Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - II, 07 : De Vulcan Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Vulcan.

CHAPITRE VII.

Parenté de Vulcan.IUNON ſans aucune compagnie d’homme, mais ſeulement d’vne bouffee de vent qui s’entonna dans ſon ventre, deuint groſſe, & tout en vn inſtant enfanta Vulcan, qui depuis ſeruit à Iupiter de ſage-femme pour enfanter Minerue de ſon cerueau ; toutesfois Homere tient qu’il eut pour pere Iupiter, & pour mere Iunon. Car il ne peut eſtre né ſans que ſa mere ait deſiré la compagnie du maſle, comme nous le montrerons tantoſt, & ne ſe peut faire auſſi que Iunon l’ait ſi ardemment en vain recherchee. Mais oyons comme les Iumens qui conçoiuent ſans maſle, le deſirent neantmoins auec vn appetit & affection incroyable, qui les tourne preſque en fureur :

—& ſi toſt que gliſſant Ce feu dedans la ſoif des moüelles deſcend, Pluſtoſt ſur le Printemps (car és os ſe ralume Au printemps la chaleur) elles ont de couſtume, Le front vers les Zephirs, és hauts monts ſe planter, Humer les airs legers, & (merueille à conter) Sans maris, par le vent ſouuent de germe enflees, Bondir par rocs, par monts, & par baſſes vallees.

Eſt-ce en vain que Iunon a ſi ardemment deſiré la compagnie du maſle ? ô mal-heureuſe Iunon, qui ſi fort preſſee des aiguillons d’amour, n’a ſceu trouuer ny Dieu ny homme pour contenter ſon appetit charnel ! Quelques-vns eſcriuent que Vulcan fut fils de Iupiter, & qu’eſtant né difforme, il le ietta par deſdain en Lemne, iſle de l’Archipelago, comme luy-meſme teſmoigne dans Homere au 1. de l’Iliade, parlant à ſa mere Iunon :

Ie me ſouuiens fort bien te voulant reuanger, Que ie fus vne fois de mourir en danger Alors que de fureur & cholere deſpite, M’empoignant par le pied, du Ciel me precipite : Par le vuide de l’air ie rouë tresbuchant Depuis l’aube du iour iuſqu’au Soleil couchant : Si qu’à la fin ie cheus, d’vne piteuſe eſtorce, En Lemne, me reſtant vn bien petit de force.

Or que Vulcan, fils de Iupiter & de Iunon ait long-temps demeuré en Lemne, Ciceron le monſtre au 3. de la nature des Dieux : Pluſieurs Vulcans.Il y a eu pluſieurs Vulcans : le premier fut fils du Ciel, de qui Minerue eut Apollon, que les anciens Hiſtoriens diſent auoir eſté protecteur & patron d’Athenes : le ſecond, fils du Nil, que les Ægyptiens nomment Opas, & le tiennent pour leur gardien & defenſeur : le troiſieſme, fils de Iupiter, troiſieſme du nom, & de Iunon, qui a tenu les forges de Lemne : le quatrieſme, fils de Menale, qui a poſſedé les iſles de la coſte de Sicile, qu’on appelloit Iſles de Vulcan. Lucian au Dialogue des Sacrifices, raconte cette plaiſante & ridicule Fable, que Vulcan ait eſté precipité du Ciel en bas : On dit qu’il deuint boiteux de ſa cheute, lors que Iupiter le ietta hors du Ciel ; & que ſi les habitans de Lemne, ne faiſans leur deuoir, ne l’euſſent receu (car on le portoit encore) neus n’aurions plus de Vulcan, ainſi que la race d’Hector faillit en Aſtyanax, quand Vlyſſe le ietta du haut d’vne tour en bas, afin qu’il ne reſtaſt perſonne de tous ceux de la lignee de Priam, qui cheurent entre les mains des Grecs. Myrtile au 1. liure de l’eſtat Leſbique, eſcrit que Lemne fut conſacree à Vulcan, parce qu’en cette iſle-là croiſt vne eſpece de terre, de qualité chaude, que les Medecins appellent Terre-ſigillee, laquelle detrempee auec du vin blanc, & beuë fait mourir les vers : & eſt bonne contre les venins & poiſons, & a pluſieurs autres facultez. Et de fait les Anciẽs n’expliquoient pas par Fables ſeulemẽt les choſes concernans la Philoſophie ; ains auſſi celles qui touchent la Medecine. Mais Homere en l’hymne d’Apollon dit que ce ne fut pas Iupiter, mais bien Iunon, qui culbuta Vulcan ; qu’il cheut en la mer, & que Thetis, auec ſes filles, notamment Eurynomé, le nourrit, non pas les Lemniens. Voicy comme il introduit Iunon, racontant tout le faict :

Vulcan mon fils boiteux qui de moy-meſme eſt né Vn iour ie l’empoignay d’vn cœur paſſionné Le iettant au milieu de la plaine marine Il cheut entre les mains de Thetis Nereine, Laquelle auec ſes ſœurs l’a nourry cherement.

