Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - II, 05 : De Junon<span style="color: #ff0000;"></span> Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Iunon.

CHAPITRE V.

Genealogie de Iunon.NOVS auons cy-deſſus mis Iunon entre les enfans de Saturne. Car on nous fait accroire qu’il n’eut que deux filles, Glauque & Iunon. La capitulation de Saturne auec les Titans portoit (comme nous auons dit) qu’il feroit mourir tous les hoirs maſles qui luy naiſtroiẽt : mais il luy eſtoit permis de nourrir ſes filles, cõme ſexe non capable de la Courõne. Naiſſance de Iunon.Or Iupiter & Iunon nais d’vne meſme ventree, les Corybantes emporterent ſecrettement Iupiter en Candie : & Iunon fut preſentee à Saturne cõme nee toute ſeule ; ce qu’il creut. Quant au lieu de ſa naiſſance, l’on n’en trouue rien de certain, les vns la diſans nee çà, les autres là. Strabon au 9. liu. dit qu’elle naſquit à Argos, dont elle eſt ſouuent nõmee Argiue. Homere eſt de cet aduis au 4. de l’Iliade, & en pluſieurs autres paſſages, eſquels il la qualifie de ce ſurnom. Toutesfois Pauſanias en l’eſtat d’Achaie eſcrit qu’elle eſtoit de Samos, & que les Samiens mainte-noient qu’elle eſtoit nee chez eux, prés de la riuiere d’Imbraſe ſous vn agnus caſtus. Si ne ſe peut-il faire qu’elle ſoit nee en tous les deux lieux. La plus commune opinion tient qu’elle naſquit à Samos, à laquelle conſent Virgile au 1. de l’Æneide, & Apollodore au 1. du voyage de la toiſon d’or. Samos s’appelloit premierement Melante & Anthemuſe, & fut depuis nommee Parthenie, ou Virginale, d’autant que Iunon eſtant fille fut là nourrie. Ses nourrices.Ses nourrices furent Eubœe, Porſymne & Acree filles de la riuiere d’Aſterion, ſelon le dire de Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe. Nous liſons qu’Olés, tres-ancien Poëte compoſa certains airs en l’honneur de Iunon, eſquels il diſoit que les Heures l’auoient nourrie. Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie eſcrit que ce fut Temene. Ouide au 2. de ſes Metamorphoſes dit, que ce furent les filles & Nymphes de l’Ocean :

Mais vous ſi quelque eſmoy le cœur vous eſpoinçonne Pour l’outrage qu’on fait à voſtre nourriſſonne, De voſtre goulfre bleu chaſſez les ſept Trions.

Autres veulent que l’Ocean & Tethys l’ayent nourrie : ainſi le teſmoigne elle meſme en Homere au 14. de l’Iliade :

Ie m’en vay voir les fins de la nourrice Terre, Et l’Ocean chenu, qui de ſes bras l’enſerre, Origine des Dieux, & la mere Tethis, Qui m’ont nourry chez eux mes ans plus petits.

