Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - II, 09 : De Neptun Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Neptun.

CHAPITRE IX.

Parenté de Neptun.NEPTVN fils de Saturne & d’Ops, comme nous auons dit, courut meſme fortune que Iupiter, & peu s’en falut qu’il n’eſprouuaſt en ſa perſonne la cruaute de ſon pere. Car aprés que Rhee eut enfanté Neptun, elle le cacha dans vne bergerie, parmy des aigneaux, & le bailla aux Bergers pour le nourrir, & faiſant ſemblant d’eſtre accouchee d’vn Poulain, le donna à ſon mary pour le deuorer. Iſace eſcrit que Neptun fut nourry par Arno, ainſi nommee du Grec arneín, c’eſt à dire nier, d’autant que comme Saturne cerchoit Neptun, elle reſpondit qu’elle ne l’auoit pas, & le nia : d’où auſſi vne ville de Bœoce fut ainſi appellee, qui auparauant ſe nommoit Sinuſe, comme dit Theſee au 3. liure de l’Eſtat de Corinthe. Il y en a d’autres qui veulent qu’elle ait obtenu ce nom de la trouppe d’Agneaux, parmy leſquels Neptun fut nourry. Au contraire les autres maintiennent que Iunon l’eſleua & nourrit. Or ſi toſt qu’il eut donne eſcorte à Iupiter és guerres qu’il eut apres auoir chaſſé Saturne hors de ſon Royaume, partageans entre-eux l’Empire de tout le monde, Neptun eut pour ſoy la mer & toutes les iſles, Iupiter le Ciel, & Pluton les Enfers, comme nous auons veu en Iupiter. Neptun marié par l’interceſſion d’vn Dauphin.Il eut à femme Amphitrite, laquelle aymant eſperduëment, & ne la pouuant par aucun moyen induire à le contr’aymer, il enuoya vn Dauphin, pour l’attirer à ſon amour, & luy perſuader de l’eſpouſer. Ce que le Dauphin ayant obtenu, afin que la memoire d’vn ſi grand bienfaict demeuraſt eternellement, le ſigne du Dauphin fut ſitué entre les Eſtoilles, comme dit Hygin és Fables des eſtoilles, & a le meſme Dauphin ſa place aſſez prés du Capricorne, ſelon le rapport d’Arat és Aſtronomiques. Les autres Dauphins eurent auſſi leur part de la recompenſe ; car ils obtindrent la viſteſſe ſur tous les poiſſons, & vn certain inſtinct qui les incline à aymer les hommes, comme, nous verrons au chapitre d’Arion. Nu. 8. ch. 14.Les autres diſent que Venilie fut femme de Neptun. Lucian és Sacrifices eſcrit, que Neptun auoit le poil noir, & les yeux bleus, comme dit Ciceron au 1. de la nature des Dieux : & les Poëtes le deſpeignent quelquesfois nud auec vn Trident & vne conque. Ceux qui l’introduiſent habillé, luy donnent vn habillement de couleur perſe, comme dit Phurnut. Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie, a laiſſé par eſcrit, que Neptun fut le premier eſcuier & autheur de l’art de cheualerie ; ce qui ſe prouue auſſi par le teſmoignage de Pamphe, tres-ancien Poëte Grec. Il ſemble que Sophocle en ſon Oedipe vueille dire que Neptun ait le premier dreſſé les Cheuaux à Athenes, là où depuis fut baſtie l’Academie. Mais celuy qui a expliqué Apollonius, dit que Seſonchoſe, Roy d’Egypte, qui regna aprés Orus, fils d’Iſis & d’Oſiris, que d’autres nomment Seſoſtris, monta le premier à cheual, l’ayãt accouſtumé à porter ſelle & mords. Le meſme maintient auſſi Dicearche au 2. liure de l’hiſtoire d’Egypte ; ce que toutesfois quelques-vns attribuent à Orus. Pour cette cauſe les Poëtes repreſentent Neptun porté ſur vn chariot par deſſus la mer, teſmoin Apollonius au 4. liure :

La bleuë Amphitrite parmy le flot ſalé Laſchera de Neptun le chariot ailé.

Orphee en ſes hymnes dit que ledit chariot eſtoit tiré par quatre Cheuaux :

Son carroſſe roüant, faict de bel artifice, A quatre bons Roußins, deſſus la ſuperfice De la plaine marine.—