Plaiſantes nourrices de Vulcan.Les autres ont dit qu’il auoit eſté nourry par des Singes & des Guenons. Et ne faut pas s’eſtonner, ſi diſcourans de Iupiter nous luy auons donné ſi peu d’enfans, veu qu’outre les ſus-nommez il eut vn certain Mercure, & Venus, & quelques autres : parce que la pluſpart ont eu ſi peu de reputation, que leur memoire fut preſque auſſi-toſt eſteinte que nee. Pauſanias en l’Eſtat d’Attique dit, que Vulcan ſe ſouuenant fort bien de l’outrage que ſa mere luy auoit faict, s’en voulant reſſentir, luy fit preſent d’vne chaire d’or auec certaines chaines cachees, qui ioüoient par reſſorts inuiſibles, leſquels ſe laſchans dés qu’elle y fut aſſiſe, elle y demeura priſe & enchainee ; ſans que pour aucunes prieres des Dieux il peuſt eſtre induit à la tirer de là, iuſques à tant que Bacchus, ſun plus confident amy, l’ayant enyuré le ramena au Ciel, d’où ſa mere l’auoit chaſſé, & là ſe fit leur appointement. Ce que Platon touche au 2. de ſa Republique : Il faut contraindre les Poëtes de n’vſer de propos abſurdes : comme de dire que Iunon ait eſté enchainee par ſon fils, & Vulcan precipité par ſon pere. Il exerca pareillement vne ſeconde vengeance contre ſa mere, quand il luy fit vne paire de pantoufles d’aimant, apres qu’il eut dreſſé ſa forge en Lemne auec ſes ouuriers les Cyclopes, au moyen deſquels elle demeura ſuſpenduë en l’air ſans ſe pouuoir bouger, ny receuoir aſſiſtance, ny de Dieu, ny de Deeſſe, auſquels tel ſpectacle ne plaiſoit point ; toutefois à leur tres-humble requeſte il la remit en liberté. Femmes de Vulcan.Vulcan eut à femme Aglaïe l’une des Graces, comme dit Iſace. Toutesfois la plus commune opinion tient qu’il eſpouſa Venus de Lemne, & de faict Virgile l’appelle femme de Vulcan, au 8. de l’Æneide, quand elle va le requerir pour forger des armes à ſon fils Ænee :

Mais ſa mere Venus qui n’a le cœur atteint D’eſpouuentement vain, aux menaces eſmeuë De Laurente & du trouble aſpre qui ſe remuë, Va parler à Vulcan, & ſur ſa couche d’or Le ſupplier commence, & par ſes dicts encor Vne diuine amour inſpire en ſa poitrine.

Quãd on faiſoit quelque nopce, la couſtume eſtoit d’y porter des torches allumees. Euripide és Troad. dit que c’eſtoit l’office de Vulcan :

Vulcan tu apportes des torches Quand les amans font leurs approches.

Feſtes des flambeaux, repreſentant le cours de la vie humaine.On celebroit auſſi à l’honneur de Vulcan certaines jouſtes nommees Lampadophores, c’eſt à dire Porte-flambeaux, deſquelles Herodote en ſon Vranie fait mention. Leur façon eſtoit, que les champions tenoient en main vne torche ardente, qu’il falloit en courant porter iuſques au bout de la carriere ; à celuy qui laiſſoit mourir la ſienne, il n’eſtoit pas loiſible d’acheuer ſa courſe, ains il ſortoit deſhonoré. Si quelqu’vn auec ſon falot allumé eſtoit vaincu à la courſe par celuy qui le ſuiuoit, ſelon l’ordonnance du ieu, le vaincu eſtoit contraint de liurer à l’autre ſa torche allumee, ce que touche Lucrece au 2. liure :

Et donnent, en coureurs, la lampe de la vie.

Car ſi vous y prenez garde de prés, la vie des hommes reſſemble du tout à ces jouſtes-là. Or ce tournoy, fait auec feu, fut dédié à Vulcan, d’autant que quelques-vns croyent qu’il fut inuenteur du feu, & des arts & fabriques qui ſe forgent par le moyen du feu : teſmoin Zezes en la 335. hiſtoire de ſa 10. Chiliade, lequel tient qu’il eſtoit Ægyptien, homme d’vn grand eſprit, & fort inuentif, contemporain de Noé, lequel Noé eſt par les Grecs nommé Denys, Oſiris, Bacchus ; & Ianus par les Latins. Neantmoins és Sacrifices de Promethee & de Minerue, feſte generale de toute l’Attique, l’on portoit auſſi de tels flambeaux, d’autant que ceſtuy-là deſroba le feu dans le Ciel, auec les arts és magaſins & boutiques de Vulcan & de Minerue : & cette-cy auoit inuenté & mis en vſage beaucoup de bõs arts, qui ſans le feu ſeroient inutiles. Et combien qu’il y ait eu pluſieurs Vulcans, comme nous auons dit au diſcours de Iupiter, imputans à l’vn tous les geſtes des autres, nous nous arreſterons à la plus commune opinion, qui ne faict guere mention que du fils de Iupiter & de Iunon. Car ie ne penſe pas qu’il importe beaucoup pour l’œuure que nous auons en main, ſçauoir ſi ceſtuy-cy, ou ceſtuy-là, de tel nom, a fait tel ou tel acte ; pourueu que ce ſoit Vulcan qui l’ait cõmis. Car nous ne faiſons pas maintenant profeſſion d’eſcrire vne hiſtoire, ou des choſes verittablement aduenuës, ains taſchons d’expoſer les fictions des Fables. Inuẽtion du feu.Or l’on ne tient pas pour choſe bien aſſeuree & hors de doute, que Vulcan ait le premier trouué le feu, puis que quelques-vns en attribuent l’inuention à Promethee. Lucrece au 5. liure allegue vne plus vray-ſemblable raiſon de l’inuention du feu : & dit que la foudre tombee ſur quelque arbre, ou edifice, qu’elle embraſa en donna l’vſage aux hommes, qui depuis tranſporté de Prouince en autre, s’eſpãcha par tout l’Vniuers. Cela peut-eſtre le fit ainſi croire, parce que le feu eſtant par ce moyen diuulgué, Vulcan le premier inuenta les arts qui ſe font par le moyen du feu ; lequel donnant telle forme qu’il vouloit à des metaux tres-durs, on penſa qu’il euſt commandement ſur le feu, & qu’il fuſt Dieu du feu, veu meſme que par ſucceſſion de temps il a eſté pris pour le feu ; teſmoin Orphee en ſon hymne :

Vulcan, braue, vaillant, flamme à iamais viuante, Benigne maieſté tout en feu treluiſante.