Tandis donc que Iunon fut fille, elle demeura en Samos ; ce qu’ils prouuent par les Sacrifices ſolemnels qui ſe faiſoient là tous les ans à l’honneur d’icelle en façon d’vne Deeſſe qui ſe mariaſt, comme eſcrit Lactance. Or voicy comme l’on conte, qu’eſtant paruenuë en aage mariable elle fut faicte femme de Iupiter ſon frere. Transfiguration de Iupiter, amoureux de Iunon.On dit qu’il deuint infiniment amoureux d’elle, & que la voyant vn iour ſeule hors de la compagnie des autres Deeſſes, deſirant s’eſuanouïr & cacher de ſa preſence, il ſe transforma en Coqu, & s’enuola vers la montagne de Thronax, qui depuis pour cet incident porta le nom de Coqu ; ſur laquelle Iunon s’eſtoit pour lors retiree en ſolitude, preuoyant vne groſſe tempeſte que Iupiter auoit ſuſcitee pour cet effect. Ainſi tout tremblottant de froid il ſe vint rendre à elle, & ſe poſa ſur ſes genoux ; duquel ayant pitié, elle le mit ſous ſon voile, ou (comme diſent les autres) ſous ſon cottillon. Lors eſtãt rechauffé il reprint ſa premiere forme & joüit de ce que plus il deſiroit, mais craignant ſa mere, elle ne voulut condeſcendre à ſon amour, que premierement il ne luy promit & iuraſt de l’eſpouſer, dequoy nous auons amplement diſcouru cy-deſſus. Et pourtãt les Argiens, qui particulierement affectionnez à cette Deeſſe, l’adoroiẽt plus religieuſement que toute autre nation, eſleuerent ſon effigie dans ſon Temple, ſiſe ſur vn throſne auec le ſceptre en main, ſur le haut duquel eſtoit vn Coqu, cõme dit Dorothee au 2. liure de ſes transformations. Lucian aux dialogues des morts eſcrit que Iupiter ſuiuit en cela la couſtume des Perſes & des Aſſyriens, qui prenoient à femmes meſmes leurs plus proches parentes. Depuis elle fut commiſe ſur les mariages : & quand on luy ſacrifioit deuant les nopces, on iettoit derriere l’autel le fiel des offrandes. Enfans de Iunon.Elle engendra Mars, Argé, Illithye, & Hebé, ſelon le teſmoignage de Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe. Vulcan conceu & enfanté ſans operation d’hõme.Et Lucian és ſuſdits Dialogues dit que ſans compagnie d’aucun maſle elle conceut en meſme inſtant, & enfanta Vulcan, comme nous dirons en ſon lieu. On conte dauantage, qu’en Argos y auoit vne fontaine, nommee Canatho, en laquelle Iunon ſe lauant tous les ans, recouuroit ſa virginité. Ce propos vient de certaines ſolemnitez & myſteres qu’ils celebroiẽt entre-eux auec beaucoup de deuotion & de ceremonies, comme dit Lyſimache Alexandrin, au 13. liure de l’Eſtat de Thebes, & Pauſanias en celuy de Corinthe. Aſtuce de Iupiter pour rentrer en grace auec Iunon.On dit auſſi que Iunon eſtant vn iour en mauuais meſnage auec Iupiter, ſe retira en l’iſle de Negrepont, laquelle ne pouuãt par aucun moyen appaiſer ny r’entrer en ſes bonnes graces, il s’en alla trouuer Cytheron, Roy des Plateens, le plus ruſé & le plus accort qui fuſt de ce tẽps-là. Par ſon conſeil & aduis Iupiter fit vne image de bois, qu’il habilla magnifiquement, & la mit ſur vn chariot, faiſant courir le bruit qu’il vouloit eſpouſer Platee, fille d’Aſope. Teſmoignage de la ialouſie de Iunon.Ce qu’entendant Iunon, de ialouſie qu’elle eut, elle s’en vint à ce chariot, & deſchirant auec colere les habillemens de cette idole, connut la fourbe, & ſe prenant à rire fit ſon appointement auec Iupiter. C’eſt ce que conte Dorothee au 2. de ſes contes fabuleux. Les Anciens l’appelloient Preſidente des nopces & des mariages : teſmoin Virgile au 4. de l’Æneide :

Et ſur tous à Iunon, qui ſoigne l’attelage Des liens coniugaux & du ſaint mariage.

Et pour ce regard elle fut ſurnommee Nopciere, comme dit le meſme Poëte :

La Nopciere Iunon, & la terre premiere Pour donner le ſignal.—

Et Ouide en l’epiſtre de Phyllis :

Et Iunon preſidant ſur les licts Nuptiaux.

C’eſt pour ce ſubiect que quelques-vns l’ont pourtraicte debout & veſtuë, tenant des teſtes de pauot à la main, auec vn joug à ſes pieds, ſignifiants par le joug que le mary & la femme doiuent demeurer ioincts enſemble : & par les teſtes de pauot, leur lignee qui foiſonne par-apres en grand nombre, Ceux de Lanuuium l’adoroient ſous le ſurnom de Sopite, c’eſt à dire Sauuereſſe, affublants ſon image d’vne peau de Cheure, & l’equippans d’vne pique & d’vne targe. La Iunon d’Argos eſtoit enuirõnee de rameaux de vigne, & auoit ſous les pieds vne peau de Lyon, comme meſpriſant ceux-là en deſdain de Bacchus, & ceſte-cy en haine de Hercule. Car elle haïſſoit également, & Bacchus & Hercule, comme maraſtre de tous les deux. Vne medalle de l’Empereur Nerua monſtre vne matrone couronnee de rayons, ſeant en vn ſiege haut eſleué, tenant de la main gauche vn ſceptre, & de la droicte des ciſeaux. Suidas en donne cette raiſon : que comme l’air ſignifié par Iunon purge & nettoye : ainſi les cheueux & le poil couppez auec des forces, rendent les corps polis & nets. Pluſieurs ont creu cette image eſtre de Iunon. Mais la deuiſe & l’inſcription d’alentour la diſent la fortune du peuple Romain.

