Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - II, 03 : De Saturne Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Saturne.

Chapitre III.

Genealogie de Saturne.IL n’eſt pas ſi aiſé de trouuer les parẽs de Saturne que ceux de Iupiter, parce que les anciens Autheurs n’en ſont pas bien d’accord. Toutesfois nous ſuiurons là deſſus la plus commune opinion de ceux qui les nomment. Platon au Timee eſcrit qu’il fut fils de l’Ocean & de Tethys : La Terre & le Ciel engendrerent l’Ocean, & Tethys ; & de ceux-cy naſquirent Phorcys, Crone (ou Saturne). Rhee, & autres : de Saturne & Rhee ißirent Iupiter, Iunon, & tous les autres que nous ſçauons auoir eſté freres. Aucuns mettent auſſi Dolunque entre les enfans de Saturne. Mais Heſiode en la naiſſance des Dieux, apres auoit dict que la Terre eſt femme du Ciel ;

Elles chantent en vers la ſouueraine eſſence Des Dieux qui de la Terre & du Ciel ont naiſſance :

Peu apres conte Saturne au nombre de ceux qu’ils engendrerent ;

Aprés ceux-cy naſquit Saturne le plus ieune.

Et Orphee en vn hymne de Saturne l’appelle,

Engeance de la Terre & du Ciel port’-eſtoilles.

Diuers parens de Saturne.Saturne donc eſt tantoſt fils du Ciel, tantoſt de l’Ocean, tantoſt de la Terre, tantoſt de Tethys (que les Latins nomment Salacie) & de pluſieurs autres qu’il n’eſt point beſoin de nommer : toutes leſquelles choſes ſi variables ne peuuent eſtre en meſme temps vrayes. Saturne venu en aage de diſcretion, aduerty par ſa mere, que le Ciel ſon pere auoit ietté les Cyclopes, liez & garrottez dans le Tartare, en fut fort mal content, & à l’inſtigation de ſa mere qui ſolicitoit ſur tous autres les Titans pour faire la guerre à leur pere, prenant vne faux en main, dreſſa des embuſches à ſon pere le Ciel, ſe ſaiſit de ſa perſonne, comme dit Apollodore au premier liure, & tira ſes freres hors du Tartare, deſquels il ſe ſeruit depuis quand il s’empara de la Couronne & du Royaume paternel, ce qui aduint en la 32. annee de ſon regne, comme dit Euſebe en la Theologie des Pheniciens. Saturne donc l’ayant pris, luy couppa les genitoires, & obtint aiſément de ſes freres, qu’ayant chaſſé ſon pere il luy ſuccederoit. Neantmoins ces vers de la Sibylle Erythree montrent que ce ne fut pas le Ciel, mais bien Saturne qui regna le premier de tous les hommes :

Saturne le premier d’vne Royalle dextre Regnant ſur les humains tint en ſa main le Sceptre.

Freres de Saturne.Ses freres furent outre les Cyclopes & Centimains, l’Ocean, Cœe, Crie, Hyperion, Iapet, Titan, ſes ſœurs, Rhee, Tethys, Themis, Phœbe, Phœbe, Mnemoſyne, Thie & Dione, comme dit Apollodore : auſquelles quelques vns adiouſtent Cerés. Entre tous ceux-cy l’on dit que Titan & Iapet regnerent d’vn commun conſentement & vnion auec Saturne ? teſmoing ces vers :

Titan, Iapet, Saturne, ont eſté Rois ſans guerre. On les nommoit Bons fils du Ciel & de la Terre.

Accord de Saturne auec ſes freres.Puis-aprés comme vn ſeul Royaume ne peut auoir trois Rois, ſa mere Veſte, & ſes ſœurs, Ops & Cerſé, firent tant par leurs prieres enuers ſes freres aiſnez, qu’ils le laiſſerent regner tout-ſeul : toutefois à telle condition qu’il n’eſleueroit aucuns fils s’il en auoit à l’aduenir, & qu’il ſe contenteroit de regner ; afin que la Couronne reuinſt aprés ſa mort à ceux auſquels elle appartenoit par droit de ſucceſſiõ. Inhumanité de Saturne.Alors Saturne eſpouſa ſa ſœur Ops ? & aduerty qu’il auroit vn fils qui le chaſſeroit de ſon throne Royal, il print reſolutiõ de faire mourir tous les maſles. Donc Ops ou Rhee malcontente, ſe retira en Candie, & là enfanta Iupiter & Iunon gemeaux, deſquels elle montra Iunon à Saturne, & fit nourrir Iupiter par les Corybantes, cõme nous auons dict cy-deſſus. Les autres diſent que Saturne mettoit à mort ſes fils ſelon le ſerment qu’il auoit faict aux Titans ſes freres, non par aucun auis ou auertiſſement qu’on luy euſt donné. Voila quelle fut la cruauté des Oncles vers leurs Neueux, & quelle la barbarie du Pere vers ſes Enfans, pour vn appetit & furieuſe enuie de regner. Il n’y eut meſchanceté, brigandage, parricide dont ces beaux Dieux ayent eu les mains nettes, pourueu qu’ils y ſentiſſent quelque prouffit. Les autres ont voulu dire que les Titans ne mirent point en pieces les enfans de Saturne, & que Saturne meſme ne les tua pas, mais qu’il en deuora pluſieurs, comme le montre Heſiode en la naiſſance des Dieux, parlant de Saturne :

Car la Terre iadis & le Ciel port’eſtoilles, Luy donnerent auis que ſon deſtin portoit Qu’il luy naiſtroit vn fils qui le garroteroit Quoy qu’il fuſt bien nerueux. Le voila ſur ſa garde Eſpiant ſes enfans, & d’vne gueule hagarde Frais-nez les engloutit, ô de quel creue-cœur De quel regret fut lors Rhee atteinte en ſon cœur !

