autheurs ne s’accordent pas bien du lieu de ſa naiſſance, alleguans diuers endroits de ſa nourriture, & racontans pluſieurs de ſes vaillances & proüeſſes. Car ce Iupiter fils de Saturne, auquel on rapporte preſque tous les beaux faits des autres de meſme nom, ſuiuant leur dire naſquit tantoſt en Candie, tantoſt à Thebes, tantoſt à Meſſine, tantoſt en Arcadie, & toutesfois des choſes ſi differentes ne peuuent aucunement s’accorder enſemble. Car encore qu’vne perfonne puiſſe bien eſtre nourrie en diuers endroits, ſelon les euenemens eſquels nous ſommes ſujets ; ſi ne ſe peut-il faire qu’elle ſoit nee en pluſieurs lieux. Or Pauſanias en l’Eſtat de Meſſine teſmoigne que pluſieurs & diuerſes nations ſe ſont vantees d’auoir Iupiter pour leur bourgeois & citadin, comme né chez elles : & dit que ce ſeroit choſe trop longue d’alleguer tous les peuples qui maintiennẽt Iupiter auoir eſté nourry chez eux. Mais tout ainſi qu’il n’a pas eſté ſeul de ce nom, anciennement auſſi tous les Roys eſtoient nommez Iupiter, comme teſmoignent Iſace & Zezes Hiſtoriens Grecs. Biẽsfaits aux hommes par Iupiter.Pour cette cauſe on a creu que ce Iupiter premier du nom, ait faict beaucoup de biens & de bons offices aux hommes, ſingulierement aux Atheniens. Car il perſuada aux peuples, encores rudes & groſſiers, d’obeyr aux loix qu’il leur ordonnoit ; il leur eſtablit & borna les mariages & alliances : il apprit à ſeruir & adorer les Dieux à ceux qui viuoient comme beſtes ſauuages ; il leur fit entendre que tout cet Vniuers eſtoit conduit & gouuerné par la prouidence diuine : & leur dreſſa des Autels, des Preſtres, & des ceremonies. Iceluy eſtant Arcadien, & de bas lieu, ceux qui en auoient receu du bien, cachãs la baſſe qualité de ſa maiſon à cauſe de beaucoup de belles vertus & perfections dont ſon eſprit eſtoit orné, firent croire qu’il eſtoit fils d’Æther & du Iour. Je croy qu’ils vouloient entendre, de Verité, & Sageſſe. Cõme donc tous les Empereurs Romains ont eſté nommez Ceſars, en faueur & ſouuenance du premier Iules Ceſar, Rois anciens nommez Iupiter.auſſi les Anciens appelloient tous les Roys du nom de Iupiter, pour la bonne memoire & reputation de ce Iupiter Arcadien. Or puis que les Poëtes ont imputé à Iupiter, troiſieſme de ce nom, fils de Saturne, tous les geſtes tãt de cet Arcadien, que de tous les autres de meſme nom, laiſſans les autres, voyons qu’elle a eſté ſa naiſſance & ſa nourriture, Pauſanias és Meſſeniaques eſcrit qu’il y a vne fontaine ſur le ſommet d’Ithome, dite Clepſydre, en laquelle les Nymphes Ithome & Nede, nourrices de Iupiter le lauerent apres que les Curetes l’eurent ſouſtrait à Saturne, de peur qu’il le deuoraſt : & qu’à cauſe que les Meſſeniens s’attribuent la natiuité de Iupiter, la fontaine fut ainſi nommee, du larcin que les Curetes auoient fait (car Clepſydre vaut autant que larcin d’eau) & la riuiere & mõtagne eurent le nom des meſmes nourrices, & pour confirmation & preuue de leur dire, ils ſolemniſoient vne feſte portant le nom d’Ithome, en l’honneur dudit Iupiter. Pauſanias ayant eſcrit cecy au paſſage ſuſdit, traittant puis-apres de l’Eſtat d’Arcadie, vient à dire, qu’en Arcadie la riuiere qui paſſe par Gortyne, eſt nommee Luſie, pource qu’on tient que Iupiter, fraiſchement né y fut laué. Ces lieux n’eſtoient pas peu diſtans l’un de l’autre, veu que Meſſine eſtoit vne Cité riche en la Moree, bien loin de l’Arcadie, ayant à main droicte vne autre bonne ville, nommee Patres, & deuãt elle le deſtroict de Naupacte : mais l’Arcadie eſtoit preſque de l’autre coſté de l’iſle proche de la mer. Puis apres le meſme Pauſanias en l’Eſtat de Bœoce dit que Iupiter fut enleué à Saturne en Bœoce, & qu’au deſſous de la ville de Cherone il y a vne haute croupe de montagne, nommee Petrarche, Caillou englouti par Saturne au lieu de Iupiter.où l’on dit que Rhee preſenta à Saturne vne pierre au lieu de Iupiter, qu’il vouloit engloutir : lequel lieu eſt aſſez loin d’Arcadie, & de Meſſine auſſi. Et n’eſt pas croyable que le ſang de Iupiter, frais-né, & les autres excremens immundes, dont les enfans naiſſans ſont couuerts, ayent eſté lauez en des fontaines tant eſloignees l’une de l’autre. Que s’il n’eſtoit point ſoüillé de toutes ces immundices comme les autres quand ils naiſſent, qu’eſtoit-il beſoin de le lauer meſme en la riuiere de Luſie ? Diuerſes opinions ſur la natiuité de Iupiter.Quelques-vns penſent que Iupiter ſoit né à Thebes de Bœoce, teſmoin ce qu’en dit Lycophron, faiſant parler Caſſandre à Hector, luy denonçant ce qui luy deuoit aduenir :

Mon frere que plus que moy-méme, Plus que ma propre vie i’ayme : Mon frere, qui ſeul garantis Et ta maiſon & ton pays ; En vain tu ne feras offrande Alors qu’à celuy qui commande Sur les hauts thrones d’Ophion Tu bailleras oblation De maints taureaux de haute graiſſe, Car il te donnerà l’adreſſe Pour eſtre par toy viſité Au lieu de ſa natiuité.

Car l’hiſtoire dit que la Grece eſtant affligee d’extreme famine & di- ſette de viures, Tranſlation des os d’Hector.l’Oracle leur fit entendre que cette calamité ceſſeroit ſi l’on tranſportoit les os d’Hector, giſans en vn lieu de Troye, nommé Ophryn, en vne ville Grecque qui fuſt la patrie de Iupiter, & qui n’auroit point eſté à la guerre Troyenne. Et recherchans cette ville, ils ne trouuerent que Thebes qui ſe fuſt exemptee de ce voyage & de cette expedition de guerre. Ce lieu fut appellé patrie de Iupiter, parce que quelques-vns croyoient qu’il y ſoit né : teſmoin cet Epigramme, qui flattant les Thebains, dit que les Iſles fortunees ſont la, quoy que Thebes n’ait point eſté Iſle :

Les Iſles des heureux ſont au pays où Rhee Fut iadis de Iupin Roy des Dieux deliuree.

Les autres ont ſouſtenu que Iupiter naſquit & fut nourry en Candie, comme teſmoigne Lucian és Sacrifices ; Les Candiots ne diſent pas ſeulement que Iupiter ſoit né & enſeuely chez eux, mais außi montrent ſon ſepulchre. Virgile le confirme au 4. des Georgiques, comme vous verrez cy deſſus au 1. liure chap. 9. Nombril de Iupiter cheut en Candie.On dit que comme l’on emportoit Iupiter en Crete ou en Candie pour l’y faire nourrir, le nombril luy cheut dans la riviere de Triton, & que le lieu luy eſtant conſacré fut appellé Omphale, & la campagne d’alentour, Omphalie, pource que les Grecs appellent le nombril ómphalos. On adoroit ſon image en forme de Nombril, garny d’eſmeraudes & autres pierres precieuſes, large en bas & pointuë en haut. Et quand on la vouloit conſulter pour en tirer reſponſe, les Preſtres la portoient en proceſſion dedans vne petite nef doree, à l’entour de laquelle eſtoient attachees aux deux coſtez pluſieurs taſſes d’argent. Le peuple ſuiuoit apres chantant des vers ſans meſure, ſans ordre ; & penſoient qu’ainſi Iupiter leur donnaſt l’Oracle de ce qu’ils deſiroient ſçauoir. Apollonius Rhodien au 1. liure des Argo-Nochers, dit qu’il a demeuré en la grotte de Dicté, montagne de Candie ;

Tandis que Iupin fut au maillot enſerré Dans l’antre Dictean il demeura ſerré.

Callimache l’appelle Ideen, en l’hymne qu’il a fait en ſon honneur, pour auoir été né & nourry en Ide, comme nous auons veu cy deſſus. Car Ide eſt auſſi vne montagne en Candie, comme dit Denys au liure de la ſituation du monde :

Crete de Iupiter nourrice venerable, Populeuſe en beſtial & terre labourable : Auprés de qui paroiſt Ide le mont ombreux Sombrement embelly de maint cheſne fueilleux.

Et Virgile au 3. de l’Æneide

Au milieu de la mer giſt l’Iſle Candienne : Dans laquelle paroiſt la montagne Ideenne, Qui donne à noſtre race eſtre & commencement.

Ceux donc qui ont tenu que Iupiter fuſt de Crete, l’ont appellé Ideen à cauſe de lmontagne ainſi nommee ; teſmoin cecy :

Iupiter Ideen, & ſa mere en ſon rang, Qui des Phryges a pris ſon origine et ſang.

Mais ceux qui le font Arcadien, le nomment Olympien, pource que la montagne de Lycee a eſté dicte Olympe, comme eſcrit Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie : & le ſommet d’icelle, Saincte crouppe, d’autant que ſelon la commune croyance il y auoit eſté nourry. Callimache donc voyant ſi grand differend ſur la patrie de Iupiter, chante ainſi en ſes hymnes :

Lequel chanterons-nous, ou Iupiter Dictee, Ou celuy d’Arcadie, autrement de Lycee ? I’en doute en mon eſprit, ſi peu de verité Se treuue en ce qu’on dit de ſa natiuité.

Toutesfois ailleurs il ſemble conſentir qu’il ſoit Arcadien ; car il dict que Rhee l’enfanta à Parrhaſie ville d’Arcadie. Sujet de la haine de Saturne contre Iupiter.Or doncques cettuy-cy qu’on a qualifié Pere des hommes & des Dieux, auſſi-toſt qu’il fut né, Saturne s’efforca de le faire mourir inhumainement ; pource que l’Oracle luy auoit reuelé que ſon fils le chaſſeroit de ſon Royaume : ou bien pource qu’il auoit fait tel accord & pacte, auec les Titans ſes freres, de mettre à mort tous les fils qui luy naiſtroient : mais ſa mere Rhee, qu’ils ont auſſi appellee Ops, comme quelques-vns ont eſcrit, le nourrit premierement elle-meſme quelques iours en cachette : Voyez liure 9. cha. 78.puis voyant qu’elle ne le pouuoit long-temps celer, le bailla aux Corybantes, qui ſe nommoient auſſi Curetes, & Dactyles Ideens, pour l’emporter en Candie au deſceu de Saturne. Eux feignans de ſolemniſer quelque feſte & ſacrifice, faiſans bruire des tambours, tinter des cymbales & autres inſtrumens d’airain,empeſcherent qu’on ne peuſt ouyr l’enfant pleurer tandis qu’ils l’emportoient. Et dit-on que Ops, pource que Saturne vouloit faire mourir tous ſes fils, au lieu de Iupiter luy preſenta vne pierre enueloppe de linge, luy faiſant accroire que l’enfant eſtoit emmaillotté là-dedans, laquelle il engloutit quant & quant, ſelon ce qu’eſcrit Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie. Or cela fut fait vn peu au deſſus de la ville de Cherone, comme il dit en l’Eſtat de Bœoce. Et tout ainſi que les Anciens ſont en grand differend touchant la patrie de Iupiter ; auſſi ne ſont-ils pas en moindre diſpute pour les nourrices qu’il eut, que pour les lieux de ſa nourriture. Diuerſes nourrices de Iupiter.Car les vns ont voulu dire que les mouches à miel l’ayent nourry, comme Virgile au 4. de Georgiques ; comme nous auons veu cy deſſus. Liu. 1. ch. 910.Et pour la recompenſe d’vn tel bien-faict, Iupiter leur donna vne couleur d’or, qui n’eſtoit auparauant que de fer. Et pourtant les Poëtes leur donnent l’epithete de Blondes, & les nomment filles du ciel ; parce que la plus douce partie de leur miel, decoule du ciel. C’eſt pourquoy Pline au liure 11. chapitre 12. appelle le miel, ſueur du ciel, ſaliue des eſtoilles, & ſuc de l’air. Et Columelle au liure 9. chapitre 11. appelle les Auetes, filles du Soleil, & nourrices de Iupiter : Auſſi la pureté de ce petit beſtion gaigna tant, qu’en leur faueur toutes les Nymphes ordonees ſur les Sacrifices, furent appellees Meliſſes, mot ſignifiant Abeilles ; (car proprement les Preſtreſſes ou Religieuſes de Cerés eſtoient ſeules nommees Meliſſes) pource qu’vne des Nymphes nommee Meliſſe, ayant par hazard trouué dans le bois vn rayon de Miel, apres en auoir gouſté, comme raconte Mnaſeas de Patare, le deſtrempa auec de l’eau, & en fit vne boiſſon qu’elle communiqua à ſes compagnes, & voulut que de ſon nom les petits animaux, artiſans de ſi precieuſe liqueur fuſſent nommez Meliſſes, & dés lors les appriuoiſa, & entretint auec beaucoup de curioſité : apprenant l’uſage du miel aux hommes, qui viuans encore d’vne cruelle & abominable façon, eſtoient ſans ceſſe aux armes pour s’entremaſſacrer, afin de manger la chair de ceux qui demeuroient au combat, pluſtoſt que pour autre ſuject qu’ils en euſſent. Arat és Phænomenes dit qu’vne cheure l’allaicta :

Iupin aime la Cheure, & luy eſt conſacree : Car enfant il tetta ſa mammelle ſacree.