Les autres ayment mieux dire que les veaux marins & les Balaines tirent ſon chariot, non les Cheuaux, veu qu’on tient qu’il trouua l’vſage & ſeruice du Cheual lors qu’il eut querelle auec Minerue en l’Areopage pour l’impoſition du nom de la ville d’Athenes, auquel temps il fit preſent aux hommes d’vn Cheual, & Minerue de l’oliuier, comme eſcrit Plutaque en la vie de Themiſtocle. Pour cette cauſe le Cheual luy eſt particulierement dedié, comme nous verrons tantoſt ; animal de ſon naturel aſſez farouche & reueſche, tres-propre neantmoins pour les commoditez de l’homme, ſymboliſant fort bien auec les humeurs des gens qui ſont d’vn courage propre altier, & à manier les armes, leſquels les anciens Autheurs (notamment Zezes en la 52. hiſtoire de la 2. Chiliade) qualifient enfans de Neptun & ſes plus fidelles amis, comme prompt à venger leurs querelles, quoy que parfois aſſez inconſiderément, ainſi qu’en fait foy l’hiſtoire ſuiuante. Mort d’Hippolyte par la fauſſe accuſatiõ de sa belle mere.Theſee fils de Neptun eſpouſa en ſeconde nopces Phedre, fille de Minos, Roy de Candie, & craignant qu’Hippolyte, ſon fils du pre-mier lict, qu’il auoit engendré de l’Amazone Hippolyte, ne malraittaſt les enfans qui luy pourroient naiſtre de ladite Phedre, l’enuoya vers Pithee ſon ayeul maternel Roy de Trœzene, pour eſtre nourry prés de luy, & qu’auenant ſon decez il le laiſſaſt ſucceder de la couronne. Sur ces entrefaites auint à Theſee de tuer vn ſien proche parent nommé Pallas, & ſes enfans, parce qu’ils vouloient ſuſciter des troubles & remuer l’eſtat d’Athenes ; & pour ſe purger, fit le voyage de Trœzene auec ſa nouuelle eſpouſe ; qui n’eut ſi toſt enuiſagé l’infant Hippolyte, qu’elle en fut outree d’amour, le voyant ieune, beau, & accomply de pluſieurs perfections. Cette impatience d’amour luy fut ſuggeree par l’inſtigatiõ particuliere de Venus extremément indignee contre le ieune homme, s’alla, pour raiſon de ſa chaſteté ; joint qu’il s’eſtoit entierement voüé à Diane. Phedre ainſi coiffee d’amour s’alla deſcouurir à ſa nourrice ; qui ſoudainement en porta la parole à Hippolyte. Mais abhorrant ce deteſttable crime, ne voulut aucunement condeſcendre à l’impudicité & appetit deſordonné de ſa maraſtre. Elle voyant ſes offres, ſollicitations & pourſuittes renuoyees au loing, l’accuſa enuers Theſee de l’auoir requiſe & importunee de ſon deſhonneur. A quoy adiouſtant foy trop legerement, il chaſſa & bannit Hippolyte, auec imprecation aux Dieux de ne le laiſſer longuement viure ; & à Neptun ſon pere de le venger d’vn ſi perfide attentat. Ainſi Hippolyte monta ſur ſon chariot pour fuyr l’indignation de ſon pere. Et comme il paſſoit ſur le riuage de la mer, voicy s’eſleuer vn orage, auec vn bruit tres-eſpouuenttable, à la guiſe d’vn rude coup de tonnerre, iettant vn merueilleux & horrible eſclat, accompagné d’vne onde, qui ronflant & boüillonnant d’vne groſſe eſcume tout-autour, eſchoüa en terre vn grand & eſpouuenttable Taureau marin, rugiſſant d’vne facon monſtrueuſe, & vomiſſant par les narreaux & gueule l’eau à groſſes ondes. Les Cheuaux d’Hippolyte apperceuans ce monſtre, en furent fort effarouchez, que dreſſans les oreilles, & ronflans eſtrangement, ils prindrent la fuitte à toute bride, & courans à trauers les rochers, ſans qu’il y euſt moyen de les retenir, renuerſent le chariot, l’aiſſieu ſe rompt, les rouës s’eſcartent, & froiſſent contre les arbres & rochers, tout ſe briſe & vole en pieces. Voila le pauure Hippolyte porté par terre, encheueſtré parmy les longes & reſnes des cheuaux ſans ſe pouuoir deſpeſtrer ; ſi que chariot & cheuaux, luy paſſans & repaſſans ſur le ventre, tout ſon corps en fut froiſſé & mis en pieces. Reſſuſcité par Æſculape.Eſculape depuis à la ſollicitation de Diane le reſuſcita : & elle, afin qu’il ne fuſt recogneu, l’affubla d’vne nuee, le fit d’vn aage plus viel qu’il n’eſtoit, & luy changea ſon nom, l’appellant Virbie comme deux fois né, ou deux fois homme ; & le deïfia. Aucuns diſent, qu’il fut transformé au Ciel, en l’aſtre nommé Charron ou Cocher. En ſuitte Prædre ſe repentant d’vn ſi malheureux trait fourby par ſa luxure & perfidie, ſe pendit & s’eſtrangla, comme ſouſtiennent pluſieurs Autheurs. Iuſte punition diuine ſur Phædre.Les autres veulent dire qu’elle ſe pendit dés que l’Infant l’eut eſconduite, laiſſant pour ſauuer ſon honneur, vn petit mot de lettre pendant à ſes mains, qui contenoit toute la ſuſdite calomnie.