Hercule allaicté & faict immortel par Iunon.On dit que Iunon allaicta Hercule enfant, afin qu’il obtint immortalité, Pallas le luy ayant pour cet effect apporté. Item que Iupiter approcha vn iour Hercule enfant, de la mammelle de Iunon ainſi qu’elle dormoit, laquelle le repouſſant à ſon reſueil, vne partie du laict qui cheut parmy le ciel, traca cette ligne ou voye qu’on appelle Voye laictee, & celle qui tumba ſur la terre fit deuenir les fleurs de Lis blanches, qui auparauãt eſtoient ſafranees. Cette voye (ou cercle) laictee commence du paralelle du Pole Artique, & arriue au parallele du Pole Antartique, qui ſont les Poles du monde : diſtinguee & ornee de pluſieurs Eſtoilles grandes & petites. Quant à la blancheur de ce cercle, les Aſtrologues & Naturaliſtes n’ont iamais bien determiné d’où elle procede. Elle eut trois places, entre autres, où elle eſtoit fort religieuſement ſeruie, leſquelles elle dit au 4. de l’Iliade d’Homere luy eſtre merueilleuſement agreables :

I’ay trois villes à moy, Sparte, Argos &Mycene, Que i’ay touſiours aymé d’amitie ſouveraine.

Iunon eſtoit en grande deuotion adoree en pluſieurs endroits, mais principalement en Elide, comme dit Pauſanias és Eliaques, ou Ieux Iunoniens.ſeize Dames ordonnoient des ieux & prix de cinq en cinq ans, qu’on appelloit Iunoniens, & diuiſans les filles par bandes, ſelon leur aage, leur propoſoient la iouſte de la courſe. Les plus ieunes filles entroient en lice les premieres : puis apres les plus auancees en aage : & pour la fin les plus aagees de toutes, leſquelles alloient auſſi courir aux iouſtes Olympiques, mais on leur donnoit vne plus courte lice ou carriere qu’aux hommes. Il y auoit à Lacedemone vn Temple dedié à Iunon Hypercherienne, baſty par le commandement de l’Oracle, lors que la riuiere d’Eurotas ſe deſborda par le pays. Iunon eſtoit auſſi nommee Nenus, à laquelle les Dames ſouloient faire des vœux pour le mariage de leurs filles, comme à celle qui en auoit la charge & commiſſion. Elle eſtoit encore adoree à Crotone, ville d’Italie, de plaiſante ſituation ſous le nom de Lacinie, comme teſmoigne Denys au liure de la ſituation du mõde, diſant que ſur le bort de la riuiere d’Aiſare y auoit vn Temple haut eſleué, dedié à Iunon. Les Anciens la tenans pour Royne des Dieux, la pourtraoient auec vn ſceptre & diademe. Suiect de la haine de Iunon contre Hercule.On dit qu’elle vouloit mal de mort à Hercule, parce qu’il eſtoit né d’Alcmene, concubine de Iupiter, pour l’amour de laquelle elle haïſſoit toute la nation Thebaine, & pour cette cauſe Hercule la bleſſa, ſelon le teſmoignage d’Homere au 5. de l’Iliade :

Iunon meſme pâtit, quand d’vn traict triple-pointe Le fils d’Amphitryon l’eut rudement atteinte. Dedans le tetin droit.—