Ce qu’auſſi maintient Lucian és Sacrifices. Icelle ayant eſté nourrie à Olene, ville de Bœoce, où apres la deſtruction d’Ægues, Ægium fut baſtie, fut ſurnommee Olenienne, comme dit Arat, & Ouide au au 2. des Faſtes. Nous auons auſſi faict mention cy deſſus de Nede & Ithome nourrices de Iupiter, deſquelles ſe ſouuient Pauſanias és Meſſeniaques. Apollonius Rhodien au 3. liure des Argo-Nochers, nomme Adraſtee pour ſa nourrice :

Ce beau petit ioyau ie te viens apporter Qu’adraſtee donna iadis à Iupiter. Lors qu’enfant il giſoit ſous la grotte Ideenne.

Car outre les ſuſdites nourrices il eut auſſi Adraſtee & Idee, filles de Meliſſe, & ſœurs des Curetes, qui le nourrirent : & Lactance au liure de la fauſſe Religion eſcrit qu’il fut nourry de laict de cheure par Amalthee & Meliſſe, filles de Meliſſe, Roy de Candie. Apollodore, Grammairien d’Athenes, au premier liure de ſa Bibliotheque dit bien qu’Adraſtee & Ide l’ont nourry, mais du laict d’Amalthee. Ciceron au 2. de la deuination teſmoigne que l’idole de Iupiter eſtoit en toute chaſteté ſeruie & adoree en vn certain lieu, lequel auec Iunon ſeant au giron de la Fortune prenoit ſa mammelle. Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie dit que les Arcadiens ſouloient nommer quelques Nymphes nourrices de Iupiter ; Thiſoé, Nede, Hagno : la premiere deſquelles donna nom à vne ville ſur les confins des Parrhaſiens : la ſeconde à vne riuiere, & la troiſieſme à vne fontaine ſur le Lycee, montagne d’Arcadie, laquelle receut auſſi vn beau preſent de Iupiter. Merueilleuſe vertu de la fontaine de Hagno.Car comme la terre eſtoit alteree par trop grande ſeichereſſe, apres auoir deuotement faict le ſeruice diuin, & les hoſties ſacrifiees, le Preſtre de Iupiter Lyceen ſe tournant auec prieres vers la fontaine, iettoit vne branche de cheſne au fonds de l’eau ; de là s’eſleuoit vne broüee ſemblable à vne nuë, qui enueloppant le Ciel, & aſſemblant en vn tas les nuës, arroſoit ſuffiſamment l’Arcadie d’vne agreable & douce pluye. Celuy qui a commenté Apollonius Rhodien eſcrit qu’elles furent changees en Ourſes : mais il n’en dit point la raiſon. Aupres de Cherroneſe (dit-il) il y à vne montagne qui en ſon propre nom s’appelle Ourſe, parce qu’on dit que les nourrices de Iupiter demeurans la, furent conuerties en Ourſes. D’autres ont eu opinion qu’il ait eſté nourry par des pigeons, & par vn Aigle dans vne grotte du mont Ida en Candie : dont les Pigeons luy alloient peſcher l’ambroſie dans l’Ocean ; & l’Aigle le nectar en vne certaine roche, & le venoient abecher tour à tour. Or ces Pigeons qui nourrirent Iupiter, eſtoient pigeons ramiers, auſquels pour recompenſe de leur charité, il octroya cette prerogatiue de pouuoir præſentir les venuës de l’hyuer & de l’eſté. L’aigle pour ſemblable recognoiſſance, fut colloquee entre les eſtoilles. Tuteurs & gardiens de Iupiter.Et tandis que ce Dieu fut en bas aage, il fut principalement aſſiſté des Curetes, par la diligence & dexterité deſquels il auoit eſté garanty de la gloutonnie de Saturne, comme en eſt teſmoin Apollonius au deuxieſme liure, & Lucrece au 2.

Les Curetes iadis ſous Ida mon Cretin Recelerent le cry de l’enfançon Iupin, Lors que tourne-virans d’une viſte courante Tout-alentour de luy, de ſa bouche eſclatante Ils deſtournoient le bruit, en faiſant rebondir Airain deſſus airain, qu’on oyoit retentir Enuiron cet enfant : & ſuiuoient la cadance, A pas bien meſurez, de cette ailée dance.

En vn mot, on eſt encore en doute & diſpute du lieu de la natiuité de Iupiter, & qui furent ſes nourrices ; & ne ſe trouue pas vn de ceux qui ont recherché la naiſſance & la nature des Dieux, qui en ait rien eſcrit de certain. Dés qu’il fut né, comme nous auons ouy, ſa mere Ops le mit entre les mains des Curetes, pour le tranſporter en Crete, & le recommanda à Crés, pour lors Roy de l’Iſle, que nous appellons auiourd’huy Candie ; lequel le fit nourrir en Gnoſe ville Royalle, comme dit Euſebe. Quelques-vns confeſſent bien qu’il naſquit en Candie, mais non pas qu’eſtant né ailleurs il ait eſté là tranſporté. Les autres ont eſtimé qu’il naſquit en Arcadie, les autres à Meſſine, les autres ailleurs, deſquels qui voudroit cotter tou- tes les opinions, ce ne ſeroit iamais faict. En apres ils diſent que comme on ioüoit des cymbales, des tambours & autres inſtruments d’airain retentiſſans, les mouſches à miel auolerent à ce tintamarre, & le nourrirent. Les autres diſent que les Nymphes l’eſleuerent ; les autres, qu’il tetta vne Cheure ; les autres des Ourſes. Voila en ſomme ce qu’on eſcrit de l’enfance de Iupiter. Pluſieurs Iupiters.Ciceron au troiſieſme liure de la nature des Dieux, dit que les Theologiens ont faict eſtat de trois Iupiters, le premier & ſecond deſquels naſquit en Arcadie ; le premier ayant eu Æther pour pere ; le ſecond, le Ciel ; & le troiſieſme, Candiot, fut fils de Saturne. Puis apres auoir aſſeuré que le premier engendra Proſerpine & Bacchus, il vient à dire que les Dioſcures (Caſtor & Pollux) naſquirent les premiers de Iupiter, tres-ancien Roy d’Athenes, & de Proſerpine. Ce qui me faict croire qu’il y ait eu quelque autre Iupiter outre ces trois. Et ne ſe faut eſbahir ſi l’on a mis en auant tant de diuerſes naiſſances & nourritures de ce troiſieſme Iupiter, puis que la plus grand part des Autheurs, & principalement des Poëtes, luy rapportent la natiuité, la nourriture, & les geſtes de tous les autres de meſme nom, comme nous auons deſia dict. De facon que nous auſſi, conformement

à l’opinion des Poëtes, luy concedans tout ce qui eſt commun aux autres, pourſuiurons noſtre route comme nous l’auons commencee. Or Iupiter eſtant venu en aage de connoiſſance, & ſa Cheure morte, il accommoda la peau d’icelle à ſa rondache, en perpetuelle ſouuenance du bien qu’il en auoit receu ; & pour auoir ſuccé ſon laict, mit la meſme Cheure entre les Signes cœleſtes, Aegide de Iupiter.& ſa rondache fut appellee Aegis par les Grecs, du mot Aix, ſignifiant Cheure ; de laquelle Aegis Virgile faict mention :

—L’Arcadien a creu Auoir veu Iupiter comme en main il branſloit Son Aegide noircy, & la pluye appaiſoit.

Freres de Iupiter ſouſtraits à la gloutonnie de Saturne.Et Iupiter meſme fut nommé Aegioche, c’eſt à dire, port’-Aegide. Ce Iupiter eut deux freres, outre ſes ſœurs, Neptun & Pluton, leſquels auſſi furent par dol & tromperie ſouſtraits à la cruelle auidité de Saturne. Car on dit que Titan frere aiſné de Saturne, voulant regner, à la requeſte de veſte, d’Ops & de Cerés, ceda la Couronne à ſon frere, auec lequel il fit pacte, qu’il n’eſleueroit ny laiſſeroit viure aucun fils iſſu de luy ; mais les feroit tous mourir, de peur qu’il n’euſt aucun ſucceſſeur, afin que pour le moins apres la mort dudit Saturne, Ia Couronne luy reuint, ou à ſes hoirs. Pour cette cauſe Saturne en deuoroit autant qu’il en naiſſoit de luy, comme le donne à entendre Lycophron, diſant que la Royne Rhee ſe voyant preſte de ſon terme, deſcendoit au Tartare pour y faire ſes couches au deſceu de Saturne ; & n’ayant le cœur de voir ſon mary deuorant ainſi le fruict de ſon ventre ; ſçachant d’autre coſté le contenu de la ſuſdite conuention, au lieu de luy preſenter le fils dont elle eſtoit accouchee, enueloppoit vn caillou dans vn beau linge blanc, qu’elle luy apportoit ; & ſans autrement s’en enquerir, Saturne le deuoroit promptement. Mais (dit-il) il n’engraiſſoit point dauantage pour engloutir par opinion ſa propre lignee. Or qu’il y fuſt obligé par ſerment, les vers de la Sibylle en font foy, eſquels il eſt dit, que les Titans auoient accouſtumé de ſe trouuer à l’accouchement de Rhee : & Saturne fit ce ſerment premier que regner paiſiblement :

Puis Titan contraignit ſon frere puiſné, Crone (c’eſt à dire Saturne) D’engager par ſerment ſon Eſtat & Courone, Qu’il ne laiſſeroit viure aucuns maſles naiſſans Engendrez, de ſes reins, afin qu’en ſes vieux ans Il empoignaſt le ſceptre, quand les ans & la Parque Auroient conduit Saturne en l’Infernale barque. Quand donc Rhee accouchoit, Saturne, & les Titans, Pour deuorer ſon fruict, luy eſtoient aßiſtans.