Neptun banni du ciel.Neptun baſtit les murailles de Troye ; c’eſt pourquoy l’on dit qu’il fuſt ſeruiteur de Laomedon Roy de Troye, pere de Priam. Lors que les Dieux liguez conſpirerent de garrotter Iupiter, Thetis luy en donna auis : dont il les chaſtia, releguant Apollon & Neptun pour leur ſupplice à ſeruir neuf ans le Roy Laomedon, qui baſtiſſoit la ville de Troye. Laomedon fit autant d’honneur à Apollon qu’il s’en peut faire à vn Dieu : mais pariure qu’il eſtoit, & Prince de mauuaiſe foy ; apres que ces pauures Dieux, deſpoüillez de leur diuinité, l’eurent longuement ſeruy, tant en la manufacture de maçonnerie, qu’à la garde de ſon beſtial ; comme ils vindrent à demander le ſalaire pour lequel ils auoient conuenu auec luy ; il ne les eſconduiſit pas ſeulement ; mais les menaça, cas auenant qu’ils inſiſtaſſent à leur pourſuitte importune, de leur faire à tous deux coupper les aureilles, & les releguer pieds & mains liez & garrottez, en quelques iſles loingtaines, ſelon le recit d’Homere au 21. de l’Iliade. Eux indignez extremément, ſe retirerent : puis Apollon par vengeance luy ſuſcita vne griefue & funeſte peſtilence : Neptun enuoya vn Phyſitere, hideux & horrible monſtre marin, qui vomiſſant la mer, noya tout le pays d’alentour. Les citadins ayans enuoyé vers l’Oracle, pour s’enquerir du moyen de remedier à ce deſbord, eurent aduis, qu’il ne ſe pouuoit euader, qu’en abandonnant chacun an vne Pucelle pour eſtre deuoree par le monſtre. Ce qu’ils firent, la choiſiſſans par ſort. Heſione expoſee. Voyez ſa miraculeuſe deliurance au 6. l. ch. 8 & au 7. l. ch. 1. au 9. labeur de Hercule.Auint qu’à tour de roole le ſort tumba ſur Heſione fille de Laomedon, qu’il aymoit vniquement ; voire beaucoup plus qu’Æthaſe, qu’Aſtyoche, & que Medicaſte, ſes autres filles, dont s’enſuiuirent pluſieurs autres incommoditez & dommages generaux & particuliers. Neantmoins Herodote dit n’eſtre pas vray que Neptun & Apollon ayent eſté ſeruiteurs de Laomedon : mais que le conte eſt venu de ce que Laomedon employa pour faire les murailles de ſa ville l’argent dedié aux Sacrifices de Neptun & d’Apollon. Cependant Virgile dit que Neptun de ſes propres mains baſtit Troye, au 9. liure :

N’ont-ils pas deſia veu les murs Troyens conſtruits De la main de Neptun par la flamme deſtruits ?

Auſſi les Poëtes appellent ſouuent la ville de Troye, Neptunienne. Pareillement Ouide en l’Epiſtre de Paris, dit que les murs de Troye, furent baſtis au ſon de la lyre d’Apollon :

Tu verras Ilion, ſes murs gabionnez, Ses rempars d’eſperons autour baſtionnez, Que iadis Apollon ſous le ſon de ſa lyre De ſa diuine main daigna meſme conſtruire.

Enfans adulterins de Neptun.Or combien qu’il fuſt marié à Amphitrite, ſi eſt-ce qu’il a eu vne infinité d’enfans de pluſieurs Nymphes & concubines. Car il a eu Phœnix de Lybie, Bele d’Agénor, Calene de Caleno l’vne des filles de Danaus, Nauplie d’Amymone ; de Pitane, Euadne, & Aone, qui a donné nom à l’Aonie, païs montueux en Bœoce ; & Phæace, dont la Phæacie prit ſon nom, qui eſt maintenant Corfou ; Phœnix, de qui la Phœnice fut nommee ; & Athon, duquel la montagne d’Athon porte encore le nom. Car pluſieurs de ſes enfans donnerent leur nom a beaucoup de places. Il eut auſſi Dore, de qui ſont venus les Doriens, & Altephe de Laïs fille d’Ote : Ancee d’Aſtypalee, & Periclymene, & Ergine : Anthame d’Alcyone fille d’Atlas ; Anthas, & Hyperet, qui baſtirent & nommerent des villes en Trœzene : Bœote d’Arno ; Hippothoë d’Alope fille de Certion ; Aſope de Cecluſe ; Orion de Brylle ; les Tritons, l’vn gemeau auec Eurypyle, de Celeno ; l’autre d’Amphitrite ; Create & Euryte de Molion ; Minyas de Chryſogone fille d’Alme ; Delphe de Melanthe ; Minye de Callirhoë ; Eryce de Venus ; Ogyge d’Aliſtre ; Taphie de Hippothoë ; deux Cygnes, l’vn de Cayce, l’autre de Scamandrodice ; Minyas de Tritogenie fille d’Æole ; Aſpledon de la Nymphe Midee ; Parnaſe de Cleodore ; Eurypyle & Eupheme de Mecionique, à laquelle il donna cette prerogatiue de cheminer ſur la mer comme ſur terre-ferme. Dauantage, Eupheme, qui fut ſoubs-maiſtre & gouuerneur de la proüe du vaiſſeau d’Argo au voyage de la Toiſon d’or : Amycis, Albion, Aello, Anthee, Amphiman, Aethuſe, Aon, Alebie, Dercyle ; Nelee pere de Neſtor, & Pelias oncle de Iaſon, de Tyro fille de Salmonee le ſuperbe, laquelle s’eſtant amourachee de la riuiere d’Enipe en Theſſalie, faiſoit continuellement ſa reſidence autour d’elle. Or Neptun ayant vn iour pris ſa ſemblance, s’en vint aſſeoir à ſon emboucheure, enuironné d’vn gros flot bleu-verdaſtre, dans lequel il enuelopa la Nymphe, eſpandit vn profond ſommeil, & accomplit l’acte amoureux : puis (dit Homere en l’onzieſme de l’Odyſſee) la prenant par la main il luy tint ce meſme langage : Reſiouï toy femme de noſtre amour, car deuant qu’il ſoit vn an tu en auras de fort beaux enfans, les embraſſemens des Dieux immortels n’eſtans iamais vains. Eſleue-les doncques, et les nourry ſoigneuſement. Au reſte va t’en de ce pas en ta maiſon, & retiens ta langue, ſans dire mon nom à perſonne : car ie ſuis l’eſbranle-terre Neptun. Puis il eut d’vne autre, Aſtree, qui par meſgarde coucha auec Alcippe ſa ſœur, & le lendemain reconnoiſſant l’anneau qu’elle luy auoit donné, de dueil qu’il en eut ſe ietta de dans la riuiere, qui fut pour ce regard dicte Aſtree. Item, Caïque de Caïque fils de Mercure & d’Ocyrhoé, comme eſcrit Leon de Conſtantinople au 3. liure des riuieres : & Melane, de laquelle le Nil fut nommé Melas : Actorion, Borgion, Bronte, Buſiris Certion, Crocon, Crome, Chryſaor, Cenchree, Chryſogenee, Chie, Dore, Eupheme, Ircee, Lelex, Lamie propheteſſe & Sibylle, Hallirhot, Leſtrygon, Megaree, Meſape, Ephialte, Nyctee, Melion, Naulrhoë, Othe, Occipite, Polypheme, Pyracmon, Phorque, Pelaſgue, Oncheſte, Pheaz, Pegaſe, Phoque, Perat, Sicule, Sican, Sterope, Tare, Theſee, Tarante, Tyret, & vne infinité d’autres : car i’en ay leu plus de quatre-vingts, qu’il n’eſt beſoin de nommer icy, comme eſtant choſe plus ennuyeuſe que proufittable.