Lucrece dit que pour cette meſme cauſe on luy oſta Iupiter, de peur

Que Saturne le fiſt paſſer deſſous ſa dent, Et cauſaſt à ſa mere vn creue-cœur ardent.

Saturne & ſa femme empriſonnez par les Titãs.Les Titans s’apperceuans qu’on nourriſſoit ſecrettement les enfans de Saturne contre l’accord & les conditions qu’ils auoient faictes enſemble, ſe ſaiſirent de Saturne & de Rhee, & les mirent en priſon cloſe de bonnes murailles, & leur baillerent des gardes. Deliurez par Iupiter.Ce que Iupiter ayant ſceu par ſes eſpions, il ſe mit aux champs auec force trouppes de Candiots qu’il auoit leuees (comme nous auons dit parlant de Iupiter) & veint charger les Titans, les battit & deffit, deliura les parens, & leur remit la Couronne ſur la teſte. Saturne empriſõné par Iupiter.Saturne reſtabli par Iupiter en ſon Royaume oyant qu’il l’en deboutteroit vn iour, ſe print à l’eſpier & luy faire la guerre à couuert, ce que voyant Iupiter (comme il a eſté dit) il le ietta dans le Tartare par le conſeil de Promethee, comme dit Æſchyle en la Tragedie de Promethee :

C’eſt par mon conſeil & ma voix Que Saturne eſt ores bourgeois Du Tartare hideux de fumee, Auec tous ceux de ſa menee.

Se ſauue en Italie, & les biens qu’il fit aux Italiens.Puis-apres Saturne eſchappé de priſon, paſſa la mer, & ſe retira en Italie vers Ianus, pour lors regnant : qui le receut auec beaucoup de courtoiſie : & comme dit Virgile au 8. liu. de l’Æneide, il apprit audit Roy & à ſes ſujets la maniere de viure humainement, & raſſembla les hommes eſpars és montagnes, pour les faire viure en commun & ciuilité. Il leur apprit auſſi à labourer la terre, à planter les arbres, & toutes autres choſes portans fruict : & pour recompenſe de ce bienfaict, Ianus luy donna la moitié de ſon Royaume, & voulut que la monnoye que par ſon inuention il fit battre, portaſt d’vn coſté vn nauire, & ſur le reuers vne teſte à deux viſages, pour monſtrer que le Royaume eſtoit gouuerné par le commun conſeil de tous deux. Ce qu’Ouide exprime au 1. des Faſtes :

C’eſt icy le païs où Saturne s’arreſte Dechaſſé par Iupin de ſon regne celeſte. Le peuple y fut longtemps Saturnien tiltré, Et le lieu, Latium, pour l’auoir retiré, Duquel les bonnes gents marquerent leur monnoye D’vne nef au reuers, pour teſmoigner la ioye Qu’ils eurent arriuant leur hoſte-Dieu chez eux.

Il fit en ſomme tant de biens aux Italiens, qu’en recognoiſſance d’iceux ils l’adorerent auec ſa femme comme Dieu. Et du temps de Triſmegiſte, comme il dit, on faiſoit grand cas de trois ſages perſonnages, Cœlus, Saturne & Mercure, & pourtant Charondas diſoit que Saturne eſtoit autheur des loix qu’il auoit donnees aux Carthageois. Toute l’Italie admira ſi fort cette prudence & ſageſſe que Saturne eſtant chez Ianus leur apprit & conſeilla, & à cauſe de l’equité & iuſtice qu’il eſtablit parmy eux, chacun veſquit en ſi grande paix, concorde & amitié, que de là les Poëtes ont pris ſujet de dire que ſon temps fut vn aage doré, & que la mer ne ſe tempeſtoit point, qu’il n’y auoit point de guerre : mais qu’à cauſe du grand rapport & fertilité de la terre, tout eſtoit commun. Aage doré ſous Saturne.Ce que deſcrit bien au long Ouide au 1. de ſes Metamorph. & Tibulle en cette maniere :

Qu’on viuoit gentiment ſous Saturne, en longue erre Deuant qu’on deſcouuriſt les ſeillons de la terre ! Les Sapins n’auoient point eſprouué des Zephyrs, Expoſans leur ſein nud, les bourſoufflans ſouſpirs Le Nocher vagabond ne ſçauoit la pratique Des païs inconus : il n’alloit en traffique Gagé par l’eſtranger. Lors le bœuf erreiné Le coutre fend-gueret n’auoit encor trainé. Le cheual n’auoit point la bouche accouſtumee A remaſcher ſon mors : nulle maiſon fermee. Il n’eſtoit queſtion de borne mitoyen : Les glands portoient le miel de leur propre moyen. Les brebis on euſt veu leurs mammelles eſtendre Rejailliſſans de laict, à qui les vouloit prendre. Point d’armes, point d’armee & point encor de coups, Point d’acte Martial, point encor de courroux. Nul glaiue, nul eſtoc, dont maint homme on eſgorge, Du cruel forgeron n’auoit ſenty la forge.