Depuis, Titan apperceuant qu’on nourriſſoit en cachette les enfans de Saturne contre le ſerment qu’il auoit faict, & cõtre les conditions par leſquelles il auoit receu la Couronne, ſe mutina auec les Titans ſes fils, Saturne & Ops empriſonnez par les Titans.leſquels empoignans Saturne & Ops les mirent en eſtroite priſon. Iupiter, ces nouuelles ouyes, leuant quelques regimens de Candiots & autres exilez en ces quartiers-là, ſe mit en chemin à grandes iournees pour venir remettre en liberté ſes pere & mere ; Deliurez par Iupiter, & les Titãs défaits.& de premier abord chargea les Titans, les defit, & reſtablit ſon pere en ſon Royaume, ainſi que dit Lactance au liure de la faulſe Religion. Aigle pourquoy ſacrée à Iupiter.Mais deuant qu’il allaſt à la guerre, comme il ſacrifioit & faiſoit ſes deuotions en Naxe, l’Aigle luy donna bon preſage de la victoire qu’il deuoit emporter : & pourtant il voulut qu’à l’aduenir elle luy fuſt ſacree ; & en tous les autres voyages de guerre qu’il entreprit, il eut touſiours l’Aigle en ſon enſeigne. Ledit Iupiter eſtant arriué en l’iſle Inarime vers les Cercopes, gens trompeurs & pleins de fallace, ou bien vers les Arimiens, les prit à ſa ſolde pour le ſeruir à la guerre, qu’il entreprenoit pour le reſtabliſſement de ſon pere. Mais ayant pris ſon argent, & preſté ſerment ils retindrent la paye, & ſe mocquerent de luy, faiſans profeſſion de tromper ainſi tout le monde. Cercopes muez en Singes & Guenons.Iupiter indigné de cette trouſſe & perfidie, les changea en Singes & Guenons, & nomma ces iſles Pithecuſes, comme dit Callimache és iſles. Mais apres cette victoire, Saturne recors de l’aduertiſſement que l’Oracle luy auoit donné, qu’il ſe gardaſt de ſon fils, & qu’il le chaſſeroit de ſon Royaume ; ſe print à ſecrettement eſpier Iupiter, & luy tendre des embuſches : leſquelles deſcouuertes, par l’un de ſes amis, Iupiter reuint derechef, & remettãt ſes trouppes aux champs, Saturne chaſſé & empriſonné par Iupiter.chaſſa ſon pere, & le garrotta d’vne corde de laine, puis le ietta dans le Tartare, comme dit Agathonyme en ſa Perſide, bruſlant deſia d’enuie de regner, à ce inuité par l’heureux ſuccez de ſes affaires. Car dés qu’on eſt eſpris de cette furieuſe conuoitiſe de majeſté & de commander, il n’y a lien aucun de nature, ny d’amitié, ny de bien-vueillance qui puiſſe plus retenir les hommes, & ils foullent aiſément aux pieds toutes les choſes ſuſdites. Iupiter donc tenant ſon pere priſonnier, on dit que la premiere choſe qu’il fit, ce fut de luy trancher le membre viril auec la meſme faux qu’il l’auoit coupé au Ciel à ſon pere, laquelle fut depuis iettee en l’iſle de Phæace, non loing de Corfou. De ce membri viril ainſi taillé, & ietté dans la mer, & de l’eſcume de la mer, naſquit Venus, comme dit la fable, laquelle paſſa en Cypre dans vne conque marine. Les Anciens content qu’apres que Iupiter eut chaſſé Saturne de ſon Royaume, Apollon chanta ſa victoire en vers ſur ſa harpe, veſtu d’vne robbe de pourpre, & couronné de Laurier ; & qu’il donna beaucoup de plaiſir à tous les Dieux aſſis en ce feſtin : & de là vindrent les airs qu’on chante en l’honneur d’vne victoire gaignee. C’eſt ce que montre Tibulle au 2. liure des Elegies :

Vien çà net & gentil : pren ta robe pourprine, Et treſſe ioliment ta perruque diuine, Ainſi que tu chantas Iupin victorieux, Quand Saturne il chaßa du regne à ſes yeux.

Saturne peu apres s’enfuit de priſon, & s’eſtant retiré vers Ianus Roy d’Italie, Iupiter ſe ſaiſit de la Couronne ; ce que donne à entendre Virgile au 8. de l’Æneide :

Saturne le premier vient du ciel eſtoillé, De l’effort de Iupin s’enfuyant exilé De ſon Royaumé oſté.—

Virginité & premices octroyees à Veste.Or d’autant que Iupiter auoit par le moyen de Veſte obtenu le Royaume, il luy donna pour recompenſe d’vn tel bien-faict permiſſion de choiſir ce qu’elle aymeroit le mieux, auec aſſeurance de l’impetrer. Elle demanda premierement d’eſtre touſiours vierge ; puis apres les premices de tout ce que les hommes offriroient aux Dieux. On dit auſſi que ſous le regne de Saturne tout eſtoit paiſible & hors de danger de trahiſon, qu’il n’eſtoit poſſible de plus ; & que ſon temps fut l’aage doré ; au lieu que regnant Iupiter, toutes les incommoditez du monde ont couru les hommes à force : car :

Deuant que Iupin fuſt, on n’auoit point l’vſage De renuerſer la terre au ſoc du labourage. Il n’eſtoit queſtion, de borne mitoyen Ny de partage aucun d’vn accordant moyen L’on viuoit en commun : la terre d’elle-meſme Sans que nul l’en requiſt produiſoit ce qu’on ayme. C’eſt luy qui les ſerpens a fourny de venin, Qui les loups a garny d’un goſier ſi malin, Qui les fait rauiſſans, et qui les met en queſte. C’eſt luy qui fait ſouuent que la mer ſe tempeſte.

Je croy que cela ne veut dire autre choſe, ſinon que les voleurs & les meſchans eurent lors licence d’exercer & cõmettre beaucoup d’iniquitez, parce qu’il s’eſtoit ſeruy d’eux en l’vſurpation du Royaume de ſon pere : veu que la licence des guerres nourrit ordinairement beaucoup de telles gens, tout ainſi que la paix les contraignit de ployer le col ſous les loix. Car qu’eſt-ce autre choſe du ſiecle d’or, qu’vne commune & generale liberté en vne ville ou Eſtat bien policé ; lors que les beſtes ſauuages hantent & viuent ſans crainte auec les domeſtiques & priuees ? comme les Lieures auec les Chiens, les Agneaux auec les Loups, & autres ſemblables ? Car en temps de paix les gens de bien, par le moyen & par la defence des loix, viuent en aſſeurance parmy les aſſaſſins & voleurs ; ſi ce que les Iuges meſmes par auarice deuiennent voleurs, ou par laſcheté & conniuence ſouffrent volontiers que les gens de bien ſoient outragez. Tibulle au 1. liure teſmoigne que les Anciens l’ont ainſi entendu :

Ore que nous auons pour ſeigneur Iupiter, L’on ne ceſſe ſes mains de meurtre enſanglater. La mer nous eſt contraire, & quant & quant la terre Au chemin de la mort par mil haſars nous ſerre.

Et tout ainſi que Iupiter auoit par force & tyrannie volé le Royaume de ſon pere ; auſſi ne ſe peut-il garantir de beaucoup d’ennemis, car il auoit monſtré le moyen d’enuahir par violence les ſegneuries d’autruy. Ligue des Geans contre Iupiter.Ægæon donc, ſe fondant ſur ſon exemple, fit complot auec les autres Geans de le deboutter de ſon throſne. Il auoit cent mains, cinquante teſtes, & ſurpaſſoit en hauteur deſmeſuree tous les autres hommes de ſon temps, Voyez liur. 6. cha. 2122.vomiſſant feu de ſa bouche, teſmoin Virgile au 10. liure :

Tel qu’eſtoit Aegæon à cent bras & cent mains, Qui de gueules cinquante & poulmons inhumains, Flamme et feu vomiſſoit, oppoſant tant de lames, Aux foudres de Iupin, tant de boucliers infames.

Voila pourquoy ils content que Iupiter l’enfonca ſous le Mont-gibel d’vn coup de foudre, & que toutesfois & quantes qu’il venoit à ſe tourner ſur l’autre coſté, la Montagne iettoit vne grande quantité de feu, comme ſi ce remuement luy euſt ſeruy de ſoufflet pour l’allumer dauantage. C’eſt ce que dit Callimache au-bain de Delos.

Ainſi qu’au Mont-gibel, qui de flamme aßiduë Treluit, quand Briaré ſon coſté las remuë Pour ſe coucher ſur l’autre, il fait tout treſſaillir ; Et de ce choc le feu plus eſpais rejallir. Les fourneaux de Vulcan en prennent l’eſpouuente, Et fremiſſent tremblans : luy tant plus ſe tourmente A tourner retourner ſa beſongne ſouuent, Et de chaude ſueur va ſon front abreuuant.

Ce qui toutesfois ne ſe faict que par le moyen des vents, deſquels la nature eſt ainſi enueloppee de Fables, comme nous verrons en ſon lieu. Quoy que ſoit, ledit Briaree auoit donné eſcorte à Iupiter à l’encontre de Pallas, Iunon, Neptun, & les autres Dieux qui auoient coniuré contre ſa domination tyrannique. Teſmoin en eſt Homere au 1. de l’Iliade :

—Lors que Neptun, Pallas Et Iunon complottoient ietter Iupin en-bas Les pieds & poings liez, toy deſcendant en terre Fis promptement venir ſur l’Olympe grand erre Briaree Aegæon, le Geant à cent mains, Le plus affreux qui ſoit entre tous les humains, Qui rendit eſtonnez de ſi grande deſtreſſe Et Neptun guide-mer, & chacune Deeſſe, Que Iupin ſain & ſauf deſlié demeura, Et contre luy depuis aucun ne murmura.

Pour cette cauſe Heſiode en ſa Theogonie le met auec Gygés & Cotte entre les Archers de la garde de Iupiter ;

Le vaillant Briaree, & Cotte auec Gygés, Gardes de Iupiter loyaux, y ſont logés.

Iupiter ſeigneur de la plus grande partie du monde.Le meſme Iupiter ayant conquis beaucoup de Prouinces, & ſubiugué pluſieurs nations de l’Orient, ſes forces croiſſans de iour à autre, comme c’eſt l’ordinaire, tandis que la proſperité dure, & que l’on fait bien ſes affaires, il y eſtablit quelques Roys. C’eſt ce que veut dire Homere en ſes Hymnes :

Les iouëurs d’inſtrumens ſont en la ſauue-garde Des Muſes, Apollon außi les prend en garde, Qui touchent de l’archet, ou qui pinſent des doigts. Mais du grand Iupiter dependent tous les Roys,

De là paſſant plus outre, luy venant touſiours nouueau renfort & fraiſches trouppes, il ſe rendit ſeigneur de la plus grande partie du monde. Alors il commença à preſcrire certaines ordonnances & conditions aux Roys qui commandoient ſous ſon authorité, tant pour tenir leurs Royaumes en foy & hommage de luy, que pour commander auſſi & gouuerner leurs ſujects ſelon la teneur d’icelles. Et dit-on que ce fut luy le premier qui mit police entre les Candiots, & qui leur apprit d’eſtre equitttables les vns enuers les autres, ſans ſe faire aucune iniure ny outrage : & leur conſeilla qu’ils fiſſent iuger leurs differends ſelon le droict en pleine audience, & par des Iuges & Magiſtrats non paſſionnez. Puis aprés faiſant vne reueuë par le pays il chaſtia les voleurs, introduiſant par tout iuſtice & equité. Voila pourquoy l’on tient que ce fut encore luy qui mit à mort les Geans, deſquels eſtoit chef Typhon, qui s’eſtoient eſleuez à l’encontre des Dieux, ou de iuſtice, en Pallene ville de Macedoine : & en la plaine de Phlegres en la terre de Labour en Italie, qu’on a depuis nommee de Cume, prés de Puzzoli. En-apres il mit entre les mains des plus gens de bien, la iuſtice, les honneurs, magiſtrats, charges publiques & autres eſtats ; & pourtant ils en firent comme vn Dieu, le recognoiſſans pour Prince digne de commander à iamais. Homere au 1. de l’Iliade dit que les Grecs :

Tiennent de Iupiter leurs loix & leur police.

Cheſne pour quoy cõſacré à Iupiter.Et au lieu que du temps de Saturne, deuant que Iupiter fuſt en vogue, les hommes viuoient de chair humaine, s’entre-mangeans l’un l’autre, il leur defendit d’vſer à l’aduenir de telle viande, & leur apprit à manger du gland. Pour cette raiſon le cheſne luy fut conſacré, comme en ayant le premier montré l’vſage aux hommes. Aprés tant de conqueſtes, il luy reſtoit deux freres qui auoient eſté ſauuez de la gloutonnie de Saturne, deſquels faict mention Homere au 15. de l’Iliade :

Nous ſommes trois que Rhee à Saturne conceut, Et ce Tout à nous trois en heritage eſcheut.

Monde partagé entre les trois freres.Et tout ainſi qu’ils auoient par armes communes conquis le monde : auſſi le falut-il partager entre-eux d’vn commun conſentement. La mer eſcheut à Neptun, l’Empire des Enfers à Pluton, & le Ciel à Iupiter, comme dit Homere :

Ce Tout fut diuiſé chacun eut ſon partage, Et ſon honneur à part ſelon l’ordre de l’aage. Par ſort me ſont eſcheus l’Ocean & ſes flots, Au tenebreux Pluton, l’Enfer & le Chaos, Pour eſtre l’Empereur des idoles menuës. Le large Ciel, l’Aether, & le vuide des Nuës Sont la part de Iupin : mais encore pas-vn N’a la Terre ou l’Olympe, & c’eſt vn bien commun

Et parce que ledit partage fut fait en Crie, ſelon l’opinion de quelques vns, le lieu fut nommé Claros, d’vn mot Grec ſignifiant lotir, ou ietter les lots. Voilà les beaux contes que les Poëtes ont fait touchant Iupiter, leſquels pour auoir la bonne grace des grands, ſe ſont licentiez à toutes ſortes de menſonges & faulſetez. Or il ne faut pas croire qu’ils ayent ainſi partagé le Ciel, la Mer, & les Enfers : ains eſt plus croyable ce qu’en eſcrit Lactance au liure de la fauſſe Religion. C’eſt donc la verité, qu’ils partagerent leurs conqueſtes de telle ſorte que les Prouinces Orientales eſcheurent à Iupiter, les Occidentales à Pluton, & à Neptun tous les lieux maritimes & les iſles. Et d’autant que la plage Orientale, d’où le Soleil ſe leuant vient eſpandre ſa lumiere par tout le monde, eſt plus haute, & l’Occidentale plus baſſe ; l’on dit que Pluton obtint l’Empire des Enfers, & Iupiter celuy du Ciel : lequel eſtant extremément ambitieux, & deſirant acquerir beaucoup de gloire & de reputation entre les hommes, ſe fit craindre & honorer au poſſible. Et pourtant Sophocle en ſon Oedipe luy donne Pudeur ou Vergongne pour compagne en toutes choſes ;

Iupiter a pour aſſeſſeur Et pour garde-throne Pudeur.