Chefs d’œuure de trois Dieux s’entrequerellans.Lucian en ſon Hermotime eſcrit, que Neptun, Minerue & Vulcan gagerent vn iour à qui feroit vn plus beau chef-d’œuure, que Minerue baſtit vne maiſon, Vulcan forgea vn homme, & Neptun fit vn Taureau, d’autres diſent vn Cheual : & que pour cette raiſon ſes deſcendans ont creu qu’il auoit le premier dreſſé les Cheuaux. Nous auons veu cy-deſſus comment il eut en partage la mer. Herodote en ſa Polymnie eſcrit que les Theſſaliens diſoient ordinairement que Neptun auoit fait vn eſgouſt & foſſé par où couloit le Penee riuiere de Theſſalie, dicte auiourd’huy Salampria, & que ceux qui penſent que Neptun esbranſle & eſloche la terre, ont raiſon de le croire. Herodote eſt de ceux qui tiennent que les eaux ſont cauſe des tremblemens de terre, non-pas les vents enclos ſous terre, qui courans çà & là ne cherchent que paſſage pour s’enfuyr, comme l’enſeigne Ariſtote au 3. des Meteores, & Lucrece au 6.

Cauſe du tremblement de terre.Les vents ſont emportez dans les creux de la terre, Ou l’vn l’autre de prés par heurtades ſe ſerre D’vn choc reïteré, puis de coups drus & ſorts S’entrepouſſent ſi bien, que l’un l’autre met hors. Le chaſſé cherche place, & d’vne force altiere Court deçà, court delà, pour rompre ſa barriere. Cette cauſe de vents qui taſchent à ſaillir, Fait d’un tremblant effroy la terre treſſaillir.

Charges de Neptun.Ce Dieu-cy auoit deux charges, des nauigeans, & des Cheuaux, comme Homere dit en ſes Hymnes :

Les Dieux t’ont aßigné double office, Neptun, Eſcheuz auec honneur en partage commun, De dreſſer les Cheuaux plus fougueux, plus ſauuages, Et ſauuer les vaiſſeaux qui voguent, de naufrages.