Mais qu’eſt-il beſoin de long diſcours ? afin que nous puiſſions ſçauoir l’intention des Anciens, & qu’ils ont nommé vne meſme & ſeule majeſté diuine de diuers noms de Dieux, voicy certains excellens vers d’Orphee, eſquels nous eſt exprimee la qualité des principaux : Dieux, approuuans neantmoins, & confeſſans vne certaine vnité en telle Diuinité, repreſentee par pluſieurs & diuers effects :

Nature diuine tiltree de diuers noms ne faiſans qu’un ſeul dieu.Mercure eſt meſſager des Dieux & truchement : Les Nymphes ſont les eaux, & Cerés le froment : Vulcan le feu ; Neptun, qui les flots ſalez pouſſe, Eſt la mer, Mars la guerre, & Venus la paix douce : Le vin qui reſiouyt les hommes et les Dieux, Le ſoulas des ennuis & penſers ſoucieux, C’eſt Bacchus le cornu, qui de teſte taurine Sur les plus gais feſtins ioyeuſement domine. Cettuy-là que l’on nomme Apollon, bel Archer Phœbus qui ſçait au loing ſes fleches décocher, Deuin, Prophete, Augur, & Chaſſe-mal encore, Chaſſe-fiebure, Sauueur, et grand Dieu d’Epidaure, C’eſt le Soleil. Themis eſt celle qui voudroit Qu’on ne fiſt à autruy que ce qui eſt de droit. Et quoy que de pluſieurs qualitez on les nomme, Ils ne ſont neantmoins rien qu’un ſeul Dieu en ſomme.

De meſme auſſi ce gentil Poëte Menander dit, ſuiuant l’aduis d’Epicarme, que les eſtoilles & les Elemens ont eſté tenus pour Dieux :

L’Eau, Terre, et Soleil radieux, Aſtres, Vents, Lune, et Feu ſont Dieux.

Vn autre braue & mignard Poëte Grec, Hermeſianax, a gentiment exprimé le meſme ;

Cerés, Venus, Amour, Pluton et Proſerpine, Les Tritons, & l’autheur de la trouppe Nerine, Tethys, Neptun, Mercur, Iupin, Iunon, Vulcan, Ne ſont qu’vn Dieu auec Phœbus, Diane et Pan.

Pourquoy Vulcan fut eſtimé forgeron.Comme donc Vulcan eut inuenté ces arts qui ſe manient au feu, & qu’il eut eu la reputation d’eſtre le Dieu du feu, les Anciens creurent qu’il tenoit ſa boutique dans les cauernes du Mont-gibel, eſquelles on void boüillonner & rejallir vne grand’quantité de feu, & que là il forgeoit la foudre à Iupiter, & les autres armures des Dieux, & à leur requeſte, de certains Heros. Quant à ſon image, elle eſtoit à la reſemblance d’vn forgeron boiteux & diforme, tenant en main vn gros marteau de fer ; & les Dieux qui le coſtoyent le pouſſent du Ciel en terre, comme indigne de leur compagnie, mais luy chû en Lemne, ſe met à forger les foudres, tellement qu’aupres de luy eſtoit touſiours peinte vne forge & vn Aigle, attendant qu’il euſt acheué quelque foudre pour l’emporter à Iupiter. Pour cette raiſon Agathocle és Commentaires qu’il auoit eſcrit de l’art de forger de Vulcan, dit qu’il y auoit en Sicile deux Iſles, l’une nommee Hiere, & l’autre Strongyle, deſquelles nuit & iour le feu ſortoit : cependant au 7. liure de ſes hiſtoires il dit que l’vne eſtoit à Æole, l’autre à Vulcan. C’eſt ce qui a induit Apollonius Rhodien au 4. des Argo-Nochers, où il parle des iſles de Lipare & Strongyle, à dire que les enclumes de Vulcan eſtoient là :

—puis aller derechef Au bord où retentit de Vulcan chaſque enclume Sous les coups des marteaux, & l’eau boüillonnant fume.

Iuuenal en ſa 13. Satyre le touche auſſi :

Et Vulcan eſſuyant, alteré de Nectare, Ses bras noir-enfumez en ſa forge à Lipare.