Voyez liure 7. chap. 1Chapitre 2, p. 703.. Neantmoins apres luy auoir ſuſcité vne mer de difficultez, trauerſes & dangers, elle fut cauſe qu’il obtint entre les hommes vne gloire immortelle. Et n’y eut quaſi perſonne à qui elle vouluſt mal, qui n’ait acquis en ce monde vne reputation admirable, & remporté loüange infinie des trauaux & perils qu’elle leur auoit propoſez ; veu que la gloire & valeur ne conſiſte qu’en choſes hautes & de conſequence. Mais le ſujet de la haine qu’elle portoit à beaucoup de gens, procedoit de ce qu’eſtant d’vn courage altier & vertueux, elle ne pouuoit patiemment ſouffrir qu’vn autre euſt part à ce que Iupiter ſon frere & mary ne deuoit legitimement qu’à elle ſeule. Voilà la cauſe de ſes jalouſies. Iupiter plus grand paillard que tous les autres Dieux.Et de faict il n’y auoit aucune Deeſſe à qui ſon mary fiſt ſouffrir plus d’ennuy qu’elle en enduroit, pour la grande quantité de concubines & courtiſanes que ſon Iupiter aymoit & entretenoit. Pour cette cauſe Numa, Roy des Romains, defendit par vne loy, qu’aucune concubine ou putain, n’entraſt au Temple de Iunon : Qu’vne concubine ou putain, ne touche point le Temple de Iunon : ſi elle le touche, qu’elle ſacrifie à Iunon vne Agnette, ayant ſes cheueux eſpars & auallez. Cette-cy, comme les autres Dieux, qui de crainte des Geans s’enfuyoient en Ægypte, & prenoient l’vn vne forme, l’autre vne autre, ſe transfigura en Vache, comme dit Ouide au 5. de ſes Metamorphoſes :

Transfiguratiõs des Dieux, fuyãs l’effort des Geans.La Nymphe conte apres que Typhon terre-né Suiuit des Dieux la trouppe, en courroux forcené, Iuſques aux bords du Nil ; qu’elle de peur eſmeuë En maint corps ſuppoſé ſe deſguiſe & tranſmuë. Que Iupiter, des Dieux le Grand-maiſtre tenu, Se transforma ſoudain en vn Mouton cornu : Que ſa toute-puiſſance en Lybie honoree, Sous ſi bel equipage en eſtoit adoree. Que le Dieu Delien Apollon au corps-beau, Tremblant de peur ſe mit en forme de corbeau : Que Bacchus deuint Bouc ; Mercure Cyllenie De Cigogne emprunta le corps & l’effigie. Elle chante outreplus d’vn meſme accord & ſon, Que Venus ſe cacha ſous l’habit d’un poiſſon, Et que Iunon ſe fit vne Vache negine, Et Diane veſtit d’vne Chatte la mine.

Elle fut anciennemẽt tenuë pour Royne des richeſſes : ce qu’auſſi tiẽt Ouide en l’Epiſtre de Pâris : en laquelle il introduit les trois Deeſſes agitees d’vne ſi ardente conuoitiſe d’emporter la pomme d’or : & chacune en particulier d’eſtre iugee la plus belle, que Iunon taſchoit à corrõpre ſon luge par promeſſes de Couronnes, de Sceptres, Royaumes, & toutes autres grandeurs & richeſſes. Minerue luy faiſoit ſi grand’feſte de vertu & de ſageſſe, qu’il fut long-temps en doute laquelle il deuoit prepoſer. Voyez le 23. ch. du 6. LiureMais enfin Venus l’engeolla ſi chatoüilleuſement, que plus luxurieux qu’equittable, il donna ſentence en faueur d’elle. Quant aux Sacrifices qu’on ſouloit offrir à Iunon, c’eſtoit communément vne Geniſſe ou Vache blanche ; teſmoin Virgile au 4. de l’Æneide :

—Vne couppe en ſon poing Prend la belle Didon, & le vin en eſpanche Emmy le front cornu d’vne Geniſſe blanche.

Oïe pourquoy cõſacree à Iunon & à l’Inache.L’Oye fut conſacree à Iunon & au fleuue Inache ; parce que cet animal a cette proprieté de preſentir fort aiſément tout changement de temps, tant petit ſoit-il. Venus ſuſpendue en l’air par Iupiter.On dit que Iupiter ſouſpendit vne fois cette Deeſſe emmy l’air, au moyen des pantoufles d’aimant, que Vulcan luy fit pour ſe venger de l’iniure qu’il auoit receuë d’elle, & luy attacha ſous les pieds deux enclumes, luy garrottant les mains d’vne chaine d’or. Ce que voyans les autres Dieux, ils en furent tres-mal contens & ne la peurent neantmoins deſlier : comme luy reproche Iupiter au 15. de l’Iliade :

Ne te ſouuient-il plus du temps que tu pendois Haut en l’air attachee, & qu’aux pieds tu auois Deux enclumes de fer, quand de chaines dorees Ie t’enfermay les mains eſtroittement ſerrees, Sans que rien peut diſſoudre ou rompre ce lien ? Les Dieux ſe depitoient au mont Olympien, De te voir emmy l’air penduë en cette ſorte, Sans pouuoir deſlier vne chaine ſi forte. Et lors ſi i’empoignois en fureur vn des Dieux, Traine ie le ruois hors la maiſon des cieux. Tant qu’à terre il rouloit comme vne piroüette, Demy-mort, eſpaſmé d’vne ſi longue traitte.