Surnõs.Orphee en dit autant en ſes hymnes : & pour cette cauſe il y auoit en Arcadie ſur la riuiere de Milaonte vn Temple dedié à Neptun Ondoyant, ou Desbordé, ainſi ſurnommé, d’autant que lors qu’Inache, & ceux qui eſtoient arbitres auec luy, eurent adiugé le pays à Iunon Liure 8. chap. 23.(comme nous dirons plus à plein en Inache) la mer ſe deſborda & noya la plus grande partie de cette contree : puis aprés Neptun ayant à la priere de Iunon faict retirer la mer, les habitans baſtirent vn Temple à Neptun, Ondoyant ſur la place meſme par où l’eau s’eſtoit eſcoulee, ſelon le teſmoignage de Pauſanias és Corinthiaques. Peut-eſtre que pour ce regard, & pour perpetuer la memoire de ce faict, les Atheniens en dedierent vn à Neptun Iette-eau, comme il dit en l’hiſtoire d’Attique ; & aux Arcadiques il eſcrit que les Arcadiens auoient vn Temple conſacré au Cheualier Neptun. Et les Poëtes nous le donnent touſiours pour vn grand caualcadour, & fort amateur de cheuaux tant marins que terreſtres, & le diſent auoir eſté bon homme de cheual, pour cette cauſe luy donnent-ils ſouuent le ſurnom de Cheualier : pource qu’eſtant tumbé en contention auec Minerue, qui d’eux deux donneroit le nom à ia ville d’Athenes, ils conuindrent que ce ſeroit celuy qui produiroit vne choſe de plus grand vſage pour les commoditez de la vie humaine. Lors il frappa la terre de ſon Trident, dont il ſaillit vn Cheual nommé Scyphion. Mais Minerue fit naiſtre vn oliuier ſur le champ, & gagna ſa cauſe au dire des Dieux arbitres de ce plaidoyé ; & impoſa ſon nom à Athenes, car Athené en Grec veut dire Minerue. Ainſi doncques à Neptune on attribuë l’art d’auoir dompté les Cheuaux, & de s’en ſeruir : item l’vſage du chariot, comme nous l’expoſerons tantoſt. Il a eu pluſieurs autres ſurnoms ſelon diuerſes occurrences, & ſuiuant la phantaſie de chaque Poëte, & de ceux qui luy auoient quelque particuliere deuotion. Plutaque en la vie de Pompee fait mention de trois ſomptueux & riches Temples de Neptun, recitant les ſaincts lieux, pillez par les corſaires & pirates : l’vn en l’Iſthme, l’autre en Tenar, & l’autre en la Calabre, car elle luy eſtoit conſacree. Apollodore au 3. liure nomme certaines places ſur leſquelles Neptun commandoit ;

Tel que ſur ſon carroſſe en Iſthme s’achemine A quatre forts Roußins Neptun, guide-marine Pour aßiſter aux jeux, ou qu’il vient viſiter Tenar, ou l’eau Lernee, ou l’Hyantien air : Ou que par la Calabre il tire vne carriere Treſſant de ſes Cheuaux la fumante criniere : Ou qu’il paſſe à trauers les rocs Æmoniens, Ou qu’il prenne briſee és bois Gereſtiens.

Sacrifice de Neptun.La couſtume eſtoit de luy ſacrifier vn Taureau noir : comme teſmoigne Homere au 5. de l’Odyſſee :

Qu’on immole à Neptun aux cheueux azurez Des Taureaux au poil-noir ſur ſes autels ſacrez.

Et Virgile au 5. liure :

—deux Taureaux, ſçauoir l’un Pour toy bel Apollon ; l’autre pour toy Neptun.

Cette inſtitution vint de l’ordonnance de l’Oracle. Car on dit qu’il arriua vn iour à Corfou, que durant les guerres des Perſes, leur eſtant demeuré quantité de bœufs, vn Taureau reuenant de brouter, ſe print à meugler par pluſieurs fois vers la mer, & ſe tint là tout le reſte du iour : puis aprés le bouuier s’approchant de la mer, vid vn nombre infiny de Thuns, ce qu’il rapporta à ceux de Corfou. Ils ſe mirent donc en deuoir d’en prendre, mais en vain. Et pourtant ayans demandé l’aduis de l’oracle, on leur reſpondit qu’il falloit offrir en ſacrifice vn Taureau à Neptun. Ce qu’ayans faict, ils firent vne tres-belle peſche de Thuns. Vn temps fut auſſi qu’on luy ſacrifioit des Thuns. Marc Manile au 2. liure de l’Aſtronomie, dit que le ſigne des Poiſſons eſt conſacré à Neptun, racontant les ſignes celeſtes appropriez à chaque Dieu :

Pallas a le Belier, & Venus le Taureau, Phebus en garde prend l’un & l’autre Gemeau, La Lune, le Cancer, de Iupin & Cybele Le Lion eſtoillé ſe tient en la tutelle : La Liure eſt à Vulcan ; & la Vierge à Cerés. Le Scorpion guerrier du preux Mars ſe tient prés, Diane du Chaſſeur la croupe cheualine Regit ſous ſon pouuoir : c’eſt Veſta qui domine Deſſus le bouc cornu. Le ſigne de Iunon Aduerſaire à Iupin a deſſous ſon guidon Le Vers’eau : & Neptun en la plaine liquide Reconnoiſt les Poiſſons eſtre deſſous ſa guide.

Suite de Neptun.Neptun eſtoit touſiours accompagné de grand nombre & ſuitte de Dieux marins & de Nymphes, deſquels Virgile en nomme quelques-vns.

Vn eſcadron diuers de compagnons le ſuit : Les Balenes monſtrueux, la ſuitte du vieil Glauque, L’Inoë Palemon, les Tritons promps, de Phorque Le regiment entier, grands, moiens & petits. A l’aille gauche vient & Melite & Thetis, Cymodoce, Spio, la vierge Panopee, Suiuies quant et quand de Thalie & Neſee.