Deſcription de l’iſle de Lipare.Or Lipare a eſté puiſſante, & iadis eſtendoit bien loing les bornes de ſa ſeigneurie, apres qu’elle eut receu vne peuplade de Cnidiens. Elle s’appelloit auparauant Meligunis, & pendit au Temple d’Apollon, en Delphe, beaucoup de deſpoüilles & vn riche butin, fait ſur ſes ennemis. Elle auoit vne terre alumineuſe, & pluſieurs bains chauds auſſi-bien que la Sicile, & des feux ſortans de terre. Entre elle & la Sicile il y auoit vne autre iſle, qu’on diſoit eſtre dediee à Vulcan, toute pierreuſe, deſerte & pleine de feux. Elle auoit trois gouffres, comme trois gueules de feu ; du plus grand deſquels on voyoit ſortir de groſſes maſſes de flamme embraſee, mais depuis ils ſe ſont bouchez. On a connu par l’obſeruation & recherche d’iceux, que les vents cauſoient ce feu qui ſe voyoit là, & au Mont-gibel. Et ne faut pas trouuer cela eſtrange, puiſque les vents s’engendrent & ſe nourriſſent, prenans leur commencement des vapeurs de la mer, comme de leur plus proche matiere. On dit que le plus grand gouffre contenoit en rond 625. pas : que ſi le vent de Midy deuoit ſouffler, il s’eſpandoit autour de l’iſle vn broüillars ſi grand & ſi eſpais qu’on ne pouuoit deſcouurir la Sicile : mais ſi c’eſtoit la biſe, la flamme ſortant s’eſleuoit en haut, & bruyoit beaucoup plus fort : ſi le vent venoit d’Occident, il gardoit vne moyenne meſure. Les autres bouches eſtoient égales, mais ne iettoient pas ſi grande quantité de vapeurs : & ſelon le bruit qu’elles faiſoient, & le lieu d’où elles commençoient à ſiffler, & au prix que les flammes & nuees eſtoient, ou groſſes, ou petites, on connoiſſoit trois iours deuant quel vent deuoit tirer. Et quand il ne faiſoit pas bon démarer de Lipare, Vulcan (ou ſelon les autres Æole) prediſoit le vent qui ſe deuoit leuer : & n’en auenoit que ce qu’il auoit dit. Cauſe de la diuinité attribueé à Vulcan & Æole.Voila pourquoy les Anciens ont en leurs Fables eſcrit que Vulcan eſtoit Dieu du feu, & Æole Dieu ou threſorier & Roy des vents. Ce qui ſe diſoit par enigme, comme eſcrit Diocle en ſon hiſtoire fabuleuſe. Voyez liure 8. ch. 10.Poſſidoine teſmoigne auſſi qu’on a quelquefois veu la mer s’eſleuer en haut enuiron le ſolſtice d’Eſté entre Hiere & Euonyme (qui ſont de celles qu’on nomme Iſles d’Æole) au poinct du iour, & qu’elle demeura quelque temps ainſi bourſoufflee, puis ſe calma : & que ceux qui penſoient coſtoyer ces Iſles, la chaleur & puanteur les rechaſſoit, & voyoient quantité de poiſſons morts : Que quelques iours aprés, la mer parut toute bourbeuſe, & vomit du feu, de la fumee & broüee, qui puis aprés s’entaſſa, s’eſpaiſſit & s’incorpora en facon de meules de moulin. Quelques-vns ont voulu dire que Vulcan a fort bien entendu cette facon de deuiner qui ſe fait par le feu, que les Grecs nomment Pyromance, comme Neree fut eſtimé inuenteur d’Hydromance, qui ſe fait par l’eau. On croyoit que Vulcan forgeaſt en cette Iſle-là les armes des Dieux, & les foudres de Iupiter, comme il a eſté dict : ſes ſeruiteurs eſtoient Bronte, Sterope & Pyracmon Cyclopes, comme teſmoigne Virgile au 8. de l’Æneide :

Toute proche s’eſleue à coſté de Sicile, Et auprés de Lipare Æolienne vne iſle Haute de rocs fumans. Les antres Ætneans Minez par les fourneaux des Cyclopes Geans Bruyent au deſſous d’elle, & gemiſſans reſonnent Les grands coups qui ſuiuis ſur l’enclume ſe donnent, Et la paille du fer ſiffle reſſautelant Hors des flancs cauerneux, & le feu pantelant Sanglotte des canaux. La demeure ancienne De Vulcan, dont la terre on dit Vulcanienne. Du haut Ciel deſcendit icy le Dieu flameux. Le fer remanioit au creux antre fumeux, Des Cyclopes noircis la mareſchale trope, Bronte, & les membres nuds Pyracmon, & Sterope. Rude encor ils auoient entre les mains, forgeurs, Ia poly en partie vn des foudres vangeurs, Que ſouuent Iupiter du Ciel en terre iette : Vne partie encor en reſtoit imparfaitte.

De ce paſſage on peut inferer, ou c’eſt que Vulcan tenoit ſa boutique, quels ſeruiteurs il auoit, & quelle beſongne ils forgeoient. Chien d’airin forgé, puis animé par Vulcan.Iule Pollux au cinquieſme liure eſcrit que Vulcan forgea vn Chien d’airin, beau tout ce qui ſe pouuoit, & que l’ayant animé, il en fit preſent à Iupiter, qui le donna à Europe, elle à Procris, Procris à Cephale : deſquels la Fable eſt expoſee au deuxieſme chapitre du 6. liure, Iupiter depuis le trãsforma en pierre. Quelques-vns diſent que les Lions luy furent ſacrez, à cauſe de la force du feu. Plaiſante generation d’Eriſichthõ.Outre-plus on conte de Vulcan, qu’aprés qu’il eut forgé les armes de Iupiter, pour combatre les Geans, il demanda Minerue à femme pour recompenſe de ſa diligence & trauail. Iupiter, qui luy auoit auec ſerment accordé de demeurer à iamais vierge & incorruptible, ne voulant d’autre coſté eſconduire cettuy-cy, Voïez le ſerment ordinaire des Dieux, deſcript au 3. liu. chap. 2.parce qu’il luy auoit iuré par le marais Stigien, de luy donner tout ce qu’il demanderoit ; donna ſecrettement aduis à Minerue de defendre fort & ferme ſa virginité, & reſpondit à Vulcan qu’il accordoit ſa demande. Puis-aprés comme Minerue par aduertiſſement de Iupiter, (autres diſent de Neptun) reſiſtoit à l’amour & paſſion de Vulcan, Voyez liure 4. ch. 5. & liu.9. ch. 11.il eſpancha durant la contre-lutte d’icelle ſa ſemence genitale tout du lõg des cuiſſes de ladite Deeſſe, qu’elle eſſuya d’vn flocquet de laine, & le ietta en terre, d’où naſquit Eriſichthon ; mot comprenant en ſoy le nom de contention & de terre. Vulcan & Promethee n’eurent qu’vn autel pour eux-deux ; d’autant que quelques-vns ont creu que Promethee trouua le feu, & Vulcan les arts qui ſe font par le feu. L’iſle de Lemne luy a eſté dediee, parce que c’eſt là que le feu & la facon de forger fut premierement inuentee. Et pource que Promethee a eſté beaucoup plus ancien que Vulcan, Sophocle l’appelle Titan, Porte-feu. Homere en l’hymne de Vulcan tient que luy & Pallas inuenterent l’art de forger :

Douce Muſe chantons Vulcan l’ingenieux, Qui ſe ioignant iadis à Minerue aux pers yeux, Aux humains enſeigna tant d’inuentifs ouurages, Qui lors viuoient encor comme beſtes ſauuages, En des troux cauerneux pour le froid éuiter.

