Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - II, 11 : De Plute Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Plute.

CHAPITRE XI.

Parenté de Plute.LES Anciens ont penſé que Pluton fuſt la force & nature de la terre, combien que quelques-vns d’entre eux luy ayent auſſi donné l’Empire des richeſſes : mais il n’y a perſonne qui ne ſçache bien que la charge de les departir a eſté d’vn commun conſentement donnee à Plute, lequel Heſiode en ſa Theogonie dit eſtre né de Cerés & de Iaſion. Il ſemble que Theocrite en ſa 3. Eclogue vueille dire que Cerés deuint amoureuſe de Iaſion ainſi comme il dormoit, puis qu’il le met au nombre de ceux qui dormans furent aymez des Deeſſes :

Ie me voudrois bien voir ainſi qu’Endymion Aſſommé de ſommeil, & comme Iaſion.

Plute aueugle, & pourquoy.Ils diſent que ce Dieu fut aueugle, & tel l’introduit Ariſtophane en aueugle, ſa comœdie, & que Iupiter l’aueugla par enuie ; au lieu que lors qu’il & pouruoy. auoit bonne veuë il ne ſe cõmuniquoit qu’aux gens de bien, & beaucoup de meſchans garçons mouroient de faim, & d’indigence, cõme il l’introduit parlant ainſi : Iupiter m’a ainſi accommodé, d’enuie qu’il porte aux hommes. Car quand i’eſtois ieune garçon ie le menacay de m’en aller aux iuſtes, ſages & modeſtes ſeulement. Pour cette cauſe il me fit aveugle, afin que ie ne peuſſe plus dicerner pas vn de ceux-là ; tant il eſt enuieux des gens de bien. Ils le font auſſi le plus timide de tous les Dieux, teſmoin Euripide és Phœniciennes. Et pourtant à cecy ſe peut rapporter ce que bien gentiment dit le Poëte :

Si tu vas nuitamment, & rencontre vne perche Tu penſes que ce ſoit l’ennemy qui te cherche. Si tu ſens craqueter ſeulement vn roſeau, Tu cuide auoir deſia le col ſous le coutteau. Le pauure ſouffreteux auec toute aſſeurance, Deuant meſme vn voleur, il chante, il rit, il dance.

Quelques-vns l’appellent le plus meſchant & pernicieux de tous les Dieux, contre qui Timocreon Rhodien a compoſé vn air de poëſie conuiuale, qui commence :

Tu ne deuois aueugle Plute, Par qui le monde n’a que maux, Paroir qu’és manoirs infernaux : Là doit eſtre ton giſte et butte, Non ſur terre te proumener, Ne deſſus les flots de la mer.

Theocrite ne croit pas qu’il ſoit aueugle ; & Platon au premier liure des loix eſcrit que Plute n’eſt pas aueugle, mais clair-voyant. Quelques-vns l’ont tenu pour Dieu, & l’ont honoré plus que pas-vn autre, comme teſmoigne Theognis :

Plute, le plus gentil, le plus plaiſant des Dieux Qui repaire ſous terre, en la mer, ou és Cieux, Quoy que ie ſuis meſchant, ſi tu me fauoriſe, On me donnera los d’auoir la grace acquiſe D’vn tres-homme de bien.—

Ce meſme Dieu que les vns ont tenu en reputation d’eſtre tres-puiſſant, les autres l’ont eſtimé tres-imbecille & de peu de force, pource qu’il ne pouuoit eſleuer és honneurs les hommes deſpourueus de vertu, ou les maintenir apres les auoir eſleuez. Voila pourquoy cecy a eſté gentiment dict :

Richeſſe ſans vertu ne peut eſleuer l’homme, Ny la vertu celuy que l’indigence aſſomme.

Car pour rendre l’homme heureux il faut neceſſairement que toutes les deux s’accordent & ſe rencontrent. Il eut vne fille nommee Eurybœe, de laquelle fait mention Apollodore au 1. de ſa Biblioth. Mais bien ſot ſera celuy qui penſera que Plute ait eſté ou Dieu ou quelque autre choſe, d’autant que les Anciens ont commis quelque Dieu particulier à chaque mouuement d’eſprit, afin qu’on ne penſaſt qu’il y euſt choſe aucune qui ſe gouuernaſt que par la prouidence de Dieu.