C’eſt ce qu’a voulu dire cette chaine d’or, en laquelle eſtoient pendus tous les Dieux, taſchans de chaſſer Iupiter hors du Ciel, leſquels toutefois ſe trauailloiẽt pour neant, teſmoin Homere au 8. de l’Iliade :

Ie vous conſeille ô Dieux, vne chaine d’or prendre, D’icy pendant en terre, & tous là bas deſcendre Pour enſemble employer voſtre diuin pouuoir, Taſchans ma Majeſté de ſon throne mouuoir. Pauures ! vous aurez beau trauailler voſtre peine : Ie rendray d’un ſouffler vne entrepriſe vaine. Mais ſi mon plaiſir eſt au Ciel vous eſleuer, Ie l’executeray ſans en rien me greuer : Voire ie tireray par vne meſme charge, Sans peine, auecque vous la terre & la mer large. Cela faict, puis apres i’attacheray d’vn bout La chaine au haut duciel, et ſouſpendray le tout, A celle-fin de faire à chacun mieux pareſtre, Que des hommes et des Dieux ie ſuis ſouverain Maiſtre.

En fin à la requeſte, ou pluſtoſt importunité de tous les Dieux, notamment de Neptun, qui luy conſeilla de demander Pallas en mariage, il remit ſa mere en liberté. Par telles ambages & diſcours, les Poëtes ont voulu declarer l’ordre & la ſuite des choſes naturelles : & ſous ces couuertures de Fables ils ont caché tantoſt la ſcience & les preceptes des choſes naturelles, tantoſt leurs forces & principes, & tantoſt le moyen de bien dreſſer la vie humaine ; leſquelles choſes ne pouuoient eſtre entenduës que par les plus ſages, ou par ceux à qui ils en donnoient l’intelligence. Quant à ce que Iunon fut ainſi penduë en l’air, & que les autres Dieux ne peurent debouter Iupiter de ſon throne, nous monſtrerons tantoſt que ſignifie cela. Les Anciens aſſignerent à Iunon quatorge Nymphes, qui eſtoient touſiours preſtes à ſon ſeruice, comme dit Virgile au 1. de l’Æneide :

Quatorze Nymphes i’ay d’vne taille accomplie.

Voyez liure 8. ch. 20.Mais ſur toutes elle ſe ſeruoit fort d’Iris, ſa courriere ordinaire. Paon pourquoy cõſacré à Iunon.Le Paon eſtoit conſacré à cette Deeſſe, d’autant que pour l’amour d’elle Mercure occit Argus, mué depuis en cet oyſeau, comme dit Theodore en ſa Metamorphoſe, lors que par le commandement de Iunon il gardoit lo. C’eſt pourquoy les Anciens ont feint que ſon carroſſe fut tiré par des Paons, comme le monſtre Ouide au 2. de ſes Metamorphoſes :

Iunon deſſus ſon char que les Paons par le vuide Trauerſent bigarrez, remonte au Ciel liquide.

Pour cette cauſe entre autres choſes memorables qu’on voyoit en ce Temple de Iunon en la plaine d’Eubœe, l’Empereur Hadrian y dedia vn Paon d’or, enrichy de perles & Pierres precieuſes de grand’valeur, auec vne Couronne d’or, & vn Palletoc de pourpre, où eſtoient pourtraites en broderie les nopces d’Hercule & de Hebé. Surnoms de Iunon.On a donné pluſieurs ſurnoms à la Deeſſe, ou ſelon les lieux eſquels elle eſtoit adoree ; ou de ceux qui luy auoient dedié quelque Temple ; ou ſelon l’euenement & la rencontre des choſes ſuruenans, ou autres tels 155ſubiects, comme de ſa charge & deuoir tendant à pouruoir de maris les filles, & ſoulager les douleurs & trenchees des femmes en leurs accouchemens, elle fut nomme Nopciere & Lucine : & Bellone (ſurnom auſſi de Pallas & d’Enyo) pour eſtre commiſe ſur le faict des armes & exploits guerriers : & des lieux eſquels on l’inuoquoit principallement, Argiue & Samienne. Et parce qu’Hercule luy auoit ſacrifié vne Cheure, elle fut qualifiee Ægophage, c’eſt à dire, Mange-cheure ; à laquelle les Lacedemoniens ſouloient offrir vne Cheure ſous tel ſurnom. En ſomme chacun ſelon ſon appetit, & ſuiuant la deuotion qu’il auoit à ſes Dieux, leur donnoit tel ſurnom que bon luy ſembloit.