Et pource qu’on ne peut bonnement porter aucune reuerence aux meſchans, non pas meſme faire ſemblant de la leur porter, en la meſme Tragedie il luy donne auſſi Equité pour aſſiſtante :

Pourueu que l’ancienne Equité Sa place ait prés Iupin planté.

Femmes de Iupiter.Quant aux femmes de Iupiter, Apollodore Athenien au 1. liure de ſa Bibliotheque eſcrit qu’il eſpouſa Metis, fille de l’Ocean, en premieres Nopces : & qu’elle donna depuis à Saturne vn bruuage, par le moyen duquel il reuomit premierement la pierre, puis apres les enfans qu’il auoit deuorez (ce qui toutes-fois auint deuant que Saturne ſe miſt à vouloir par embuſcade ſurprendre Iupiter, ou qu’il fuſt chaſſé de ſon Royaume) deſquels Iupiter ſe ſeruit depuis en la guerre qu’il fit à Saturne & aux Titans. Et en la deuxieſme annee d’icelle, la terre ayant prophetiſé à Iupiter qu’il en remporteroit la victoire s’il deliuroit ceux qui eſtoient dans le Tartare, & s’il ſe ioignoit auec eux, ils les mit en liberté tuant Campé leur garde, & ainſi par leur aide & ſecours il demeura victorieux. Cet autre conte qu’on fait n’eſt pas moins ridicule & monſtreux, que Iupiter ait englouty ſa femme Metis enceinte, comme eſcrit Iean-Diacre : afin qu’aucun autre Dieu ne naſquiſt d’elle. Iupiter gros de Pallas.De cette viande il deuint gros au lieu de ſa femme, & par la teſte enfanta Palas toute armee. Or veu que ce monſtre eſt ſi repugnant à la couſtume de nature, ie ne ſcay comme du commencement on le peût ſupporter de bonne affection, & comme on ne le deſcria par tout le monde auec grande riſee & mocquerie : veu que les menteries & les choſes feintes par deſſus toute croyance, font bien ſouuent qu’on ne croit pas celles qui ſont vrayes & probables. Il eſpouſa puis apres en ſecõdes nopces Themis, ſelon le dire d’aucuns, & vne troiſieſme qu’il prit en Gnoſe prés la riuiere de Therene. Il prit auſſi à femme Iunon, qu’il garda touſiours, & ne la deuora pas comme la premiere. Prieres filles de Iupiter.Les Prieres ſont ſes filles, teſmoin Orphee és Argo-Nochers.

Ne laiſſons ſans honneur les Prieres iſſuës Du ſang celeſtiel de Iupin guide-nuës.

Cette feinte vint de ce que les Roys & les grands Seigneurs ont touſjours en leur Cour & ſuitte vne grande quantité de gens qui ne ceſſent de demander quelque recompenſe. Or nous voyons ordinairement auenir que l’eſprit de l’homme, comme toutes autres choſes humaines, ne peut iamais demeurer dans vn meſme eſtat, & s’il ne s’applique à quelque exercice & vacation honorable, il eſt fort enclin à tout vice, & s’y laiſſe aiſément gliſſer ; ce qui aduient meſme aux plus habiles. Car tout ainſi qu’vne bonne & graſſe terre capable de porter toutes ſortes de bons grains, ſi le laboureur luy eſpargne ou refuſe ſa peine à la bien guereter & façonner de toutes ſes façons, & ne luy donne de bonne ſemence, elle nourrit vne quantité d’eſpines, de ronces, chardons, orties, & autres herbes de neant ; & ne peut qu’elle ne produiſe quelque choſe : Ainſi quand nous nous deſtournons du chemin de vertu, noſtre eſprit s’adõne à de grands vices & meſchancetez, que les vertus dont il eſtoit capable ſont recommendables. Adulteres & paillardiſes de Iupiter deſguiſé en pluſieurs formes.Voicy donc Iupiter, iouyſſant de l’Empire preſque de tout le monde par Lieutenans generaux qu’il y auoit commis, apres tant de belles conqueſtes & victoires ſe tourner entierement à ſes plaiſirs, voluptez & feſtins ; & n’y eut belle femme, que pour le moins il viſt, à qui il ne fiſt l’amour, ne de qui il s’abſtint : teſmoin Apollonius Rhodien au 4. des Argo-Nochers :

Iupin cerche touſiours par amoureuſe flamme S’adioindre vne Deeſſe, ou bien vne autre femme.

Il ne pardonna pas meſme à ſa propre Sœur, à laquelle n’oſant ouuertement demander de coucher auec elle, il ſe transforma en Coqu (car il ſembloit que nature le deſtournaſt de cette conuoitiſe illegitime) & prit ſa volee vers Corinthe, ſur vn coutau nommé Thronax, qui pour ce regard fut appellee la montagne au Coqu. Il eſmeut, ſelon que porte la fable, vne grande tempeſte en l’air, auec vne extreme froidure ſur cette colline, que Iunon auoit choiſie pour ſon repos. Alors la voyant à l’eſcart, & ſeparee de la compagnie des Dieux, ainſi transfiguré, tout froidureux ſe vint poſer ſur les genous de la Deeſſe. Iunon meuë de compaſſion, voyant cet oyſeau l’aile baſſe & tranſi de gelee ſe rendre à elle, croyant que le froid l’euſt accueilly, le receut & l’enueloppa dans ſon voile. Le Coqu reſchauffé prés du feu qu’il cherchoit, reprit ſa premiere forme ; & la forçant (ſous promeſſe de mariage) tira d’elle ce qu’il deſiroit. Depuis il fut baſty vn Temple ſur cette montagne,dedié à Iunon la mariee, comme quelques-vns dient. Les autres maintiennent qu’il ne connut point charnellement ſa Sœur, qu’il n’euſt au prealable promis à ſa mere de l’eſpouſer : ce qu’il fit auſſi depuis, teſmoing Pauſanias en l’hiſtoire de Corinthe. Mais voyons ie vous prie les beaux & glorieux trophees dant il ſe vante ſi ambitieuſement dans Homere au 14. de l’Iliade :

Iupiter qui la nuë amaſſe parmy l’air Luy reſpondit ainſi : Tu auras temps d’aller Cy-apres où tu veux, mais deuant ie te prie En la couche esbatons noſtre immortelle vie, Et nous tournons enſemble à l’amoureux plaiſir Non, iamais de Deeſſe, ou d’autre le deſir N’a de telle façon ma poictrine percee D’vne douce poiſon, à l’enuiron verſee, Ny quand ie mis mon cœur & mon affection En celle qui conçeut Pirithe d’lxion, Pirithe qu’en prudence égal aux Dieux on priſe. Ny quand i’aymay la fille au beau talon, d’Acriſe, Perſé, qui de valeur a tous hommes paſſé, Danaé, qui fut mere au valeureux Perſé. Ny quand ie pris la belle Europe pour amante, Qui m’engendra Minos, & l’entier Rhadamanthe N’Alcmene ou Semelé, d’où vindrent les Thebains, Hercule, et mon Denys, la ioye des humains. Ny quand i’aimay Cerés, qui ſa teſte couronne De beaux dorez cheueux : ny quand i’aimay Latone Meſme quand ie t’aimay, ie ne fus tant epris Qu’ore qu’un ſi doux charme enchante mes eſprits.

En Cygne.Ce beau Dieu derechef, voulant coucher auec Lede, fille du Roy Tyndare, ſe transforma en Cygne, & ſe faiſant donner la chaſſe par vne Aigle, on dit que tout effrayé, comme il en faiſoit ſemblant, il ſe vint ietter entre les mains de la meſme Lede, afin qu’elle le priſt en ſa protection, & que par ce moyen il la deceuſt. De cet embraſſement Lede pondit deux œufs, comme ayant eu la compagnie d’vn oiſeau : de l’vn deſquels naſquirent deux pouſſins, Pollux & Helene : & de l’autre deux autres, Caſtor & Clytemneſtre. Depuis pour memoire de ce beau faict, le Cygne fut mis entre les eſtoilles, qui ſe tournent vers la main droite de Cephee. Lucian au Dialogue de Mercure & du Soleil, tance à bon droit Iupiter, comme autheur de paillardiſes & adulteres, au lieu que deuant luy du temps de Saturne on eſtimoit fort la temperance & la chaſteté, comme le montre Iuuenal en la 6. Satyre :

Ie croy bien que tandis que Saturne a regné, La Chaſteté çà bas habiter a daigné, Lors qu’on ſe contentoit, pour toute ſa retraite, Sous vne fraiche grotte avoir vne chaumete, Vn feu & vn foyer.—

Car on void ordinairement qu’vne laſcheté de courage, & vn desbordement voluptueux ſe fourrent parmy les richeſſes & les commoditez de la vie. Et pourtant cet ancien Orateur a fort bien dit, Les richeſſes fourniſſent pluſtoſt matiere et ſujet de mal que de bien faire. Sur ce propos vn Poëte Grec a compris en peu de mots pluſieurs adulteres & paillardiſes de noſtre Iupiter :

Iupiter en Taureau vint ſuborner Europe ; En Coqu ſa Iunon, en Satyre Antiope, Puis en Cygne Leda : & pour jouïr encor De l’amour de Danaé, il ſe fit goutte d’or.

Enfans adulterins de Iupiter.Voicy les enfans que Iupiter eut de pluſieurs, que filles, que femmes. Il eut d’Europe (qui donna nom à la troiſieſme partie du monde) Minos & Rhadamanthe ; de Calliſto, Arcas ; de Niobé, Pelaſge ; de Lardame, Sarpedon & Argus : d’Alcmene femme d’Amphitrion, Hercule : de Taygete, Tayget, qui donna auſſi ſon nom à vne montagne : & Saon, de qui Sauone a pris ſon nom (combien que quelques-vns le tiennent pour fils de Mercure) d’Antiope, Amphion & Zete : de Lede, Caſtor & Helene, Pollux & Clytemneſtre : de Danaé, Perſee : de Iodame, Deucalion : de Carmé fille d’Eubule, Britomarte : de l’une des Nymphes Sithinides, Megare : de Protogenie, Æthlie pere d’Endymion, de laquelle il eut auſſi Memphis, qui le premier s’habitua en Ægypte, & eſpouſa Libye, de qui fut nommee la Libye, Prouince d’Afrique. Il emporta auſſi Ægine en vne Iſle deſerte, vis à vis d’Epidaure, ville de la Moree, laquelle eſtoit fille d’Aſope : & pour cette raiſon cette Iſle là, qui auparauant ſe nommoit Oenope, fut depuis appellee Ægine, & habitee. De Torrebie il eut Arceſilas & Carbie ; d’Ora, Colaxe : de Cyrno, Cyrné, lequel fit porter ſon nom à vne Iſle qui auparauant ſe nommoit Therapne : d’Electre, Dardane, qui s’enfuyant de ſon pays, baſtit la ville de Dardane prés du deſtroit de Gallipoli, & appella toute cette contree Dardanie. Il engendra auſſi de Thalie les Paliques, freres, laquelle ſe voyant enceinte de Iupiter, craignant l’indignation de Iunon, ſouhaitta de ſe pouuoir cacher ſous terre. Ridicule accouchement de Thalie.Mais comme elle fut preſte d’accoucher, ayant eſté quelques mois cachee, la terre vint à s’ouurir, de laquelle ſortirent deux garçons prés de Catane en Sicile : & deſlors les habitans du pays reſpecterent infiniment la place, comme eſcrit Heraclite Sicyonien au 2. liure des pierres. De Garamantis il eut auſſi Hiarbas, Philee & Pilumne, qui le premier enſeigna le moyen de mouldre le bled : & les Prieres, & Titie, & Proſerpine, & pluſieurs autres fils & filles engendres de diuers adulteres. Car quelle forme ou ſemblance y a-il que Iupiter n’ait emprunté pour jouïr de ſes amours ? qui eſtoit le mary ayant belle femme, qui peuſt ſortir de ſa maiſon en ſeureté ? combien de femmes a-il connu par tromperie ? combien en a-il volé, rauy & emporté hors de leur païs ? Ouide au 6. de ſes Metamorphoſes fait vne liſte de pluſieurs formes que Iupiter emprunta pour ſuborner pluſieurs que femmes que filles :