Mais il leur fit ſçauoir que cette ſaincte & ſacree reuerence deuë aux loix & à la iuſtice, ne doit pas tant eſtre contenüe és liures & eſcripts, ou grauee en ttableaux de cuivre, comme imprimee és cœurs des hommes, & eſtre receüe des villes pour Couſtumier & inuiolable, teſmoin Virgile au 7. de l’Æneide :

& ſachez que de gré Suit le peuple latin de Saturne engendré, Sans liens & ſans loix, l’equité droituriere, Et gouuerne ſes mœurs à l’vſance & maniere De ſon antique Dieu

Difference entre l’homme de bien, & le non-mauuais.Et de faict, celuy qui regle ſeulement ſa vie ſelon l’ordonnance des loix, craignant de les enfraindre de peur d’encourir punition, & qui de ſon propre naturel & mouuement ne fait pas ce qu’il eſt tenu de faire, ne peut eſtre homme de bien, pource que l’homme qui ne commet aucune meſchanceté de peur d’eſtre chaſtié, ne doit pas eſtre appellé homme de bien : mais ſeulement, homme non-mauuais. Celuy ſeul à bons tiltres a la reputation d’homme de bien, qui par la guide de nature s’achemine à choſes hautes, honnorables, honneſtes, iuſtes & bonnes : mais non par crainte de punition : cettuy-là eſt homme rond & entier, equittable & craignant Dieu. De là eſt venu ce que les Poëtes ont eſcrit que Iuſtice s’enfuit de deſſus la terre, & s’enuola au Ciel. Cette equité naturelle qui eſtoit enracinee és cœurs des hommes, comme l’on vint par ſucceſſion de temps à coucher par eſcrit & faire vne grande liſte de loix pour refrener la grande malice des hommes, qui commençoient à ſe desborder, quitta bien la place qu’elle auoit euë en leurs eſprits : mais celle qui eſt comprinſe en tant & ſi gros volumes des Legiſtes, n’a pas abandonné la terre. Car tant plus les hommes eſtoient ſimples, plus ils auoient l’ame bonne : depuis que tant de volumes de loix furent compoſez & receus és villes, cette ancienne ſimplicité commenca de quitter peu à peu les citadins des villes, & ſe retira aux champs, vers ceux qui n’entendoient pas bien les teſtamens d’Aſtree, qui fut fille d’Aſtreus Prince ſi iuſte que pour ſa grande equité ſa fille fut nommee Iuſtice : mais depuis comme elle vid tant de vices gagner le mõde, elle s’enuola aux Cieux, & fut placee en cette partie du Zodiaque qu’on appelle le ſigne de Virgo. Toutesfois quelques vns content que les loix ne ſont point teſtamens d’Aſtree, mais ſeulement ordonnances d’hommes enjointes de puiſſance abſolüe à ceux ſur leſquels ils auoient commandement, fuſt-ce contre tout droit & raiſon : & certains arreſts propres & particuliers à chaſque ville, mis en auant pour le bien de chaſque communauté, & ſelon l’intereſt particulier qu’y auoient ceux qui en eſtoient auteurs : & les coucherent malicieuſement en tels termes qu’on les peuſt diuerſement expoſer. Aſtree ayant ietté l’œil ſur ces meſmes loix, n’oſa point faire de teſtament, ne penſant pas qu’elle en peuſt faire aucun ſi ferme ne ſi bien cimenté qu’on ne luy peuſt donner vne accroche à cauſe de ſi grande quantité de loix repugnantes l’une à l’autre ; craignant auſſi qu’elle ne fiſt conſumer en proces la ſucceſſion qu’elle deuoit laiſſer à ſes hoirs. Ces bonnes gens qui viuoient dans l’innocence foiſonnoient en toutes ſortes de biens & commoditez : viuans tant à leur aiſe, tant heureux, tant riches, qu’à bon droit tous les Poëtes ont en leur langue ſi ſoigneuſement chanté cet aage doré. Ils paſſoient leurs iours ſans ſoing & ſoucy, ſans affliction aucune : la vigueur de leurs corps ne s’affoibliſſoit point par vieilleſſe. Quand l’heure de la mort venoit, ils rendoient l’ame ſans difficulté, comme ſi vn doux ſommeil les euſt accueillis ; toutes leſquelles choſes ſe trouuoient (comme on dit) au temps de Saturne, teſmoin Heſiode és œuures & iours :

Quand Saturne regnoit, l’on viuoit à ſon aiſe, Sans peine, ſans ſoucy, ſans trauail, ſans meſaiſe, Heureux ainſi que Dieu : & pour l’aage chenu L’homme n’en eſtoit point plus courbé deuenu. Meſmes pieds, meſmes mains ; on faiſoit bonne chere : Et quand il approchoit vers le bord de ſa biere : La Parque le venoit eſtendre en ſon cercueil, Comme s’il n’euſt eſté qu’aſſopi de ſommeil.

Vraye conſolation du Sage.Et certes le ſage n’a point de plus grande conſolation ſoit en ſa vieilleſſe, ſoit en ſa mort, ny qui plus allege ſon treſpas, que de ſçauoir en ſa conſcience qu’il a veſcu en homme de bien, & s’eſt abſtenu durant tout le cours de ſa vie, de faire tort, ou deſplaiſir à perſonne, ny de fait, ny de volonté. Car c’eſt vne pauure conſolation que celle dont les fols de ce temps font eſtat en leur vieilleſſe, ſe vantans d’eſtre bien diſpoſez à la mort, pource qu’il n’y a plaiſir, ne volupté, dont ils n’ayẽt fait eſſay, ou parce qu’ils ont fort voyagé, ou d’autant que tous les honneurs & dignitez de leurs païs leur ont paſsé par les mains. La raiſon eſt, que tant de belles qualitez ne font pas l’homme de bien, & ne luy rendent point l’eſprit plus ſage, ne plus heureux, ny mieux diſpoſé à ſupporter conſtamment les aduerſitez. Ceux qui ont eu tous leurs aiſes en ce monde ſans rechercher ce qui fait pour le ſalut de l’ame, qui ſe ſont donnez du bon temps, qui ont eu de grands honneurs : ceux-là ont beaucoup de peine à mourir, & ne peuuent quitter ce monde qu’auec vn extreme regret & deſplaiſir : & eſtans en cette agonie, ils ſe ſentent merueilleuſement tourmentez d’apprehenſion des ſupplices propoſez aux meſchans apres cette vie és enfers, & ſont contraincts d’entrer en conte auec eux-meſmes, & de faire vne reueuë & recherche de toute leur vie paſſee. S’ils n’y trouuent rien de bien, ny ſelon Dieu, ils ne tombent pas en vn ſomne doux, mais bien en de grandes perplexitez & angoiſſes d’eſprit, & meurent, comme dés lors commençans leur enfer. C’eſt à bon droit qu’Orphee faict ſeoir ſur le throſne de Iupiter Eunomie, comme vne bonne loy (ſelon que le mot le ſignifie) ou Iuſtice, comme auctrice de tout heur & felicité, ainſi que teſmoigne Demoſthene au Plaidoyé d’Ariſtogiton : Apres auoir connus toutes ces couſtumes, c’eſt auiourd’huy que vous deuez faire vn bon & equittable iugement, et ſur tout reſpecter Eunomie, amie d’equité, qui tient en ſa garde & protection chaque ville et prouince : et cette inexorable et venerable Iuſtice, laquelle Orphee, de qui nous tenons nos ſaintes ceremonies, dit eſtre aßiſe au throne de Iupiter, & eſpier toutes les actions des hommes.