Expoſition phyſique de la fable de Iunon.Voila ce que les Anciens nous ont laiſſé en leurs Fables touchant Iunon. Expoſons maintenant ce qu’ils ont compris ſous icelles. Nous auons dict cy-deſſus au traicté de Iupiter, diſcourant de la generation des élemens, pourquoy elle fut fille de Saturne. Iunon priſe pour l’element de l’air.On la prend communément pour l’élement de l’air. Auſſi ſe vante-elle dans Virgile au 4. de l’Æneide, d’auoir moyen d’eſmouuoir & d’enuoyer la pluye, & la greſſe, & ſuſciter le tonnerre :

Vn orage noircy ſur eux ie verſeray, Et la greſle d’en-baut y peſle-meſleray, En faiſant que le ciel d’un eſclatant tonnerre Troublé dans l’antre-creux l’vn & l’autre ſe ſerre.

La raiſon eſt, que quand Iupiter s’eſt eſchauffé de l’amour de Iunon, & qu’il l’embraſſe, toutes ſortes d’herbes & fruits viennent à pouſſer : car l’air s’il n’eſt eſmeu par la chaleur des corps celeſtes, ne peut rien engendrer, comme le monſtre Homere au 14. de l’Iliade :

Ainſi dit, & ſa femme il s’en vint embraſſer, Sous eux la Terre-mere vn Prim-temps renouuelle ; Elle produit mainte herbe, & mainte fleur nouuelle.

Et d’autant que l’air eſt celuy par le moyen duquel non ſeulement nous reſpirons, viuons & voyons, mais auſſi qui ſecrettement nous donne au ſang vne force naturelle, qui fait que nous apprehendons les dangers, ou bien nous nous y fourrons auec hardieſſe & courage. Iunon pourquoy cõmiſe ſur la Peur & Hardieſſe.Voyla pourquoy les Anciens ont creu que Iunon euſt puiſſance & commandement ſur la Peur & Hardieſſe ; teſmoin Orphee és Argo-Nochers.

Iunon la blanche-bras leur eſtonne le cœur D’vn panthelant effroy, d’vne tremblante peur.

On tient, qu’elle naſquit & fut nourrie en l’Iſle de Samos, pource que l’air y eſt ſain tout ce qui ſe peut. Elle eut les Heures pour nourrices, d’autant que les élemens ſe ſuccedent ſi bien l’vn à l’autre, que ſans ceſſe & à toutes heures ils ſe corrompent par parties, & ſe renouuellent auſſi. Que ſi cela n’eſtoit, l’élement de l’air periroit du tout, veu qu’il eſt fort ſuject à changement. Elle fut auſſi nourrie par l’Ocean & Tethys, ou par les filles de la riuiere d’Aſterion, ou par les Nymphes de l’Ocean ; pource que l’air ſe fait principalement de la plus ſubtile partie des eaux : comme la terre, de leur plus groſſiere portion. Cõment Iunon eſt dicte mere de Vulcan, & d’autres.Elle engendra Vulcan, parce que l’air eſchauffé procree le feu ; ainſi que l’air froid & groſſier, l’eau : ce que Lucrece exprime au premier liure.

Et font en premier lieu qu’en vent le feu deuient, Dont s’engendre la pluye, & que d’icelle vient La terre ; & de rechef chaque choſe retourne De terre, l’humeur, l’air ; & le chaud qui l’entourne.

Elle eut auſſi Hebé & Mars, tant pource que la bonne temperature & diſpoſition de l’air eſt cauſe de l’abondãce de toutes choſes ; qu’auſſi d’autant que l’air, par vn mouuement diuin, imprime és courage des hommes les ſemences des guerres & de diſcorde. Pourquoy elle eſt Deeſſe de joye, puberté, & des mariages.Ils l’ont encore tenuë pour Deeſſe de joye & de puberté, parce que l’air bien diſpoſé cauſe tout cela. De là vient ce vers :

Vien Bacchus donne-joye, & toy bonne Iunon.