La vierge Arachné peint d’ouurage exquis et beau En Taureau.Deſſus ſon caneuas Iupiter en Taureau, Comme par luy jadis fut Europe abuſee, Et ſi d’vn œil veillant la choſe eſt auiſee : On pourroit bien iuger le Taureau qu’elle a peint, Pour vif & vray Taureau, tant au vif il eſt feint. On diroit proprement que la mer qu’elle a peinte Eſt le corps de la mer, non pas vne ombre feinte. On y voyoit ietter Europe vn œil piteux De ſon pays laiſſer pleuramment regretteux : Ses compagnes hucher à demy-voix, & craindre Que l’onde flo-flottant ſes plaintes vienne atteindre. Elle peint outreplus ce Dieu deſſus-nommé, En AigleComme il s’eſtoit volage en Aigle transformé Pour auoir à plaiſir la gentille Aſterie. Et quand Lede d’amour il ſolicite & prie, Elle le repreſente en habit & pourtrait En Cigne.D’vn Cygne chante-mort : & quand il fit le trait En Satyre.D’embraſſer en Satyre Antiope la belle, Dont il eut deux beaux fils conceus au ventre d’elle. En Amphitrion.Qui plus eſt comme il print d’Amphitryon l’habit, Pour ſuborner Alcmene, & comme il ſe tranſmit En pluie d’or.En eau de pluye d’or pour auoir iouyſſance Vn coup de Danaé, dont Perſee eut naiſſance. En feu.En apres comme en feu ce Dieu ſe deſguiſa Lors qu’il aymoit Aegine, & qu’ainſi l’abuſa. En Paſtre.En Paſtre derechef comme il ſe transfigure Pour tromper Mnemoſyne : & comme il prend figure En Serpens.D’un grand hydeux Serpent pour Deoïde auoir Souſmiſe à ſon plaiſir, & pour la deceuoir

Mais s’eſt-il contenté d’auoir, ou entretenu, ou desbauché vne infinité de femmes ? n’a-il pas aymé & chery Ganymede, le plus beau ieune garcon qui fuſt de ſon temps ? Voila quelle eſtoit la vie de ce Iupiter, ſoüillé de tant d’ordes & deteſtttables meſchancetez : & neantmoins ces pauures gens n’ont point eu de honte de le qualifier Dieu, voire meſme tout-bon, & tout-puiſſant, comme dit Ciceron au 2. de la nature des Dieux, & au plaidoié qu’il fit pour ſa maiſon : quoy qu’il ne meritaſt rien moins. Ambition extreme de Iupiter.Il eut auſſi tant d’ambition, qu’on ne trouua & ne trouuera-on iamais homme viuant qui en puiſſe auoir dauantage. Et pourtant les vns par ſon commandement, les autres pour ſe faire aymer & eſtre en ſa bõne grace, luy dreſſerent des Temples & des Autels, des Preſtres & ceremonies particulieres : Ce qu’il ne faut trouuer eſtrange, veu qu’au milieu de tant de fauſſes Religions on eſleua meſme à pluſieurs Empereurs Romains, apres leur mort des Autels, leur ordonnant des Preſtres & des ceremonies publiques, iurans par leur nom, & leur faiſans beaucoup d’autres honneurs qui n’appartenoient qu’à Dieu. Exemple de l’immenſe ambition de Iupiter.Voicy vn bel exemple de ſon ambition en la mort d’Atte (ou Atys) Paſtre Phrygien, qui gardant ſon trouppeau chantoit les loüanges de la Mere des Dieux, pour laquelle raiſon on diſoit qu’elle luy portoit vne ſinguliere affection & amitié : dequoy Iupiter bien marry & jaloux, ne l’oſa neantmoins faire mourir ouuertement, pour la reuerence qu’il portoit à ceſte bonne mere, mais il luy ſuſcita vn Sanglier, qui le deſchira & mit en pieces. Toutesfois Hermeſianax eſcrit que cette Deeſſe rendit Atte fils de Calae Phrygien, inhabile & incapable de faire enfans, & qu’eſtant venu en aage il montra en Lydie par quelles ceremonies il falloit ſeruir la ſuſdite Grand-mere : & pour cette cauſe elle luy fit tant d’honneur, que Iupiter ne le pouuant ſouffrir, enuoya vn grand furieux Sanglier ſur les bleds des Lydiens, qui tua cruellement Atte & pluſieurs de ſa nation. Autres diſent qu’elle changea Atte en vn Pin ; & que pour cette cauſe cet arbre luy fut conſacré. Quelques-vns ont penſé que cette Deeſſe ne fut autre que la terre ; & pourtant ils luy ont tiſſu vne robbe d’herbes & de rameaux d’arbres, & luy ont donné la clef, parce qu’elle eſt cloſe en hyuer, & s’ouure au printemps ; & pour ce meſme ſuject luy ſacrifioit-on vne Truye preigne, comme animal de bon raport. Voyez le 5. cha. au 9. liu.Mais quoy ? ce qu’eſcrit Lactance au liure de la fauſſe Religion, ne deſcouure-il pas ſuffiſamment l’ardeur de l’ambition de Iupiter à ſçauoir qu’il ſe tenoit le plus ſouuent en aguet ſur le mont Olympe, & s’il deſcouuroit quelqu’vn ayant quelque belle inuention proffitttable aux hommes, il faiſoit en ſorte que par preſens il la luy mettoit en main, afin qu’on creuſt qu’il en fuſt l’inuenteur ; Sujet de la deification de Iupiter.& pourtant on l’honora comme Dieu, ainſi que pluſieurs autres inuenteurs des choſes vtiles & commodes pour l’uſage de cette vie. Or qu’il ſe tinſt principalement en la montagne d’Olympe, Pindare le teſmoigne és Olympiques :

O fils de Saturne et de Rhee, A qui le mont Olympe agree !

On ne peut ſçauoir combien d’annees il a regné, d’autant que les Anciens maintiennent qu’il n’eſt point mort. Mais qu’il ſoit venu en aage : voire en vieilleſſe, on le recueille aiſément de ce que rapporte Lucian és Sacrifices, où deſcriuant la forme de pluſieurs Dieux, il dit que Iupiter auoit cela de ſingulier, d’eſtre barbu. Iupiter adoré ſous la forme d’vn mouton.Et quand il eſtoit au conſeil des Dieux, il dit qu’il portoit des cornes de Mouton. Et de faict en Libye on adoroit vn Iupiter Ammon, qu’ils appelloient deuin, ſous la forme d’vn Mouton, comme l’enſeigne Phæſte, qui a eſcrit de l’Eſtat de Macedoine :

Iupin Ammon cornu, deuin des. Libyens, Eſcoute.—

Sa mort & ſepulcre.Toutesfois le meſme Lucian le faict mort & enſeuely en Candie. Les Candiots ne maintennent pas ſeulement, que Iupiter ſoit né & enſepuely chez eux, mais außi monſtrent ſon ſepulchre. Epiphane a eſcrit en ſon Ancorat, que de ſon temps meſme on voyoit encore ſur la montagne d’Iaſe en Candie le ſepulchre de Iupiter : ce qu’auſſi teſmoigne Callimache en ſes hymnes :

Ceux de Crete ont dreſſé, ſouuerain Roy ta tombe : Mais ton eſtre diuin a la mort ne ſuccombe.

Apres la mort de ce Iupiter, tout le monde le tint en telle reuerence & reputation, que perſonne depuis luy ne porta ce nom-là ; ſi quelques-vns en furent tiltrez, ils ont eſté enſeuelis & offuſquez par la memoire des proüeſſes & beaux faicts du premier Iupiter, ſans remporter gloire ny loüange aucune. Mais voicy dequoy ie m’eſbahis fort, comment c’eſt qu’aucuns diſent que Iupiter s’eſuanoüit de la veuë des hommes ; qu’il a eſté homme ; puis-apres le logent au Ciel pour y regner eternellement : attendu qu’ils ne dient point qu’il ſoit mort, ny emporte au Ciel en chariot quelconque, & qu’il n’a rien eu de diuin en ſoy, comme il ſe deſcouure par vne infinité d’abominations & meſchancetez par luy commiſes, que nous auons recitees. Or peu de temps apres on commenca de luy addreſſer ſes prieres, & l’inuiter à beaucoup de banquets qui ſe faiſoient és Sacrifices, afin qu’il ſe ſoulaſt de l’odeur & fumee des viãdes qu’on y roſtiſſoit. Quoy donc ? s’il aduenoit que parmy vn nombre infiny de prieres & vœux, quelqu’vn fuſt exaucé, & que l’heur luy en vouluſt, ſe faiſant à croire que ce bien luy venoit de Iupiter, il luy baſtiſſoit quant & quant des Temples & des Autels, & luy donnoit vn ſurnom ſelon l’euenement ou le lieu auquel telle choſe eſtoit auenuë. Iupiter Mouſchard.Les Eleens adoroient vn Iupiter Mouſchard ou Chaſſe-mouſches : pource qu’Hercule faiſant ſes deuotions & ſacrifiant, ſuruint vne grande quantité de mouſches, qui l’inquieterent fort, mais enfin par l’aſſiſtance & faueur paternelle de Iupiter, s’enuolerent de-là l’Alphee, comme dit Pauſanias és premieres Eliaques. Pareillement la Grece eſtant trauaillee d’vne extreme ſechereſſe, on enuoya des gens à Delphe pour s’enquerir de la cauſe & remede de cette pauureté ; auſquels fut reſpondu, que toute la Grece deuoit pacifier Iupiter, & ſe ſeruir de l’interceſſion d’Æaque. Ainſi attribue-on encore beaucoup d’effects & d’accidens à la faueur & puiſſance des Creatures qui n’aduiennent que ſuiuant le cours de nature.Or dit-on qu’ayant ſacrifié auec beaucoup de deuotion à Iupiter Panellenien, ou Tout-grec (ainſi le nomma-il) & luy ayant preſenté les vœux de toute la Grece en general, il obtint vne groſſe pluye qui rafraiſchit tout le pays. Mais qui eſt le mal-auiſé qui ne ſçache bien qu’apres vne longue ſeichereſſe la pluye vient ordinairement, & au contraire ; qu’eſtoit-il beſoin d’importuner de telles prieres ce Iupiter, qui n’oyoit gouttes ? Si toutes les fois que ceux qui s’adreſſoient à Iupiter pour le prier en leurs neceſſitez, eſtans eſconduits de leurs requeſtes, luy euſſent baſty des Temples & des Autels, ie ne ſcay ſi le monde entier euſt eſté ſuffiſant pour les contenir tous. Si ne faut-il pas compaſſer la bonté de Dieu ſelon les requeſtes que nous auons obtenues : pource que Dieu eſt generalement pere de tous ; il eſtend ſa prouidence ſur toutes perſonnes ſelon ſa bonté, & n’eſt pas plus enclin aux vns que ſourd aux autres ; & faut que nous ſçachions, que ſi nous demandons à Dieu quelque choſe que nous ne puiſſions obtenir, cela eſt contre le ſalut de noſtre ame, ou cõtre la gloire de Dieu ; car Dieu n’enuoye rien à perſonne qui luy ſoit nuiſible. Or comme nous auons commencé à dire, on donna beaucoup de ſurnoms à Iupiter, ou ſelon l’accident qui eſcheoit, ou ſelon les lieux, ou ſelon les perſonnes à qui il auoit faict grace : leſquels noms, eſtans eſtrangers, ce ſeroit choſe plus ſuperfluë que neceſſaire de rechercher ; joint que les Poëtes accommodent aux Dieux tels epithetes & ſurnoms que requiert le ſujet qu’ils traittent. Voila la plus grand’part des contes que les Anciens ont faict de Iupiter, qu’ils ont forgés ſelon pluſieurs & diuerſes occurences, comme le cas y eſcheoit. Teſmoignage des Aegyptiens & d’autres touchant Iupiter.Mais les Ægyptiens diſent que Saturne, frere puiſné d’Atlas eſpouſa ſa ſœur Rhee, de laquelle il eut Iupiter, ſurnommé Olympien, & que l’autre Iupiter Roy de Candie, qui engendra dix fils, nommez Curetes, & donna le nom de ſa femme Ide à l’iſle Ideenne, où il fut enterré, n’acquit iamais tant de gloire & de reputation que le leur, ains luy fut beaucoup inferieur en renom & en valeur. Neantmoins les Candiots en ont eſcrit toute autre choſe que les autres, & publient que Saturne regna en Sicile, Libye & Italie, & qu’il aſſeura ſon Empire vers l’Occident, où il baſtit force citadelles & places fortes, és frontieres, pour tenir ſon pays en ſeureté. Les vns diſent que Iupiter eſtant d’vn naturel doux, paiſible & debonnaire, ſon pere de ſon bon gré & propre mouuement luy ceda ſa Couronne : les autres, qu’il fut eſleu Roy par ſes ſujets qui hayſſoient Saturne, & qu’il le deſpoüilla de ſon Royaume de viue force. Et comme Saturne joint auec les Titans faiſoit la guerre à ſon fils Iupiter, la victoire demeura audit Iupiter, qui par le moyen d’icelle fut maiſtre & ſeigneur ſouuerain de tout. Il voyagea donc par tout le monde, faiſant beaucoup de biens aux hommes, & ayant beaucoup de valeur & de belles trouppes, il le conquiſt aiſément. Il puniſſoit les meſchans, & par bonnes loix contraignoit à viure en gens de bien ; ce qui luy fit donner le nom & tiltre de Dieu, & ſouuerain ſeigneur de l’uniuers. Toutesfois d’autres diſent qu’il fut ſurnommé Olympien, pource qu’il eut vn precepteur nommé Olympe. Precepteur de Iupiter.Car l’hiſtoire dit, que Denys apres auoir vaincu les Titans, Saturne & Rhee, pere & mere de Iupiter, allant faire la guerre en Ægypte, le fit Roy du pays, mais qu’eſtant encore bien ieune, il luy donna Olympe pour maiſtre & gouuerneur, perſonnage bien entendu & verſé en l’Aſtronomie, ſage & bien-auiſé, qui l’inſtruiſit, & fut ſurnõmé Olympien. Voilà ce qu’en apprennent ceux qui ont eſcrit l’hiſtoire Ægyptienne. Reſte maintenant à conſiderer que veulent dire ceux qui ont accommodé à l’ouurage de nature tant de feintes fabuleuſes, & qui ont dit que Iupiter eſtoit eternel.