Mõnoye de Ianus a deux visages, symbole de deux manieres de viure pratiquees ſous Saturne.D’autres ont eſcrit que Ianus fit battre de la monnoye auec vne marque à deux viſages, parce qu’apres qu’il eut receu Saturne chez luy, duquel il apprit la facon de viure auec plus d’humanité & de courtoiſie, & rendu les hommes plus affables, qui auparauant eſtoiẽt brutaux & ſauuages, on le tint pour vn Dieu & auteur de deux manieres de vie, veu que toutes deux s’eſtoient pratiquees de ſon temps : teſmoin Plutarque en la vie de Numa. D’autres auſſi tiennent que Iupiter empriſonna Saturne, & qu’il ne s’enfuit point. Platon eſt de cet auis en l’Euthyphron : Les hommes eſtimẽt (dit-il) que Iupiter ſoit le meilleur & plus iuſte de tous les Dieux, & neantmoins ils diſent qu’il mit ſon pere en priſon, parce que ſans droit & raiſon il deuoroit ſes enfans : & que cettuy-cy außi chaſtra ſon pere pour autre tel ſujet. Mais Homere au huictieſme de l’Iliade, ne dit pas que Iupiter ait empriſonné ſeulement ſon pere Saturne, mais auſſi Iapet ſon oncle, & qu’il les precipita tous deux au Tartare :

Ie ne m’eſtonne pas ſi fort de la cholere Que tu viens conceuoir d’vne volonté fiere, Et deuſſes-tu deſcendre au profond de la mer, Au profond de la terre, où iamais allumer On ne void le Soleil ſes flambeaux, où Saturne Et Iapet ſont enclos d’obſcurité nocturne, Non haſlez de chaleur, non des vens eſtonnez : Car l’infernal manoir les tient empriſonnez.

Neantmoins Lucian és Saturnales eſcrit que Saturne ne fut point empriſonné ny chaſsé de ſon Royaume par Iupiter, mais que volontairement & de ſon bon gré il luy quitta la Couronne, auec le maniment de tout ſon Eſtat, ne pouuant plus pour ſon aage ſupporter cette peine : ioint que pluſieurs autres Roys & Princes en ont faict de meſme. Menſonge la Sybile Erytree.Cependant Saturne n’a pas eſté le premier de tous les hommes qui ont regné, quoy que die la Sibylle ſuſdite, veu que deuant Saturne & Rhee Ophion & Eurynome fille de l’Ocean, auoient regné : leſquels furent auſſi nommez Titans ; auquel temps on dit que Saturne ſe ſaiſiſſant deſdits Ophion & Eurynome, que Rhee fit ietter dans le Tartare, eut la dominatiõ & ſeigneurie ſur tous les Dieux, iuſques à ce que Iupiter luy fit vn ſemblable trait. Inuentiõ de la faulx pourquoy attribuee à Saturne.Quelques anciens luy attribuent l’inuention de la faulx, parce que (comme il a eſté dit) il introduiſit en Italie vne facon de vie plus humaine que la premiere qu’ils menoient, & leur apprit le moyen & la façon de planter, ſemer & moiſſonner. Autres ont dit que ſa mere donna cette faulx, lors qu’il prind les armes contre ſon pere, pour deliurer ſes freres de priſon, & que d’icelle il couppa le membre genital à ſon pere le Ciel, qui depuis cheut en Sicile, comme dit Apollonius au quatrieſme des Argo-Nochers.

L’Iſle Cerauniene eſt de la mer enceinte, Où tumba cette faulx, ſelon la fable feinte, (Nymphes pardonnez moy ſi ie ſuis indiſcret ; Car c’eſt outre mon gré que ie dis ce ſecret) De laquelle Saturne auec grand vitupere, Tailla cruellement le membre de ſon pere.

Cette Iſle à cauſe de ladite faulx qui cheut dedans, fut depuis nommee Drepan, qui en Grec ſignifie vne faulx. Mais les autres veulent qu’elle ait eu ce nom de la faulx que Cerés eut de Vulcan, & la donna aux Titans, leur apprenant à ſejer les bleds. Cependant Timee tres-ancien auteur a creu qu’elle ait ainſi eſté appellee à cauſe de cette faulx auec laquelle Iupiter tailla Saturne, que l’on dit auoir été là cachée, au lieu que l’Iſle ſe nommoit auparauant Macris, du nom de la nourrice de Bacchus ; & depuis, Coryque, du nom de la fille d’Aſope. Les autres ont creu que la mere de Saturne ne luy donna pas cette faulx, mais que Telchyn, l’un des fils du Soleil & de Minerue, vint de Candie à Rhodes paſſant par Cypre, & que là il mit en œuure du fer & du cuiure dont il forgea cette faulx à Saturne, comme eſcrit Strabon au 14. de ſa Geographie. La plus verittable opinion eſt de ceux qui diſent que cette Iſle a eſté dicte Drepan, pource que les flots de la mer battans continuellement l’Iſle auec graude impetuoſité, ont ſi bien rongé & miné la terre, qu’ils l’ont creuſee en façon d’vne faulx. Saturne luxurieux Voyez li. 4. c. 12.Saturne fut fort enclin à luxure & actes veneriens : c’eſt pourquoy l’on en fait ce conte, qu’aimant Philyre fille de l’Ocean, comme il eſtoit en la iouyſſance de ſes amours, Ops ſuruenant le prit ſur le faict : mais de honte qu’il en eut, il ſe transforma en Cheual, afin de cacher ſes amours ſous telle forme. Ce que montre Virgile au 3. des Georgiques :