En-aprés, comme Iupiter ſe deliberoit de faire beaucoup de maux aux hommes, à cauſe du feu que Promethee auoit deſrobé, il commanda à Vulcan de façonner Pandore, apres auoir faict pleuuoir ſur la terre, comme dit Heſiode és œuures & iournees. Nous parlerons plus amplement de Pandore en la Fable de Promethee. Liu. 4. ch. 6. Plaiſante hiſtoire des adulteres de Mars & de Venus.Vulcan en faueur de la foudre qu’il auoit forgee à Iupiter, & pour auoir fait des armures aux Dieux, contre les Geans, eut Venus à femme, laquelle n’aimant pas beaucoup ſon mary, à cauſe de ſa laideur & defectuoſité de hanches, cependant qu’il eſtoit à la forge, ententif à ſa beſongne prodiguoit ſecrettement ſon honneur à Mars, Dieu des guerres, & paillardoit auec luy : Mars menoit quant & ſoy vn ieune homme, ſon mignon, nommé Gallus, qu’il poſoit en ſentinelle à la porte pour l’aduertir de ceux qui paſſeroient, auec charge expreſſe d’eſpier principalement le Soleil, que Mars redoutoit plus que tous les autres Dieux, craignant qu’il ne fiſt entendre le faict à Vulcan, à cauſe de l’eſtroitte amitié qu’ils ſe portoient l’vn l’autre. Mais il auint que Mars s’amuſant trop long temps à la beſongne, Gallus s’endormit ; ſi que le Soleil ſuruenant ſans eſtre deſcouuert, vid ce qui ſe paſſoit, & en donna auis à Vulcan. Transformation de Gallus en coq.Or Gallus fut ſi bien chaſtié de Mars, qu’il fut transformé en vn oiſeau de meſme nom, qui eſt le Coq, & pourtant il denonce encore pour le iourd’huy la venuë du Soleil au poinct du iour, la chantant ſi haut qu’il peut, comme s’il vouloit admoneſter Mars de ſe donner garde d’eſtre derechef ſurpris auec ſa Venus par la venuë du Soleil. Ainſi donc le Soleil ayant deſcouuert leurs amours, & aduerty Vulcan ; cettuy-cy fit vn filé de fer ſi ſubtil & ſi delié, qu’on ne le pouuoit veoir, & le tendit tout autour du lict, auquel ils dormoient amoureuſement : puis les ayant ainſi tous nuds couuerts comme perdreaux ſous la tiraſſe, les expoſa en riſee à toute la cour celeſte. Ce que touche Ouide au deuxieſme liure de l’art d’amour.

La fable que l’on conte eſt bien aſſez connuë, De Mars ſurpris auec ſa Venus toute-nuë, Lors que le Forgeron en vn ſubtil filé Les eut à leur deſceu par cautelle enfilé.

Ce qu’il deſcrit bien au long au 2. des Metam. Homere auſſi faict ce conte bien amplement au 8. de l’Odyſſee. De cet adultere naſquit Hermione, Deeſſe tutelaire, comme dit Plutaque en la vie de Pelopidas. Enfans de Vulcan.Les enfans de Vulcan furent Ardale, qui baſtit à Trœzene vne ſale baſſe pour les Muſes, & fut inuenteur de la fluſte & du flageollet. Brothee, qui ſe voyant mocqué de tout le monde à cauſe de la laideur de ſa bouche, ſe ietta dans le feu, aimant mieux mourir que de ſe voir toute ſa vie expoſé à la riſee d’vn chacun. Corynet, Æthiops, qui fit porter ſon nom aux Æthiopiens, au lieu qu’on les nommoit auparauant Ætheriens, comme dit Ariſtote au 4. liu des riuieres : Olene, du nom duquel fut nommee vne ville de Bœoce : Albion, Morgion, Ægypte, dont l’Ægypte a pris ſon nom, Peripheme, Erichthon, & pluſieurs autres qu’il eut de diuerſes Deeſſes & femmes auec leſquelles il coucha.