Expoſitiõ phyſique de la fable de Iupiter, cõtenant preſque tous les commencemẽs de la Philoſophie naturelle.Premierement Iupiter a eſté eſtimé fils d’Æther & du Iour, d’autant qu’ayant appris aux hommes à mener vne vie plus humaine & plus courtoiſe que de couſtume, comme nous auons dict, & leur ayant faict entendre que toutes choſes eſtoient conduites & gouuernees par la prouidence de Dieu, on creut qu’il auoit le premier eſclaircy les tenebres d’ignorance, & donné à connoiſtre la verité aux hommes. Comme en effect celuy qui ignore que toute la force de la vie humaine depend de l’adminiſtration & volonté de l’Eternel, comment ne l’appellera-on fils de la Nuict & d’lgnorance ? Semblablement Iupiter, deuxieſme de ce nom, à cauſe de l’excellence & de la gentilleſſe de ſon eſprit, fut tiltré fils du Ciel, pource qu’il auoit auſſi beaucoup ſecouru le genre humain, par l’inuention de pluſieurs belles choſes profittables & neceſſaires à cette vie ; & pour telle raiſon les Latins le nommerent Iupiter, d’vn mot ſignifiant, Pere aydant ou ſecourant, au lieu que les Grecs auoient mieux aymé l’appeller Zeus, nom demonſtrant qu’il eſtoit autheur de vie. Le troiſieſme de ce nom fut fils de Saturne : & puis qu’on penſoit que Saturne ne fuſt autre choſe que le temps, comme nous dirons en ſon lieu, l’on ne ſçauroit bonnement expliquer comment Iupiter eſt né du Temps, s’il eſt Dieu. Iupiter eſt l’element de l’air.Si nous prenons Iupiter pour l’element de l’air, peut eſtre n’y aura-il aucune abſurdité pour ceux qui ſçauent que cette machine ronde, & tout ce qu’elle contient, fut vn iour baſty & creé de Dieu. Car les Poëtes prennent ſouuent Iupiter pour l’air, comme Horace au 1. des Odes :

Sous vn froid Iupiter dehors Se tient le chaſſeur non recors De ſon eſpouſe bien-aymee.

Et ailleurs.

Cet endroit eſt tenu en ſerre Des nuës qui ſont en l’air, Et d’vn mauuais Iupiter.

Et Theocrite en la 4. Eclogue :

Iupiter pleut par fois & par fois eſt ſerein.

Euripide au Cyclope ne le prend pas ſeulement pour l’air, mais auſſi pour vne certaine eſmotion de l’air :

Il eſt hors de toute apparenceterm>Que Iupin ait plus de puiſſance, Ny qu’il ſoit plus grand Dieu que moy. Ie ne m’en donne point d’eſmoy. Et que point ie ne m’en eſmoie, Tu l’oras : car quand il enuoie D’enhaut de l’eau, ſous ce rocher Ie me viens à l’ombre cacher.

Et Aratée Phænomenes :

Quand le Nautonnier dort, le froid de Iupiter Luy eſt plus dangereux.—

Les Stoïciens ont eſté de meſme aduis, parce que cet air penetre par tout, & pour cette cauſe a-on dit que Iupiter s’eſpendoit par tout. Autres ont creu que l’air ſoit non-pas Iupiter, mais bien l’œil de Iupiter comme ce mot d’Hebode parlant de l’air ; l’œil de Iupiter tout voyant. Iunon eſt l’air & Iupiter la region du feu.Quelques-vns ont voulu auſſi que Iunon ſœur de Iupiter, fuſt pluſtoſt l’air, & Iupiter la region du feu : & l’ont ditte eſtre ſa femme, pource que l’air eſtant eſchauffé par la force ignee de Iupiter, par l’aide du Soleil beaucoup de choſes s’engendrent. Ce qu’Homere exprime gentiment au 14. de l’Iliade :

Ainſi dit, & ſa femme il s’en vint embraſſer. Sous eux la Terre mere vn prim-temps renouuelle, Elle produit mainte herbe & mainte fleur nouuelle, La Lote rouſoiante, et Saffran iauniſſant, Et le bel Hyacinthe en pourpre rougißant. Cette floriſſante herbe eſtoit eſpeße-molle. Là chacun d’eux couché mollement s’entr’accolle En vn beau lict fleury, qui haut les ſouſleuoit. Le nuage doré deçà delà pleuuoit Mainte goutte luiſante & molette roſee, Dont la Montagne eſtoit tout au-tour arroſee.

Et comment les herbes & les animaux ſe pourroient-ils engendrer ſans chaleur, qui eſt l’architecte de toutes choſes naturelles ? Auſſi la terre ne ſe veſt point de verdure que quãd elle cõmence à s’eſchauffer, veu que le froid eſt inutile à toutes œuures de nature. Voila pourquoy Hippaſe & Heraclite ont pẽſé que le feu fuſt autheur de toutes choſes. A ce propos ſe rapportent les vers ſuiuans qui ſe trouuent és Hymnes d’Homere :

Tout ce qui a pris eſtre, ô Roy ſeul ſouuerain, Nous le recognoiſſons façonné de ta main La Terre noſtre mere, & les monts qui les nuës Semblent auoiſiner de leurs cimes cornuës : Les riuieres, la mer, le grand pourpris des Cieux, Et tout leur contenu.—

Iupiter pris pour le ciel.Quelques-vns auſſi ont creu que Iupiter fuſt l’Æther, ou Ciel, que Lucrece appellé pere, au 1. liure de la Terre, mere, d’autant que d’eux naiſſent toutes choſes, comme il a eſté dict :

La pluye en fin ſe perd, apres qu’Æther le pere L’a verſé dans le ſein de noſtre Terre-mere.

Mais Virgile paſſe bien plus outre, l’appellant non ſeulement pere, mais auſſi tout-puiſſant, au 2. des Georgiques.

L’Æther tout-puiſſant pere, en pluie copieuſe Se gliſſe dans le ſein de ſa femme ioyeuſe, Et ſelon qu’il eſt grand peſle-meſlant ſon corps, Nourrit ce qu’elle engendre, & ce qu’elle met hors.

Ciceron au 2. liure de la nature des Dieux ſuiuant l’aduis d’Euripide, dit qu’il faut appeller l’Æther ſouuerain Dieu :

Vois tu bien cet Æther d’une grande eſtenduë, Æther haut eſleué par deſſus chaque nuë, Et qui la terre enceint d’un leger veſtement ? Croy qu’il eſt ſouuerain en tout le firmament.

Que c’eſt que l’Æther.Mais qu’eſt-ce que cet Æther, ſinon toute cette region qu’Anaxagore a creu eſtre ignee, ainſi nommé d’vn mot qui ſignifie ardre ? Iupiter aſtre benin.Les autres ont penſé que l’Eſtoille & planette de Iupiter eſtoit tres-benigne & debonnaire : & pourtant en firent-ils vn Dieu (à cauſe que les Anciens adoroient les eſtoilles en guiſe de Dieux) voire le plus grand de tous à cauſe de la benignité de ſon naturel, attendu que rien ne conuient mieux à la nature diuine, qu’vne bonté, liberalité & debonnaireté, telle eſt l’Eſtoille de Iupiter. Ce qu’eſprouuent aſſez ceux qui naiſſent quand il domine. Les Anciens ont creu qu’il voyoit & oyoit tout, teſmoin Sophocle en l’Antigone :

Pour moy, ie veux que tu le ſçache, Iupin, à qui rien ne ſe cache.

Et Apollonius au 2. liure des Argo-Nochers.

On ne peut deceuoir Iupiter par fallace, Ni ſe cacher de luy, car ſa diuine face Penetre dans nos cœurs, & void tout à trauers Ce que nous y portons de bon & de peruers. Iupin qui vas roulant ce celeſte flambeau Ignee en l’air courant.—

Voicy comme en parle Platon au dialogue nommé Phædrus : Ce grand Capitaine Iupiter au ciel roulant vn chariot ailé, marche le premier donnant ordre & pouruoyant à tout. Suit puis apres vne armee de Dieux & Demons partie en douze cantons : & Veſte toute ſeule garde la maiſon des Dieux. Et qui eſt ce grand Capitaine Iupiter, ſinon celuy que nous nommons Soleil ? car il roule vn chariot merueilleuſement viſte, & quand il ſe remuë & ſe tourne, il eſt ſuiuy d’vne armee d’eſtoilles, qu’on penſoit eſtre autant de Dieux, leſquelles ſont diſtribuees és douze parties du Zodiaque. Mais Veſte, ou cette maſſe de terre, demeure immuable en l’atre deſdictes eſtoilles, c’eſt à dire, au milieu du monde. Et partant il appert que Platon par Iupiter n’entend autre choſe que le Soleil. A cela conſent vn beau vers d’vn Poëte Grec, diſant :

Iupin, Pluton, Bacchus, & le Soleil, n’eſt qu’vn.

Tous les ſuſdits en leurs opinions l’ont aſſubietty aux Parques : Mais Heſiode és œuures & iours, parlant de la tranquillité de la mer, penſe que Iupiter ſoit le Deſtin meſme :

Si Neptun ne ſe haſte à la faire abyſmer Ou Iupin Roy des Dieux le fait perir en mer.

Car quelques-vns ont creu que Iupiter fuſt vn deſtin, commandant aux vents & aux Elemens. Homere au 1. de l’Odyſſee tient qu’il eſt le deſtin d’vn chacun :

Des chantres le vouloir de leur chant ne diſpoſe, Ils n’ont de leurs chanſons l’entier gouuernement C’eſt le grand Iupiter, lequel diuinement Les inſpire et außi ſur les hommes ordonne Qu’à mille inuentions vn chacun d’eux s’adonne. Par luy vient aux humains tout le bien qui y eſt.

C’eſt pourquoy Euripide és Supplians tient que la ſageſſe humaine eſt pleine de vanité, puis que toutes choſes ſont attachees & dependent d’vne Fatalité & neceſſité ineuittable, laquelle force il qualifie du nom de Iupiter :

Iupin, pourquoy ces chetifs hommes Nomme-t’on ſages & preud’hommes ? Car à toy nous ſommes aſtreints, Et par ta volonté contreints A faire ce que bon te ſemble.

