Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - II, 10 : De Pluton Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Pluton.

CHAPITRE IX.

Genealogie de Pluton.PLVTON que les Anciens ont qualifié Dieu des Enfers, fut fils de Saturne & d’Ops (comme nous auons dit) & fut à la guerre auec Iupiter, & apres pluſieurs victoires, toutes choſes leur ſuccedans à gré, partagea auec le meſme Iupiter & Neptun l’Empire du monde vniuerſel, & eut pour ſa portion les Eſpagnes, & tout ce qui tend vers le Soleil couchant. Pauſanias en l’Eſtat d’Attique eſcrit qu’il y auoit en ladite ville des ſtatuës de Pluton & d’Amphiaras, où l’on voyoit Pluton porté par la Paix ſa nourrice. Il auoit pour enſeigne les clefs, ainſi que Iupiter portoit le ſceptre, & Neptun le Trident, comme dit Pauſanias & Orphee en l’hymne de Pluton :

Pluton, qui en ta main tens les clefs de la terre.

Strabon au 3. de ſa Geographie eſcrit que Pluton fut Dieu des richeſſes, & qu’il demeura en Eſpagne, vers les monts Pyrenees. On l’a tenu pour Dieu des treſpaſſez, & a eſté nommé Iupiter, ou Dieu terreſtre, auquel on faiſoit ſacrifices pour les ames, teſmoin Euripide és Phœniſſes :

Il faut que qui vit encore, Le Dieu terreſtre il adore, Et rende le ſainct deuoir Aux ombres du creux manoir.

Et quant on luy faiſoit tels Sacrifices, on le nommoit Februus, d’où le mois de Feburier prit ſon nom, parce que les Romains ſolẽniſoient ſa feſte en ce mois-là. Les Anciens le repreſentoient porté ſur vn chariot tiré par des Cheuaux noirs, comme teſmoigne Ouide au 5. des Metamorphoſes, lors qu’eſpouuenté de l’horrible cry de Typhœe enfondré par Iupiter ſous le Montgibel en la defaite des Geans ; eſtonné d’autre part de voir toute la Sicile crouler du bruit eſtrange que menoit ce monſtre de Geant, il prit reſolution d’aller faire vne reueuë par ce pays-là, pour voir & ſonder ſi dans les fondemens de l’Iſle il y auoit encores quelque choſe qui branſlaſt :

Ce mal craignant le Roy du Stygieux manoir, Il commande atteler ſes Cheuaux à poil noir A ſon char enfumé, & comme il eſt habile, S’en va les fondemens viſiter de Sicile.

Pourquoi les clefs ſont donnees à Pluton.On luy donna les clefs, d’autant que ceux qui ſont vne fois entrez en ſon palais, n’en peuuent plus ſortir ; & le Narciſſe, le Capillus Veneris, l’Arche & le Cyprez dont on faiſoit des chappeaux, & duquel les Anciens jonchoient les cercueils des defuncts deuant qu’y coucher les cadauers, luy eſtoient dediez, comme le Narciſſe aux Parques. On dit que ce Dieu fut vne fois mal-content de viure touſiours veuf & ſans enfans, veu qu’il eſtoit Dieu d’vn ſi puiſſant Empire, & ne pouuoit trouuer femme qui le vouluſt eſpouſer, quoy qu’il fuſt frere de Iupiter, & le plus riche de tous les Dieux. Car il n’y adoit aucune Deeſſe qui le vouluſt auoir pour mary, à cauſe de ſa laideur, & de ſa couleur enfumee, & de l’obſcurité de ſon Royaume. Iceluy donc, cette opinion, ou pluſtoſt cette fureur luy tourmentant l’eſprit, monta ſur ſon chariot auec ſes Cheuaux à poil noir, & arriua en Sicile. Proſerpine rauie par Pluton.Là d’auenture ſe trouua Proſerpine, fille de Cerés, qui auec d’autres filles cueilloit des bouquets, & l’ayant trouuee bien à ſa fantaiſie, en deuint amoureux ; auſſi eſtoit-elle plus accomplie & en beauté de viſage, & en taille de corps, qu’aucune des autres. Il la rauit donc, & l’emporta dans ſon chariot vers la riuiere de Chemar, & de là l’emmena en ſõ Royaume, qu’on penſoit eſtre ſous terre ; teſmoin Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe. Claudian a deſcrit toute cette hiſtoire en vne belle œuure poëtique, & Ouide au 5. des Metamorphoſes. Pluton fut fort honoré à Pyle, où il auoit vn Temple magnifique, comme dit Strabon au 8. liure. Et prés de Pyle il y a vne montagne nommee Menthe, du nom d’vne concubine de Pluton, que Proſerpine cauteleuſement tranſmua en vne herbe de iardin, qui retient encore auiourd’huy le nom de Mente. Ledit Strabon au 9. liure eſcrit que ſur le riuage de la riuiere de Coral, où ſe ſolemniſoit vne feſte nommee Pambœoce (c’eſt à dire aſſemblee de toute la Bœoce) on dreſſa vn Autel cõmun à Pluton & à Pallas pour certaine raiſon myſtique. On faiſoit offrande de Taureaux à Pluton, teſmoin Horace au 2. liure des Carmes :

Non quand tu te rendrois propice, Amy, l’impiteux Pluton, Offrant tous les iours en don Trois cents Taureaux pour Sacrifice.