Expoſition phyſique de la fable de Vulcan.Voila pour la pluſpart ce que les Anciens ont conté de Vulcan. Cherchons maintenant ce qu’ils y ont enuelopé. Premierement il ne peut eſtre que Vulcan, qui, comme dit Platon au Cratyle, preſide ſur la lumiere, ſoit à l’improuiſte né de Iunon ſeule ſans operation de maſle. Car outre ce que telle conception n’eſt iamais auenuë aux femmes, qui lors que Venus les chatoüille ſçauent fort bien trouuer medecine propre à leur mal, ſi Vulcan eſt le feu meſme qui s’engendre de Iunon, qui eſt l’air, ſelon que les Philoſophes nous enſeignent que telle eſt la nature des elemens de ſe procreer l’un l’autre : certes le feu ne peut rien engendrer de l’air que par le moyen de la chaleur & mouuement des corps celeſtes. Comme il faut entendre la generatiõ de Vulcan.Et Iunon quand elle pourroit ſubſiſter ſeule, ſans eſtre eſchauffee d’aucune force exterieure, ne ſçauroit neantmoins conceuoir de par ſoy aucun Vulcan, ny Mars, ny Hebé : d’autant que la chaleur en eſt l’ouuriere, & tient place de maſle en la generation des choſes naturelles. Parquoy quand on le prend pour ce corps tres-pur & ſublime, aſſauoir le feu, qui eſt le plus pur de tous les Elemens : on dit que Vulcan s’engendre de Iunon & de Iupiter, ou bien de l’air eſchauffé par le mouuement des corps celeſtes. Commẽt & pourquoy il fut chaſſé du Ciel.Son pere auſſi, ou (comme d’autres veulent) Iunon, le ietta hors du Ciel à cauſe de ſa deformité, d’autant que ce feu qui s’amaſſe és nües, attendu qu’il ſe fait de la plus lourde & groſſiere matiere, ſi l’on en fait comparaiſon auec celuy qui eſt plus haut, ſitué en la plus pure & haute region, eſt groſſier & difforme, & par maniere de dire ne merite pas le nom de feu : & pourtant on le renuoye vers les corps impurs (comme occupant vne place dont il eſt indigne) ce qui ſe fait tant par la force des corps d’enhaut, que par la nature meſme de l’air ſuperieur. Il ſeruit à Iupiter de ſage-femme pour enfanter Minerue d’autant que tous arts s’exercent par le feu, ſans l’vſage duquel ils ne peuuent produire aucun effect. On le feint eſtre boiteux, pource que le feu n’a point d’arreſt, ains chancelle touſiours de coſté ou d’autre : ou bien, d’autant que comme ceux qui ſont mal en iambes, ont beſoin de quelque baſton pour aſſeurer leur demarche : auſſi le feu appete touſiours du bois, ou autre telle matiere, pour la conſumer. Il chût en Lemne, qui luy fut dediee, auec ce coutau ſur lequel il fut precipité, à cauſe de la chaleur & ſterilité du lieu, tel qu’il ſemble que le feu y ait paſsé, ſi haut qu’il ne pouſſe aucune plante. Car la trop exceſſiue chaleur d’vne place, bruſle, & n’engendre rien. D’ailleurs, cette Iſle luy peut auoir eté conſacree, pource qu’elle eſt fort ſubiette aux tonnerres, & le feu veint premierement des nües & de la foudre, comme nous l’auons cy-deſſus appris de Lucrece. Raiſon de ſa nourriture par les Nymphes marines, & de la priſe de Iunon par ſes reſſorts.Tethys & les Nymphes marines le recueillirent & nourrirent, à cauſe que toute la maniere de ce feu ſe cueille de l’humeur, & ſe prend en iceluy. Et comme ainſi ſoit que la terre eſt la mere & nourrice de toutes richeſſes, il forge vne ſelle d’or, en laquelle par le moyen de certains reſſorts faits de ſon artifice, Iunon ſe treuue enlacee. Que demontre cela, ſinon que cette partie de l’air qui eſt la plus proche de la terre, & moins pure, n’eſt pas agitee par le mouuemẽt des corps celeſtiels, veu qu’elle eſt enfermee entre des montagnes, mais eſt par maniere de dire collee & attachee à la terre ? Car elle n’eſt pas aiſément ſubtiliſee par la vertu des corps d’enhaut, mais conſiſte comme font les eaux des eſtangs. Et de ſes femmes.Aglaië & Venus furent ſes femmes, parce que toutes choſes s’engendrent par chaleur & humeur bien proportionnees enſemble. Car Aglaië n’eſt rien que cette ioliueté & grande abon-dance qui procede de la chaleur ; ce qu’auſſi ſignifie le mot. Symbole des torches és nopces & feſtes des Flambeaux.Et parce que rien ne ſe peut produire en nature ſans chaleur, voila pourquoy on allumoit des torches és nopces, ſur leſquelles preſidoit Vulcan. Il falloit auſſi que ceux qui couroient és feſtes des Flambeaux quittaſſent la lice ſi leur torche s’eſteignoit ; d’autant que ſi la chaleur manque, toutes choſes viennent à mourir & à prendre fin. Et ce que le premier courant vaincu par celuy qui le ſuiuoit, eſtoit contraint de luy liurer ſa torche allumee, cela fut pratiqué pour montrer que toutes choſes s’entreſuiuent & ſuccedent l’vne l’autre. Il ne faut trouuer eſtrange ſi ceſtui-cy fut adoré comme Dieu, puis qu’on adoroit les Elements & les Eſtoilles en guiſe de Dieux, attendu qu’on penſoit que luy, le Soleil, la Lune, l’Ether, les Eſtoilles & le Feu ne fuſſent qu’vn, comme il a eſté dit. Pourquoy c’eſt qu’il forgeoit les armes des Dieux.Il forgeoit les armes des autres Dieux, parce que la chaleur eſt l’ouuriere de tout ce qui ſe fait en nature ; ioinct qu’il n’y a rien qui par ſon excez face pluſtoſt mourir les animaux, ou qui par mediocrité les conſerue en leur eſtre, ou qui les gueriſſe plus aiſément s’ils ſe trouuent mal, que la vertu de la chaleur moderee : car ſi la chaleur naturelle n’eſt ſuffiſante pour faire la concoction en vn corps, c’eſt alors qu’il faut perdre toute eſperance de la vie & conſeruation d’iceluy. A bon droict doncques a-il eſté dit que Vulcan forgeoit & fourniſſoit des armes aux Dieux quand ils en auoient beſoin pour leur defenſe & protection. Il forgeoit auſſi les foudres de Iupiter, qui eſt vn feu eſleué en haut, lequel vient à ſortir auec violence dés qu’il eſt eſtreint & ſerré par le froid qui l’enuironne. Il a pour ſes manœuures Bronte, Sterope & Pyracmon, deſquels le premier ſelon la langue Grecque ſignifie le tonnerre ; le ſecond, l’eſclair ; le troiſieſme, vn feu violent ; car s’il n’y a vne groſſe & eſpaiſſe quantité de feu, il ne ſe fait qu’eſclair & tonnerre, mais point de foudre. Que c’eſt que la foudre.Ce feu doncques impur comme eſtant encor en ſa matiere, Iupiter le pouſſe en bas auec vn effort & impetuoſité nompareille, ſelon qu’eſt la nature des foudres. Car ſuiuant mon aduis, il ne faut pas penſer que la foudre ſoit ny pierre, ny fer, ny quelque autre corps ſolide, laquelle nous voyons tournoyer quelquesfois tant & tant, auec ſi grande & admirable violence, qu’il n’eſt poſſible de plus : mais bien ſe fait-elle par la force & par la vertu d’vn feu groſſier & materiel, deſrompu & eſclatté par le froid qui de tous coſtez le compreſſe & luy fait contrequarre, auec vn rude choc & bruit violent pouſſé en bas. Comme il faut entẽdre les amours de Vulcã, & le refus de Minerue.Minerue, qui eſt la plus pure partie de l’air, n’engendrant rien qui ait vie, veu qu’elle a obtenu de demeurer à iamais vierge, repouſſe Vulcan amoureux d’elle, laquelle eſpanche en terre ſon ſperme ; dont vient à naiſtre vn monſtre. Quel prodige eſt-ce là, bon Dieu ? ſçauroit-on ouïr propos plus monſtrueux ? Cette nature de la region ſuperieure & celeſte ne deſcend pas ainſi pure iuſques és corps inferieurs : mais cette chaleur qui ayde à la generation eſt impure, & peſle-meſlee auec vne matiere groſſiere : & pourtant la ſemence de Vulcan tumbant en terre, engendre des animaux de diuerſes ſortes : ce qui eſt monſtré par la diuerſe & variable forme d’Erichthon : car il faut par tout prendre Vulcan pour vn feu trouble, eſpais & meſlé en ſa matiere, lequel eſt propre & duiſible pour engendrer. Fable de Pandore expoſee.Il forma Pandore, don de tous les Dieux, ſelon la ſignification du nom, d’autant que cette chaleur auance les inuentions de Cerés, de Bacchus, de Pallas, & des autres reputez Dieux : & luy apprit tous les arts & meſtiers, parce que ceux qui ont vne force ignee, le ſang ſubtil, & le corps mince & delié, ont ordinairement de l’eſprit & la ceruelle bien faicte. Explication de l’adultere deſcouuert par le Soleil.Il prit & enuelopa d’vn filé Mars Dieu des guerres auec Venus, & les expoſa tous nuds en riſee aux autres Dieux. Ce que ſi nous voulons rapporter à l’Aſtronomie, ne ſignifie autre choſe, que ceux qui naiſſent ſous la conionction de Mars & de Venus, ſont ordinairement paillards : mais ſi le Soleil s’approche d’eux, en deſcouurira leurs paillardiſes. Voila pourquoy le conte dit que le Soleil deſcouurit l’adultere de Venus. Mais Lucian rapporte que quelques vns furent nommez fils de Dieux, d’autant qu’ils eſtoient nais ſoubs des bons & fauorables aſtres. Il ſemble qu’Homere par telle Fable vueille exhorter les hommes à equité, innocence, & integrité de vie, veu que les Dieux ſçauent bien trouuer moyen d’attraper & chaſtier les meſchans, quoy qu’ils ſoient forts & puiſſans. Voicy ce qu’il en dit :