Tel Saturne leger ſa criniere eſpandoit Sur ſon col cheualin, ſurpris par la venuë De Rhee, et s’enfuyant, Pelion touche-nuë D’vn clair henniſſement tout retentir faiſoit.

Cruauté de Saturne.On luy preſentoit en ſacrifice des creatures humaines, voire meſme quelques-vns luy ſacrifioient de leurs propres enfans, comme teſmoigne Platon en Minos. Cette ceremonie dura en Italie iuſqu’à tant qu’Hercule y paſſa ; ce qui ſe faiſoit à l’imitation de Saturne, afin qu’il ne ſemblaſt qu’il euſt ſeul eſté cruel, taſchant à faire mourir tous ſes enfans.

L’autel de Saturne auoit touſiours des cierges allumez, pource qu’il auoit eſté comme la lumiere de la vie humaine, laquelle il auoit ramenee des tenebres, & de l’ignorance, à la cognoiſſance des arts & ſciences. Quand les Romains ſolemniſoient les Saturnales en l’honneur de ce Dieu, les maiſtres ſeruoient les ſeruiteurs, en memoire de cette ancienne liberté de tout le monde qui fut ſous ſon regne, lors que perſonne ne ſeruoit à autruy. Etymologie de Saturne ridicule.Ceux qui veulent que les Latins ayent nommé Saturne de ces deux mots, Satur annis, hé combien ſont-ils ridicules ? Car celuy que les Latins auront nommé comme Saoul d’annees (c’eſt ce que ſignifient les mots Latins) ſera-ce luy meſme que les Grecs appellent krónos, ou bien vn autre ? Cette etymologie eſt de mauuaiſe grace : ou bien ie voudrois que ces gentils interpretes de noms me diſſent, puis-que krónos, vien de koreìn, c’eſt à dire, ſaouler ; s’ils eſtiment qu’il faille en la compoſition de ce nom adiouſter ſur la fin cette diction ónos, qui ſignifie aſne. Si l’on ne l’y adiouſte, il ſemblera que ſon nom Latin ſoit plus ancien que le Grec, ce qui eſt faux. Si on l’y adiouſte, il ſignifiera que Saturne ſe ſaoule d’aſnes ; & qu’y a-il de plus ridicule que cette etymologie ? Ce nom eſt Cimbrique ; & vaut autant comme grande & puiſſante ſemence, d’autant qu’apres ce desbord general le genre humain fut reſtably par ſa ſemence. Pour meſme raiſon fut il ſemblablement appellé Hercul par les Scythes, cõme qui diroit Teſticule commun. Car Her en langue Scythique ſignifie commun, ou public, & qui concerne vn chacun. Her-man, aduertiſſeur public. Her-alt, ſenateur public : & Cul, teſticule. Or apres auoir ſommairement expoſé les geſtes de Saturne, voyons ce que les Anciens ont caché ſous tels contes.

Expoſition hiſtorique & phyſique de la fable de Saturne.Quelques vieux hiſtoriens ont eſcrit que Saturne regna en Egypte, & qu’il eſpouſa ſa ſœur Rhee, de laquelle il eut Iupiter & Iunon, qui par leur valeur & beaucoup de belles perfections qu’ils eurent, ſe firent ſeigneurs de tout le monde. Qu’ils eurent cinq enfans, Oſiris, Iſis, Typhon, Apollon & Venus : & qu’Oſiris eſt ce Denys, ou Bacchus, dont les Grecs font tant d’eſtat ; & Iſis, Cerés. Que Saturne ſoit né du Ciel & de Rhee, qui eſt la terre, cela ne ſignifie autre choſe, que ce que nous auons dict cy-deſſus, à ſçauoir que le temps a eſté creé auec l’agitation & mouuement du ciel & des eſtoilles, comme l’eſtiment ceux qui ſçauent que Dieu a baſty & fondé ce monde. Quelques-vns croyans que Ianus fuſt le Soleil, & Saturne le Temps, & qu’ils regnaſſent enſemble d’vn commun accord & conſeil, luy ont donné vne clef & vne houſſine, ou gaule, comme à celuy qui auoit vne ſouueraine puiſſance. Car ils penſoient qu’il euſt la clef, pource que de iour il en ouuroit le monde, & le fermoit ſur le ſoir. Les autres luy ont faict porter la clef, comme eſtant arbitre de la guerre, & de la paix : toutes leſquelles choſes il faut prendre pour prudence. Image de Saturne expliquee.Pour cette raiſon ils l’ont repreſenté en forme d’vn vieil homme, portant vne faulx, teſte nuë, auec vne robbe deſchiree, & tendant vn Serpent, autour duquel eſtoient deux garçons & deux filles, repreſentans les quatre elemens. En ſa main gauche il tenoit vn Serpent qui ſe mordoit la queuë, d’autant que toutes ces choſes montrent le temps & les changemens & reuolutions des affaires de ce monde. Chaſtrement du Ciel par Saturne expoſé.Mais pourquoy couppa-il les genitoires à ſon pere ? Ciceron l’explique au 1. de la nature des Dieux. Car quelques-vns des Anciens penſans que Saturne fuſt l’æther, ou ciel, ont dit qu’il tailla ſon pere, pource que Dieu a creé vn æther, & n’y en peut auoir d’autre : & ſi l’on le prend pour le Temps, tout reuiendra à vn. Accord de Saturne auec Titan.Il fit telle capitulation auec ſon frere Titan, qui eſt le Soleil, qu’il occiroit tous ſes fils. Et que veut dire cela, ſinon que le Soleil a complotté auec le Temps, que tout ce qui naiſtroit, prendroit bien toſt fins ? comme ainſi ſoit que le Soleil eſt autheur de la generation & corruption des choſes naturelles, deſquelles aucune ne ſe faict qu’auec le temps. Gloutõnie & reuomiſſement de Saturne expliqué.Puis donc que toutes choſes ſont ſubjettes à changement, & que tout ce qui a commencement doit auoir fin quelque iour : pource que les choſes compoſees ſe reſoluent en fin en leurs commencemens, & le temps eſt l’architecte du changement d’icelles voila pourquoy l’on dit que Saturne deuoroit ſes enfans. Que Saturne ait vomy la pierre, & tout le reſte qu’il auoit aualé, que veut dire cela ſinon qu’au prix que quelques choſes meurent & prennent fin, nature en renouuelle d’autres qui s’emparent de leur place ? Car voicy ce que dit Sophocle en Aiax ;

