Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - III, 05 : De Charon Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Charon.

CHAPITRE V.

Parenté de charõQVANT à Charon (de qui le nom ſignifie joye & allegreſſe) fils d’Erebe & de la Nuict, ſelon l’aduis d’Heſiode, qui en ſa Theogonie maintient preſque tous les monſtres d’Enfer eſtre nez de luy, il eſtoit qualifié Nautonnier des ames & Naucher des trois riuieres ſuſdites. Il y auoit bien auſſi Phelegethon, on Pyriphlegethon, duquel ie ne penſe pas qu’il ſoit beſoin de traitter, veu que c’eſt vn meſme conte que celuy de Cocyte. Les Anciens ont ſurnommé Charon vieillard, & le peintre Polygnote le peignoit en telle forme ; ſuiuant peut-eſtre la deſcription qui eſt faite au voyage de la toiſon d’or :

Ce griſon Nautonnier trauerſe dans ſa barqueLes ames des defuncts que l’impiteuſe ParqueA ſeparé des corps.–

Virgile auſſi au 6. liure deſcrit Charon en façon d’vn vieillard :

Le gardien de ces eaux c’eſt l’horrible Charon,D’hideuſe craſſe affreux, à qui pend au mentonVn poil chenu craſſeux, barbe ſale & touffuëLa flamme borde autour ſa chaſſieuſe veuë.Il traine vn vieil haillon ſur l’eſpaule noüé,Et pouſſant à la perche en ce mareſt voüéAux manes ſon bateau, à l’autre bord il parqueMainte ame il conduit dans ſa roüillee barqueDeſia tout tout courbé d’ans, mais l’aage nonobſtant,L’eſquif ce Dieu viellard verd & cru va portant.

Il ne faiſoit de remiſſion à tous ceux qu’il paſſoit, plus à l’vn qu’à l’autre, & ne portoit point de reſpect, ny aux Roys ny aux Princes, non plus qu’au moindre du peuple, les voyant tous indifferemment nuds & deſnuez de tous biens, comme le teſmoignent ces vers :

Sous le fais de la Mort egalement ſuccombeCeluy qui n’a moyen de ſe faire vne tombe,Que l’autre qui ſ’en dreſſe vne de grand renom.Irus n’eſt enuers luy non plus qu’Agamemnon,L’vn gueus, l’autre grand Roy. Il n’eſt non plus facilleA Therſit ſans valeur, qu’au genereux Achille.Ils ſont nuds vagabons au manoir infernal,Et ſelon qu’ils ont faict ou de bien ou de mal,Ils ſont recompenſez d’un loyer meritoire,Ou de punition, ou d’eternelle gloire.

Lucian au Dialogue du dueil teſmoigne que la couſtume des Anciens eſtoit d’enfermer vne obole (piece d’argent de fort petite valeur) en la bouche de chaque defunct, qu’ils appelloient le naulage ou battelage de Charon : & cette piece de monnoye ſ’appelloit Danace, en Grec, comme enſeigne Callimache en Hecale :

C’eſt pourquoy l’on n’enferme à ceux de cette villeEn bouche aucun denier, lors que celle qui fileLeur deſtin les conuoye en l’obſcure maiſonDe Plute ; vn peu d’encens en fera la raiſon.Ils paſſent l’Acheron ſans payer nulle dace,La bouche vuide, & n’ont que faire de Danace.

Ariſtophane és Grenoüilles dit que depuis on luy paya deux oboles ;

Ce vieillard nautonnier CharonTe paſſera l’eau d’AcheronDedans ſa barque Stygiene,Pour deux oboles pour ſa pene.

Toutefois il ne ſe contenta pas touſiours de ſi petite paye, car quelquefois les Capitaines des Atheniens, pour n’eſtre mis en meſme rang que les autres, hauſſerent ſe ſalaire de Charon, & luy donnerent iuſqu’à trois oboles. Telle fut la folie ou rage de quelques Anciens, de penſer que les citadins des Enfers fuſſent auſſi adonnez a l’auarice. On dit que Charon en paſſa quelques-vns en vie : car on conte que Hercule, Vlyſſe, Orphee, Ænee, Theſee & Pyrithon deſcendirent aux Enfers : qui ſont toutesfois feintes, comme nous le montrerons en ſon lieu. Il n’y auoit en tout le monde que ceux d’Hermion qui n’enfermaſſent point d’argẽt en la bouche des morts, diſans qu’ils n’auoient pas beaucoup de chemin à faire pour trauerſer aux Enfers : combien qu’vn ancien Poëte Grec die, que de quelque endroit qu’on parte pour aller aux Enfers, il y a autant de chemin d’vn coſté que de l’autre :

Quelque part que tu meure, à Moroë, à Athene,Tu viendras aborder la noire eau Stygienne,Et deſcendras tout droit à l’infernal manoir.Meurs-tu loing du pays ? il ne t’en doit chaloir.Car de quelque coſté que tu te tourne & vire,Tu trouueras touſjours pour ta guide vn Zephyre.

Expoſition de la Fable de Charon.Expoſons maintenant que ſignifient ces contes fabuleux. Charon eſt fils d’Erebe & de la Nuict, qui paſſe les ames de là l’Acheron, le Styx, le Cocyte & Phlegeton ; parce que de cet eſprit des hommes confus & troublé, qui auparauant eſtoit tout eſperdu & enueloppé & d’vne conſcience non examinee, naiſſent premierement les emotions ſus-nommees, que leſdites riuieres cauſent : puis-aprés comme nous venons à nous releuer & prendre courage, fondez en innocence, ou en deliberation de viure a l’aduenir en integrité & rondeur de conſcience, touchez d’vn vray deplaiſir & viue repentance de nos fautes paſſees, qui engendre en nos cœurs vn regret d’auoir tant offenſé la majeſté de Dieu par auarice, cruauté & impieté : alors nous r’entrons en eſperance d’obtenir miſericorde enuers Dieu, dont nous conceuons vne joye inenarrable, qui nous emporte pardelà ces riuieres troubles & bourbeuſes ; & certe joye ſ’appelle Charon. Elle nous fait preſenter ſans aucune crainte deuant ces Iuges tant ſeueres & rebarbatifs : elle nous conſole & ſecourt en nos plus grands dangers, quelque part que nous allions elle nous ſert du paſſe-port & ſauf-conduit. Et pourtant ſi nous conſiderons exacement le tout, nous trouuerons que les Anciens ont compris ſous les feintes de ces riuieres infernales, toutes les perturbations d’eſprit qui aſſiegent l’homme ſur le dernier terme de ſa vie. Car puis que Charon eſt vieil, que repreſente-il autre choſe qu’vn bon aduis & droit conſeil, & la joye qu’on en reçoit quand on l’a conceu ? ou quelle joye & conſolation pourra auoir l’homme mourant, que celle qui procede d’vne certitude d’innocence, ou d’eſperance d’obtenir remiſſion de ſes pechez ? Quant à ce qui concerne les oboles & le ſalaire du vieil Nautonnier, ce ſont choſes ridicules, & inuentees, ſelon les opinions des ſimples femmelettes, & receuës des Sages, pour rendre la Fable plus vray-ſemblable, ſi ainſi eſt que telles reſueries ſoient procedees d’eux. Parlons maintenant du Chien des Enfers.