Expoſitiõ phyſique de la Fable de Plute.Examinons maintenant que veut dire tout cecy. Plute eſt fils de Iaſion & de Cerés, d’autant que les biens viennent du reuenu des tertes, & de la diligence des laboureurs. Or Iaſion eſt dit d’vn mot Grec ſignifiant guerir ou remedier, parce que Cerés guerit & remedie à la pauureté des hommes. Que ſignifie ce meſchant & impie traict, que Iupiter ait creué les yeux à Plute, par enuie qu’il portaſt aux gens de bien ? la bonté diuine peut elle bien fauoriſer les meſchans, & perſecuter les bons ? Puis que Iupiter eſt la deſtinee, & cette vertu de l’entendement diuin, qui gouuerne les affaires de ce monde, qui tranſporte, tantoſt çà, tantoſt là, les biens & commoditez, ſelon le ſecret inexplicable, plaiſir & iugement de Dieu, aucuns ont eſtimé que c’eſtoit temerairemẽt fait de dire que le Dieu des richeſſes fuſt aueugle. Mais c’eſt pource que iadis ceux-là ſeulement poſſedoient de grands biens, qui ſurpaſſoient le reſte des hommes en eſprit, en valeur, ou en quelque autre vertu ; ce que les Anciens obſeruoient, ſelon le teſmoignage de Lucrece au 6. liure :

Le beſtail et les champs ſi bien ils partagerent, Que ſelon ſa valeur & eſprit ils donnerent A chacun, & ſuiuant ſa digne qualité.

Si ne falloit-il pas donner des richeſſes aux hõmes pour recompenſe de leur vertu, veu que la vertu eſt d’elle-meſme deſirable, & que les gents de bien la doiuent ſeulement ſouhaitter pour l’amour d’elle-meſme. Car celuy qui embraſſe la vertu pour en auoir recompenſe, ou qui ſe deſtourne du mal & des vices craignant d’eſtre chaſtié, cettuy-là n’eſt pas abſoluëment homme de bien. C’eſt doncques à bon droict que Iupiter a creué les yeux à Plute. Ils l’ont eſtimé tres-puiſſant à cauſe que communément on met les richeſſes en meſme rang que la vertu, encore que la vraye nobleſſe ſoit la ſeule vertu : mais le vulgaire, qui ne ſçait que c’eſt que de vertu, au lieu d’elle ne fait cas que des richeſſes & commoditez de cette vie. Puis-aprés le monde croiſſant, & l’audace & nonchalance des hommes s’augmentant, on fit des loix, on diſtribua les heritages, on les diſtingua par bornes & limites. Lors commencerent les rapines, les pilleries, les larrecins, les brigandages, & les rauiſſemens des biens d’autruy. Comme donc les vns n’eſpargnoient aucune peine pour acquerir des biens, & n’apprehendoient aucun danger qui les en peuſt deſtourner, & neantmoins l’heur ne leur en voulant point, & au contraire toutes choſes ſuccedans à ſouhait aux autres, ils appellerent fortune, aueugle, & le Dieu des richeſſes, aueugle. La Fable dit que Plute auoit tres-bonne veuë, mais que Iupiter portant enuie aux gens de bien, auſquels il aſſiſtoit ſeulement, le rendit aueugle : & que depuis force luy fut de s’accoſter indifferemment de toutes perſonnes. Car ce que le commun peuple void aduenir ſans en ſçauoir la cauſe certaine, il ne luy eſt pas aduis que cela ſe faſſe par la prouidence de Dieu, mais l’impute à fortune. On fit depuis tant de cas & d’eſtime des richeſſes, ou d’autant qu’on cõmenca à les acquerir, non ſans prudence & induſtrie, ou d’autant qu’elles apportoient beaucoup de commoditez aux hommes, que l’on teint Plute pour n’eſtre en rien inferieur aux autres Dieux. Pour le iourd’huy toute vertu, toute ſcience & pieté eſt contrainte de ceder & faire place à la tres-venerable majeſté des richeſſes : & celuy qui peut donner quand il veut, eſt plus honoré, combien que ce ſoit vn eſtourdy, vn inſenſé, vn larron, vn meurtrier, & vn voleur, que le plus ſage, le plus rond & entier en beſongne qui ſoit au monde, & qui ait fait à ceux de ſa nation beaucoup de bons & agreables offices.