Et és Troades :

O Iupin de qui le pouuoir N’eſt connu de l’humain ſçauoir, Si tu és force de nature, Ou de l’humaine creature L’entendement.—

C’eſt dõc à bon droit qu’Homere au cinquieſme de l’Iliade feint que Mars ſe faſche fort d’endurer la violence de Pallas, & l’appelle pernicieuſe, non ſeulement pource que les loix ne ſont pas moins faſcheuſes aux Meſchans, que les mors en la bouche des cheuaux : mais auſſi pource que quelquefois la ſageſſe empeſche ou retarde la force du deſtin. Et pourtant ce ſage Poëte introduit Iupiter, non pas tançant Pallas pour auoir bleſſé Venus & Mars ſes enfans ; Mars pourquoy tance Iupiter pluſtoſt que Pallas.mais bien Mars, pource qu’il faiſoit trop de l’enragé : d’autant que la ſageſſe reſiſte à la volupté, à la fureur, & aux troubles de l’eſprit qui prouiennent d’vne eſmotion de l’air & faculté des eſtoilles. Que s’il aduient quelque choſe de mal, c’eſt par la fraude & imprudence de ceux qui par la conduite des Planetes ſont guidez d’vne raiſon vile & abiecte : comme il ſe void en ces vers :

Iupin le regardant d’vne farouche trongne Luy trauerſe vne œillade et les ſourcils refrongne. Ceſſe (luy reſpond-il) de plus m’importuner De tes plaintes, cauſeur variable en parler. Ie ne ceſſe d’ouir vne lourde tempeſte De propos complaignans qui m’eſlourdent la teſte. Tu és le plus maudit qui ſoit entre les Dieux, Le plus hay de ceux qui viuent dans les Cieux : Pourquoy, ton plaiſir eſt de courir à grand erre Aux querelles, debats, aux noiſes à la guerre ? Cette rage te vient de ta mere Iunon, D’vn eſprit indompté, ennemy d’vnion, Folle & ialouſe à mort : mais pour éuiter noiſe Par propos emmiellez et conſeil ie l’accoiſe. Et ie me doute fort qu’elle n’ait ſuſcité Cette bleſſure-cy que tu n’as euité. Mais d’autant que tu és iſſu de noſtre race D’eſtre bien-toſt guery ie te feray la grace.

Iupiter. pris pour le Ciel. D’autres ont eſtimé que Iupiter fuſt le Ciel, comme Ciceron au deuxieſme de la nature des Dieux, ſelon l’opinion des Anciens, qui diſoient, Iupiter tonnant, ou eſclairant, c’eſt à dire le ciel : lequel auſſi ils ont nommé Olympe, tout-puiſſant, comme Virgile au dixieſme :

Tandis s’ouure l’hoſtel du tout-puiſſant Olympe.

Iupiter l’ame du monde.Autres ont eu opinion qu’il fut l’ame du monde, eſpanduë en tous les corps humains, comme dit Arat au commencement de ſes Aſtronomiques :

Commençons par Iuppin : & tous-tant que nous ſommes Ne l’oublions iamais nous periſſables hommes. Car il eſpand ſa force en tous les carrefours, Il aßiſte aux conſeils des villes et des bourgs. Il eſtend ſon pouuoir ſur la plaine azuree, Il tient deſſous ſa main la campagne aſſeuree. Tout il ſe donne à tous, & chacun en puiſons Autant qu’il nous en faut tandis que nous viuons.

Orphee en vn hymne en dit autant, & donne à entendre que tout cet Vniuers fut creé & ſe gouuerne par Iupiter :

Iupiter eſt premier, il eſt dernier luy-meſme ; Iupiter eſt le chef, milieu & fin extreme. Tout eſt deſſous ſa main, il eſt le fondement De cette terre baſſe, & du haut firmament. Iupiter eſt tout-maſle il eſt toute-femelle ; Mais non ſujet à mort, comme luy & comme elle, Il eſt eſprit en tous : c’eſt du feu la vigueur Qui par tout l’Vniuers eſpanche ſa chaleur.

Car que peut eſtre cet immortel maſle & femelle, ſinon l’ame du monde, ayant en ſoy la vertu & le moyen de produire tout cecy ? Car Dieu pour-tout n’a point de ſexe, comme nous auons dict, veu qu’il eſt plus parfaict que tout ſexe : & ne prouient aucun eſprit d’eux, ny force de feu, qui ſoit Dieu : mais bien vn qui ſoit par deſſus eux, & qui commande à tous. Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie eſcrit que Cecrops, Roy d’Athenes, auſſi nommé Iupiter, fut le premier qui donna au Dieu Iupiter le tiltre de Souuerain, & fut d’aduis qu’on ne luy offrit en Sacrifice rien qui euſt ame, mais ſeulement des gaſteaux à la facon du pays faiſant eſtat que la nature diuine chaſſoit toute cruauté loing de ſes Autels, laquelle n’a rien de ſi conuenable qu’vne clemence & volonté encline à bien faire. C’eſt pourquoy les Anciens ont appellé Dieu ou Iupiter, donneur de tous biens, & pere de tous ; pource qu’il faiſoit beaucoup de biens aux bons, & ramenoit en fin à vne meilleure vie les temeraires & les meſchans, les affligeant de pauureté, perte de biens, & d’autres calamitez de corps & d’eſprit. Si ainſi n’eſtoit, comment ſeroit vray ce que dit Sophocle és Trachynes ?

Iupin eſt le ſouuerain Pere A qui tout le monde obtempere.

Toutesfois quelques-vns ont eſtimé que la planette de Iupiter donnaſt toutes ces vertus (deſquelles nous auons dit qu’il eſtoit autheur) à ceux en la naiſſance deſquels il dominoit. Neantmoins Heſiode en ſa Theogonie ne l’appelle pas ſeulement Pere des hommes, mais auſſi des Dieux, pource qu’exerçant l’adminiſtration & le gouuernement de tout cet Vniuers, comme ſa largeſſe & benignité luy donna le nom de Pere ; auſſi ſa ſageſſe au maniment des affaires le fit qualifier Roy, comme teſmoignent ces vers des Theognis :

Le Roy des Dieux, le Roy des hommes, Iupiter, Ne ſçauroit vn chacun des humains contenter.

Quand donc on conſidere cette bonté de Dieu au maniment des choſes ſuperieures, on l’appelle Iupiter Olympien : lors qu’elle agit és Elemens, les anciens luy donnent diuers noms : quand elle eſtend ſa puiſſance iuſques ſous la terre, on la nomme Iupiter lnfernal, ou Stygien, duquel fait mention Virgile au 4. de l’Æneide :

Le Sacrifice encore à l’honneur de Iupin L’infernal commencé i’ay conduits à la fin.

Et Homere au 1. de l’Iliade :

Iupiter Infernal, la ſainte Proſerpine.

Les Anciens ont ſignifié cette triple puiſſance de Iupiter, dominant au ciel, en mer, & en terre, quand ils luy ont mis au front vn troiſieſme œil, tel qu’on dit auoir eté l’effigie de bois à laquelle Priam recourut apres la priſe de Troye : comme teſmoignent Agatharchide en l’Eſtat d’Aſie, & Pauſanias en celuy de Corinthe.

Opinion des Anciens touchant l’eſtre du monde.Voyons maintenant que c’eſt que les Anciens ont enueloppé ſous ces fables feintes & controuuees. Tous les anciens Philoſophes ont eſté my-partis en deux bandes ; les vns eſtimoient que ce monde fuſt eternel ; les autres maintenoient qu’il auoit commencement : & de cette eſchole ſont ſortis d’excellens & rares eſprits, hommes diuins & diuinement enſeignez. quant à ceux qui nient l’origine & creation du monde, ils ne reçoiuent point l’explication de cette Fable ; mais les autres reconnoiſſent qu’elle enueloppe beaucoup de myſteres touchant la creation de tout cet vniuers. Expoſitiõ du chaſtrement fait par Saturne à ſõ pere.Car Saturne, pere de Iupiter, eſt fils du Ciel, lequel Saturne a couppé les parties genitales à ſon pere. Or Saturne eſt le temps (comme nous verrons en ſon lieu) qui n’eſt pas né ſinon par la creation & naiſſance du Ciel, comme dit Platon au Timee ; car deuant que le Ciel fuſt, le temps n’eſtoit pas. Ils diſent qu’il trancha le membre viril au Ciel ſon pere, pource qu’il n’y a qu’vn Temps, & n’en pouuoit engendrer vn autre ſemblable à Saturne, veu qu’il n’y a qu’vn monde, non pluſieurs. Accord de Titan auec Saturne expliqué.Et ce que Titan fit cet accord auec Saturne, qu’il feroit mourir tous ſes enfans, n’eſt autre choſe que ce qu’a enſeigné Empedocle Agrigentin que l’amitié & diſcord eſtoient les deux principaux commencemens de tout ce qui eſt en nature. Ioint que perſonne n’ignore qu’auſſi-toſt que le Ciel fut creé de Dieu, & ſeparé d’auec les autres corps inferieurs, comme les Sages ont eſtimé, la noiſe & l’amitié naſquirent, qu’on croyoit auoir eſté cachées ſous cette matiere confuſe & ſans forme. Puis apres par ſucceſſion de temps, qui n’auoit point eſté auparauant, Dieu crea les Elemens ; ce qu’ont voulu dire ceux qui ont creu que Iupiter, ou l’Æther (c’eſt à dire toute cette region & eſtenduë qu’Anaxagore a penſeé eſtre ignee) fuſt né du Temps & de Ops, ou de la Terre ; & que Iunon fuſt l’air, Neptun & Glauca l’Element de l’eau ; & Pluton ou Cerés, Dieux terreſtres, la force de la terre. Car dire que Saturne les ait engendrez, qu’eſt-ce autre choſe ſinon que premierement Dieu crea le Ciel, puis apres de là vint le temps, duquel naſquirent les Elemens, Engloutiſſement & reuomiſſemẽt des enfans de Saturne.Dieu creant ce Tout de rien ? leſquels Saturne ayant engloutis, il fut contraint de les reuomir ; qui demontre vne mutuelle generation & corruption ſelon les parties des Elemens. La pierre qu’il rendit la premiere par ce vomiſſement, ſignifie la naiſſance & la fin des corps compoſez, que Saturne ne peut digerer, veu que les elemens ſont eternels, & ne ſe peuuent aneantir ny par aucun temps ny par aucune violence, ſinon quand il plaira à celuy qui les a creez, de les deſtruire. Iupiter Pourquoy non deuoré.Iupiter ne fut pas deuoré de Saturne, d’autant que cette plage celeſte, claire & treluiſante ne ſent aucune violence de temps, ny iniure quelconque ; & n’eſt point ſubiette à corruption. On dit qu’il fut donné à Veſte pour le nourrir & eſleuer ; parce que comme la terre engendre les animaux & les plantes, ainſi ſe fait-il plus de changement des Elemens autour de la terre, qui eſt enuironnee de vapeurs, deſquelles Thalés diſoit que la region ætheree eſtoit nourrie. Pourquoy ſauué parmy le bruit d’inſtrumẽs d’airain.Et pource que les diſciples de Pythagore penſoient qu’à cauſe de la viteſſe & ſoudaineté de ſon mouuement elle rendiſt quelque harmonie, on dit que Iupin fut ſauué parmy vn tintamarre de cymbales & de tambours. Les mouches à miel le nourrirent, d’autant que les Elemens, ſans ſexe de maſle & de femelle, s’engendrent l’vn l’autre, qui nourriſſent (comme ie viens de dire) la region ætheree ; c’eſt la meſme raiſon pour laquelle on dit auſſi que les Nymphes le nourrirent. Raiſons ſur les diuerſes nourrices de Iupiter.Quelques-vns diſent qu’vne Cheure l’allaicta, pource que cet animal demande touſiours à grimper ; ce que toutes-fois d’autres rapportent à vne explication plus baſſe & plus raualee. Car ils diſent que Meliſſe & Amalthee filles du Roy Meliſſe nourrirent Iupiter de laict de Cheure ; & que pource que l’Abeille ſe nomme Meliſſe en Grec, cela donne lieu à la Fable, que les Abeilles vindrent trouuer Iupiter en ſon maillot, & le nourrirent, & qu’il teta vne Cheure. Auis d’Epicure ſur la creatiõ & gouuernemẽt du mõde condamné comme impie.Au contraire ceux qui ont eu opinion que le monde ait eſté fortuitement creé par le choc & rencontre de ie ne ſcay quels grains de pouſſiere, qu’ils appellent Atomes, ont cuidé que Iupiter, c’eſt à dire la region ætheree, tout cet Vniuers en fin, ait eſté nourry par fortune, telle qu’a eſté l’opinion d’Epicure & de quelques autres, car ce ſont ceux-là qui diſent,

Que tout va par fortune, au hazard & ſans guide : Et que le monde n’a perſonne qui le guide.