Goufre de merueilleuſe efficace.Strabon au 13. liu. dit qu’au pays des Cybiriẽs, prés Hierapolis en Aſie y auoit vn trou en la vallee d’vne petite mõtagne, qu’on appelloit La bouche de Pluton, capable de contenir vn hõme ; & eſtoit infiniement creux, mais d’vne efficace beaucoup plus admirable. Car il auoit à l’oppoſite vn rampar quarré, cõtenant enuiron vn demy arpent, couuert d’vn gros & eſpais broüillards : toutefois cet air ne faiſoit aucun dommage aux voiſins. Que ſi quelque animal entroit dedans, il mouroit quand-& quand, & les Bœufs qu’on y menoit, tumboient ſoudainement roides morts. Etymlogie du Pluton.Les Latins ont nommé Pluton, Orque, cõme dit Ciceron en la 6. Action cõtre Verrés : Cette faſcherie eſtoit ſi grande, qu’il ſembloit que Verrés, deuxieſme Orque, fuſt venu à Enne, & n’euſt pas emporté Proſerpine, mais rauy Cerés meſme. Il fut appellé Pluton, parce que c’eſt luy qui dõne des richeſſes que les Grecs nomment ploûtos, dit Lucian au Dial. de Timon ; & Platon dans Cratyle. Toutesfois le meſme Lucian au Dial. du dueil, luy donne vn autre etymologie, diſant qu’il eſt ainſi nommé pour eſtre opulent en morts. On diſoit que toutes les ames des treſpaſſez deſcendoient chez luy, leſquelles ayant receuës, il les attachoit auec chaines qu’elle ne pouuoient éuiter, & les mettoit entre les mains des Iuges pour les abſoudre ou les condamner, & donnoit à chacun ſon ſalaire ſelon ſon merite, ou de chaſtiment, ou de recompenſe. Et ne fut permis qu’à fort peu de gens de retourner au monde, & ce pour ſujet de grande importance. Le pays de ce Dieu eſt arrouſé de riuieres troubles, bourbeuſes & groſſes, qui ont des noms eſtranges. Le Cocyte coule auec vn bruit effroyable, Phlegethon deſcend d’vn cours extremément rapide, vomiſſant des flammes de feu. Là meſmes eſt le mareſt d’Acheruſe, plein d’vne profonde & puante bourbe. Que dirons-nous de la ſaleté de l’eſquif & du Nautonier infernal, de qui la parole n’eſtoit pas moins eſpouuenttable qu’vn tonnerre ? Cerbere à trois teſtes par ſes hideux eſclattans abbois eſtonne de bien loing ceux qui gaſchent : les Furies auec leurs cheueux treſſez de Viperes & Couleuures font paſmer chaque pauure ame qui y aborde : la rigueur & ſeuerité des Iuges equittables & droituriers les eſtourdit ; de façon qu’il n’y a ſi ſaincte ame, ne de ſi bonne vie, qui doiue comparoiſtre deuant eux, qui ne ſoit en effroy. Mais nous remettrons ce traitté iuſques au liure ſuiuant.

