Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - III, 06 : De Cerbere Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Cerbere.

CHAPITRE VI.

Parens de Cerbere.APRES que les ames des treſpaſſez auoient trauerſé ces riuieres, lors ſe preſentoit vn hideux & eſpouuenttable Chien, nommé Cerbere, gardien des Enfers, couché dans vne cauerne deuant le portail de Pluton. Il faiſoit mille careſſes à tous ceux qui arriuoient ; mais ne laiſſoit ſortir perſonne : au contraire, il eſtonnoit par ſes horribles & eſclattans abbois ceux qui penſoient eſchapper. Heſiode en ſa Theogonie dit que ce Cerbere eſtoit né de Typhon & d’Echidne. Qu’il gardaſt les Enfers. Virgile le dit au au 6. liure :

Ces manoirs Stygiens, ces Royaumes eſtonneCerbere le grand Chien par vn abboy qu’il tonneDe ſon triple goſier, giſant dedans le creuxD’vne foſſe oppoſee, horriblement affreux.

On dit que la forme de ſon corps reſſembloit fort à vn chien, qui toutefois auoit en ſa teſte vne formilliere de Couleuures en lieu de poil, comme dit Horace au 3. des Odes.

A tes appas, à tes blandices voireL’affreux Portier de la cour noireCerbere cede, encore que rempansArment ſon chef cent furieux Serpens,Et que ſa gueule à triple langue ietteVne haleine & eſcume infette.

Il ſemble que Tibulle au 3. liure vueille dire qu’au lieu de poil tout ſon dos eſtoit couuert de Serpens, & qu’il auoit le corps enlacé de chaines de Couleuures.

Ny ce chien dont le corps mainte Couleuure enchaine,A trois langues, trois chefs, ainſi comme vne chaine.

Sophocle dit qu’il auoit trois teſtes ;

Le Chien affreux de Pluton,Portant trois teſtes glouton.

Ciceron en dit autant au 1. liure des Tuſculanes. Neantmoins Heſiode en ſa Theogonie luy donne cinquante teſtes :

Derechef elle enfante vn Chien cruel, hideux,Cerbere gardien des ombres des bas lieux,Qui d’vne voix de fer, d’vne voix nompareille,Et de cinquante chefs robuſtes à merueille,Mais ſans honte et vergongne, eſtonne l’AcheronLors qu’vne ame trauerſe en la barque à Charon.

Iſace paſſe bien plus outre, car il luy en attribué cent ; & le nomme Chien des Enfers, deſcriuant ainſi la diligence d’iceluy : C’eſt là qu’on dit que ſont les ames des defuncts que le Chien de Pluton garde, lequel a cent teſtes. On dit auſſi qu’il fait fort bon accueil à toutes les ames qui arriuent, les receuant auec beaucoup de careſſes : mais celles qui ſe penſent ſauuer, il les repouſſe au dedãſ : que ſi quelqu’vne ſe met endeuoir d’eſchapper à l’improuiſte, il l’empoigne quand et quand, & la deuore. Horace ſemblablemet au 2. liu. des Carmes luy aſſigne cent teſtes :

La beſte à cent teſtes affreuſe.Baiſſe les oreilles peſneuſe.

Voicy comment Apollodore le depeint au 2. liure. La douzieſme iouſte & combat propoſé à Hercule, fut d’arracher Cerbere des Enfers. Il auoit ſelon le dire commun, trois teſtes de Chien, vne queuë de Dragon, et ſur le dos pluſieurs teſtes de Serpens. Heſiode en ſa Theogonie eſcrit auſſi qu’il careſſoit les ames qui entroient aux Enfers, & engloutiſſoit celles qui penſoient ſortir :

Vn Chien horrible hideux garde la porte noireDe ces lieux enfumez, et d’un art deceptoireEt de queuë & d’oreille il flatte & fait accueil,Aux ames dont les corps repoſent au cercueilSi quelqu’vne entreprend voir derechef l’Aurore,Et quitter ſon manoir, glouton il la deuore.