L’aduis de ce vilain infame eſt ſi damnable, qu’il renuerſe de fond en comble, & deſtruit tout droit, diuin & humain : & n’y a rien qui ſoit moins digne, non ſeulement d’vn Philoſophe, mais meſme d’vn homme. Pourquoy Saturne fut chaſſé & empriſonné par Iupiter.En apres on conte que Iupiter chaſſa Saturne de ſon Royaume, & le mit en priſon ; pource que Saturne agit hors de la nature de la ſuſdite region, de qui la force eſt affoiblie par la region ætheree. Pourquoy chaſtré.Iupiter luy couppa les genitoires, parce qu’apres ce monde il n’y en aura iamais d’autre, veu qu’il eſt compoſé d’vne matiere vniuerſelle. Objectiõ preuenuë & reſponduë.Voire-mais il ſemble que ce que nous auons cy-deuant eſcrit, contrediſe, à ſçauoir que ſous le regne de Saturne la majeſté des loix eſtoit ſaintement & religieuſement honoree ; & que neantmoins il ait luy-meſme ſi meſchamment & malheureuſement violé les liens de nature, par leſquels les hommes ſont conjoints enſemble, en faiſant mourir ſes enfans. Mais il faut ſçauoir que les hommes, qui pour lors eſtoient bons & ſimples, ne viuoient pas à l’exemple de Saturne, qui verittablement & de faict fruſtra ſes enfans & ſon frere Titan, de ſon Royaume ; mais ſe conduiſoient en toutes leurs actions ſelon le modelle des loix qu’il leur auoit eſtablies. Inuectiue contre les mauuais Princes.Car les Roys, pour la pluſpart, ont eſté de tout temps ſi dangereux, que ſi quelqu’vn de leurs enfans, ou freres, ou parens vient à eſtre tant ſoit peu ſoupçonné, incontinent ils mettent en arriere tous les liens & deuoirs de nature ; & n’y a rien plus à craindre, ou moins conſtant & aſſeuré, que l’amitié des Roys & des Grands de ce monde : joint auſſi que leur couſtume eſt de punir rigoureuſement en la perſonne d’autruy les vices auſquels ils ſont plus enclins & plus adonnez, eux-meſmes, & ne peuuent aiſément ſouffrir ny endurer aucun compagnon en toutes leurs meſchancetez. Il eſtoit donc plus aiſé alors de retenir en leur deuoir, & par rigoureux chaſtimens deſtourner des vices ces bonnes gens, ſimples encore, & de naturel maniable ; ſi que les hommes viuoient en ce temps-là en paix, en ſeureté, en amitié & concorde les vns auec les autres : & cette facon de viure fut nommee Aage doré, auquel meſmement les plus ennemies & les plus ſauuages beſtes viuoient en vne incroyable concorde, amitié & vnion. Aage doré ſous Saturne.Ce qui a donné cette occaſion de dire, qu’il y auoit des riuieres de laict, de miel & d’autres liqueurs douces & plaiſantes ; que les daims ſe ioüoient ſans crainte auec les chiens, que les plus farouches & les plus cruelles beſtes eſtabloient des domeſtiques & priuees ; ce qui ne ſignifioit autre choſe ſinon que les gens de bien eſtoient par la defenſe & la ſauue-garde dex loix, garentis de l’inſolence & effort des voleurs & meurtriers. Peruerty ſous Iupiter.Car comme les hommes ſous le Regne de Iupiter vindrent à ſe departir de cette ancienne ſimplicité, & que les vices & crimes ne furent plus recherchez à cauſe de ceux qui luy auoient donné eſcorte & ſecours pour demettre ſon pere de ſon ſiege Royal ; toute cette rondeur & integrité de vie ſe peruertit ; les voleurs eurent porte ouuerte pour commettre impunément toutes ſortes de brigandages, le chemin fut libre à toutes paillardiſes, les meurtriers eurent toute licence ; & dés lors les hommes ſe des-voyans de leurs bonnes couſtumes & ordonnances, ſe desbaucherent pour ſuiure vne vie du tout deſbordee, laſciue & temeraire. Car puis que Iupiter chaſſant ſon pere de ſon throne, & de ſon Royaume, auoit preſque commis vn parricide, voire meſme s’eſtoit montré plus cruel que ſon pere : de quelle remonſtrance pouuoit-il rembarrer ceux qui faiſans la guerre auec luy l’auoiẽt ſecouru de tous leurs moyens, voire de leur propre vie ? Et par quelles paroles pouuoit-il ramener à equité ceux qu’il auoit luy-meſme incitez à toutes ſortes d’outrages & d’inſolences ? Voila d’où eſt venu le conte, que ſous le regne de Iupiter on chaſſa toute la pareſſe & nonchalance des Anciens, & qu’on commenca à ſe ruer ſur toutes eſpeces d’oiſeaux, de beſtes & poiſſons. Et falloit-il que les Poëtes eſleuaſſent ſi dignement ces belles beſognes ? Acte ſignalé de Iupiter.Ie croy que le plus ſignalé acte qu’il ait faict, c’eſt d’auoir oſté aux hommes l’vſage de s’entremanger l’vn l’autre : lequel leur ayant appris à manger du gland, merita iuſtement qu’on luy conſacraſt les arbres à gland : comme en effect en la mõtagne de Dodone, reueſtuë d’vne grande quantité de Cheſnes, en la Chaonie, contree d’Albanie, il y auoit vn nottable oracle du pere Chaonien ou Dodonneen, que ceux auoient accouſtumé de viſiter qui deſiroient ſçauoir les choſes à venir, où l’on diſoit que deux Colombes donnoient reſponſe ; ſoit que cela aduint par vne illuſion & abus des diables ; ſoit que les Preſtres fiſſent la fourbe. Or entre autres choſes que les Anciens nous ont laiſſé par leurs Memoires touchant Iupiter, nous auons oüy ce qui concerne les commencemens & la force des choſes qui ſont en nature : qui prenans leur origine de l’hiſtoire ſe peuuent quand & quand approprier à la philoſophie. Car ſi vous conſiderez exactement ce qui a eſté dict de Iupiter, vous trouuerez que preſque tous les principes de la Philoſophie naturelle y ſont compris & enueloppez.

Expoſitiõ morale de la fable de Iupiter.Examinons maintenant ce qui touche la moralité & inſtitution de la vie humaine. Images de Iupiter ſans oreilles, & à quatre oreilles.En Candie il auoit vne image ſans oreilles : la raiſon eſt, qu’il n’eſt pas ſeant aux Roys d’oüyr toutes manieres de ſottiſes. D’autre coſté les Lacedemoniens luy en donnoient quatre, pour repreſenter la diligence requiſe au maniment des affaires. Pourquoy l’Aigle luy eſt dediée.Les Anciens luy ont auſſi approprié l’Aigle, à cauſe de la viuacité de ſa veuë : deſquels ſens & ententes, les Princes pour la pluſpart ſe ſçauent fort bien ſeruir, non pas pour gouuerner leur Eſtat ; mais bien pour aſſouuir leur auarice, entaſſer des threſors à la foule & oppreſſion de leurs ſujets : auſſi leur donne-on à bons tiltres l’Aigle, à cauſe de ſa rapacité, & les loüe-on d’eſtre clair-voyans, eu eſgard aux eſpions, ſangſuës, & ingenieux conſeillers qu’ils ont autour d’eux pour inuenter tous les iours nouueaux tributs, nouuelles impoſitions & exactions ſur leur peuple. Pourquoy non deuoré par Saturne.Ce que Iupiter né fut enleué pour éuiter la gloutonnie & cruauté de Saturne, que veut-il dire ſinon que les richeſſes ne trouuent aucun lieu de ſeureté, non pas meſme entre les plus proches & les alliez ? veu qu’elles ſont ordinairement eſpiees de tous coſtez, & à peine void-on aucun deuenu riche en peu de temps qui ſoit quand & quand homme de bien. Expoſition de la ligue des Geans.Les Poëtes ont ſuſcité Ægæon faiſant la guerre à Iupiter, pour montrer que les Roys ſont ſubjects à eſtre trompez, tant par leurs proches que par les eſtrangers, lors qu’ils voyent quelque eſperance de pouuoir regner. Car là où il y a apparence d’auancer ſes affaires, & qu’on ſe void la force en main, là n’y a-il ny foy ny Religion, ny crainte de Dieu qui les contienne en leur deuoir : & ceux qui ſont les plus habiles en cela & les mieux entendus, tiennent moins de conte de Dieu. Aſſeuré d’vn bon & mauuais Prince.Quand ils vouloient depeindre vn ſage Prince, ils luy ont donné pour coſtillers & aſſeſſeurs Pudeur & Equité, d’autant que tout le monde fait beaucoup d’eſtat d’vn ſage Prince & homme de bien, & ne peut porter aucun honneur ne reuerence à vn Tyran, accompagné d’Outrage & de Crainte. Conception & groſſeſſe de Iupiter expoſee.Qu’ainſi ſoit, cela le confirme, que Iupiter eſpouſa Metis, c’eſt à dire Conſeil, à cauſe que la prudence eſt vne vertu neceſſaire pour la conſeruation des affaires de la maiſon ; & Metis deuint groſſe, d’autant que de bon & meur conſeil doit proceder ce qu’on a affaire, Iupiter deuore cette femme groſſe, & de cette belle viande ſa teſte conçoit ; pource que la raiſon & diſcours humain a ſon principal ſiege en la teſte. De cette raiſon & diſcours Pallas tout-armee vient à naiſtre, & en meſme temps il pleut de l’or en l’iſle de Rhodes ; pour donner à entendre qu’il faut maſcher & remaſcher le conſeil & le bon aduis des gens de bien, & le ruminer en ſon cœur : afin que de là puiſſe naiſtre ſageſſe, ſuiuie de bon-heur & felicité, auec vne ſeure & prompte defenſe de tout ce qui eſt requis, accompagnee de tranquillité, garantie par ſageſſe és affaires de ce monde ; de facon qu’on ne peut tromper ny ſurprendre au deſpourueu vn homme ſage & bien-auiſé. Transformations de Iupiter que ſignifient.Ce que Iupiter, Roy des Dieux & des hommes, ſe transforma en or, pour ſeduire Danaé fille d’Acriſe, puis apres en tant d’autres formes brutes pour iouyr de ſes amours, que veut dire cela, ſinon que l’auarice & la corruption eſt eſchampee, & tellement deſbordee, que rien ne s’en peut garantir : & qu’il n’y a rien de ſi ſeur & ſi aſſeuré qui ne ſoit aſſiegé par l’effort peut garantir ; & qu’il n’y a tien de ſi ſeur qu’il ne ſoit aſſiegé par l’effort des Grands & Potentats de ce monde ? En apres il eſt force à celuy qui va voir illegitimement les femmes d’autruy, s’il craint quelque algarade ou eſcorne, ou la vengeance de Dieu, ou ſon deſhonneur & infamie ; de veſtir pluſieurs affections brutales, car tantoſt il deuient craintif, tantoſt furieux : de là procedent toutes ces fictions des adulteres de Iupiter. Car perſonne ne peut tenir vne dignité Royale, & quant & quant commettre choſes illegitimes.

Mais s’accordent enſemble, & ne ſe peuuent voir Majeſté & amour en meſme ſiege ſeoir.

Rauiſſement de Ganymede. Voyés liure 9. chap. 13.Les Anciens ne ſont pas d’vn meſme accord touchant le rauiſſement de Ganymede, emporté par l’Aigle vers Iupiter. Les Poëtes content qu’vne Aigle ſuruenant l’enleua au Ciel : mais quelques Hiſtoriens eſcriuent que ce fut vne compagnie de gens-d’armes, ayans l’Aigle pour enſeigne, d’autres diſent qu’il fut emmené dans vn nauire, ayant ſur la prouë vn Aigle peint, ce qui donna lieu à la ſuſdite Fable ; car il n’y a Fable qui n’ait eu ſon commencement de quelque hiſtoire. Concluſion de la Fable ſuſdite.Or ie croy que ce que nous auons dict cy deuant fuffit pour monſtrer que Iupiter a eſté homme mortel, mais que les Payens en ont faict vn Dieu, toutesfois ſans luy aſſigner aucun certain office comme aux autres Dieux ; ains le font trottant decà, delà, beaucoup plus miſerable que ne ſont ces Demons d’Empedocle qui ne ſe peuuent arreſter nulle part, car,

L’air les iette en la mer profonde, Et la mer ſur la terre ronde, Et s’y proumenent vagabonds, Brandillans à ſauts & à bonds. Puis la terre deuers la voye Du Soleil viſte les renuoye. Luy ne les pouuant endurer Les meut dans le vague de l’air.

Car tantoſt il eſt au Ciel, tantoſt en l’air : tantoſt il eſt air meſme, tantoſt deſtin ; tantoſt il eſt ſous les eaux, tantoſt ſous la terre : tantoſt il ſe change en pluye, tantoſt en diuerſes ſortes d’animaux. Peut-on voir de plus miſerable condition que cette-là ? Mais laiſſons Iupiter ſe transformer & proumener à ſon aiſe par tout le monde, & prenons Saturne.