Ses amours.Ouide eſcrit que ce Dieu ſe transforma en diuers corps pour iouyr de ſes amours : au 6. de ſes Metamorphoſes, en la deſcription de l’ouurage d’Arachné :

Dauantage elle peint comme le Dieu Neptune Enflammé d’vn chaud feu d’amour qui l’importune Sans ceſſe, ſans repos, d’vn changement nouueau Se reſolut veſtir la ſemblance d’un Veau Pour d’Æole venteux la fille ainſi ſurprendre. Puis-apres comme il vint la forme humide prendre De la riuiere Enipe, & ſi bien en vſer Qu’il en pût aiſément rauir & abuſer La femme legitime à Aloüs coniointe, La rendant de ſes reins de deux enfans enceinte. D’autre part en Mouton mué on l’apperçoit Alors que Biſalpis il abuſe et deçoit. Derechef en Cheual, quand d’aimer il procure Cerés treſſant ſon chef de blonde cheuelure. Elle adiouſte à ſes traits comme ce meſme Dieu Reueſtit d’vn Cheual la forme en autre lieu Pour ioüir de l’amour de Gorgone Meduſe, Qui peu de temps aprés par ſon crime confuſe, De Coleuures hideux ſentit ſon chef voilé, Duquel trenché naſquit ce beau Cheual ailé. Puis comme il s’equippa d’vne forme Dauphine Pour auoir Melantho d’vne cautelle fine.

Voila les prificipaux points que les Anciens nous ont laiſſez en leurs memoires touchant Neptun : Voyons maintenant quel proffit nous en pourrons tirer.

Expoſition naturelle de la Fable ſuſdite.Ciceron au premier liure de la nature des Dieux, ſuiuant l’aduis de Chryſippe, dit que Neptun eſt l’air qui s’eſpand ſur la mer, neantmoins on ne nommoit pas ſeulement du nom de Neptun cet air là, mais auſſi l’Element meſme de l’eau : & quelquefois cet eſprit & entendement diuin eſpanché ſur la mer, & preſeruant de corruption toute la nature & maſſe de l’eau ; qui neſtoit autre choſe que l’ame diffuſe des Elemens, comme elle eſt és animaux & plantes. Car dés qu’elle fait ſa retraitte, ſoit vne harmonie & proportion, ou bien vn nombre ſe mouuant ſoy-meſme, ou vne eſſence diuine & immortelle, il faut neceſſairement que le corps vienne à ſe corrompre. Et pourtant encore qu’il ne nous ſemble pas que les Elemens ayent vie, ſi eſt-ce que par vne certaine vertu & puiſſance diuine qui les preſerue de ruine, ils ſont ſi bien meſlez & peſtris enſemble, que par le moyen d’icelles ils ſont entretenus & conſeruez en leur eſtre. Les Anciens ont nommé cette vertu diuine, au ciel Iupiter, en l’air Iunon, en l’eau Neptun ; & chaque partie d’iceux a eu quelque nom de Dieu. Que Neptun ait eſté ſecrettement ſouſtrait à la gloutonnie de Saturne, & que c’eſt que Saturne, & par quel moyen les Elemens ont eſté garantis contre la cruauté de ce Dieu, ie croy que nous l’auons ſuffiſamment declaré en Iupiter & Saturne. Pourquoy l’on donne Arno pour nourrice à Neptun.Mais pourquoy a-il eſté nourry par Arno ? parce que ceux qui voyagent ſur mer apprennent aſſezpar experience qu’il ne ſe faut aucunement fier à cet element. Car du temps que la memoire d’Arno nourrice de Neptun eſtoit encore fraiſche parmy les Anciens, on ne voyoit point ſi grand quantité de vaiſſeaux faiſans voile voire par maniere de dire importunans la mer ; & comme dit Lucrece au 6. liure :

Les flots tourbillonnans de la plaine ſalee Ne faiſoient eſchouër encontre les rochers D’vn naufrage eſperdu les demi-morts Nachers. Lors la mer flo-flottant d’vne ire vagabonde N’abandonnoit les nefs à la mercy de l’onde. Elle auoit außi-toſt appaiſé ſon courroux. Neptune ne pouuoit, tant fuſt-il calme & doux, Tirer au gre des eaux nulle nef trauerſiere Pour tracer ſur ſon dos vne viſte carriere.

Car que peut-on dire de la mer auec plus de verité, ſinon qu’il n’y a point d’arreſt, point d’aſſeurance en elle ? puis que pour peu de vent qui ſe leue, il ſuruient vne groſſe tourmente, qu’il ſemble que les flots courroucez auec menaces ſe bander contre le Ciel, & leur incroyable bruit & fremiſſement ſe fait ouyr iuſques aux montagnes bien loingtaines. Raiſon du ſacrifice de Neptun.On ſacrifioit à bons tiltres vn Taureau noir à ce Dieu, d’autant que la mer imite la fureur & le meuglement du Taureau. Que c’eſt qu’Amphitrite.Sa femme eſtoit Amphitrite, qui n’eſt autre choſe que l’eau meſme, comme teſmoigne Eurypide au Cyclope :

Encor que rien ie ne voye, Ie paſſe ce gay brauement Et trauerſe remply de joye Amphitrite fort ſeurement.