Neantmoins quelques-vns des Anciens ont eſtimé qu’il n’y auoit aucuns Enfers : & Pauſanias és Laconiques eſcrit que non ſeulement il n’y auoit point de Royaume ſouſterrain où les ames arriuaſſent aprés leur decez : mais auſſi que Cerbere a eſté vn horrible Serpent, & de grandeur deſmeſuree, qui ſe tenoit en vne cauerne prés du cap de Tenar ; que tous ceux qu’il mordoit, la force de ſon venin les tuoit incontinent : & pour cette cauſe on l’appella Chien des Enfers. Homere a eſté le premier qui l’a nommé Chien, comme dit Pauſanias, qui toutesfois ne conte rien touchant ſa forme, & ceux qui ſont venus aprés luy l’appellent Cerbere, & luy font porter tant de teſtes. Les autres feignent qu’Hercule l’emmena hors d’enfer, par cette cauerne qui eſt prés de Tenar ; & qu’incontinent qu’il eut veu la lumiere, il ſe prit à vomir, duquel vomiſſement, & de l’ecume de ſa bouche naſquit l’aconit, ou tue-loup, comme eſcrit Strabon au 8. liure. Lucrece, Philoſophe Epicurien, voyant que telles feintes deſtournoient les hommes de la volupté, a non ſeulement effacé la memoire de Cerbere ſuiuant l’auis des Epicuriens, mais auſſi de tout ce qui menaçoit les meſchans de quelque ſupplice és Enfers ; diſant ainſi au 3. liure de ſon œuure :

Le Cerbere à trois chefs, & la troupe Eumenide,Le Tartaré manoir, qui d’vne gorge horrideVomit boüillons de feu, n’eſt rien que vanité,Qui ne contient en ſoy aucune verité.

Expoſition hiſtorique de Cerbere.D’autre ſe ſont efforcez de rendre ces cõtes croyables comme vrayes hiſtoires. Car ils diſent que Theſee & Pirithe ayans rauy Helene, qui par ſort eſcheut à Theſee, il fut contraint de iurer à Pirithe de luy donner eſcorte pour rauir quelque belle femme pour luy. Lors aduertis que Aidonee, Roy des Moloſſiens en Albanie, auoit vne tres-belle fille, ils s’y acheminerent pour l’embler. Voyez le 9 cha. du 7. liure.Or Pluton, Aydonee, Aidés, & Orque n’eſt qu’vn, la fille ſe nommoit Proſerpine, & la mere, Cerés. Il auoit vn dangereux maſtin, nommé Cerbere. Ceux qui faiſoient l’amour à Proſerpine, il falloit qu’ils combatiſſent premierement le Cerbere : s’il vainquoit, il les dechiroit en pieces. Theſee & Pyrithoüs entreprirent d’emmener Proſerpine par trahiſon & fineſſe. Aidonee entendant qu’ils eſtoient venus la non pour faire l’amour à ſa fille, ains pour l’enleuer, les mit en priſon, & fit déuorer Pirithee à ſon Chien : & donna la vie à Theſee, verifiant qu’il n’y eſtoit pas deſcendu volontairement : mais il le retint priſonnier, comme eſcriuent Zezes & Plutarque en la vie de Theſee. Puis apres les Poëtes feignirent que Theſee & Pirithe eſtoient deſcendus aux enfers, & qu’ils voulurent rauir Proſerpine femme de Pluton : ce que dit Virgile au 6. liure.

Il ne m’en prit pas bien, receuant, trop aiſé,Hercule dans ce lac ; & Pirithe & Theſé,Nonobſtant que tous trois ayent pris leur naiſſanceDes hauts Dieux, & qu’ils ſoient d’inuincible vaillance.Cettuy-là de ſa main de chaines enferraLe Portier tartarin, & tremblant le tiraDu throſne de Pluton, et ceux-cy tant oſerent,Que ſa Dame de lict trop hardis emmenerent.

Expoſition de la deſcente d’Hercule aux Enfers.Les autres racontent l’hiſtoire de Cerbere diuerſement, & diſent que Geryon auoit deux chiens de grande & admirable corpulence, aſſauoir Cerbere & Ore, commis à la garde de ſes bœufs ; au rauiſſement deſquels par Hercule, Ore fut tué : Cerbere, ſelon ſa couſtume, les ſuiuit. Aduint depuis qu’vn certain Moloſſe de Mycene conuoiteux de ce chien, pour en tirer de la race, le demanda à Euryſthee, qui le luy refuſa. Ce Moloſſe indigné ſe reſolut de l’auoir par autre voye, puiſque ſes prieres auoient ſi peu de credit. Et de fait il prattiqua les bouuiers, & fit tant par corruptions qu’ils enfermerent & retindrent ce chien dans vne foſſe, prés de Tenanés marches de Lacedemone. Cela faict, le Mycenien enuoya des chiennes de ſon pays pour eſtre couuertes de luy. Euryſthee voyant ſon chien eſgaré, renuoya Hercule pour le recouurer : qui retournant ſur ſes briſees, arriué en la Moree ouït nouuelles du lieu où Cerbere eſtoit detenu, & connut ſi bien le pays, qu’en fin il trouua la foſſe, en laquelle il deſcendit, & l’en retira. Voilà donc le fondement, de la deſcente d’Hercule aux enfers.