Ce qu’en penſe Zezes ne me plaiſt pas, diſant que Mars & Hebé naſquirent de Iunon, d’autaut que les Princes deſirans faire la guerre à leurs voiſins ou autres eſtrangers, y ſont principalement induits par la ſalubrité & riche raport du pays qu’ils entreprennent de conquerir. On la nommoit Nopciere, Preſidente & commiſe des nopces & mariages, pource que la benignité de l’air ameine toutes choſes en lumiere. Pour meſme raiſon la creut-on auſſi eſtre Deeſſe des richeſſes. Pourquoi femme de Iupiter.Elle eſt femme de Iupiter, à cauſe que la chaleur ætheree agit ſur l’air meſme ; & parce que la plus haute partie de l’air approche le plus de la pureté celeſte, comme dit Ciceron au 2. de la nature des Dieux. Or l’air ſelon la doctrine des Stoïciens, interpoſé entre la mer & le Ciel, eſt conſacré à Iunon, ſœur & femme de Iupiter : dautant qu’il n’y a rien de ſi mol que luy. Pourquoi trãsformee en vache, & trompee par vn Coqu.Et pour cette moleſſe lors que les Dieux fuyans en Egypte de peur des Geants, ſe deſguiſerent en diuerſes formes, elle prit celle d’vne Vache, & fut trompee par vn Coqu, oyſeau mol & effeminé. Pourquoy penduë par Iupiter, & garrottee.Elle fut garottee par Iupiter, parce que l’air inferieur eſt par vne force naturelle cõjoint auec le corps ſuperieur, comme dit Platon au Timee. Les enclumes pendans en l’air, ſont l’eau & la terre, qui ſemblent pendre en l’air, veu que l’air nage ſur eux tous. Et tous les Dieux enſemble ne ſçauroient deliurer cette Iunon de telles chaiſnes ; d’autant que la puiſſance de Dieu eſt ſi grande, & vſe d’vn artifice ſi eſmerueillable pour conjoindre ces corps mondains, qu’il n’y a force, ny humaine, ny diuine, qui en puiſſe deſtacher ou diſſoudre pas vn, fors le Createur meſme qui les a façonnez. C’eſt cela meſme que ſignifie cette chaine d’or, qui eſt la force des corps ætherez & celeſtes diuinement conioincts & accouplez enſemble. Pourquoi bleſſee par Hercule.Hercule la bleſſa, parce qu’ordinairement la fortune ſe montre ennemie mortelle de vertu ; ioint que les Aſtres ne conioignent que peu ſouuent l’un & l’autre en natiuité de quelqu’vn. Pourquoy ſeruie de tant de Nimphes.Tant de Nymphes au ſeruice de Iunon, que ſignifient elles, ſinon tant de diuers euenemens que nous voyons és changemens de l’air ? Qualitez du Paon dedié à Iunon.Le Paon luy eſt dedié, parce que c’eſt vn animal fier, ambitieux, & qui iuche haut, comme d’vn temperamment aëré, bigarré de plulieurs couleurs, & qui a vne infinité d’yeux : pourautant que ceux-là ſont ſuperbes, ambitieux, altïers, aſpirans à choſes hautes, qui la tiennent pour Deeſſe gardienne des richeſſes, qui ſont contraints d’employer & faire la cour à beaucoup de perſonnes pour la garde & conſeruation de leurs moyens, Si n’a-il pas tout le corps ainſi bigarré : ains en a vne partie aſſez laide ; pource qu’on ne void rien qui ſoit en tout & par tout heureux, qui ne ſoit trauerſé de quelque aduerſité. Et ces diuerſitez de couleurs que ſignifient-elles, ſinon les pertes de biens & commoditez, les trauerſes & les reuolutions des accidens, les embuſches des ennemis, la mort & les afflictions des amis ? toutes leſquelles choſes bourrellent eſtrangement l’ame de ceux que les autres eſtiment heureux. Pauſanias en l’eſtat d’Attique eſcrit, que cette Deeſſe auoit vn Temple ſur le chemin de Phalere à Athenes, qui n’eſtoit ny fermé ny couuert. Ce qui ne monſtre autre choſe ſinon que cette Deeſſe ne ſe doit enfermer en aucun lieu, puiſque c’eſt par ſon moyen que nous reſpirons & viuons, entant qu’elle repreſente l’air. Voilà ce qui ſe peut rapporter à la raiſon naturelle touchant les contes que les Anciens ont faict de Iunon. Voyons ce que nous en pourrons accommoder à la moralité.