Orphee és Argonautiques l’appelle, bleue, verte, poiſſonneuſe & immenſe, qui ſont effects de la mer, non pas qualitez propres à aucune Deeſſe. Elle doncques n’eſtant autre choſe que l’eau, eſt dicte femme de Neptun, qui eſt (comme nous diſions n’agueres) l’eſprit eſpandu par tout le corps de la mer, & par maniere de dire l’ame de l’element de l’eau. Car l’amphitrite eſt le corps & la matiere de toute l’humeur qui eſt ou autour de la terre, ou encloſe dedans. Ceux qui nous contens que par l’entremiſe du Dauphin Amphitrite cõſentit à l’amour de Neptun, n’ont voulu donner à entendre autre choſe, ſinon que Qualitez du Dauphin.le Dauphin ſurpaſſe tous autres poiſſons de maree en induſtrie & connoiſſance, & en viſteſſe de corps ; au lieu que les autres animaux marins ſont hebetez, & preſque ſtupides, qui s’enfoncent plus auant en l’eau, pour eſtre d’vne qualité plus abondante en humeur que le Soleil ne peut digerer : de façon qu’il y en a entre-eux deſquels on doute s’ils meritent d’eſtre appellez animaux. Peut-eſtre toutes-fois que telles perſonnes pour l’amour deſquelles tout cecy fut feint, ont eſté ainſi nommees, de maniere qu’on le peut auſſi bien accommoder aux choſes naturelles & morales. Mais pourquoy luy donne-t’on ſi grande quantité d’enfans, tant legitimes qu’adulterins ? Venus eſt par les Poëtes appellee Haligene, c’eſt à dire, engendree de la mer, & les Dieux marins ſont touſiours par eux introduits autheurs d’vne tres-plantureuſe lignee, à cauſe que le ſel par ſa chaleur & acrimonie mordicante prouocque à luxure, tellement qu’on auance la portee des chiennes leur faiſant manger des ſaleures, & les vaiſſeaux chargez de ſel ſont bien plus ſubiects que les autres à engendrer des rats & ſouris ; dans leſquels les femelles s’empreignent à force de lecher le ſel : pour cette cauſe les Egyptiens, gens fort religieux & d’vne tres-ſeuere regle, s’abſtenoient entierement de l’vſage du ſel, cõme par trop excitatif de volupté & concupiſcence. La forme que les Poëtes donnent à Neptun, qu’eſt-ce autre choſe que la nature ou couleur de la mer ? car qui ne ſçait que la couleur bleuë ou perſe, eſt celle de l’eau marine ? Derechef, Neptun repreſenté nud ne ſignifie autre choſe que la nature des eaux douces. Car les eaux qui n’ont point de couleur ou qualité apparente, ſont les plus ſaines. Quant au Trident que Neptun porte en guiſe de ſceptre, il monſtre ſa triple puiſſance, c’eſt à ſçauoir qu’il a moyen d’eſmouuoir, de calmer, & de conſeruer la mer. D’autres ayment mieux dire que cela a eſté feint, d’autant qu’il commande ſur les eaux douces, ſalees & moyennes, telles que ſont celles des lacs & des eſtangs. Premier inuenteur de cheualerie.On dit qu’il trouua le premier l’vſage du Cheual, & l’art de Cheualerie, parce qu’vn certain perſonnage nommé Neptun, Theſſalien de nation, en fut le premier autheur, il y en a toutesfois qui rapportent cette inuention à la nauigation, d’autant qu’il ſemble que les nauires, par maniere de dire, aillent à cheual ſur le dos de la mer. Charité de Neptun & ſa ſuitte.Il eſt porté ſur l’onde en vn chariot ; ſuiuy & accompagné de Tritons & monſtres marins, pource que durant la tourmente, les ondes & flots bruyans d’vne eſtrange facon, heurtans & chocquans le vaiſſeau l’emporterent comme s’il eſtoit monté ſur des rouës. Cela ſe prouue par le teſmoignage de Plutarque, qui en la vie de Themiſtocle eſcrit, que Contention des trois Dieux expoſee.le conte de la contention de Pallas & de Neptun pour la nomination de la ville d’Athenes, procede de ce que Neptun fit preſent d’vn Cheual, & Minerue de l’Oliuier : & ſelon la valeur & precellence du preſent, le pays fut adiugé, d’autant que taſchans (comme l’on dit) de deſtourner leurs citoyens d’entreprendre des voyages ſur mer et les accouſtumer à viure ſans nauiger, afin qu’ils s’addonnaſſent à planter force arbres, ils firent courir ce bruit touchant Pallas, que debattant auec Neptun pour la dedicace du pays, elle preſentant vn Oliuier aux Iuges, emporta la victoire. Si donc Neptun en cette contention donna vn Cheual, & ſi l’on ne prend le Cheual pour vn nauire, comment eſt-ce qu’ils vouloient par tel conte deſtourner leurs bourgeois & citadins de voyager ſur mer ? Sacrilege de Laomedon.Neptun & Apollon furent ſeruiteurs de Laomedon, Roy de Troye, parce qu’il employa à ſon proffit, & pour faire les murailles de la ville, l’argent dedié pour les Sacrifices de ces deux Dieux, lequel toutefois il ne rendit pas aux Religieux, comme il auoit promis. Mais les pauuretez & miſeres qu’il endura pour n’auoir tenu conte de Neptun, que denotent-elles, ſinon qu’on ne peut negliger le ſeruice de Dieu, que malencontre n’arriue puis-apres ? Enfans de Neptun que denotent.Et cette ſi grãde quantité d’enfans qu’à Neptun, qu’eſt-ce autre choſe que la fertilité de la mer ? Car ſi la nature ne faiſoit multiplier les poiſſons d’vne eſtrange ſorte, la mer en ſeroit bien-toſt deſpourueuë, veu qu’à peine les eaux en peuuent autant produire qu’on en deuore. Voila pourquoy l’on nommoit tous les enfans de Neptun, cruels, comme ſont ordinairement les gens d’eau.