Tant peut le temps long & ſans nombre, Que ce que l’on ſçait, il l’enombre L’enueloppant d’obſcurité, Mais il fait venir en clarté Ce dequoy l’on n’auoit que l’ombre.

Or que Saturne ſoit le Temps, & rien autre, qui deſtruit tout, & produit tout, ce vers d’Orphee en l’hymne de Saturne le montre :

Qui produis toute choſe, & deſtruis tout auſſi.

Et Eſchyle és Eumenides :

Le temps tout à coup vieilliſſant Vient toutes choſes fleſtriſſant.

Et ne faut s’eſtonner, puiſque nous diſons que Saturne eſt le Temps, ſi l’on en a faict vn Dieu, veu que Sophocle en l’Electre appelle ouuertement le Temps, Dieu.

Le temps eſt vn Dieu tres-facile.

Car puiſque le Soleil tire tantoſt vers le Septentrion, tantoſt vers le Midy, & rameine tantoſt l’eſté, tantoſt l’hyuer, & que ſelon les ſaiſons tout ce qui s’engendre & ſur la terre & dans la mer, tire de luy les commencemens & les cauſes de ſa naiſſance : c’eſt à bon droit qu’Orphee qualiſie Saturne, Pere des hommes & des Dieux :

Saturne porte-feu, Pere aux Dieux & aux hommes.

Faulx de Saturne pourquoi cachee en Sicile.Il ſemble que ceux qui luy ont faict porter la faulx, n’ayent entendu autre choſe, ſinon que Saturne fuſt le temps meſme, qui trenche tout, renuerſe tout, terraſſe tout ; ioint que les Anciens la font auſſi porter au Temps :

Le Temps par ſa longueur et pierre & fer ameine A rien, & trenche tout de ſa faulx inhumaine.

Ils content que la faulx, ſoit de Iupiter, ſoit de Cerés, fut cachee en Sicile, à cauſe de ſa fertilité & grand rapport de bled, & d’autres choſes neceſſaires à la vie humaine. Car la Sicile eſt l’Iſle preſque la plus fertile de toutes, comme eſcrit Polybe au 1. liure de ſon hiſtoire. Et le plus renommé d’entre les Poëtes Grecs en parle ainſi :

Il n’eſt point de beſoing luy deſchirer l’entraille Au coutre fend-gueret, ny fourny de ſemaille. Elle de ſon bon gré & propre mouuement, Porte orge, porte bled, & maint bois de ſarment Qui des fruits de Bacchus richement ſe foiſonne, Et d’une pluye à gré Iupiter l’aſſaiſonne.

Car beaucoup de gens penſent que le premier bled qu’on a cueilli ait eſté trouué en Sicile : & ce qui l’a faict ainſi croire, c’eſt qu’en vne plaine de ce Royaume, nommee Leonce, croiſſoit du bled ſauuage ſans ſemer. Voyez liu.3.cha. 16.On dit que Proſerpine fut rauie prés d’Enna ville de Sicile, en certaine prairie où les violettes & pluſieurs autres fleurs de bonne odeur venoient d’elles meſmes, qui en tout temps y flairoient ſi bon, qu’elles empeſchoient le nez des chiens chaſſans de ſentir le gibbier. Cette prairie eſt plaine & vnie au milieu, & tout autour s’eſleuent des coutaux plaiſans : de facon qu’à bon droit l’appelle-on le nombril de l’iſle. Elle eſt enuironnee de fontaines, ruiſſeaux, bois & vergers, où y a vn mareſts & vne cauerne auprés aſſez grande, auec vn gouffre ſouſterain, par où l’on dit que paſſa le chariot de Pluton emmenant Proſerpine. Mais pourquoy eſt-ce que Iupiter chaſſa Saturne de ſon Royaume ; pourquoy l’enchaina-il ? pourquoy l’enuoya-il au Tartare ? Saturne pourquoy chaſsé, enchainé & empriſonné par ſon fils.Parce que les corps d’en-haut & celeſtes, qui ſont par deſſus les elemens & les ſimples corps, fourniſſent de force & de vigueur aux corps inferieurs, qui ſont ſous eux, & ſubjets à changement, eſtant eux exempts de vieilleſſe, trauail & mutation, ſelon l’opinon des Peripateticiens. Ils ont donc appelé Tartare ce lieu bas, ſubiet à corruption & perturbation. Voila comme quoy Iupiter, & auſſi ſes freres ſe deliurerent de la cruauté de Saturne : ſes freres ſont les elemens, deſquels encore que chaſque partie ſe puiſſe corrompre, ſi ne peuuent-ils perir tous en bloc. Saturne planete tardiue & peſante.Toutesfois Lucian au dialogue de l’Aſtrologie eſcrit que la Fable diſant que Saturne fut ainſi garotté, vint de ce que cette Planete eſt d’vn mouuement tardif & peſant, & que iamais Saturne ne fut lié, ny ietté au Tartare : qui a donné lieu à la meſme Fable, à cauſe de beaucoup de tournoyemens & varietez qui ſuruiennent en ſon mouuement. Et parce qu’on ne le peut voir qu’auec peine, cela fit dire qu’on l’auoit enfondré au Tartare ſous terre, laquelle tardifueté, peſanteur & varieté de mouuement, Virgile exprime en vn vers au premier des Georg.