Expoſitiõ phyſique de la Fable de Pluton.Entrons maintenant à l’expoſition de cette Fable. Pluton, ſoit qu’il repreſente l’element de la terre, ſoit qu’on le prenne pour Dieu des richeſſes, eſt touſiours fils de Saturne. Car la premiere creature que Dieu a fait, c’eſt le Ciel ; duquel eſt né le Temps, auquel ce qui reſtoit du baſtiment a eſté accomply. Pourquoi il eſt Dieu des richeſſes.D’autre part ſi Pluton eſt Dieu des richeſſes, ie croy qu’il n’y a perſonne qui ne ſçache bien que les villes & prouinces, par le moyen d’vne longue & heureuſe paix ſe rempliſſent, & de biens & d’hommes : & partant c’eſt à bon droict que la Paix eſt dicte ſa nourrice. Dauantage, ce qu’il a eſté fils de Saturne, & frere de Iupiter & de Iunon, que veut dire cela, ſinon que le temps engendre & rapporte toute ſorte de commoditez, & que la douce influence du Ciel, & bonne diſpoſition de l’air les auance & ameine à maturité ? On dit que l’Empire des Enfers luy eſcheut, pource qu’il regna (comme nous auons dit) ſur les nations Occidentales, & en Heſpagne, fertile & riche Prouince, foiſonnant en toutes ſortes de grains, outre les minieres dont on tiroit les metaux, ſelon le teſmoignage de Strabon au 3. liure. Quant à ceux qui ont pris Pluton pour l’element de la terre, ils n’ont pas ſeulement creu qu’il fuſt Roy des richeſſes, qui toutes fortent de terre, mais auſſi de tous les treſpaſſez, d’autant que tout ce qui a pris naiſſance ſe reſout en fin és meſmes principes deſquels il a tiré ſon eſtre, ce que Ciceron expri-me au 2. liure de la nature des Dieux : Toute la force & nature de la terre eſt dediee au pere Dis, que les Grecs nomment Pluton, parce que tout retourne en terre, et tout vient de terre. Voiez le 16. chap. du 3. liur.Et d’autant que ce qui eſt vne fois mort, ne reuit iamais en pareille qualité ; pour cela les Anciens ont dit que Pluton auoit les clefs, qui ferment ſi bien les portes des Enfers, que l’iſſuë n’en eſt libre à perſonne, comme teſmoigne Pauſanias és Eliaques. Il rauit Proſerpine, fille de Cerés, parce que (comme dit Ciceron au 2. de la nature des Dieux) c’eſt celle que les Grecs nomment Perſephone, & veulent qu’elle ſoit la ſemence des grains ; & feignent qu’eſtant cachee ſa mere vient à la chercher comme dit Euſebe au 2. liure de la preparation Euangelique. Que Pluton ſoit la vertu & la force de la terre, & par-fois la terre meſme, Orphee le teſmoigne en l’hymne de Pluton :

Car tu fais foiſonner tous les fruicts de la terre.

Ainſi doncques la force de la terre attire à ſoy les racines des grains en bas : Cheuaux de Pluton.c’eſt pourquoy l’on dit que Pluton rauit ſous terre Proſerpine, emmenee par quatre Cheuaux, parce que les fruicts de la terre ſont quatre mois à prendre racine en bas. Claudian au 1. liure du rauiſſement de Proſerpine nomme ainſi ces cheuaux :

Orphné fougueux ronflant, Æthon leger & viſte Plus que d’vne ſagette en l’air volant la piſte, Nycté le braue, honneur du haras infernal, Et Alaſtor portant de Pluton le ſignal.

Or ce n’eſt pas tout que de faire vne fiction ; il faut l’orner de ces circonſtãces. Ce fut donc, ſelon l’aduis d’Orphee, prés d’Eleuſe en la ſeigneurie d’Athenes, que Pluton ſe fourra ſous terre, auec ſa Proſerpine :

O Pluton tu rauis d’une addreſſe galande La fille de Cerés, treſſant vne guirlande De mainte belle fleur qu’elle cueilloit au pré. Tu l’enleuas ſoudain en ton char diapré A quatre Cheuaux noirs, & l’emportas ſous l’antre Cecropin prés Eleuſe, où la porte eſt qu’on entre Au palais Stygien.—

Expoſition morale.Neantmoins il faut pluſtoſt accommoder aux mœurs & à l’inſtruction de noſtre vie, ce que nous liſons touchant les Dieux infernaux ? que de penſer qu’ils l’ayent reallement & de faict executé. Car combien de ſoucis, combien de tourbillons, d’ennuys & de faſcheries bourellent les eſprits des riches ? Certes il eſt bien neceſſaire que les hommes ſoient premierement ſurpris d’vn aueuglement d’eſprit, que de ſe mettre à amaſſer force biens, pour leſquels il ſe faut long-temps trauailler, pour iouyr fort peu voire bien ſouuẽt point du tout, de ce qu’on aura acquis. Que ſi quelqu’vn veut bien-toſt deuenir riche, il faut qu’il conniue & ferme les yeux à toute probité & inno-cence, & qu’il veſte toute impureté & cruauté dés-lors qu’il luy prẽd enuie de ſe voir auancé en grands biens & richeſſes. C’eſt ce qui eſt ſignifié par les noms des Cheuaux du chariot de Pluton, puis que ſans meſchanceté & mauuaiſes pratiques, perſonne ne peut en peu de tẽps s’enrichir. Quelques-vns ont penſé que Pluton a eſté dict Roy des morts, parce qu’il fut premier auteur d’enterrer & celebrer les funerailles des treſpaſſez, au lieu qu’auparauant luy on mettoit en terre les corps morts ſans aucune ceremonie ny honneur, en la premiere place qui ſe preſentoit, ou bien on les laiſſoit à l’abandon des beſtes. Voila quant à Pluton : il faut mettre Plute ſur les rangs.