Expoſition morale.Expoſons maintenant ce qui peut ſeruir pour l’edification de la vie humaine. Et premierement, comme ainſi ſoit que liberalité & largeſſe eſt la premiere, & comme la Royne de toutes vertus, & n’appartient à autre qu’à Dieu, ou aux Roys, on iugera auec raiſon que le plus grand vice de tous eſt l’ingratitude & oubliance des bienfaicts, qui ne peut eſchoir qu’en vn courage ſordide & abiect. Liberalité autant digne d’vn Prince que l’ingratitude en eſt indigne.Pour cette cauſe les Anciens feignent que Neptun reconnut le plaiſir que le Dauphin luy auoit faict : & afin que la memoire de ce bienfaict fuſt eternelle, & que ſes deſcendans fuſſent par ce moyen exhortez à s’eſuertuer à bien-faire, l’on donna le nom de Dauphin à vn certain nombre & rang d’eſtoilles, en faueur d’iceluy. Religiõ, pieté & recognoiſſance & recõmandees par la fable de Laomedon.Ce que Laomedon fut chaſtié & encourut pluſieurs afflictions & calamitez pour auoir meſpriſé les Dieux, c’eſt pour induire les hommes à pieté & au ſeruice de Dieu ; d’autant que quiconque aura ſeruy Dieu purement & ſaintement, auec vne vie religieuſe, & integrité de mœurs & qui aura rendu à Dieu le deuoir & l’honneur qui luy eſt enjoint par les Sages ; cettuy-là ſeul aura paix eternellement enuers Dieu, éuitera beaucoup d’incommoditez, & en toutes aduerſitez, ſe conſolera ſur l’innocence de ſon ame. Mais celuy qui mettra en arriere Dieu, autheur de tous bien-faicts, & pere de tous les hommes, comment pourra-il eſtre homme de bien, iuſte, & attrempé ? & s’il ne peut eſtre rien de tout cela, comment s’empeſchera-il de choir en beaucoup de diſgraces ? Les Anciens doncques par cette Fable de Laomedon nous exhortoient à religion & reconnoiſſance des biens & plaiſirs que nous auons receus : & nous mettoient deuant les yeux l’inconſtance de fortune, puis que meſme les Dieux faiſans mal leur deuoir enuers Iupiter, chaſſez du Ciel furent contraints par neceſſité de ſe mettre au ſeruice d’vn homme. Fable d’Hypolite expliquee.Theſee eſt tres-mal auiſé de deſirer la mort à ſon fils Hippolyte, fauſement accuſé par ſa belle-me-Fable d’Hippolyte expliquee.re Phedre de l’auoir priee d’amour : cependant Neptun exauce la priere de Theſee. Quelle meſchanceté eſt-ce là, bon Dieu ! accorder à ſes plus chers amis ce qui leur doit à iamais eſtre dommageable & ennuieux ? Car Neptun enuoye des veaux marins cõtre les Cheuaux d’Hippolyte, tirant vers la mer, qui prenans la fuitte le deſchirent en pieces. Auquel Hippolyte Diomede dedia depuis vn tres-plaiſant boſcage auec vn temple & vne image faite à l’antique, & luy ſacrifia le premier de tous, comme dit Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe. A Trœzene les filles ſe couppoient les cheueux deuant leurs nopces, & les luy voüoient. Les Anciens doncques par ces diſcours embroüillez nous ont voulu exhorter d’eſtre patiens, & ne nous point eſtonner ſi quelquefois Dieu fait la ſourde-oreille quand nous l’inuoquons, d’autant que le plus ſouuent les hommes ignorans demandent ce qui leur eſt nuiſible, & qui leur tourneroit à tres-grand dommage & nuiſance s’ils l’obtenoient. Et pourtant vn ancien a ſagement dict :

Que nul homme viuant aux ſouhaits ne s’arreſte. Donnons aux Dieux loiſir d’eſplucher la requeſte Que nous leur preſentons : ſi nous auons beſoing De conſeil ou d’auis, ils auront bien le ſoing De nous fournir à temps ce qui nous eſt vtile.

Or que tout cecy ait eſté mis en auant à cette intention ſeulement, il appert de ce qu’ils font Neptun le plus mal-auiſé & plus cruel de tout le monde. Car comment peut eſtre homme de bien celuy qui iuge vne cauſe dont il n’a connoiſſance ? ou qui à l’appetit de ſes amis faict mourir ou condamne vn innocent, vn homme de bien, chaſte, & temperé ; comment ne ſera-il pas meſchant & deteſttable ? Ce ne fut donc pas vn Dieu ſage que Neptun, non-pas meſme bon ny iuſte, s’il accorda vne ſi deſraiſonnable & inique requeſte à ſon fils Theſee ; ce qu’il ne faut aucunement eſtimer de Dieu, puiſque toutes ces fictions n’ont eſté inuentees que pour ſeruir d’inſtruction. Quelques-vns cuident que l’Empire marin fut donné à Neptun ; d’autant qu’il fut le premier qui fit voile, Neptun Admiral de Saturne.& que Saturne le fit Admiral ſur toute la mer qui eſtoit en ſon obeyſſance, ce qui donna lieu à la Fable. Mais c’eſt aſſez diſcouru de Neptun : paſſons à Pluton.