Fuy tout acte mauuais, car l’ire vengereſſe, Quoy que tardifue, atteint la plus prompte viſteſſe. Ainſi ſurprit Vulcan le plus tardif des Dieux, Mars le plus viſte-pied de ceux qui ſont és Cieux. L’induſtrie vaut mieux que la plus viue force.

Car qui eſt l’homme mauuais & faiſant iniquité qui puiſſe proſperer long temps ? Il n’y a ny quantité d’or & d’argent, ny nombre d’amis & de ſuiuans, ny nobleſſe de race, ny grandeur mondaine, ny ſceptre, ny couronne, ny compagnie de genſd’armes, qui puiſſe enleuer de la main & vengeance de Dieu vn meſchant homme, ny empeſcher qu’il ne reçoiue, toſt ou tard, le ſalaire de ſes forfaicts. Car c’eſt vne choſe bien certaine que l’on peut bien celer aux hommes vn meffait ; mais non à Dieu qui profonde nos cœurs, & connoiſt nos plus ſecrettes penſees, nos affections & nos volontez. Il n’y a que la bonne conſcience, innocence & integrité de vie, qui ne craigne point la vengeance ny de Dieu, ny des hommes, & qui ſoit par tout en repos & à ſon aiſe. Ils feignent ce Dieu s’eſtre addonné aux femmes, & quittant le ſeruice de Iupiter & de Mars s’eſtre mis à faire l’amour ; voulans dire que les voluptueux & ſubjets à l’amour ne tiennent conte d’honneurs, de moyens, ny de vertu, & qu’à l’appetit de Ve-nus ils quittent tous les autres Dieux, comme Virgile feint au 8. de l’Æneide, que Vulcan à la requeſte de Venus laiſſe & entremet toute la beſongne qu’il auoit commencee pour depecher les armes de ſon fils Ænee. Ie ſcay bien que ceux qui font profeſſion de boureller les metaux par le feu, ont des opinions qu’ils s’efforcent d’accommoder à leurs creuſets & vaiſſeaux. Inuectiue contre les Chemiſtes.Car il n’eſt pas croyable que les metaux puiſſent entre-eux changer de forme par aucun art, non ſeulement pource que l’art imite, aide & eſt chambriere de nature, laquelle ne confondant point les formes, auſſi n’y-a-il pas apparence que l’art le puiſſe faire : mais auſſi d’autant que pour parfaire & purement accomplir la forme de chaſque choſe, nature a beſoin d’vne matiere pure, & de commencemens purs, Au liure des pierreries.comme dit Theophraſte : leſquels elle ne ſe peut pas touſiours fournir comme elle voudroit bien. Car il ne faut pas ſeulement que chaſque forme ait ſon commencement propre & particulier pour ſa generation & ſon accompliſſement, qui ne peuuent s’accommoder à choſes fort diuerſes : mais il en faut auſſi qui ſoient purs, affin que tout ce qui ſe formera ſoit plus parfaict & plus accomply. Voyla pourquoy autres ſont les commencemens du diamant, autres ceux de l’eſmeraude, autres ceux de la cornaline, autres ceux du marbre : & entre les metaux, autres ſont ceux du fer, autres ceux du cuiure & airin, autres ceux de l’or, autres ceux de l’argent. Et ne faut penſer que tous ceux-cy ayent meſmes principes. Que s’il aduenoit que toutes choſes euſſent meſmes commencemens, on pourroit par art tranſmuer en or auſſi bien les pierres, ou le bois, que les metaux. Il faut donc conclurre que les choſes ont leurs particuliers principes, & que l’art ne les peut confondre ny peſle-meſler enſemble, ny les conuertir en autre nature. Ils diſent que ce Vulcan pour ſa deformité fut ietté hors du Ciel, n’eſt autre choſe que le ſoulphre, ou vif-argent, qui ne reçoit rien en ſoy qui ne ſoit de ſa nature : ains ſe ſepare de tous autres. Puis-apres, que Vulcan anima Minerue, parce qu’ils croyent que le ſoulphre & le fer aiment l’eau de Mercure, qu’ils nomment Minerue : leſquels eſtans enſemble, ſe ſeparent en putrefaction, d’autant qu’ils ſont de diuerſes natures : & que pour cette raiſon on a dict que Minerue fuyoit Vulcan. Mais pour ne m’amuſer à telles reſueries, qui ſont le goulfre & la conſommation de beaucoup d’or & d’argent, & le ſeront encor à l’aduenir à ceux qui ſuent & ſe trauaillent apres, beaucoup de gens ſe ſont efforcez d’approprier les Fables anciennes à leurs inuentions. Or affin qu’on ſçache que ie croy l’art Chymique eſtre plain de vanité, i’en ay autresfois dict mon aduis en vne epiſtre Latine que i’ay eſcrite contre les enfumees tromperies des Alchymiſtes : de laquelle ie veux extraire & citer icy quelques vers touchant ce ſujet.

