Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - III, 03 : De Styx Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Styx.

CHAPITRE III.

LA ſeconde riuiere qu’on rencontre deſcendant aux Enfers, c’eſt le Styx, à laquelle on donne diuers parens. Heſiode en ſa Theogonie dit qu’elle eſt fille de l’Ocean & de Tethys :

Styx fille des grands flots d’Ocean qui refluë,Et qui tient ſes palais loing de la vouſte bleuëDu lambris eſtoillé, de marbre reueſtus,Et de chaque coſté de pilliers ſouſtenusForgez de pur argent, dont le ſommet & faiſtePour voiſiner le Ciel de pied ferme ſ’arreſte.

Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie dit que le Poëte Line a eſté de cet auis. Les autres la font fille d’Acheron, les autres de la Terre. Apollodore Grammairien au 1. liure, eſcrit que le Styx vient d’vne roche és Enfers. Les vns content que cette meſme riuiere eſpouſa vn certain Pallas ; les autres vn nõmé Piras, de qui elle engendra l’Hydre elle eut Enfans de Styx.(ſelon le dire de quelques-vns ) de ſon pere Acheron vne fille nommee Victoire, & autres, comme Force, Puiſſance, Zele, qui ſecoururent Iupiter contre les Titans : & en recompenſe Iupiter luy donna cette prerogatiue & dignité, que le grand & ſainct iuron des Dieux ſe conceuſt par Styx. Ce que teſmoigne Homere au 5. de l’Odyſſee :

Que la terre le ſache, & la plaine azuree,Et du Styx infernal l’onde tant reueree,Que les Dieux ſouuerains conçoiuent ſaintementPar ſa venerable eau leur durable ſerment.

Apolloine au 2. liure introduit Iris iurant par l’eau Stygienne.

Ainſi dit, & par l’eau Stygienne elle iure,Tres-redouttable aux Dieux, de crainte de periure.

Les Anciens peignoient ſa fille Victoire en forme de femme, ſe tenãt debout d’vn pied ſur vne boule, mais ſans aiſles, comme preſte a choir ; & la premiere qui luy fit des aiſles, fut le pere de Bupale & Athenis ; d’autres diſent que ce fut le peintre Aglaophon : les autres vn certain Caryſte de Pergame. Supplice des Dieux pariures.Le ſupplice de ceux qui ſe pariuroient par le Styx, eſtoit qu’ils ſ’abſtenoient certain temps de la table des Dieux, voire meſme de leur compagnie, teſmoing Heſiode en ſa Theogonie :

Le ſupplice ordinaire à celuy-là qui iurePar la ſainte eau de Styx, ſi, fauſſaire, il periureEt ne tient ſon ſerment, qui que ce ſoit de ceuxQui font leur reſidence en l’Olympe negeux,Il eſt deux fois ſix mois en eſtat miſerableSans taſter l’Ambroſie & Nectar à la tableDe la trouppe diuine, & muet deuenu,Sans ſonner mot, peſneux, eſt au lict detenu :Vn ſomne veterneux luy ſerre la paupiere.Puis quand il a ſouffert vn an cette miſere,Vn plus rude combat, vn plus faſcheux aſſaut,Et plus dru coup ſur coup reiteré l’aſſaut.Il eſt neuf ans entiers banny de la preſenceDes viuans a iamais, et n’a point de ſeanceAu conſeil ſouuerain, & tant que dureraCe terme, en leurs banquets point il n’aßiſtera.Deux fois cinq ans paſſez, en ſa gloire priſtine,(Tant d’honneur font les Dieux à cette onde diuineEntremiſe en ſerment) ſon forfaict en oublyExpié deüement il ſe void reſtably.

Puis aprés il declare les ceremonies que les Dieux obſeruoiont en leurs iurons & dit qu’Iris apportoit aux Dieux qui auoient menty, vn vaiſſeau plein d’eau de Styx, par le commandement de Iupiter ;

Si l’un des Souuerains a menty par fallace,Iupiter par lris fait venir vne taſſeDe pur or pleine d’eau, qu’ils prennent en ſermentPar grand religion, qui coule doucementD’vn rocher haut monté, & d’vne couurſe laſcheDurant l’obſcure nuict ſous terre ſe delaſche,Corne de l’Ocean, & du ſainct fleuue part.Car Styx de l’Ocean eſt la dixieſme part.