Où ſe ſauue la froide eſtoille de Saturne.

L’Italie fut du nom de Saturne nommee Saturnie, & creut-on qu’elle luy fut conſacree à cauſe de beaucoup de biens & bons offices qu’il auoit faits aux Italiens, comme dit Denys Halycarn. au 1. liu. Et ne faut s’eſtonner (dit-il) ſi les Anciens ont creu que cette prouince fuſt ſacrée à Saturne, veu qu’ils ont tenu ce Demon pour eſtre autheur aux hommes et pouruoyeur de tous biens, de tout bon-heur et proſperité, Diuers noms de l’eſprit diuin.ſoit qu’il le faille nommer Crone, ou Temps, comme eſtiment les Grecs, ou Saturne, comme les Romains. Quelque nom qu’on luy donne, il comprend & embraſſe la nature de tout cet Vniuers. L’eſcole de Platon, prenant ce Cœlus pere de Saturne, pour l’vn des Dieux, mais non pas pour ce grand & hault firmament qui contient toutes choſes, ny pour cet Eſprit ou Entendement diuin qui comprend les autres ; appelle cet Entendement tantoſt Iupiter, tantoſt Venus, tantoſt Saturne : & parce que tous luy aſſignent ſa place principalement au ciel, & luy font gouuerner & conduire toutes choſes ſelon ſa volonté ; pour cette cauſe ont-ils dit que Cœlus, ou la vertu & energie de cet Entendement qui prouient du Ciel, & s’eſpanche en tous corps, engendra Saturne. Quand on entend cet Eſprit qui gouuerne la region ætheree, lors on l’appelle Iupiter : mais quand il deſcend és corps d’em-bas pour les exciter & preparer à la generation, lors on le nomme Venus. De là vient que Saturne ſe prend quelquefois pour cet Entendement celeſte, qui donne loy generalement à toutes choſes, & qui par ſa prouidence diſpoſe de tout, & ordonne tant la vie que les changemens qui ſuruiennent en icelle. Or voila comment on peut expoſer par raiſons naturelles les contes qu’on fait de Saturne, fondez, comme ie croy, ſur les geſtes de ce Dieu : leſquels contes les Anciens ont ainſi forgez, tant pour donner carriere à leur eſprit, que pour retenir les hommes en leur religion. Expliquons-les maintenant ſelon l’Aſtronomie.

Qualitez de l’eſtoile de Saturne.Ceux qui font profeſſion de dreſſer & recercher les natiuitez des hommes, eſcriuent que l’eſtoille de Saturne eſt froide & ſeiche, & par conſequent abondante en melancholie, & rend les hommes ſur qui elle domine en leur naiſſance, enuieux, malins, ſuperbes, altiers, auares, & tardifs à ſe courroucer, mais nourriſſans long temps leur cholere, & neantmoins ſont gens de bon conſeil & d’eſprit, hardis és dangers, & d’vne meure & raſſiſe prudence. Que toutesfois cette malignité ſe corrige & addouciſt par la conionction, ou reception, ou oppoſition de Iupiter, au troiſieſme, ou ſixieſme aſpect. Car tout-ainſi que Mars eſtant és angles du Ciel, en ſa ſeconde maiſon (comme on dit) ou en la huictieſme, preſage beaucoup de choſes à ceux qui naiſſent ſous luy : duquel toutesfois Venus amoindrit & tempere la malice, ou s’oppoſant à luy, ou ſe conioignant auec luy, ou le receuant, eſloignee de luy, ou de la ſixieſme partie du cercle, ou de la troiſieſme ; & luy fait poſer preſque toute ſa rage & fureur ; de meſme en prend-il à Saturne par la venüe de Iupiter. Saturne pour quoy garotté.Voilà pourquoy les Poëtes ont feint que Iupiter auoit lié & garotté ſon pere Saturne, qui eſt ſous le cerceau dudit Saturne, & qu’il l’auoit ietté dans le Tartare, parce qu’il luy rompt ſes coups, & affoiblit ſes forces. Que ſi l’opinion de ceux qui enſeignent que les Aſtres ſignifient ſeulement aux hommes la volonté des Eſprits celeſtiels, & qu’ils n’ont aucune puiſſance, ny moyen de nous eſmouuoir, eſt verittable ; pourquoy eſt-ce que les Sages ont dit que Venus caſſe & briſe la malignité de Mars, & que Iupiter retarde, allentit & rembarre celle de Saturne ? Raiſon de la trãsformatiõ de Saturne en cheual.Quant à ce qu’ils ont dict que Saturne ſe transforma en Cheual, animal fort paillard, & qui ſe perd & gaſte ſouuent d’amour, iuſques à en deuenir enragé & furieux, c’eſt d’autant que la force & faculté de ladite planete rend ſecrettement les hommes enclins à l’amour, voire meſme engendre vn appetit furieux de Venus és corps ſur leſquels il domine beaucoup. Ils maintiennent qu’il donna l’inuention de beaucoup de bonnes commoditez, parce que les melancholiques, & ceux ſur la naiſſance deſquels Saturne commande & ſeigneurie, ont ordinairement l’entendement bon, & la ceruelle bien faicte, accompagnee de ſageſſe. Outre-plus comme ainſi ſoit qu’on ait approprié chaſque metal à chaſque planete, ſelon qu’il y a plus de correſpondance de l’vn à l’autre, les Chymiſtes, bourreaux des metaux, ont appliqué preſque toute cette fable à leur art, ſe vantans de vouloir enſuiure Gebre, Hermés & Raymond Platoniciens. Car ils diſent que les Anciens ont feint que Iupiter couppa les genitoires à Saturne auec vne faulx trenchante, & les ietta dans la mer, deſquels, meſlez auec l’eſcume de la mer, Venus naſquit : d’autant que Saturne eſt vn certain ſel, pere de Iupiter, c’eſt à dire du ſel preparé, qui ſe fait d’iceluy preparé. Mais pource que Iupiter eſtant en vn vaiſſeau de verre, par la force du feu ſe reſoult en vne eau ſubtile & fort deſliee, laquelle auſſi Iupiter prend, y apportant auec ſoy ſes forces viriles, coupant & ſeparant le ſoulphre qui eſt au dedans & caché dans le ſel, qui retombent au vaiſſeau preparé pour les receuoir : pour cette cauſe, diſent-ils, que les parties genitales furent coupees à Saturne, & que le ſel tumbant en l’eau comme dans la mer, dudit ſel & du ſoulphre ſe fait Venus. Car ces bourreleurs de metaux taſchent de forger en leurs fourneaux tels & autres moyens ſemblables, pour transformer les metaux en autres eſpeces, eſpouuentez de l’hideuſe face de Pauureté, ayans touſiours & au cœur & en la bouche cette gentille parole de Timocle :