Expoſition phyſiqueC’eſt ce que les Poëtes nous ont conté de Cerbere ; il en faut maintenant exprimer le ſens. Pourquoy dit-on que Cerbere ſoit fils de Typhon & d’Echidne ? Car ſi nous rapportons cette fiction aux forces de nature, Cerbere ne ſera autre choſe que la generation des choſes naturelles. Car comme ainſi ſoit que Typhon ſoit ardent, & l’Echidne vn animal extremement froid, qui eſt la Vipere : du meſlange de ces qualitez ſe fait vne generation de choſes naturelles ; de la vient que quand les ames deſcendent du Ciel aux Enfers, c’eſt à dire quand elles naiſſent, Cerbere les flatte, & celles qui ſ’en veulent aller, c’eſt à dire qui ſont preſtes à treſpaſſer, il leur fait peur & les eſtonne, pource que la nature s y oppoſe, & ne void point de bon courage le decez de perſonne. Ceux qui prennent Cerbere pour la terre, ſi ſont ils neantmoins contraints de luy donner les meſmes qualitez & les meſmes forces. Il habitoit (diſent-ils) en vne obſcure cauerne, pource qu’il ne ſe cognoiſſoit pas ſoy-meſme, & à cauſe des ſalles matieres dont toutes choſes ſ’engendrent. Les autres penſent que ce ſoit à cauſe des tenebres & de l’obſcurité des ſepulchres : & luy donnent des viperes au lieu de poil, parce que cet animal ſe trouue ordinairement és ſepulchres. Mais eu eſgard à la force de la terre qui conſume les corps enſeuelis, & aux ſaiſons qui peuuent beaucoup, ou pour haſter, ou pour retarder la corruption, ils luy ont aſſigné ſi grand nombre de teſtes. Car le nom meſme montre que Cerbere eſt le ſepulcre, qui deuore la chair humaine encloſe dedans : d’autant que Cerbere eſt tiré de deux mots Grecs, kreás, et borô, dont l’vn ſignifie chair, l’autre, deuorer. Voila ce qui concerne la force de nature. Hercule le tira d’enfer, d’autant que la vertu en eterniſant ſon nom a briſé les forces & du ſepulchre & de la mort, & ſ’eſt garantie de l’iniure & outrage que le temps luy euſt peu apporter. Expoſition moraleQuant à ceux qui ont rapporté cecy aux mœurs & a l’inſtitution de la vie humaine, ils entendent par Cerbere l’auarice & conuoitiſe des biens, qui ne procede que de mauuais penſers, eſtant verittable qu’vn homme de bien ne vient point riche tout à coup. Car le propre de l’auarice eſt d’amadoüer & faire feſte aux richeſſes qui ſuruiennent : mais quand il faut mettre la main à la bourſe pour ſubuenir meſme aux neceſſitez ; lors on ſe chagrine, on ſe deſpite, on ſe tourmente, & preſque meurt-on de regret. Que ſi quelque neceſſité contraint l’auaricieux de ſe mettre en frais, il ſ’y gouuerne ſans iugement ne diſcretion, & toute la deſpenſe qu’il fait ne luy eſt point honorable. Voila pourquoy Cerbere ayant veu le iour ſe prit à vomir. Il y a vne grande quantité de teſtes, ou parce que l’auarice eſt la ſource & commencement de pluſieurs meſchancetez & maudits actes, ou parce qu’elle poulſe les hommes en beaucoup de miſeres, veu que les vns ſont mis à mort par glaiue, les autres par venin, les autres par autres diuerſes manieres de mort, à cauſe de leurs biens. Et de faict on ne void point d’auaricieux, de qui les enfans, la femme, & tous les parẽs, ne deſirent la mort. Cerbere ſe tenoit en vne cauerne obſcure, d’autant que le plus ſot vice qui ſoit, c’eſt l’auarice, veu qu’elle ne ſçait faire bien, ny à ſoy, ny aux autres : & l’auaricieux ne ſe ſoucie point d’acquerir de la gloire, ou reputation, ny pour ſoy, ny pour ſes hoirs, ains ſ’accoſte & ſ’accompagne touſiours des gens mechaniques, & de peu d’effect. Hercule, qui repreſente la vertu & la grandeur de courage, a tiré Cerbere en lumiere, & ſ’en eſt acquis vne gloire & honneur immortel. Car qui voudroit dire que ſans moyens il luy fuſt aiſé d’eterniſer la memoire de ſon nom ? Or les mieux auiſez ſe propoſent que les richeſſes leur doiuent ſeruir de moyens & de commoditez pour executer de belles entrepriſes & de valeureux faicts. Il eſt temps d’entrer en conſideration des Parques.