Les autres diſent que cet honneur fut rendu à Styx, d’autant qu’elle deſcouurit la coniuration des Dieux faicte contre Iupiter, quand ils comploterent de le lier & garrotter, comme dit Iſace. Quant à la ſituation de cette riuiere, il ne ſ’en trouue rien de certain. Les vns tiennent qu’elle eſtoit prés du haure Lucrin, vers le lac Auerne, au deſtroit de Baia : Preſtres affronteurs.ce qui ſe faiſoit par la fraude & tromperie des Preſtres, leſquels pour iouyr des fruicts qui croiſſent en ce lieu, planté de toutes ſortes d’excellens arbres fruictiers, faiſoient à croire qu’il eſtoit conſacré aux Dieux Infernaux, & que perſonne n’y deuoit entrer, que premierement il n’euſt pacifie les Mannes par vn Sacrifice ſolemnel. Là meſme y auoit vne fontaine fourniſſant aſſez d’eau pour en faire vne riuiere, qui couloit en la mer, & perſonne n’y touchoit, croyans, que ſelon le dire des Preſtres, ce fuſt l’eau de Styx. Mais Herodote en ſon Erato, parlant de la ville de Nonacre, rend teſmoignage touchant l’eau Stygienne : Les Arcadiens maintennent que l’eau de Styx eſt en cette ville-là. Il y à de faict vne petite eau qui chet dans vn vaiſſeau ou baßin, clos d’vne haye : & Nonacre, ou eſt ladite fontaine, eſt vne ville d’Arcadie, prés la riuiere de Phenee. Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie eſcrit que cette eau tombe d’vne haute roche au deſſus de Nonacre, dans vne grande pierre, & goutte à goutte, & que la riuiere de Crathis prend là ſa ſource ; dont l’eau eſt nuiſible & pernicieuſe à tous animaux, ſ’ils en boiuent. Et ne leur eſt ſeulement dommageable, ains meſme l’on diſoit qu’elle pouuoit diſſoudre toutes ſortes de metaux, & n’y auoit vaiſſeau, ny de cryſtail, ny de verre, ny d’ouurage de potterie, ny de corne, ny d’os, ny d’yuoire, ny d’or ny d’argent, ny de fer, ny de cuiure, ny delectre, ny de quelque metail que ce ſoit, qui peuſt reſiſter à la force de cette eau. Platon au Phædon nous enſeigne, non ſeulement par quel moyen le Styx couloit aux Enfers, mais auſſi de quelle couleur il eſtoit : La quatrieſme tombe premierement en vn lieu peſant & farouche, comme ils diſent, & eſt de couleur tirant ſur le pers : & ſe nomme ladite riuiere Styx, & le marez que ladite riuiere fait y entrant, Stygien. Et d’autant que le Styx coule ſous terre, & que ſon eau eſt de tres-mauuais gouſt, cela fit penſer qu’il deſcendoit iuſques aux Enfers, & que c’eſtoit vne riuiere infernale. Elle auoit entre autres choſes eſtranges & monſtrueuſes, des poiſſons ſi menus, qu’ils ſembloient eſtre pluſtoſt ombres de poiſſons que poiſſons meſmes, ſelon le teſmoignage de Pauſanias en ſes Phociques. toutes les beſtes qui naiſſoient la eſtoient noires ; entre autres les Grenoüilles, dont Iuuenal fait mention :

Que des Manes y a, & des ſouſterrains regnes,Vn Nocher tartarin, & de noiraſtres RainesAu gouffre Stygien, et qu’un fatal batteauQui tant d’ames trauerſe à l’autre bord de l’eau.

Car les Poëtes faiſans quelques diſcours fabuleux, n’oublient rien de tout ce qui accompagne ordinairement la verité, pour leur donner plus de luſtre & d’apparence. Or voyla ce qui ſe trouue quant au Styx. Tirons-en maintenant le ſens.

Expoſition morale de Styx.N’aguere diſcourans de l’Acheron, nous auons dict que l’Acheron eſtoit cette faſcherie qui ſ’engendre en l’eſprit de l’homme, tirant à la mort, procedant de la conſideration de ſa vie paſſee : mais le Styx eſt la haine & le deſplaiſir qu’on a des pechez & mal-verſations commiſes, quand on eſt touché d’vne vifue repentance. Car quand nous venons à hayr nos fautes paſſees, & que nous en auons du deſplaiſir, c’eſt alors que l’on dit que les ames paſſent outre le Styx qui ſourd de l’Acheron. Mais ceux qui ſe ſont mis à parler de la ſource de cette riuiere, attribuans à l’Ocean toute la force des eaux, ont creu que toutes les riuieres abordoient-là, & que de là-meſme procedoit la matiere des fontaines & des pluyes. D’autre part ceux qui ont cuidé que les eaux douces venoient d’vn air entaſſé és creux & trous de la terre, qui ſe conuertiſſoit en eau, ont penſé que Styx fuſt fille de la terre, comme toutes les autres riuieres. Et pourtant il n’y a point d’inconuenient ſi les Autheurs des Fables donnent pour diuerſes raiſons pluſieurs naiſſances à vne meſme choſe. Quant à ce que Styx eut cet honneur & cette prerogatiue que nous auons ouy, pour auoir ſecouru Iupiter à l’encontre des Titans, ou bien pour luy auoir reuelé la conſpiration des autres Dieux, les Anciens n’ont voulu entendre autre choſe, ſinon que toutes nations doiuent entretenir en leur Empire & ſeigneurie leurs Princes, & employer à cet effect tous leurs moyens & leurs forces, principalement quand ils ſont gens de bien : & que le deuoir des Princes eſt de recognoiſtre le ſeruice & les bons offices que leur font ceux qui leur deſcouurent les coniurations des traiſtres & des meſchans faites contre leurs perſonnes & leur Eſtat ; & n’y a choſe plus ſainte, ny plus propre & plus conuenable pour la conſeruation des villes & communautez. Or cecy ſuffira touchant le Styx, il faut conſequemment dire quelque choſe du Cocyte.