Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - III, 01 : De ce que les Anciens ont creu touchant les Enfers Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français
MYTHOLOGIE ov, EXPLICATION DES FABLES. LIVRE TROISIESME.

SOMMAIRE DES CHAPITRES.

De ce que les Anciens ont creu touchant les Enfers. II. d’Acheron. III. De Styx. IV. Du Cocyte. V. De Charon. VI. De Cerbere. VII. Des Parques. VIII. De Minos. IX. De Radamante. X. D’Æaque. XI. Des Eumenides. XII. Du Tartare. XIII. De la Nuict. XIV. De la Mort. XV. Du Somme. XVI. D’Hecate. XVII. De Proſerpine. XVIII. De la Lune. XIX. De Diane. XX. Des champs Elyſiens. XXI. De la riuiere de Lethé.

De ce que les Anciens ont creu touchant les Enfers.

CHAPITRE PREMIER.

CES perſonnages ont eſté tres-bien auiſez & gens de bien, qui les premiers ont mis en auant cette opinion, que noſtre ame eſtoit immortelle, deſliee des liens de ce corps, ſe preſentoit deuant des Iuges tres-rigoureux & rebarbatifs ; & là ſelon ſes merites, receuoit vne belle & honorable recompenſe, ou bien vn grief & rude ſupplice. Car bien qu’ils n’euſſent aucune connoiſſance de la vraye Religion, ny de la verité Chreſtienne, neantmoins cette raiſon eſtoit baſtante pour ſi bien dreſſer & inſtruire les hommes à probité, qu’ils ſe rendiſſent pluſtoſt indignes du loyer des gens de bien, que de fuyr les chaſtimens deuz aux peruers. Ieſus-Chriſt a depuis expoſé plus clairement cette meſme verité à tous ceux qui luy ont voulu preſter l’oreille. Car y a-il choſe qui puiſſe plus deſtourner les courages des hommes de toutes meſchancetez, que ſ’ils ſe font accroire que lors il faudra qu’vn chacun rende conte de ſa vie paſſee, ſans qu’il ſoit permis de mentir ny deſguiſer la matiere : & que tous les forfaits, crimes & mal-verſations commiſes en ſon viuant, ſeront expoſees à la veuë de tout le monde, & viendront en euidence comme taches ou bubes pourries dans le corps ? Où ſont les loix ciuiles, où eſt le droict couſtumier des villes, où eſt la ſeuerité des Magiſtrats qui puiſſe tant operer à l’endroit des eſprits des hommes ? Car qui ne tient conte de telles choſes, peut en tapinois commettre beaucoup de meſchancetez ; d’autres ſe ſoucient fort peu des tourmens, & ſi beſoin eſt, endurent volontiers la mort. Mais quand ils viennent à conſiderer, que lors meſme ils ne ſeront pas au bout de leurs pauuretez & miſeres, on ne ſçauroit imaginer combien cette apprehenſion les tient en bride, tant par le remors de leur conſcience, que de crainte de damnation eternelle. Or l’on n’eut pas beaucoup de peine à perſuader cecy aux gens de bien, & retenus en leur deuoir : mais ces raiſons n’eſtoient pas aſſez valable pour le faire croire au commun peuple, qui ne ſe laiſſe mener ou pouſſer que par vne plus groſſiere façon. Il fallut donc feindre beaucoup de choſes effroyables aux Enfers, voire du tout eſtranges & hideuſes à dire ; & en inuenter d’autres faictes à plaiſir, pour amener à l’amour de pieté les plus groſſieres gens. Et qui n’euſt fremy d’horreur, ſçachant qu’apres ſa mort il luy faudroit aller au mareſt d’Acheron, où premierement abordoient les ames ; que Charon, ſale & affreux nautonnier des ames, ſe preſentoit auec vne barbe eſpaiſſe & touffue, des yeux rouges & chaſſieux, proumenant vn brigantin auec vn mas garny d’vn voile noir & enfumé ? Qui n’euſt tremblé de peur ſe repreſentãt Phlegethon roulant auec ſes ondes de gros boüillons de flammes bruyantes ? ſe ſouuenant de Cocyte, groſſe & triſte riuiere, dont le fremiſſemẽt reſſembloit à la voix des ames plaintiues ? ſ’imaginant le Cerbere à trois teſtes, les Iuges rigoureux des Enfers, les Furies contraignans vn chacun par diuers tourmens de confeſſer leurs pechez ? qui euſt oſé de gayete de cœur, & de