Art qu’vn homme de bien ne peut voir de bon œil, Art trompeur, plain de dol, que tu mets au cercueil Doucement et ſans bruit celuy qui fol s’amuſe A tes ſubtils appaſts ! qui Circe, qui Meduſe Par tes enchantemens & charmes doucereux ! Penſe tu ſurmonter nature par tes feux ? Quelle rage eſt cecy ? de loing elle te quitte, Et trouues que ta peine eſt à neant reduitte. Le feu boit tes trauaux, le vent boit tes ſueurs. Elle deçoit tes yeux par cent & cent couleurs, Par maint trompeur obiect, par mainte fauſſe forme, Ainſi comme Proté quand il veut ſe transforme, Or’ en eau, or’ en feu, or’ en hideux ſerpent Or’ en roche, or’ en arbre, or’ en beſte, or’ en vent. Tu fais allambiquer ton bien à la fournaiſe, Que la fumee en l’air euapore à ſon aiſe. Qu’engendrent ces fourneaux ? vne peſte, vn venin, Vn deſir deteſttable, vne enragee faim A ce pauure idiot qui court à gueule bee Aprés l’or et l’argent : vne rage emflambee, Vn triſte deſplaiſir vn cuiſant creue-cœur Qui ronge ceux deſquels elle à trompé l’ardeur. Vid-on iamais aucun pris de telle manie, Que l’ire vengereſſe apres ne le manie ? Dieu punit tel meffaict, et leur temerité Les contraint à la fin par grand mendicité Courir à l’hoſtel-Dieu. Vn œil plein de chaßie, Vn front de craſſe hideux, vne barbe eſpaißie Leur affre le viſage, vn habit enfumé, De vapeurs de charbon ſalement parfumé. S’ils manquent au beſoing, d’vne menteuſe fourbe Ils payent reſolus la trop credule tourbe. Ils ſçauent le moyen de conuertir Mercur, Le metamorphoſant en lingots d’or fin pur Mais ſi ces alterez tiennent en leur cordelle Quelque homme bien renté, qui ait bonne eſcarcelle, La bourſe trop peſante, & croye de leger, Ils ont l’inuention de la bien alleger. Mais il verra qu’en fin leur fournaiſe importune Le contraindra courir vne meſme fortune, Le faiſant eſchoüer contre vn ſemblable eſcueil, S’il ſe peut à la longue eſchapper du cercueil.

Ie n’ay iamais creu que cette raiſon alleguee par Suidas, & de laquelle ſe ſeruent ordinairement tels ouuriers, ſoit ſuffiſante pour bien eſtançonner leur art : La Chymie (dit-il) eſt la preparation de l’or & argent, dont Diocletian recerchant vn iour les liures, les bruſla à cauſe des troubles que les Aegyptiens luy auoient ſuſcitez. Car il les fit cruellement mourir, & ramaſſant les liures que les anciens auoient eſcripts de la Chymie de l’or et argent, il les ietta dans le feu ; de peur que par leur moyen les Aegyptiens ne deuinſſent ſi riches, qu’ils oſaſſent à l’aduenir ſe ſouſtraire de l’obeyſſance des Romains, & leur faire la guerre. Car tout ce que Suidas dit n’eſt pas texte d’Euangile : auſſi fait-on beaucoup de contes fabuleux de la ſageſſe des Ægyptiens. Inuention du feu par Vulcan.Or il ne faut pas oublier à dire ce qu’on trouue par eſcript, que Vulcan fut le premier Roy d’Egypte, & premier inuenteur du feu : parce que la fouldre eſtant vn iour d’hyuer tumbee ſur vn arbre qu’elle embraſa, Vulcan s’aprocha du feu, & ſe trouuant bien de cette chaleur, il y ietta encore d’autre bois pour entretenir le feu : & par ce moyen ayant deſcouuert la nature du feu, il fit venir quelques ſiens ſubiets, & leur en apprit l’vſage & la proprieté : Parlons deſormais de Mars.