L’argent eſt la vie & le ſang. Qui n’en a point, il ne tient rang Non plus que d’vn treſpaßé l’ombre, Qui parmy les vifs erre ſombre.

Image de Saturne expoſee.Or les anciens peignoient Saturne en façon d’vn vieil homme paſle & deffaict, courbé, tenant d’vne main vne faulx, & vn Serpent qui ſe mordoit la queuë : de l’autre il fourroit en ſa bouche vn petit enfant qu’il deuoroit. Il auoit le caſque en teſte, auec vn voile par deſſus : & quatre fils aupres de luy, auſquels Iupiter couppoit les genitoires & les iettoit en la mer, dont naiſſoit Venus. Ce qu’on le peignoit ainſi vieil & caduc, c’eſtoit à cauſe de ſa tardiueté & longueur, & du peu de chaleur qu’il a : il portoit vne faulx, parce que c’eſt vne planette retrograde : ce qui eſtoit auſſi monſtre par le Serpent. Il deuoroit ſes enfans, pource que peu de ceux qui naiſſent ayans Saturne dominant ſur leur horoſcope, viuent. Iupiter luy trenche le membre viril, à cauſe que ſe ioignant à luy il tempere & amoindrit la malice d’iceluy ; & le deboutte de ſon throne Royal, d’autant qu’il s’eſleue & ſe hauſſe au cercle de Saturne. Voila le pourtraict & l’interpretation que quelques Anciens en ont ordonné. Cela ſuffiſe pour le ſens naturel & aſtronomique : il ne ſera mauuais d’auiſer maintenant s’il ſe peut accommoder à l’uſage de la vie humaine.

Expoſition morale de la Fable de Saturne.Que Saturne ait chaſſé ſon pere de ſon Royaume pour l’outrage qu’il auoit fait à ſes freres, que ſignifie cela, ſinon que Dieu venge enfin l’iniquité & la violence des hommes ? veu que nul meſchant ne peut long-temps eſtre heureux. Comme de faict autant en aduint à Saturne à ſon tour, pource qu’vne iniquité ne ſe peut guerir par vne autre iniquité. Et pourtant ceux qui ſe vengent des outrages qu’on leur peut auoir faicts, doiuent premierement auiſer comment ils y peuuent proceder en gens de bien : & faut que nous faſſions eſtat de receuoir de nos enfans tout tel traittement que nous aurons faict à nos parens : car chacun ſe regle ordinairement ſelon les exemples qu’il void. Que ſi quelqu’vn deuient ſage apres auoir été chaſtié de ſes fautes, il trouue par experience qu’il n’y a nation bien policee qui ne recoiue les gens d’honneur & de vertu, & que les gens de bien trouuent demeure & retraitte par tout, & que s’il y a tant ſoit peu de bon-heur & de proſperité au monde, le ſage en a ſa part. Au demeurãt aucuns tiennent que Saturne eſt ce grand Nembroth fondateur de Babylone, & entrepreneur de la tour de Babel, 131. an apres le deluge, laquelle il n’acheua pas, aduenant la confuſion des langues. Et parce qu’en la 56. annee de ſon œuure il diſparut tout à coup, le bruit courut qu’il auoit eſté tranſporté au Ciel parmy les autres Dieux. Il eſt plus ancien que tout cela. Car c’eſt le Noé des Hebrieux, qu’ils ont auſſi nommé Ogyges, pour auoir ouuert la porte au genre humain, qu’il reſtablit par ſa ſemence apres que les eaux ſe furent retirees de deſſus la terre, comme nous auons marqué cydeſſus en l’etymologie de ſon nom. C’eſt aſſez diſcouru de Saturne : paſſons à Cœlus ſon pere.