guet à pens entreprendre quelque mauuais acte ? Il y auoit en outre l’eſpouuentttable regard du Roy des Enfers, le bruit des chaiſnes que trainoient les pauures ames garrottees : on oyoit retentir les coups d’eſcorgees & d’eſtriuieres, qu’on donnoit aux criminels ; on entendoit de tous coſtez les pleurs, gemiſſemens & lamentations des ames tourmentees és peines infernales. Et combien que quelques-vns ſe mocquaſſent de tout cecy, toutes-fois il ne ſe trouuoit perſonne qui ſe voyaut preſt de rendre l’ame, ne ſe ſentiſt ſurpris de grand crainte, & ne ſe miſt en deuoir de ſe remettre en memoire toute ſa vie paſſee, pour ſe diſpoſer entant qu’il pouuoit à combattre tous ces aſſauts. Car la meilleure paſſade & ſaufconduit que puiſſent auoir ceux qui treſpaſſent, c’eſt l’innocence & teſmoignage en leur ame d’auoir veſcu en gens de bien. C’eſt le ſeul moyen qui fait que nous comparoiſſons pardeuant tous Iuges la teſte hauſſee, & nous rend hardis & courageux à l’encontre de tous dangers. D’autre coſté ces bonnes gens là nous exhortoient à probité, nous propoſans vne infinité de plaiſirs & delices és champs Elyſiens. Car quiconque auoit veſcu ſelon les traditions & ordonnances des gens de bien, quiconque auoit mené vne vie ſaincte & religieuſe ; cettuy-là eſtoit conduit en la compagnie des bien-heureux, qui habitoiẽt vn pays fertile en toutes ſortes de biens, arrouſé de tres-belles & claires vifues fontaines, les prez ſentans touſiours leur Primtemps eſtoient eſmaillez & reueſtus de diuerſes fleurs : là les Philoſophes tenoient leurs conſeils ; là eſtoient les theatres des Poëtes, là ſe faiſoit le bal, là ſe ioüoit de toutes ſortes d’inſtrumens de Muſique ; là ſe celebroient de beaux & magnifiques feſtins ; en ſomme on y ioüyſſoit de tous plaiſirs qu’on euſt ſceu ſouhaiter, ſans faſcherie ne chagrin aucun. Car on y ſentoit ny trop de chaleur, ny trop de froid ; l’air y eſtoit touſiours ſain & bien temperé, & les rais du Soleil ne l’eſchaufoient point deſmeſurement. Y a-il oyſeau des mieux & plus melodieuſement chantans, qui ne ſe trouuaſt là, pour y deſgoiſer leurs gentils ramages & harmonieux concerts ? y a-il arbre odoriferant qui n’y fuſt en tout temps veſtu de tres-plaiſantes & tres-ſuaues fleurs ? de là eſtoient bannies toutes inimitiez, toutes haines & rancunes, tous larcins & brigandages ; tous dols & tromperies, tous pariuremens & fauſſetez, toute enuie & mal-veillance. Là viuoit-on vne vie tres-heureuſe, exempte de toute faſcherie, tranquille & paiſible, ſans crainte, ny de mort ny de maladie : ainſi le croioyent-ils. Cette felicité n’eſtoit propoſee qu’à ceux qui auoient veſcu ſainctement & religieuſemẽt, ou qui auoient bien commis quelques pechez, mais legers, & gueriſſables, leſquels eſtoient purgez en vn certain lieu, non guere eſloigné de ceſtuy-cy. Par ces raiſons concernans les plaiſirs & voluptez des corps Purgatoire des Payens(car le commun peuple ne les pouuoit point comprendre toutes) & autres ſemblables, les Anciens ont taſché de mettre la populace en train de ſuiure iuſtice & integrité de vie, les induiſans partie par eſperance de voluptez & delices, partie par crainte & apprehenſion des ſupplices propoſez. Mais d’autant que Pluton fut le premier qui forgea toutes ces belles raiſons, ſelon l’opinion d’Hecatee, ils creurent qu’il fut Roy des Enfers, & de tous les lieux ſuſdicts : comme ils tindrent Æole pour Roy des vents à cauſe qu’il auoit le premier remarqué les changemens d’iceux : & Endymion fut dict amy & mignon de la Lune, pour auoir le premier obſerué & compris les cours & changemens d’icelle. Et d’autant que nous auons diſcouru de Pluton, eſpluchons deſormais ce qu’il y auoit en ſon Royaume de ſi effroyable : & premierement diſons d’Acheron.