Expoſitiõ morale de la fable de Iunon.Quant à la chaine d’or, & que tous les Dieux ne peurent ietter Iupiter hors du Ciel, ie croy qu’elle denote quelquesfois l’auarice, quelquesfois l’ambition, laquelle, quoy que tres-puiſſante, quoy qu’elle ait fait quitter à beaucoup de gens la vraye Religion de Dieu, pour ſuiure des fauſſes doctrines, & ait introduit vne infinité de ſectes de fauſſes religions, ſe deſuoyans de noſtre Seigneur Ieſus-Chriſt, ſeul verittable, fils eternel de Dieu, & ſa ſouueraine ſageſſe : ſi ne pourra elle iamais ietter hors quelque temps que ce ſoit, laquelle perſiſtera à iamais, & tiendra bon à l’encontre de toutes aduerſitez, ſans eſtre aucunement eſbranlee. Car celuy qui eſt verittablement homme de bien, ne ſe laiſſe emporter, ny à l’auarice ny a l’ambition. Et pourtant vn chacun ſe doit examiner ſoy-meſme, s’il ſe peut à bons tiltres dire homme de bien, veu qu’elles ſont cõme pierres de touche, eſprouuans l’eſprit & naturel de tous hõmes. Ainſi doncques, ny Iupiter, le prenant en matiere ciuile pour la loy, ny la loy de Ieſus-Chriſt, qui eſt l’ame des villes & des Eſtats bien policez ; ny les Magiſtrats ou Gouuerneurs, ny les Princes & ſouuerains Seigneurs, s’ils ſont gens de bien, ne peuuent eſtre par preſens & corruptions deſtournez d’vn droict & iuſte iugement, veu que la loy ou les Iuges peuuent bien abbattre & exterminer les corrupteurs & meſchans. Iunon donc par ſes richeſſes, ny Mercure par ſon beau-dire, ne Venus par ſes appas & mignardiſes, ny Mars par ſes rodomontades & menaces, ne peuuent precipiter Iupiter du Ciel en bas, ny meſme toute l’armee des Dieux, pour groſſe qu’elle ſoit.

Opiniõs des Chymyſtes touchant la fable de Iunon.Les ſouffleurs de Chymie ſe ſont auſſi efforcez d’approprier quelques parties des Fables de Iunon à leurs fourneaux & vaiſſeaux. Iunon (diſent-ils) eſt fille de Saturne & d’Ops, ſœur & femme de Iupiter, nee deuant Iupiter d’vne meſme portee, Royne des Dieux, Deeſſe des richeſſes, commiſe ſur les nopces & enfantemens : laquelle n’eſt autre choſe que l’eau de Mercure, qu’on appelle Iunon. Elle eſt fille de Saturne, pource qu’elle diſtille & procede de luy & de la terre. Cette terre donne les richeſſes, ou bien l’or Chymique, pource que Iunon & Iupiter, ou l’eau de Mercure, & le ſel qui demeure au fonds du vaiſſeau de verre, & en la lie diſtillent enſemble. Et comme l’eau de Mercure coule la premiere hors du vaſe ; ainſi Iunon naiſt deuant Iupiter. Elle preſide ſur les enfantemens, pource que quand elle coule, elle met en lumiere le Soleil Chymique, ce qui la fait auſſi nommer Lucine, comme qui diroit Lumineuſe. Elle a la charge des mariages, d’autant qu’elle moyenne la conjonction des humeurs ſulphurees, à ſçauoir, Venus & Mars : & parce que deuant que diſtiller, elle eſt conjointe auec Iupiter, & tous deux engendrent le Soleil Chymique, on la nomme femme de Iupiter. Elle eſt dicte Roine des Dieux, d’autant qu’elle gouuerne, deſlie, conjoint, ſepare & reprime les Metaux, qui ſont nommez de diuers noms de Dieux. Que cela ſuffiſe pour le regard de Iunon : Venons à Hebé.